Engagée, proche, réaliste, incarnée et divertissante en diable.
Bien avisé.e celui ou celle qui aurait pu prédire les tendances de la création publicitaire en 2020. Prophétique, Jacques Séguéla s’y risquait dans un appel à la créativité : « Tech sans affect n’est que ruine de l’homme. Tech sans idée n’est que ruine de la publicité. Que 2020 soit l’année des idées ! » Il en aura fallu pour composer, au jour le jour, avec une pandémie qui challengeait sans cesse agences et annonceurs tout en rendant inéluctable la transformation numérique des entreprises. La technologie apparaissant de fait comme le pilier de la continuité.
Comment prédire les tendances de l’année à venir alors que le pays navigue encore à vue ? Si, comme le rappelle Mélanie Pennec, directrice de création pour DDB Paris, personne n’avait misé sur « le masque comme star des films de 2020 », notre panel de directrices et de directeurs de (la) création prend tout de même les paris sur les tendances de la création publicitaire en 2021.
1. L’engagement des marques
Depuis quelques années déjà, les marques n’hésitent plus à embrasser les sujets sociétaux et environnementaux qui agitent la société. Une société de plus en plus polarisée, notamment sur les réseaux sociaux, où il est désormais demandé d’afficher ses opinions et de se prononcer. « Il en va de même pour les marques qui vont avoir de plus en plus de mal à rester neutres sur certains sujets capitaux pour les citoyens, prédit Céline Mornet-Landa, directrice de création de Sid Lee Paris. C’est l’occasion pour elles de fédérer, pas seulement autour de passions ou même de valeurs, mais autour d’idéaux politiques. Une stratégie jusqu’ici taboue. »
La présidence Trump a ainsi ouvert la voie à de nombreuses prises de parole de marques dénonçant sa politique — Patagonia, The North Face — ou, dans un « acte éminemment politique », appelant les Américains à voter sans nécessairement prendre parti pour un camp, comme Footlocker, Under Armour, Levi’s, Snapchat, Gap ou Spotify… Si ces initiatives demandent du courage, sans elles « les marques risquent de paraître fades, insensibles, voire complices de certains agissements contestables », estime Céline Mornet-Landa.
Un mouvement véritablement lancé en 2018 par Nike, lorsque le swoosh a choisi Colin Kaepernick — viré de la NFL pour avoir posé un genou à terre lors de l’hymne américain en marge du mouvement Black Lives Matter — pour célébrer les 30 ans de Just Do It. Malgré les appels à boycotter la marque, les ventes se sont envolées, tout comme le nombre de vues de Dream Crazy et ses retombées à travers le monde. En France, si les marques restent encore frileuses, Decathlon n’a pas renoncé à boycotter CNews ou à assumer la commercialisation d’un hijab de sport de running. « Prenant le risque de se mettre à dos une partie de ses consommateurs, mais revendiquant des valeurs sur lesquelles la marque n’est pas prête à transiger », souligne Céline Mornet-Landa. Pour elle, les marques pourraient être tentées de « faire le ménage » plus systématiquement, « préférant peut-être perdre quelques consommateurs en route, mais être très aimées et soutenues par leur communauté. »
Pour Pierrette Diaz, fondatrice de l’agence Territoire, il s’agit même d’aller plus loin dans l’engagement : «Il faut cesser de croire que communiquer sur des engagements de communication va régler le problème, il faut des engagements industriels sincères, profonds et durables, qui ont un réel impact, et ne soient pas des techniques de communication. En 2021, il faudra encore plus d’actes. »
Comme Intersport qui s’engage pour la réinsertion des jeunes et le développement des clubs sportifs, ou Patagonia qui répare tous leurs vêtements ou les recycle, et reverse 1% de son chiffre d’affaires à la protection et la restauration de l’environnement. « En France on a du mal à changer de business model. Les consommateurs se fichent pas mal du design d’une nouvelle bouteille ou d’un nouveau yaourt en plastique, ce qu’ils veulent c’est plus de plastique du tout. »
Pour Marco Venturelli, président en charge de la création chez Publicis Conseil, « les mouvements sociaux et les tendances publicitaires se superposent pour aider l’industrie à faire son mea-culpa, redorer son blason, trouver son rôle dans nos sociétés et sa force au-delà du divertissement et des prix ». La représentativité s’érige désormais en « incontournable », avec, petit à petit, des prises de position politiques courageuses (Nike et Kaepernick), qui tendent vers « un engagement porteur de transformation structurante, pour entrer en plus grande résonance avec l’époque (Uncle Ben’s) ». Il convient désormais « de passer de l’ode à l’empowerment, pour ne plus suivre une tendance, mais participer activement au mouvement de nos sociétés. »
Un avis partagé par Juana O’Gorman, directrice de la création chez Ogilvy Paris : « Nous aurons toujours une cible définie et un marché spécifique auquel nous nous adressons, mais nous devons mettre un “filtre” de diversité/égalité dans tout ce que nous faisons. Afin de faire exactement le contraire d’un filtre. »
Pierrette Diaz appelle ainsi à « soutenir les femmes dans nos métiers de la communication et de la création. Elles sont encore trop rares alors qu’elles sont souvent courageuses, et que leur sensibilité peut s’avérer très précieuse en création. » De la même manière, « la publicité doit aider les jeunes à apprendre un métier et à trouver un travail et les marques les recruter en croyant en l’avenir. Il ne faut pas sous-estimer la force des attitudes positives pour accélérer une sortie de crise. »
2. Le retour des grands films
Cet engagement, si ce n’est cette responsabilité des marques, ne peut s’illustrer qu’à travers de grandes épopées télévisuelles, estime Marie-Eve Schoettl, executive creative director (ECD) chez Publicis Luxe, « Les marques, après avoir pris conscience, il n’y a pas si longtemps que cela que leur pouvoir leur conférait un devoir d’exemplarité — ce qui nous a valu des tonnes de briefs sur leurs programmes écologie, diversité, etc. — sentent que les gens sont à bout. » Celles-ci vont ainsi avoir « la volonté de leur redonner du baume au cœur au travers de films inspirants, positifs, porteurs d’espoir, de rêve. »
Marie-Eve Schoettl mise ainsi sur le come back des grands films d’images, « très poétiques et imaginatifs qui ont le pouvoir d’agir comme des petites pastilles euphorisantes sur le public. » Sans oublier, « évidemment, que pour le même prix et dans les mêmes délais, il faudra aussi décliner tout ça en 3 milliards d’assets qui seront créés sur mesure pour chacune des nouvelles plateformes qui germent tous les jours en Asie et partout dans le monde ».
3. Vers la publicité et au-delà
Et si la tendance était de ne pas les suivre ? À l’ère des filtres et d’une certaine uniformisation graphique, visible notamment sur les réseaux sociaux où les formats et contenus sont clonés à l’envi, l’effet « troupeau de moutons » pourrait se révéler contre-productif, car il va à l’encontre du principe même de la créativité, pointe Pierrette Diaz de l’agence Territoire.
Un supplément d’âme dont la recette pourrait ressembler à un savant mélange de tension et de positivité, l’une des méthodes les plus efficaces pour concevoir de belles campagnes, explique pour sa part Lauren Haberfiel, associate creative director chez BETC. Toutefois, la crise aidant, « les consommateurs sont devenus insensibles à toute forme de tension. Qu’ils les rassurent ou les divertissent, les créatifs doivent leur transmettre des messages clairs. Ce n’est pas parce qu’on choisit de voir la vie du bon côté façon “Kimmy Schmidt” que nous devons proposer des créations naïves ou sans fondement. » Pour Lauren Haberfield : « La créativité qui marchera en 2021 sera celle qui parviendra à définir ce qui nous donne de l’espoir tout en apportant un nouveau point de vue sur ce qui nous donne du sens. »
Ce qui fait dire à Juana O’Gorman (Ogilvy) qu’«il n’y a jamais eu de meilleur contexte mondial pour encourager et explorer de nouveaux objectifs. Des objectifs qui débouchent sur des actions plutôt que de se contenter de fédérer sur des causes. Les consommateurs l’exigent, prêts à ignorer les marques qui n’ont qu’un rôle fonctionnel. »
Pour Etienne Renaux, executive creative director d’Herezie, il s’agit de redonner du sens à la création : « Redonner un sens à ce que l’on fait pour toute une nouvelle génération de talents qui n’a plus foi et passion en ce métier. Mais aussi redonner un sens à nos créations, être en phase avec le monde actuel, choisir de meilleurs canaux de diffusion à nos idées ; pour cela il faut être au plus près des gens, de leurs besoins », explique-t-il.
Un appel qui trouve écho chez Louis Bonichon, directeur de la création de MNSTR, qui observe une anxiété galopante chez la Gen Z et se demande comment la création publicitaire peut lui être utile. D’autant que cette année, toutes les marques se sont mises au diapason sur les inégalités, l’exclusion et la protection de l’environnement. Comment émerger ? « Les créatifs vont tous avoir pour challenge de formuler ces bonnes intentions de la manière la plus juste et la plus originale possible. »
Louis Bonichon mise ainsi sur le « solarpunk », une tendance artistique émergente « partout hors de l’Europe et des US (c’est d’ailleurs ce qui la rend intéressante) » prônant une vision optimiste du futur, égalitaire, et écologique, mais foncièrement punk : « Elle redonne aux notions de bienveillance et d’égalité une touche de cool, de transgressif et donc une force vitale. Des fictions spéculatives qui tournent enfin le dos à la dystopie pour nourrir l’imaginaire collectif. » Il espère ainsi que la création publicitaire « puise dans son immense pouvoir créatif pour représenter ce qui aujourd’hui nous semble impossible » et incite à agir, notamment « en facilitant l’engagement par des micros actions et en créant des ponts entre les gens et les collectifs actifs. »
En écho à Louis Bonichon qui cite Gabriel Gaultier se désolant du sommet de bons sentiment atteint, Audrey Tamic, ECD Proximity et creative director chez TBWA\, dresse également le constat d’un trop plein d’empathie affiché en création l’année dernière : « Nous avons trop observé de marques illustrer la crise et dresser le portrait plus ou moins résilient, plus ou moins émouvant, de ceux qui souffrent/ceux qui œuvrent/ceux qui donnent tout pour lutter contre cette crise. Quitte à lasser notre patience et notre adhésion. » Ce qui est fait n’étant plus à faire, et « sauf à vouloir forcer le rejet, il y a ainsi fort à parier qu’en 2021, nous ne mettrons plus en scène la proximité : il faudra être utile. »
Elle parie ainsi sur un renforcement de la brand utility. Que signifie être utile pour une marque ? « Ce sera par exemple choisir de faire rire malgré tout, quitte à nier radicalement le contexte que nous traversons. Pourquoi Système U, en plein pré-re-re-confinement, choisit de s’attaquer à la question épineuse de ce qui vient en premier, de l’œuf ou de la poule ? Parce que l’absurde peut faire rire, et parce que c’est essentiel, en ces temps où la culture et les spectacles s’oublient peu à peu, de redonner aux marques le rôle du divertissement. C’est ce qu’a aussi très bien compris Lupin (Nextlix), dans sa campagne de lancement. En piégeant les passagers du métro, déguisé en colleur de ses propres affiches, Omar Sy nous interpelle, car il interroge notre sagacité et nous rend complices. Sa capacité à briser le 4e mur nous fait sourire. Elle aiguise notre intelligence. Deux rôles plus que jamais incontournables pour les marques, qui les rendront utiles et nécessaires en ces temps — au mieux — maussades. »
4. Le gaming et l’entertainment
Tendance de fond qui se confirme année après année, l’entertainment (ou advertainment, dans nos tendances 2020) se pique de gaming à mesure que des plateformes comme Twitch s’inscrivent durablement dans le paysage et que ses audiences, portées par l’e-sport, deviennent de réelles opportunités pour les marques.
Steve, l’agence infusée de pop culture, mise logiquement sur l’émergence de la culture populaire et du gaming dans la publicité. « La pop culture parce qu’elle rassure, qu’elle fait du bien et qu’elle est familière dans une époque où tout est incertain. Le gaming car c’est le secteur des loisirs qui a le moins souffert du confinement, que les consoles de jeu ne se sont jamais aussi bien vendues qu’en 2020. Et Twitch atteint enfin sa pleine maturité en tant que plateforme communautaire », explique le co-président et directeur de la création de l’agence, Guillaume Lartigue. Pour lui, Twitch est le « nouveau réseau social de références avec TikTok : deux territoires qui sont autant d’opportunités pour les marques de communiquer différemment en 2021 et de recréer de la proximité avec leurs consommateurs. »
Dans un monde confiné/déconfiné/couvre-feuté, mais connecté, où les budgets sont limités, voire réorientés vers le digital, les marques sont logiquement tentées d’aller chercher cette audience en pleine croissance « Et pour cela, il ne faudra pas appliquer les codes publicitaires classiques, mais plutôt se faire discret et créer des initiatives ou des partenariats qui ressembleront de moins en moins à de la com [Domino’s et Aldi sont ainsi allés se frotter au sponsoring dans l’esport, NDLR] », avertit Fabien Teichner, fondateur et directeur de la création d’Interruption.
2020 a accentué des habitudes de consommation déjà largement tournées vers les écrans et le numérique. « Cela se vérifie également pour l’entertainment, avec un engouement toujours plus fort pour Netflix et les autres plateformes de streaming, et bien sûr pour les jeux vidéo, avec lesquels les gens passent de plus en plus de temps, poursuit Fabien Teichner. Les insertions des marques dans le monde du jeu ont pris et pourront prendre plusieurs formes selon lui :
– en s’invitant dans les jeux de manière créative : Wendy’s, Greenpeace dans Minecraft ou Burger King avec le Stevenage challenge sur FIFA ;
– en s’associant à des évènements sportifs ;
– en réalisant des campagnes de pubs qui rendent hommage aux nouvelles égéries des jeux vidéo (Nike et Mercedes) ;
– en reprenant les codes de réalisation et d’imagerie et en les offrant au grand public dans des pubs TV plus classiques, comme « Nothing Beats a Londoner » de Nike.
Autant d’exemples qui font dire à Fabien Teichner que « ce Nouveau Monde est devenu une vaste aire de jeux pour beaucoup de monde », même si les publicitaires ne sont pas les premiers à y avoir pensé. Si Travis Scott a créé l’événement en plein confinement sur Fortnite, l’univers de la mode fait ses classes dans le monde du jeu vidéo depuis un moment déjà, comme Louis Vuitton avec Final Fantasy ou League of Legends plus récemment.
« L’impact des mondes ouverts et du gaming va sûrement être important dans la façon de raconter les histoires, prédit quant à lui Louis Bonichon, de MNSTR. Cette année, nous avons vu émerger des festivals, des rassemblements et des célébrations dans Fornite, ou Animal Crossing. Guillaume Carrere, notre directeur de la stratégie, a lancé une chemise de sa marque le SUDISM directement dans GTA. » Dans la continuité de 2020, « vivre des expériences ensemble et à distance va devenir un vrai enjeu de création et le défi va être de savoir les raconter, poursuit Louis Bonichon. On va devoir apprendre à shooter et mettre en scène des histoires dans des mondes virtuels. »
Pour Mélanie Pennec de DDB, c’est sur Tiktok qu’il faudra compter, « parce que les statistiques de cette application ont complètement explosé l’an dernier. Évidemment en termes de nombre d’utilisateurs, mais surtout en termes d’âge moyen, qui évolue vers le haut. Il y a de plus en plus d’adultes (des parents qui voulaient regarder ce que regardaient leurs ados, et sont devenus accros au moment du confinement notamment), donc de plus en plus de consommateurs potentiels ». Les annonceurs devraient logiquement suivre.
5. La creative reality
Loin de la publicité traditionnelle faite pour vendre du rêve et nourrir les fantasmes, « nos nouvelles expériences de marque doivent montrer la réalité, explique Fabienne Fiorucci, directrice de création chez Dare.Win. En étant plus justes, sans tricher ou mentir : les prises de parole font écho à la vie des gens, s’inscrivent dans leurs usages et répondent à leurs problématiques. » Ce qui s’est illustré au sein de l’agence par le terme creative reality.
Une tendance qui devrait se développer plus encore cette année autour « d’une création innovante, inclusive, dans son temps et consciente du contexte économique et social dans lequel elle évolue, poursuit-elle. Au-delà de réfléchir à des idées qui soient covid-friendly, il faut revoir complètement les usages des audiences, au-delà d’être informative, la publicité doit réellement leur apporter quelque chose. » Ainsi, des « restaurants se réinventent en transformant nos salons en leurs plus belles tables, des artistes trouvent leurs communautés où elles sont comme Travis Scott dans Fortnite, et plus récemment avec la comédie musicale collaborative Ratatouille née sur TikTok et qui apporte un vent de fraîcheur à Broadway. À nous d’accompagner les marques avec autant de justesse pour que malgré la distance physique, la proximité avec leurs audiences soit renforcée. »
Pour Guillaume-Ulrich Chifflot, de W, les marques doivent renouer le contact avec le public, car celui-ci se reconnaît de moins en moins dans la représentation que le métier en fait. « Sous la pression des lobbys et de la bien-pensance, et de tous ceux qui veulent utiliser la publicité comme moyens de transformer la société malgré elle, la publicité ne montre plus un miroir flatteur et attirant, mais une abstraction donneuse de leçon, qui va à l’encontre de la création de désir. C’est le règne du Schtroumpf à lunettes ! » tance le directeur de la création.
Pour preuve, « l’échec retentissant du man-shaming Gillette aux États-Unis » révélant « l’impasse dans laquelle la création US s’est engouffrée, et qu’elle peine même à simplement reconnaître », estime-t-il. Ainsi, « en s’aliénant son propre public (cf. le gâchis Star Wars et la censure de la famille O’Malley), la marque Disney est en train de s’autodétruire ». Il devient urgent que la publicité redevienne complice de ses publics : « Vite, retrouvons le plaisir des personnages, des castings plus vrais que nature, des histoires pleines de plombiers, de garagistes, de sentiments, et pourquoi pas de ces clichés qu’on aime comme on aime le cousin Albert qui parle un peu trop fort, mais est si marrant. De la connivence, vite ! »
De la connivence et de l’humain ! Qui sera, d’après Pierrette Diaz, l’une des grandes tendances de la création.« Les discours affectifs se révèlent néanmoins difficiles pour les marques, car ils ne sont pas toujours très crédibles hors de leur secteur. Tout le monde ne réussit pas aussi bien le registre émotionnel que Macmilliancancer avec le film “Watever it takes” qui est un bijou de sincérité. »
6. Vive les contraintes !
2020 a apporté son lot d’incertitudes entraînant adaptation et transformation à marche forcée dans l’industrie : « Tournages compliqués, logistique de production rendue difficile, travail à distance, budgets revus à la baisse… la nature ayant néanmoins horreur du vide, les créatifs, sous la contrainte, ont exploré de nouvelles voies pour contourner les problèmes. Cela a orienté la manière de concevoir nos travaux, rappelle Alexandre Drouillard, directeur de la création d’ici Barbès. Beaucoup ont alors eu recours à l’animation, aux VFX 3D, à l’illustration, aux campagnes typographiques. Cette contrainte a fait naître de magnifiques campagnes avec des idées et des crafts remarquables ».
Il énumère ainsi les films « The Drop » pour Surfrider Foundation entièrement réalisé en 3D et « Perdu » produit entièrement en animation pour France Alzheimer tous deux conçus par l’agence du 19e. Ou encore la campagne de Buzzman avec le Whooper en Kit de Burger King ou les prints de DDB pour Monoprix.
Des contraintes qui force à s’adapter : « Depuis presqu’un an, on ne fait que ça : s’adapter, rappelle Amélie Brégé, directrice de création de TBWA\Paris. Certains ont appris à coudre, beaucoup ont découvert les joies de la visio (avec ou sans caméra), de grands noms du luxe ont fabriqué du gel hydroalcoolique, des médecins ont transformé un masque de plongée en masque à oxygène. Plus récemment – et pas forcément plus intelligemment – on a appris que l’apéro pouvait commencer à midi et finir à 17h59. Bref, la France s’adapte, et notre métier aussi. »
Cette tendance appelée à « s’ancrer encore d’avantage » en 2021, « d’abord parce qu’on ne sait pas quand l’épidémie sera derrière nous. Ensuite parce que les réseaux sociaux, les influenceurs et le digital en général n’ont jamais été aussi présents – et peut-être utiles – que ces derniers mois. Mais la bonne nouvelle, c’est que s’adapter, c’est aussi créer et se réinventer. Le cœur de nos métiers »
Cette tendance créative devrait encore challenger le métier cette année et le rendre encore plus créatif en le forçant à se défaire de ses habitudes, parie Alexandre Drouillard. Une tendance créative de l’économie de moyen qui trouve un écho chez Mélanie Pennec, de l’agence DDB Paris : « En 2020, on a dû tous être très réactifs. Comment produit-on un 30 secondes en plein confinement ? On tourne avec un téléphone ? On fait un montage tout en images de stock ? Opte-t-on pour une solution tout en typo ? En 2021, le challenge va être le même avec cette tendance de “pub low cost” » : non pas une publicité bas de gamme, simplement moins coûteuse. « Aller tourner de magnifiques plans à l’étranger risque d’être compliqué pendant un moment encore. Surtout avec des marques révisant leurs investissements publicitaires à la baisse. Un trente secondes en télévision coûte cher. Un quinze secondes, moins. »
Comment faire aussi bien avec moins de moyens ? « La bonne nouvelle, c’est que la contrainte nous oblige à être d’autant plus créatifs pour produire de belles choses »
7. Le storytelling open source
Loin de l’enterrer, la pandémie a obligé le marketing d’influence à se renouveler. « En 2020, une nouvelle génération a eu dans les mains des outils de créations hyper puissants (TikTok, les outils de création de filtres d’Instagram, ou les autres outils alternatifs comme Doodlelens), rappelle Louis Bonichon de l’agence MNSTR. Ils ont eu le temps de maîtriser leurs codes. » Avec la distance sociale, le besoin de se raconter est devenu « viscéral », présageant l’apparition de storytellers d’un genre totalement nouveau. « Ce serait dommage de ne pas travailler avec eux, parce qu’ils maîtrisent ces outils mieux que personne. Alors, j’imagine que la confluence va devenir une tendance globale sur le digital. Nous allons devoir évoluer sur la façon de faire nos briefs et de concevoir des campagnes “open sources” que viendront co-créer et/interpréter des créateurs et influenceurs. »
8. Le retour en force de la télévision
Qui aurait pu prédire qu’une pandémie mondiale signerait le come-back fracassant de la télévision alors qu’elle semblait inexorablement perdre du terrain face aux alternatives digitales ? Le média s’est offert un tel retour en grâce qu’il pourrait (re)devenir un puissant terrain de jeu créatif considère Olivier Lefebvre, président et partner de Fred & Farid Paris.
Malgré les bouleversements apportés par les nouvelles technologies et la multiplication des écrans dans les foyers, « la télévision, sous toutes ses formes, s’est montrée remarquablement résistante », relève-t-il encore.
En Europe, la télévision touche quotidiennement environ 70,1 % de la population de l’UE (96 % de tous les foyers américains). C’est une audience potentielle énorme pour les annonceurs en quête de notoriété.
« Comme une échappatoire au stress quotidien lié à la pandémie COVID-19, la télévision s’avère être l’une des seules possibilités d’entertainment en direct (spectacles, événements sportifs, etc.), résume le président de Fred & Farid Paris. En création, la télévision nous laisse d’ailleurs plus de temps pour le storytelling et son efficacité, de par ses larges audiences, permet de connecter avec toute la famille en une seule fois ». De plus, « c’est un formidable terrain de jeu pour les jeunes créatifs snack content native — passer d’une écriture TikTok à un long format de 1min30 est une gymnastique ultra stimulante pour eux. Et finalement les deux exercices sont complémentaires et s’enrichissent. Ce n’est pas l’un ou l’autre, mais une véritable synergie online / broadcast qui crée cette connexion émotionnelle plus profonde avec le consommateur. »
9. La production éco-responsable
Production raisonnée, écologie de la production, initiée depuis quelques années déjà, la tendance s’est encore renforcée cette année. « À l’image de l’upcycling de vêtements, va-t-on upcycler les campagnes ? » se demande le directeur de la création de MNSTR, Louis Bonichon. Du remake, à la réutilisation des campagnes [ou ancien logo, NDLR], il observe ainsi « une sorte de nostalgie pré-internet et une fascination pour le langage publicitaire de la ‘grande époque culture pub’, comme l’illustre la publicité The Heat de Perrier. ».
« On voit ainsi apparaître une tendance au remix visuel où des campagnes déjà shootées sont mixées ou augmentées de médiums contemporains, poursuit-il. Les shootings vont sûrement rester encore compliqués cette année, mais, en même temps, il y a eu une production exponentielle de contenus. Les créatifs vont trouver de l’aspérité dans leurs exécutions en mixant des shoots existants, des modèles 3D transformés, des banques images et des shootings sur le vif. »
De son côté, Alban Penicaut, directeur de la création de l’agence Brainsonic se demande comment être divertissant dans les prises de paroles « responsables », qui peuvent paraître parfois rébarbatives et moralistes. « La publicité est connue pour vendre du plaisir, de l’épanouissement, une réussite professionnelle, sociale, etc. Du pur divertissement. On parlait alors d’advertainment (Fred & Farid). » Il constate toutefois que ce n’est plus possible aujourd’hui du fait de la crise climatique, puis de la crise sanitaire. Voici venue l’heure du green entertainment.
« Les créatifs publicitaires qui sont en bout de chaîne, à la croisée entre la morale, la bienveillance (so 2019) et le green washing, arrivent alors comme des pères Fouettards pour vous dire qu’il faut changer de comportement, manger des steaks veggies, choisir des produits bio… emballés dans du plastique et que vous pouvez vous acheter une voiture. Mais que vous devez vous rendre à votre boulot à pied, sauf si vous avez une voiture électrique… en autopartage… Ah non finalement, ce n’est pas bien à cause des mines de cobalt… etc. Si tous ces messages sont essentiels, il faut néanmoins trouver un moyen d’en parler en étant moins rabat-joie afin de ne pas ressembler à Yann Arthus-Bertrand qui, après avoir parcouru le monde toute sa vie, explique qu’il ne faut plus prendre l’avion. »
Alban Penicaut rappelle ainsi « ce montage génial » Every Covid-19 Commercial is exactly the same, qui pourrait très bien trouver son équivalent pour tous les films et les marques qui prétendent aujourd’hui vouloir « sauver la planète ! » Il convient donc « de remettre du plaisir, de la légèreté, de l’humour, de l’émotion, du divertissement et non de l’injonction un peu angoissante dans ces messages responsables. Montrer qu’il est vertueux de faire des choix éco-citoyens : c’est quand même plus chouette de faire de la publicité pour des produits éthiques, d’avoir la classe en achetant d’occasion plutôt que neuf, et de rouler en vélo plutôt qu’en 4×4. Même si ce n’est pas facile parce que le dernier Range Rover fait vraiment envie ! »
Le directeur de la création donne l’exemple d’initiatives de marques « rafraîchissantes », comme celle de la marque de sport REI qui ferme boutique pendant le black friday pour inciter ses clients à partir en trek, la bière Australienne DB export (BBDO) avec sa campagne « Save the world, drink beer » (« Quelle belle mission ! »), ou encore Lacoste (BETC) avec Save our species.
10. La différenciation plus que jamais nécessaire
Pour Etienne Renaux d’Herezie, cette année va voir éclore de nouvelles plateformes de marques, là où 2020 a été une année de transition pour beaucoup d’entre elles. Il dit espérer que ce laps de temps leur aura été profitable, sans qu’il engendre « des plateformes comme Humaning ».
De son côté, Fabien Teichner d’Interruption observe une dilution des marques dans leur manière de communiquer sur les réseaux sociaux, aucune ne parvenant véritablement à se distinguer dans cette masse communicationnelle. « Le digital ne doit pas être considéré uniquement comme un tuyau où balancer ses produits, mais comme un véritable outil de différenciation et de construction de la marque ».
La communication de marques est de plus en plus concrète, remarque-t-il, une initiative pensée en interne peut ainsi rejaillir dans un tweet, une publication, et par ricochet avoir un impact très positif pour la marque. À l’instar de l’appel de Burger King à défendre les restaurateurs. « Politiquement et économiquement c’est un parti pris fort. C’est très simple en termes de communication, mais cela traduit une grande implication de la part de l’entreprise. Cette année, les marques vont montrer très simplement ce qu’elles font profondément », augure Fabien Teichner.
Pour Guillaume-Ulrich Chifflot (W), la différenciation se fera en oubliant les vieilles catégories : « Le social sert à faire du corporate, les activations font de l’image de marque, des pubs produits servent à lancer une nouvelle identité, bref, aujourd’hui tout est dans tout. La meilleure campagne de publicité de tous les temps reste l’envoi d’une Tesla vers Mars par Elon Musk. C’est non seulement un message brillant à l’intention des lecteurs américains de Métal Hurlant qui peuplent la Silicon Valley et ses investisseurs, mais aussi la preuve que la création n’a plus de frontière : ni celle des métiers des supports ni celle de l’orbite géostationnaire ».
« De plus en plus de marques, de plus en plus de messages, d’images, tout a tendance à se ressembler, y compris les briefs et les stratégies copiées-collées, note Pierrette Diaz.
Les consommateurs sont sur-nourris de messages identiques, la publicité copie la publicité. Sur les réseaux sociaux, les flow coulent comme un robinet d’eau tiède, pas toujours très intéressant, sans aspérités , regrette-t-elle. Ce qu’on appelle les “contenus” paradoxalement n’en a pas. Les contenus ne sont souvent que des contenants, vides de contenu. Il y a presque là une sorte de gaspillage de communication, une marque s’affaiblit quand elle perd son propos et des contours nets. J’aime construire des territoires de marque uniques et sur mesure, ainsi on crée des marques plus fortes et plus durables, plus “remarquables”, dans les deux sens du terme ».
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