Cannes 2010-2020-2030 : plongée dans le passé, présent et futur des Lions

Par Élodie C. le 22/06/2020

Temps de lecture : 30 min

Gold en rendez-vous manqué.

Cannes, ses marches, sa Croisette, ses terrasses et son palais grouillant comme une fourmilière. Chaque année, les Cannes Lions célèbrent la créativité et clôt l’année publicitaire : plus de 20 000 campagnes internationales sont envoyées pour espérer être distinguées par un jury lui aussi multilingue. Autant de festivaliers arpentent les alentours entre le palais et la Croisette, parmi lesquels quelque 9 000 publicitaires au milieu, d’incontournables plateformes, des annonceurs et mastodontes de la communication, mais aussi des créateurs de contenus et médias du monde entier. Cette année toutefois, alors que l’édition 2020 devait lancer la décennie à venir, l’esprit n’était pas à la fête, mais à la distanciation sociale. Épidémie oblige.

Si vous ne pouvez pas aller à Cannes, Cannes viendra à vous ! Pour marquer la décennie écoulée et envisager celle à venir, nous avons interrogé une dizaine de créatifs pour qu’ils nous racontent le Cannes d’il y a dix ans de ça, le souvenir de leur premier Lion, les meilleures campagnes de la décennie, le off si réputé de Cannes et ce qu’ils imaginent être le festival en 2030. Gare de Cannes. 30 minutes d’arrêt.

Le festival : 2010-2020 : retour sur une décennie cannoise

Souviens-toi juin 2010
Les Cannes Lions 2020 auraient dû symboliser le passage d’une décennie à l’autre. L’occasion de jeter un œil dans le rétroviseur et faire le bilan du chemin parcouru par le secteur, des transformations/mutations du métier, avec l’arrivée de nouveaux acteurs et formats, et de s’arrêter sur ce qui fait aujourd’hui bouger l’industrie. Qu’est-ce qui animait la publicité il y a dix ans ? De quelles rumeurs bruissait le palais des festivals ?

D’une décennie à l’autre, les Cannes Lions 2010 symbolisaient également « un passage », se rappelle Jean-Christophe Royer, chez BETC à l’époque et aujourd’hui directeur de la création de l’agence Rosbeef! « Le passage entre deux époques, celle de la publicité spectacle, du print et du film tout-puissant à une publicité plus ‘immersive’, avec l’arrivée en fanfare du digital, du brand content, du Titanium… Nous avons fait de la place à de nouveaux métiers, de nouveaux profils de créatifs. Au début, on avait peur d’être “un peu serré”, mais bon, maintenant, chacun a trouvé sa place on dirait. »

Pour Céline et Clément Mornet-Landa, le duo de directeurs de la création de Sid Lee Paris, 2010 représente le tout premier festival de l’agence qui venait d’être fondée. « Nous étions peu nombreux à l’époque, alors nous avons embarqué tout le monde pour la Côte d’Azur », se remémorent-ils. Pas d’inscription cette année-là, juste l’occasion de sonder le meilleur de la créativité publicitaire du moment. « À l’époque, de nouveaux médias et de nouvelles narrations s’imposaient vraiment, le champ des possibles s’ouvrait pour les créatifs. The Fun Theory, le Replay de Gatorade, Iggy Pop Together Incredible, Best Buy», se rappellent-ils encore.

Autant de campagnes qui ont marqué les esprits. Ainsi, pour Xavier Beauregard, fondateur et directeur de la création de la boutique agence indépendante Skinmaker, 2010, « c’est l’année Old Spice. Une écriture de films surréalistes tant dans sa conception que sa réalisation. » Le créatif se souvient notamment d’une campagne pour la marque de bière Andes « Teletransporter » invitant les clients d’un bar à pénétrer dans une capsule insonorisée. « Il y avait différents boutons sonores qu’ils pouvaient activer tels que le bruit d’un embouteillage, d’un quai de gare bondé, d’un hall d’aéroport… Cela leur permettait de contacter leur conjoint et pouvoir prétexter d’un retard. Il y avait encore à Cannes cet esprit léger et décomplexé qui a peu à peu disparu par la suite. »

Nombre d’entre eux insistent d’ailleurs sur ce dernier point : comme Benjamin Marchal, co-directeur de la création de TBWA\Paris. « Il y avait moins de GAFA, plus de légèreté, moins de place pour les résultats, plus de grands films qui faisaient rêver, tout n’était pas mieux avant, mais un peu quand même », estime-t-il. Et « en ce qui concerne les forces en présence, Google, Spotify, Snapchat, Twitter, Facebook et Accenture… ne s’étaient pas encore emparés de la Croisette et de ses plages/soirées », souligne Olivier Lefebvre, Président et Partner de Fred & Farid Paris.

Le festival édition 2010 ressemblait ainsi « à une grande célébration internationale de la créativité festive et inspirante, se souvient Aurelie de Villeneuve, directrice de la création de Publicis Luxe. Les plages ne s’étaient pas encore transformées en stand des GAFA, les agences étaient à l’honneur et les annonceurs restaient discrets. Il y avait moins de catégories, plus d’exigence et le digital commençait à être honoré. ».

« L’ambiance générale était beaucoup plus légère, les marques se prenaient moins la tête et les agences délivraient des campagnes décomplexées, appuient Céline et Clément Mornet-Landa. Il n’y avait pas autant de grandes causes, vendre un produit n’était pas un problème. Lorsqu’on regarde le palmarès des grands prix 2010, c’est édifiant. »

Pour Matthieu Elkaïm, directeur de la création d’Ogilvy, les campagnes récompensées cette année-là prouvent ainsi à quel point Cannes fait référence et autorité dans l’industrie. Il donne pour exemple la campagne Diesel « Be stupid », « que l’on continue de citer dans les réunions entre créas comme modèle de courage », Old Spice « drôle et démentielle », mais aussi « The Fun Theory » de Volkswagen.

Des campagnes dont se rappelle également Pierrette Diaz, directrice de la création indépendante : « Diesel ‘Be Stupid’ a décomplexé tous les créatifs en nous mettant du côté des Stupids vs les Smart. Une des premières stratégies sociétales pour de la mode, des accroches et des visuels revendicatifs de l’idiotie. Cette campagne a été la rampe de lancement de toutes les stupid brilliant campagnes Diesel qui ont suivi en créant un vrai territoire de marque unique et fun ‘For successful living’ / ‘Be a Follower’. » Pour la DC, « Les Lions de 2010 étaient très créatifs, déjantés et courageux, très innovants, ils n’ont pas pris une ride ! »

Comme évoqué plus haut par Aurélie de Villeuneuve, le digital commençait à percer. Matthieu Elkaïm note l’apparition de la catégorie Cyber : « C’est intéressant d’observer le point de départ de ce qu’allait être le métier ces 10 prochaines années. Il y avait quelque chose du marketing créatif moderne et énormément de courage de la part de nombreuses marques. On sent qu’on a traversé dix ans d’une grande transformation du métier dont 2010 était les prémices. » Pour le directeur de la création, « Cannes est le reflet de notre métier ». Et l’augmentation fulgurante du nombre de catégories son illustration. « On peut voir cette augmentation d’un côté exclusivement business, mais elle traduit une réalité : le métier s’est transformé, le marketing est devenu protéiforme, avec des nouveaux formats quasiment toutes les semaines. Ces transformations imposent une variété de catégories ».

Dimitri Guerassimov, directeur de la création de VMLY&R, estime ainsi que, même avec moins de catégories et d’effet de masse (« une campagne ne pouvait pas remporter 10 ou 20 Lions à travers toutes les catégories, avec une surpondération pour une campagne ou une agence »), de 2010 à 2020, les Cannes Lions ressemblent « à la même chose, dans le sens où c’est toujours l’excellence créative qui est primée. »

Pour lui, 2010, c’est l’année où « la vie commençait à revenir à Cannes après la crise économique de 2008 », et un festival de Cannes 2009 « un peu fantomatique ». « C’est également le moment où l’on a vu apparaître des projets, comme le Unicef Tap Project de Droga5 de 2007 qui questionnait beaucoup sur les catégories dans lesquelles de tels projets pouvaient s’insérer. On a commencé à voir fleurir des projets très différents. Nous nous disions ‘Demain appartient à ceux capables de défricher tout ça.’ Bon, l’agence qui l’a le plus défriché finalement c’est Droga5. Chaque année, ils arrivaient avec quelque chose qui mettait une petite tape derrière la tête de tout le monde. »

Pour le jeune duo de directeurs de création de DDB Paris, Alexis Benbehe et Pierre Mathonat, en 2010, les Cannes Lions représentent encore un « rêve d’étudiant. Un but inatteignable qui devient un an plus tard, à notre arrivée chez DDB, un objectif, un devoir, une nécessité pour mériter notre place au sein de l’agence. » Comme Alexis Benbehe l’explique, à l’époque toutes les teams de l’étage avaient au moins un Lion : « Avec Pierre, la peur qu’Alexandre Hervé [le directeur de création d’alors, NDLR] se rende compte que nous étions mauvais était si grande que nous avons travaillé comme des acharnés pour en avoir un, histoire de justifier notre place. »

2010-2019, un festival de campagnes iconiques
En fin d’année dernière, alors que la décennie s’achevait et qu’une nouvelle s’ouvrait, la Réclame établissait son palmarès des publicités qui ont fait 2010-2019. Certaines se sont évidemment illustrées à Cannes au cours des dernières années. Et s’il fallait en choisir une ?

Selon le Gunn Report de 2015, « c’est ‘L’Ours’ de Canal+. Ces gens ont très bon goût », souligne malicieusement Jean-Christophe Royer [récompensé avec BETC pour ce film, NDLR] aujourd’hui chez Rosbeef !. « Plus sérieusement, quand on est créatif, la meilleure campagne c’est celle qu’on aurait aimé faire, et pour moi c’est sans discussion ‘Meet The Superhumans’ de Channel 4, pour les jeux paralympiques en 2016. Il y a tout dans ce film : une idée forte, du spectacle, de l’optimisme, de la musique, une réalisation à couper le souffle et surtout pas de mièvrerie, de bons sentiments, de pleurs, de leçon de vie… La seule leçon que nous donne ce film, c’est une leçon de publicité. »

2016 encore, mais autre campagne pour Xavier Beauregard de Skinmaker : la célèbre campagne « Meet Graham » pour la sécurité routière australienne. « Cette campagne m’a véritablement marqué quand je l’ai découvert la première fois, au point d’y penser les jours qui ont suivi. En tant que créatif, il arrive parfois de nous sentir très proches d’une idée et de son exécution. De se laisser à rêver qu’on aurait pu la faire. Peut-être à tort, mais c’est ce que j’ai ressenti. Cette campagne avait tout pour elle : la curiosité qu’elle suscitait était impressionnante. »

Pierrette Diaz choisit « instinctivement » Fearless Girl, Always #LikeAGirl, L’Ours de Canal+ et enfin TNT The red button, « extrêmement dingue ».

Pour Matthieu Elkaïm, d’Ogilvy, les meilleures campagnes sont « celles qui ont fait réfléchir, voire même fléchir l’industrie. Il faut un avant et un après, l’ouverture d’une brèche. » Ce qui l’incite à regarder du côté de celui qui a inventé (sans le savoir avec le Unicef Tap Project en 2007) les case study, « monsieur David Droga ». « Chez Droga, il y a toujours un mix d’intelligence, de business et de créativité, et son inventivité est géniale. Ce n’est jamais gratuit. » Toutefois, s’il fallait choisir, le directeur de la création d’Ogilvy opte finalement pour une campagne « maison » (le réseau WPP) : The Swedish Number de l’agence Ingo Stockholm. « La réponse donnée à la question de la Swedish Tourist Association est exceptionnelle. Il faut un certain courage de l’annonceur pour accepter une telle proposition, cela demande un vrai lâcher prise qui se rapproche du live. »

Dimitri Guerassimov estime quant à lui que la campagne « Keeping Fortnite Fresh » de Wendy’s et VMLY&R de 2019, fait également partie des campagnes qui ont marqué un tournant pour l’industrie, à l’instar de l’Unicef Tap Project de l’Unicef. « C’est celle qui m’a rendu le plus jaloux récemment. Il y a un avant et un après. C’est un concentré de best practice, et une façon très moderne de reconnecter passé et présent, de démontrer qu’un jeu vidéo est aussi un réseau social. Cette campagne coche absolument toutes les cases marque, modernité et compréhension de son temps. »

Beaucoup de campagnes ont également marqué le duo Céline et Clément Mornet-Landa, de Sid Lee Paris au cours de la dernière décennie passée, comme Decode Jay-Z, Always #LikeAGirl, Blood Normal de Libresse ou encore Harvey Nichols avec Sorry, I spent it on myself… « Le fait de voir des films comme Write the future de Nike ou le Under Armour, Rule yourself, avec Michael Phelps sur grand écran dans le palais des festivals vous rend forcément très jaloux, dans le bon sens du terme. » Entre toutes, c’est la campagne Decode Jay-Z que le duo choisirait, « parce qu’à l’époque c’était vraiment frais. Et le travail de déclinaison est assez dingue. »

Pour le duo de DDB Paris, les campagnes les plus primées à Cannes ne sont pas celles qui ont le plus forgé leurs goûts ou leurs envies de publicitaires. Ce serait plutôt la continuité de certaines agences et des périodes où elles ont brillé. Pierre Mathonat et Alexis Benbehe estiment ainsi que toute l’oeuvre de l’agence Fallon London sous Juan Cabral était de la « folie » : les campagnes Cadburry, Sony, The natural confectionery company, mais aussi celles de Wieden+Kennedy Londres sur Honda, Lurpak, Cravendale, ou Three mobile. « Et évidemment Craig Allen et Eric Kallman [duo créatif chez W+K Portland, NDLR], tout ce que ces garçons ont fait est absolument fabuleux ».

C’est d’ailleurs leur fameuse campagne pour Old Spice en 2010 que Faustin Claverie considère être la meilleure de la décennie : « Le premier film Old Spice gagne le grand prix en 2010 et depuis ils gagnent des Lions chaque année en nous faisant rire. C’est rare de rire dans le palais des festivals de nos jours. Old Spice pour l’ensemble de son œuvre donc. »

La directrice de la création de Publicis Luxe pense quant à elle à la campagne Budweiser « Tagwords » de 2018 : « Sa force tient du mélange parfait entre le off et le online. Des visuels purs et graphiques qui nous incitent à taper des mots clés dans un moteur de recherche pour découvrir le lien qui unit Budweiser et la musique depuis toujours (en évitant tous les problèmes de droit à l’image). »

Et si 2020 avait eu lieu ?
Annulée pour cause de pandémie mondiale, l’édition 2020 n’a pas eu le temps d’éclore, et les cases studies d’inonder la toile. Difficile alors de pronostiquer quoi que ce soit pour le cru de cette année. Nous nous risquons toutefois à miser sur un probable Grand Prix pour la première tournée mondiale virtuelle du rappeur Travis Scott, Astronomical, diffusée sur Fortnite. Un événement inattendu et dantesque qui a réuni 12 millions de joueurs pour le premier concert. Un nouveau coup de maître pour l’éditeur de jeux vidéo Epic Games qui aurait pu avoir les faveurs du jury.

Parmi nos autres favoris pour cette année, citons :
– Burger King et sa campagne pour le Whopper moisi, celle qui voyait le roi du burger cacher un Big Mac dans toutes ses publicités 2019 et sponsoriser un club de foot de 4e division, le Stevenage F.C. ;

– En France, Crocodile Inside aurait certainement pu ravir un prix en Film ou Film Craft, et Romance en film / direction d’acteurs avec l’EuroMillions.

L’édition 2020 aurait sans doute (encore) été celle des grandes causes. « Nous avions l’impression que ce Cannes pouvait marquer un tournant… soit les grandes causes/ RSE trustaient définitivement toutes les catégories, soit il y avait une forme de rééquilibrage avec des campagnes davantage marque ou produit, expliquent Céline et Clément Mornet-Landa. Citant par exemple de « très beaux projets » comme Lacoste, le “Bounce” d’Apple, le Nordstrom, le Moldy Whooper de Burger King ou le Green Dawn d’Ubisoft pour The Division 2.

Même sentiment du côté de Xavier Beauregard qui a également relevé une « grande tendance qui s’est surdéveloppée année après année : une course à déceler le sujet social ou les grandes causes du moment. Et ils y sont tous passés… Des causes évidemment très importantes à défendre, mais qui sont devenues trop représentées dans un festival de publicité », estime-t-il néanmoins.

« J’espérais déjà en film de beaux Lions français dont Lacoste pour son film Crocodile inside et son activation species « crocodile free », Lego en affichage pour « Rebuild the world », le film Boursorama avec Brad Pitt en clin d’oeil, le film Intersport « Off side » qui souligne l’engagement de la marque envers les jeunes et les vertus du sport », regrette Pierrette Diaz. Intersport dont elle gère la direction de création depuis 3 ans. « Donc dans tous les cas, de grandes marques bâties sur des fondations fortes, des idées simples, généreuses, divertissantes, émotionnelles, extrêmement bien réalisées. »

« Si on se place en 2010, nous n’imaginions pas cette révolution, estime quant à lui le directeur de la création d’Ogilvy. Bien sûr, nous observions le virage à venir, avec la création de Facebook quelques années auparavant, mais Instagram n’existait même pas [la plateforme sera lancée en octobre de la même année, NDLR]. Nous ne pouvions pas anticiper le poids des social media aujourd’hui. »

En tant que spectatrice Aurélie de Villeneuve imaginait les Cannes Lions 2020, « comme un moment très incertain, plus grave, plus studieux et plus confidentiel ». À l’inverse, Olivier Lefebvre de Fred & Farid Paris, n’avait rien anticipé du tout, étant de ceux « qui pensent d’abord à faire de bonnes campagnes qui répondent aux problématiques de leurs clients, et améliorent leur business. » Les récompenses venant ensuite si le travail est bien fait. Même son de cloche du côté de DDB Paris pour qui il n’y a pas de recette pour gagner des prix : « En revanche, une chose est sûre, sans travail, c’est impensable d’espérer quoi que ce soit. C’est avant tout le travail, le travail, encore le travail et évidemment beaucoup de chance, rappellent Alexis Benbehe et Pierre Mathonat. À commencer par celle d’être dans une agence qui paye pour inscrire vos projets, prennent-ils soin de souligner. Une agence qui croit en la création et en ses équipes et qui investit dessus est déjà une chance énorme dans cette industrie. »

Pour Faustin Claverie, de TBWA Paris, la chance, c’est peut-être d’avoir une année supplémentaire, car il « ne voyait pas trop les agences françaises cartonner cette année. »

L’année prochaine, les Cannes Lions accueilleront-ils deux festivals ? Celui annulé cette année et l’édition 2021, qui charriera certainement son lot de campagnes de communication liées au Covid ? « Nous nous demandons évidemment ce qu’il va se passer pour ces campagnes-là, explique Dimitri Guerassimov de VMLY&R. Il y a toujours un débat entre opportunisme et courage pour une marque qui se lance sur de tels sujets. Nous verrons bien quel accueil va leur être réservé par les jurys. C’est au cœur de nombreuses problématiques actuelles, de l’environnement en passant par la santé ou les sujets sociétaux : à quel moment une marque est noble ou opportuniste ? Ce débat est toujours intéressant à suivre ».

Le directeur de la création de VMLY&R se dit d’ailleurs « très radical avec Cannes : c’est un festival absolument indispensable, l’industrie a besoin d’un baromètre de l’excellence. Beaucoup de personnes critiquent le festival, mais elles ont tort, c’est essentiel de fixer ces critères de qualité, sinon tout le monde a raison. Ce n’est pas un système parfait, seulement le plus vertueux à notre disposition aujourd’hui. Son absence cette année nous montre bien à quel point il manque. »

Rendez-vous en 2021 !

And the winnner is…

En 10 ans les agences françaises ont gagné de nombreux prix, toutefois, rien ne remplacera le tout premier Lion reçu. Les premières fois ont toujours une saveur particulière, notamment lorsqu’elles viennent récompenser un travail collectif et créatif. Tous.tes les directeurs.rices de (la) création interrogé.e.s se rappellent évidemment de leur premier Lion, ce qu’ils faisaient, où ils étaient et avec qui, et la vague d’émotions qui les a submergés. Certains donnent d’ailleurs une saveur toute particulière aux Lions des années 2000. Une époque où il y avait encore peu de catégories et donc encore moins d’élus. Comme se le remémorent Dimitri Guerassimov de VMLY&R, Matthieu Elkaïm d’Ogilvy Paris ou encore Olivier Lefebvre aujourd’hui chez Fred & Farid Paris.

Lorsqu’il reçoit son premier Lion en 2006, Dimitri Guerassimov vient de partir de CLMBBDO pour se lancer dans l’aventure de la création de l’agence Marcel avec sa mentore Anne de Maupeou. Les récompenses qui tombent alors sont « symboliques » : « Obtenir un Lion à l’époque était déjà pas mal, car il y avait peu de catégories. C’est un moment de célébration ultime. Cette année-là, ce n’est pas un, mais deux Lions que j’ai obtenus : pour mon ancienne agence et la nouvelle. Fred & Farid étaient partis en laissant l’agence Marcel telle quelle, il fallait tout reconstruire, cela marque donc un moment très important. »

Matthieu Elkaïm pointe également « la chance d’avoir commencé ce métier lorsque la valeur d’un Lion était immense. La multiplication des catégories a logiquement multiplié les récompenses donnant ainsi l’impression qu’un Lion n’est plus suffisant aujourd’hui. Ce qui est évidemment faux. Ce n’est pas plus facile qu’avant, l’exigence de Cannes est toujours là, tient-il à souligner. Le festival est parfois remis en cause par la profession, mais sur 25 000 inscriptions en moyenne, à peine 3% sont récompensées. Obtenir une short list et réussir à ce qu’une campagne se fasse remarquer est déjà énorme. »

Il nuance toutefois en expliquant qu’obtenir un Lion était « un Graal » à l’époque : une telle récompense pouvait alors changer une carrière (rémunération, statut dans l’agence, côte sur le marché). « C’était comme le Bac, on avait besoin d’un seul Lion pour aller plus loin ». Son premier est arrivé au bout de cinq ans de carrière, l’or (par deux fois) pour Volkswagen (chez DDB à l’époque). « C’est un effet absolument indescriptible, un achievement. On se projette dans un avenir immédiat et on se dit : “J’en suis capable”, on ressent de la fierté et on sait qu’il y aura un après. Ce qui était vrai il y a 15 ans, je ne saurais dire dans quelle mesure cela l’est aujourd’hui. J’aurais tendance à dire que cela ne suffit plus. »

Olivier Lefevbre se rappelle son premier Lion, c’était en 2009, l’or également, pour Greenpeace en Outdoor. « Un des visuels montrait un Boomerang avec une accroche qui disait ‘Réglons d’abord la crise financière, l’environnement, on verra après’. Une campagne malheureusement encore d’actualité aujourd’hui », se désole celui qui était alors créatif pour DDB Paris.

Pierrette Diaz sortait quant à elle tout juste de l’école des arts déco lorsqu’on lui a confié « un film de parfum parce que j’étais une fille et que personne ne voulait travailler dessus » : Miss Dior, « un parfum vieillot à l’époque ». C’était sa première année dans la publicité : « J’ai trouvé une idée simple, j’ai écrit le script, on l’a réalisé avec un réalisateur français et il a eu un Lion d’argent. Je me souviens que j’étais fière d’avoir un Lion dans la catégorie du luxe qui manquait à l’époque de créativité. Aujourd’hui ce n’est plus vrai car des agences comme BETC nous montrent chaque jour le contraire. […] C’était mon premier Lion et après j’en ai eu quasiment tous les ans. »

Au chapitre des récompenses, il y a aussi ceux qui n’y croit pas ou plus, comme pour conjurer le sort. Xavier Beauregard raconte ainsi qu’entre 23 ans et 30 ans, il a obtenu une dizaine de shortlists, mais jamais de Lion : « À 31 ans, j’attends une nouvelle fois la réponse par téléphone d’une shortlist print qui pouvait se transformer en Lion. Je regarde ma montre dans l’après-midi et me dis qu’il est trop tard et que c’était mort une nouvelle fois. J’y ai vu comme une sorte de malédiction. Je rêvais tellement d’en avoir un… déçu, je suis parti du bureau, j’ai coupé mon téléphone et je suis allé courir pour évacuer. Je rentre chez moi, prends une douche et rallume mon téléphone. Je vois plusieurs messages de mon rédacteur Vincent s’afficher demandant de le rappeler. L’agence n’avait jamais gagné de Lion auparavant. C’était un Lion de Bronze. J’ai hurlé de joie. On est allé fêter ça. Fini la malédiction. »

Jean-Christophe Royer se remémore ses premiers Lions pour « Le Placard » pour Canal +. « Je me souviens surtout qu’en l’espace de dix minutes, je suis passé de : ‘De toute façon, les Lions ça ne sert à rien, et puis ce sont toujours les Anglo-saxons qui gagnent, et puis gnagnagnagna…’ à : ‘Est-ce quelqu’un serait assez aimable pour m’enlever ce sourire stupide qui me barre le visage ? Je crois que j’ai vraiment l’air d’un gros débile, là.’ Puis, au fil de la soirée, un deuxième Lion, puis un troisième, un quatrième… Autant vous dire que je n’avais plus l’air d’un gros débile, mais d’un gigantesque débile ». Si un Lion procure de telles émotions, un Grand Prix alors ? « La même, et vous multipliez par cent », affirme celui qui a remporté un Grand Prix en Craft pour L’Ours de Canal+.

Chez Sid Lee Paris, le premier Lion commun du couple créatif remonte à 2014, pour BNP x Rolland Garros avec Stéphane Soussan. « Un lion d’or en Direct. Un souvenir très particulier, racontent-ils : le fait de monter sur scène, cela rajoute forcément un truc. Et puis c’était le premier Lion de l’agence. Pas mal d’autres ont suivi cette année-là. Donc ce Lion et ce Cannes ont une saveur particulière. »

Benjamin Marchal de TBWA se rappelle son premier Lion obtenu avec Céline Landa, en 2005 avec DDB Paris. « L’agence nous annonce un Lion d’argent. Arrivé sur le rooftop du feu Carlton, Alexandre Hervé me dit : ‘J’espère que tu as des pompes propres, c’est Gold en film les amis !’ Hiroshima de bonheur. »

Les directeurs de création actuels de DDB Paris, Alexis Benbehe et Pierre Mathonat, gardent en tête « la joie » évidemment, mais surtout la pression qui a suivie le prix. « On parle souvent de l’euphorie de l’annonce du prix, mais rarement de la pression qui s’ensuit. Nous connaissons très peu de créatifs qui ne se mettent pas une pression de dingue concernant les Lions, expliquent-ils. Le premier c’est pour prouver qu’on peut le faire, le deuxième pour prouver que le premier ce n’était pas de la chance, le troisième c’est pour prouver qu’on est un grand créatif. Les créatifs ont beaucoup de choses à se prouver. À vrai dire nous préférons notre deuxième Cannes. »

Aurélie de Villeneuve, directrice de création de Publicis Luxe, évoque également « l’euphorie partagée avec toute l’équipe et la fierté ressentie », et explique même ne pas avoir réalisé sur le moment ce qu’un tel prix pouvait représenter. Toutefois, en écho au duo de DDB Paris, « une fois rentré, on se dit qu’il faudra en gagner d’autres l’année suivante. »

Faustin Claverie de TBWA Paris est chez ses parents quand il apprend de son partenaire de l’époque, Fabien Teichner, qu’ils ont gagné non pas un, mais deux Lions [catégorie Film pour Brandt et GQ, NDLR] : «  J’arrive donc à Cannes le lendemain et tous les gens que je croise me félicitent. Il y avait très peu de catégories à l’époque, un Lion même de bronze était un exploit. Aujourd’hui, si tu n’en as pas au moins 10 tout le monde s’en fout. Vivement 2030. »

C’est off
Si vous êtes déjà allés aux Cannes Lions, son off ne vous est pas étranger. Planté sous le soleil de juin, le festival est un (le ?) rendez-vous très attendu des publicitaires, et clôt du même coup une année créative intense. Son off offre donc des moments savoureux.

« Les bons souvenirs off, sont les copains, les villas, les soirées… À l’époque où j’étais créative chez DDB, nous étions une famille extrêmement soudée, avec un directeur de création iconique, qui avait le talent de parler très peu, mais pour qui nous aurions préféré mourir que de le décevoir, se souvient Pierrette Diaz. D’ailleurs à cette époque ce n’était pas simplement une campagne qui chopait 10 Lions, mais 10 campagnes qui récoltait un Lion, donc 10 teams. Toutes les teams de l’agence descendaient chercher leur Lion ou presque. » Presque, car le tarif des accréditations « est suffisamment chère pour que les agences ne puissent pas l’offrir à leurs créatifs. Je regrette que les créatifs français ne puissent pas profiter de ce RDV international dans leur pays. »

« Notre meilleur souvenir off, c’est un soir dans la villa qu’on avait loué. Après une soirée bien arrosée, un collègue qui se reconnaîtra facilement a décidé de plonger dans la piscine tout habillé pour nous faire marrer, racontent Céline et Clément Mornet-Landa. Il a donc pris son élan d’assez loin, a couru pour gagner de la vitesse, puis s’est lancé dans un magnifique saut périlleux remarquablement exécuté… mais avec réception sur la bâche en dur qu’il avait oublié d’enlever. C’est le genre de moment où le temps semble suspendu… en tout cas dans nos souvenirs tout s’est passé en slow motion. »

Au Martinez, l’hôtel-QG des « frenchies » à Cannes, Jean-Christophe Royer de l’agence Rosbeef ! rapporte avoir bu des bières jusqu’à deux heures du matin avec Sir John Hegarty (BBH) sur la terrasse, sans avoir parlé une seule fois de publicité. « En fait, si. Il a dit une fois « pub », mais je crois qu’il parlait plutôt d’un bar londonien », confie-t-il.

Parmi les meilleurs souvenirs de Dimitri Guerassimov, le prix pour Black Supermarket de Carrefour : « Le dernier projet avec mon partenaire de Marcel et Anne de Maupeou avant de partir [pour lancer VMLY&R avec Cécile Lejeune, NDLR]. C’est aussi le dernier avec mon frère Youri et Gaëtan du Pelloux. Un laker cake d’émotions, les meilleurs adieux possibles. »

Pour Olivier Lefebvre, c’est 2016 : « On célébrait un Lion d’or et un Lion d’argent au restaurant avec toutes les équipes de Fred & Farid. Et pendant le dîner, on apprend coup sur coup que nous venons de gagner deux autres Lions d’or dans deux autres catégories. Nous nous sommes mis à hurler de joie et chanter au restaurant. Je crois que tous les clients se rappellent aussi de ce soir-là, mais pas pour les mêmes raisons. »

Certains ont fait preuve de persévérance et de créativité (évidemment). Comme le club des créatifs de l’agence DDB Paris classe 2011, dont faisait partie Matthieu Elkaïm : « Définitivement un projet que j’aime raconter et dont je garde un souvenir fabuleux. » Crise oblige, pas de descente vers Cannes cette année-là. « Avec une bande de copains » — Marc Badinand, Alexis Benoît, Paul Kreitmann [disparu en 2017, suscitant une vive émotion dans la profession NDLR], Olivier Lefebvre, Benjamin Marchal et Laurent Toth, Matthieu Elkaïm imagine alors le Autarky Project en « phosphorant » lors de l’un de leurs nombreux déjeuners communs.

L’idée ? « Si tous les clients de l’agence nous prêtent leur produit, on peut partir gratuitement ». Et ils l’ont fait, de Mini (pour la voiture), à Casino pour les bons essence, en passant par JB pour l’alcool, le centre de vacances Belambra pour le logement, Chupa Choups pour les sucres rapides… Même la fédération française de football a mis la main à la patte avec de rutilants maillots de l’équipe de France. Version marinière qui plus est. « Tout pour partir à Cannes en autarcie. » Les créatifs postaient régulièrement des publications sur Facebook pour mettre en avant leurs clients-sponsors et les derniers qui avaient pris le train en marche. « C’était une opé géniale qui nous a permis de montrer à l’agence que notre métier est d’apporter des solutions créatives. Les clients ont adoré et cela nous a formé au community management. Des personnes nous suivaient sur les internets et nous attendaient lorsque nous sommes arrivés à Cannes. » Une caravane du Tour de France version festival publicitaire.

Pour le duo de DDB Paris, le off c’est surtout « Les copains, et le tournage de Julien Bon et Gauthier Fage qui représentaient la France aux Young Lions en film en 2016 et qui ont pris l’or : ‘Ça va trop loin’ ;) »

Il y a ceux qui gagnent, et ceux qui espèrent, en vain. Le pire à Cannes ? « Être à Cannes, attendre chaque jour les résultats et ne pas gagner. C’est tellement frustrant, se souvient Xavier Beauregard de Skinmaker. « Le pire n’est jamais décevant, expliquent Alexis Benbehe et Pierre Mathonat, le pire est ce qui peut vous arriver de mieux à Cannes. »

Pour Jean-Christophe Royer, c’est peut-être « voir, et surtout entendre, Yannick Bolloré mixer à une soirée Havas (avec du second degré, ça peut aussi se mettre dans la catégorie “meilleur souvenir”). »

Benjamin Marchal se rappelle même avoir appris la mort de Michael Jackson « en pleine fiesta sur la plage ». Pour son binôme Faustin Claverie, « chaque matin à Cannes est un souvenir horrible. Entre gueule de bois et shortlists qui ne se transforment pas, le café est particulièrement amer dans le sud. », Mais évidemment, « Tout ce qui se passe à Cannes reste à Cannes », rappelle-t-il.

« J’adore Cannes pour voir les potes, boire des coups avec les copains que je ne peux pas voir durant l’année, célébrer et se réjouir pour les copains qui gagnent, explique Matthieu Elkaïm. Même si le festival devient sérieux avec les années et les rendez-vous clients, c’est toujours un petit moment de connexion déconnecté, toujours plaisant au soleil. » Olivier Lefebvre évoque ainsi « les soirées jusqu’à pas d’heure au Martinez, où l’on retrouve tous les gens de la profession. Étrangement, c’est peut-être les seuls moments dans l’année où tous les Français se retrouvent. Un bon moyen pour retrouver tous les copains des autres agences. »

En outre, Les Cannes Lions font braquer tous les regards sur la France, souligne Dimitri Guerassimov. « Les Français ne s’en rendent pas compte, mais c’est un symbole pour la France, dont l’image rejaillit sur notre capacité à faire notre métier. C’est un festival référence qui va manquer cette année. »

Pour Aurélie de Villeneuve, ce sera la « bouffée d’air qu’il procure. Le soleil. Les gens, les rencontres et enfin les prix. »

À l’image de son pendant cinématographique, « Cannes reste un peu le dernier bastion glamour du métier, estime Faustin Claverie. Le festival a changé, mais il a gardé ce parfum d’exubérance qui n’existe plus vraiment dans le quotidien des agences. On s’amuse encore beaucoup dans la publicité, mais l’indécence de Cannes va me manquer cette année. »

Un avis partagé par Pierrette Diaz : « Cannes est le tapis rouge de l’excellence créative mondiale. C’est le temps de pause du rude travail achevé dans l’année, on prend une bouffée d’oxygène, on remet les compteurs à zéro et on repart pour une nouvelle année créative. Dans d’autres awards d’excellence comme le D&AD ou les Clios, les ambiances sont différentes, plus studieuses, on ne retrouve pas l’effervescence et la fête qui sont particulières et uniques à Cannes. »

2030, l’odyssée de la publicité ?

Après s’être souvenu de 2010, puis avoir imaginé 2020, attaquons-nous à 2030… À quoi pourra bien ressembler le festival des Cannes Lions dans 10 ans ? « À une énorme visio worldwide ?, s’aventure Jean-Christophe Royer de Rosbeef ! avant de reprendre son sérieux : « La publicité évolue si vite que bien malin serait celui qui peut se projeter en 2022, alors 2030… »

Benjamin Marchal, de TBWA Paris, n’a pas n’ont plus envie de jouer les Nostradamus, tout juste espère-t-il que « les idées soient toujours plus fortes que les résultats PR… » Las, « c’est beau de rêver », assène-t-il.

Du côté de Fred & Farid Paris on y croit, même s’il est forcément toujours difficile de se projeter dans 10 ans au regard de « la vitesse à laquelle changent notre industrie et les modes de communications. » Olivier Lefevbre voit néanmoins « toujours plus de digital, de nouvelles plateformes sociales ou de divertissement, et surtout j’espère toujours autant de belles idées qui nous donneront envie de faire ce métier. »

Une chose est à peu près certaine, le digital sera toujours plus prégnant : « La raison et les récents événements pourraient en faire une foire technologique suivie depuis chez soi devant un écran avec un casque de réalité virtuelle », imagine la directrice de la création de Publicis Luxe. Aurélie de Villeneuve espère toutefois, « plus que jamais que cela sera un lieu de rencontres et d’inspiration qui se déroulera encore à Cannes et où on arpentera, inlassablement jour et nuit, la Croisette. » Le directeur de la création de Skinmaker aimerait quant à lui « beaucoup plus de diversité de tonalité. »

Matthieu Elkaïm d’Ogilvy imagine un festival « vert » et qui se déroulera toujours à Cannes. « J’ai le sentiment qu’il sera toujours là dans dix ans, ce qui n’est pas gagné. Il y aura une place plus grande donnée à l’entertainment et moins de place attribuée à la publicité, même si elle sera évidemment toujours là. La communication prend des formes différentes, j’imagine plus d’espace dédié à la technologie et l’innovation. » Les médias sociaux seront-ils toujours aussi puissants, est-ce qu’ils auront fait leur travail d’introspection par rapport à leur responsabilité sociétale ?, questionne-t-il encore.

« Nous pouvons raisonnablement penser que les marques vont vraiment évoluer, estime pour sa part le duo à la tête de la création de Sid Lee Paris. Pas seulement avec des campagnes one shot pour se payer une bonne conscience de façade, mais avec de vrais engagements dans leurs façons de produire, d’être, de penser. » Céline et Clément Mornet-Landa disent espérer que cette responsabilisation ne s’accompagnera pas de « communication aseptisée ». « Nous sommes convaincus qu’une marque peut être responsable et parler de façon décalée, faire réagir, faire marrer. Le fait d’être intrinsèquement responsable est d’ailleurs probablement la meilleure façon d’être libre de communiquer comme on le veut, sans utiliser la communication pour se justifier. »

Pour DDB Paris en revanche, les marques doivent veiller à conserver leur rôle. « Il y a une telle différence entre ce que nous aimions que ce festival soit et le chemin qu’il prend depuis plusieurs années que nous ne savons plus quoi vraiment en attendre, expliquent Alexis Benbehe et Pierre Mathonat. Le duo prend ainsi l’exemple d’une récente campagne qui les a « profondément choqués » : le film Don’t do it de Nike.

« La différence entre Dream Crazy avec Colin Kaepernick et Don’t do it est immense. En 2018, Nike décide de soutenir son athlète après son acte hautement politique. Quand tous ses sponsors lâchent le joueur de football américain, Nike reste. Cette année, Nike réagit à un acte purement politique, qui ne concerne pas le sport, mais la société. Que penser d’un acteur politique dont les premiers enjeux sont financiers ? Cette petite anecdote pour vous dire que le fond du message de Nike n’est pas dérangeant au contraire, mais que Nike se permette de devenir un acteur politique ne présage rien de bon sur la démocratie et le futur de nos sociétés selon nous. » Ils poursuivent : « Comment s’étonner de cette publicité quand depuis plus de 8 ans, Cannes persuade les agences et les annonceurs du monde entier que, pour gagner un Lion, il faut changer le monde . Cela laisse à réfléchir sur l’égo des publicitaires. »

Faustin Claverie, de TBWA Paris, se veut « constructif » et évoque « un futur optimiste » : « En 2030, j’ai encore un job dans la publicité, les Cannes Lions existent toujours et ils n’ont pas été déplacés à Helsinki à cause du réchauffement climatique. Le nombre de catégories a été divisé par quatre tout comme le prix des inscriptions. Les cases studies ne durent plus qu’une minute maximum, nous n’avons plus besoin de mettre des résultats PR et Coldplay est interdit en bande-son. » Son binôme lui répondra sans doute : « C’est beau de rêver. »

Finissons sur la note optimiste de Dimitri Guerassimov de VMLY&R qui s’avoue « très excité d’imaginer les disciplines, technologies, hacks culturels et idées qui vont être primés en 2030. Notre industrie est liée à la société dans laquelle on vit, il y aura donc mal d’avancées. Il sera intéressant d’observer comment notre métier va intégrer tout cela. Nous sommes aujourd’hui à la recherche d’un nouveau souffle, c’est passionnant de savoir s’il l’aura trouvé dans 10 ans. »

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