La 2e va vous faire rire.
2024 serait-elle l’année de la désinhibition créative ? Après une année marquée par une exploration des possibles guidée par une muse technologique à l’intelligence artificielle, et une communication empreinte de (trop ?) de bienveillance et de bons sentiments, la création publicitaire sonne la révolte : 2024, l’année du contre-pied esthétique et humoristique ? Et si, au milieu de ce ballet technologique, l’humour devenait notre meilleur allié, rappelant aux marques et aux agences que, dans ce far west créatif, c’est souvent celui qui ose qui tire son épingle du jeu. Tient-on dans la comédie le salut de l’âme publicitaire ?
Nos créatifs veulent y croire, et la Grande Messe de la publicité mondiale, les Cannes Lions, les y encourage avec la création d’une catégorie “humour”. Diantre ! Cette année encore, directrices et directeurs de (la) création jouent le jeu des prédictions pour déterminer les tendances de la création publicitaire en 2024.
1. IA pas
La tendance paraissait si évidente que tous les créatifs interrogés ont pris soin de l’éviter, la contourner, l’évoquer sans en faire LE sujet. En est-elle toujours un ? Oui, un sujet/objet aux multiples ramifications, ce qui explique sans doute son omniprésence, quel que soit le domaine concerné. “Que l’on soit technoptimiste ou IAphobe, l’IA est là, bien là. Ce n’est plus un sujet depuis longtemps pour beaucoup de créatifs. Les IA vont désinhiber les talents et débloquer tous les potentiels créatifs. On peut tout faire, tout essayer, gagner du temps, c’est le far west, l’eldorado et les talents savent bien que le meilleur est possible (même si on ne parle souvent que du pire)”, rappellent David Ariyel et Patrice Chatelain, fondateurs de l’agence Circus Paris.
En création, dans sa version générative, son esthétique reste encore reconnaissable, avec un traité lisse qui, même lorsqu’il est bien maitrisé, produit dans notre cerveau un sentiment de malaise, explique Noé Melon, directeur de la création à l’agence Castor & Pollux. “Des stéréotypes graphiques que l’on pourrait qualifier de “perfection superficielle.” Au point d’aboutir à un IA bashing ?
“Après une année de test et de tâtonnement pour éprouver les capacités de l’IA générative, 2024 pourrait être l’année d’un contre-pied esthétique. Ce contre-pied peut s’exprimer de différentes manières : la recherche d’une authenticité dans l’imagerie (l’IA est sur le coup) et un retour aux fondamentaux du vlog, surfant sur le charme nostalgique de l’analogique et de l’amateur.”
Mais aussi, “l’humour et le bizarre”, comme avec la société de production Private Islands et cette réalisation au “kitsch assumée”.
Un pas de côté en réaction à cette avalanche d’esthétique tech, confirme Ibrahim Seck, creative director chez MediaMonks Paris : “Si l’IA est à la création publicitaire ce que le streaming était pour la musique, je ne serais pas surpris qu’on assiste à une forme de retour à des exécutions plus pures. Du travail typographique d’orfèvre, du pur copywriting, de la photo instantanée. Je pense par exemple au travail extraordinaire de Violaine et Jeremy. Des matières, de la direction artistique, de l’illustration, des typos… l’anti IA d’une certaine manière. Dans le bon sens du terme.”
Oui, l’IA n’est pas près de subir un quelconque boycott, tant son usage est aujourd’hui normalisé. Elle n’est plus sujet d’une campagne, comme on a pu le voir ci et là, mais outil intégré dans le stack des agences pour conférer agilité et facilité dans la production et l’itération. “L’I.A. n’est pas un remplaçant, c’est un outil puissant, un partenaire créatif pour nos métiers, qui libère de certaines tâches, en facilite d’autres”, appuie Cléa Rannou, directrice de création exécutive de l’agence Gangstères. La campagne Guide de Survie pour Celibs de Meetic en est le parfait exemple puisque le trait a été poussé jusqu’à “coller au mieux en production aux visuels développés en I.A”.
Une forme de maturité qui charrie logiquement des questions plus profondes et une vision plus éthique de l’IA, poursuit Cléa Rannou : “Cet outil doit être maîtrisé pour être utilisé de manière responsable. Il suppose un oeil critique pour éviter les dérives, plagiats et l’uniformisation des représentations. Et bien sûr, c’est un outil qui doit être utilisé en total transparence vis-à-vis des clients dont les politiques internes liées à l’I.A. se développent fortement.”
Un enjeu dans une société où tout est remis en cause, faits, photos et vidéos. “Puisque tout peut être simulé artificiellement, qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui a été imaginé ?”, interroge Louis Bonichon, creative director et co-fondateur de l’agence MNSTR.
“Comment revendiquer l’authenticité quand tout peut être fake ? C’est l’opportunité de revenir à des processus de fabrication d’images qu’une machine ou une IA ne pourraient jamais simuler : le tangible, l’argentique, la matière, handcraft.” Et l’humour ?
2. Génération réenchantée
Après deux années passées dans un cocon de ouate, de résilience, de quête de sens et de bienveillance, place aux réjouissances. Et à en croire les créatifs interrogés, il était temps ! Car si l’humour est la politesse du désespoir (phrase attribuée à trop de personnes différentes, dont l’inévitable Winston Churchill, pour la créditer correctement), elle semble également être celle des publicitaires à l’égard des consommateurs.
Passe le fun autour de toi
La vague de communication “responsable”, “authentique”, premier degré (et “lénifiantes”), ainsi que le contexte économique et géopolitique actuel ne sont pas étrangers à ce “retour du fun créatif”, expliquent David Ariyel et Patrice Chatelain, fondateurs de l’agence Circus Paris. “2024, c’est l’alignement de planètes, d’une révolution structurelle, technologique et culturelle”. Aujourd’hui, optimisme, fun, vérité, intelligence et simplicité sont recherchées dans les pages de pub. “C’est la moindre des choses et des politesses, estiment-ils. Oui, cette année, les marques ont ce pouvoir de redevenir des influenceuses éclairées.” Les créatifs devraient donc pouvoir – enfin – s’en donner à cœur joie.
L’oracle multi-casquette Jacques Attali prédisait ainsi dans son livre paru en 2006, Une brève histoire de l’avenir, qu’en 2020 il n’y aurait plus que deux types d’entreprises, rappellent les deux fondateurs, les « théâtres » et les « cirques » : “Ces derniers étant composés d’une multitude de talents nomades ultra-libres et connectés qui se retrouvent n’importe où, n’importe quand, pendant plus ou moins longtemps, sur des projets différents. Eh bien en 2024 on y est. La COVID a démontré l’efficacité de ce modèle et ces interconnexions de neurones grandeur nature favorisent la création et la diffusion d’idées. Les agences théâtres ont fait leur révolution et les cirques créatifs indépendants apparaissent partout, avec des collaborations agiles et des partenariats fluides, parfois entre-eux, autour de projets créatifs.” Bonus supplémentaire ? “C’est un super moyen pour faire revenir dans l’industrie de la com, les talents qui avaient tendance à la quitter”.
D’autant que les jeunes talents, que l’on dit soucieux des enjeux environnementaux, pourront mettre toutes leurs idées créatives dans la bataille pour rendre le sujet de la transition écologique aussi sexy que sensé. La question du climat va rester omniprésente, prédit (sans grand risque au regard de la vraie fausse actions des politiques) Louis Bonichon de MNSTR. Alors que la dystopie, aussi en publicité qu’au cinéma, est encore utilisée pour montrer ce qui nous attend sans actions concrètes, un autre registre est possible, voire nécessaire.
“On parle de plus en plus de bataille de l’imaginaire. De plus en plus de think tanks, Imagine 2050 ou l’institut des futurs souhaitables, travaillent auprès des marques et des publicitaires pour transformer les imaginaires.” Il donne ainsi pour exemple la récente campagne pour Eurostar (dans la cadre de sa fusion avec Thalys) où les villes sont explorées en train et à vélo : “Imaginer un futur positif devient un acte combatif”, estime-t-il.
Un combat créatif au sein duquel on voit apparaitre “des discours RSE un peu plus punk. Un registre qui rend le propos plus attractif qu’un sermon. “Bien qu’a priori anti-pub, je suis convaincu que le ton d’un magazine comme CLIMAX, qui se définit comme le “fanzine écolo plus chaud que le climat”, qui s’interdit dans sa DA d’utiliser le vert et défend un monde de demain sobre, mais génial, reflète un courant de pensée que nous allons retrouver dans la pub”, avance Louis Bonichon.
Permis d’en rire
Un parti pris décalé, une bienfaitrice tonalité qui se retrouve de plus en plus en publicité. Si bien que tout le monde parle de “retour de l’humour dans la pub”. Et dans une société de consommation où le met favori est le snack content, l’humour est diablement efficace pour émerger et capter l’attention – si chère – des spectateurs.
Le duo de directeurs de création de TBWA\Paris, Faustin Claverie et Benjamin Marchal, formule ainsi ce “vœu pieux” sous forme de “vraie tendance” : “C’est la fameuse phrase dans le livre/film 99 Francs : “Pourquoi faire de l’humour ?” Les formats se morcellent de plus en plus, pour émerger et avoir de l’impact, il n’y a pas 36 possibilités. Si on va chercher du craft, il faut des moyens. Auquel cas, sinon, il faut tenter une tonalité, et la tonalité bienveillante est rincée, complètement rincée.”
Rincée ? Le duo s’explique : “Toute la profession a pris ce territoire, nous les premiers, c’était un vrai problème parce qu’on allumait notre télé et toutes les marques faisaient du bienveillant. À l’arrivée, on ne sait plus qui fait quoi, tout se ressemble : un papa, le divorce, le petit, une histoire, tout le monde fait la même chose. L’humour pour émerger, c’est génial.”
Surtout sur les formats courts, diffusés en surabondance sur les réseaux sociaux, l’humour a tout du hook parfait : “Il y a quelques années, les films très longs dans le style d’Intermarché étaient à la mode. L’émotion, c’est très bien, mais cela nécessite beaucoup de temps. Ce qui est impossible à reproduire sur des formats de 30 ou 20 secondes comme certains clients le demandaient alors.”
Une tendance qui semblerait être confirmée par l’explosion de Reel Short (Un feu Quibi lookalike) souligne Faustin Claverie et Benjamin Marchal : une application dédiée à l’entertainment sortie en fin d’année dernière et qui a généré plus de 10 millions de téléchargements en un temps record. “Ils vendent du format ultra court, d’une minute, c’est un délire. Ils vont morceler une série en 200 épisodes.”
Pour Sebastien Partika, directeur de la création d’Orès, laisser mission, purpose, manifeste, derrière soi, pourrait signer un retour au véritable rôle des marques : “Nous surprendre pour mieux conquérir nos cœurs et nous laisser nos cerveaux disponibles pour les grands débats d’idées. On ne sauvera pas le monde une pub à la fois, mais on peut et on doit au moins le réenchanter.”
Et si les publicitaires ne retrouvaient leur âme d’enfant ?, ose le créatif : “Qui de mieux que les grands enfants que nous sommes – nous créatifs – pour imaginer des mondes et des histoires qui ravivent les émotions chez les autres. Arrêtons de penser la publicité et passons plus de temps à la re-inventer, baissons nos défenses face à l’audace et la nouveauté, le monde n’a pas besoin d’un autre gars-en-costume qui n’a de vérité que ce qu’il comprend.” Il poursuit sa “profession de foi” : “Imaginons des publicités inattendues, empruntées à des mondes imaginaires, sans bullshit et avec ce franc-parler propre aux enfants. Exigeons qu’elles soient belles, qu’elles soient drôles et bizarres.”
Faut-il passer les briefs au cribble de la pensée enfantine ? “Demandez à un enfant de vous parler du pouvoir d’achat et il vous fera rire avec le pouvoir du chat (Feu Vert). Demandez-lui qu’est-ce qui est jaune et qui résonne avec joie de vivre, il vous répondra « BaNana ! » (Apple). Faites-lui lire les codes du secteur et il en fera des confettis à grand coup de ciseaux (Greet). En 2024, on va faire de la pub comme des gosses, parce que la vérité sort toujours de la bouche des enfants.”
La traduction adulte de cette expression serait-elle à trouver dans “l’honest marketing” ? : “Être capable de dire ce qu’on fait d’imparfait crée un lien et une fidélisation très forte avec les marques.” Une prise de parole qui se fait souvent sur le ton de l’auto-dérision et de l’humour”, rappelle Sébastien Zanini, executive creative director de Dentsu Creative. C’est Skittles qui fait une conférence de la presse pour s’excuser d’avoir supprimé le bonbon vert, Burger King qui se lance dans la livraison et explique qu’ils feront les mêmes erreurs que ses concurrents, ou Ikea proclame que la vie ne ressemble pas à un/son catalogue. “Ce parti pris de transparence et de communication honnête est un terrain de jeu qui va permettre de développer l’humour, la connexion, la fidélité à une marque.” Ou du moins une certaine connivence, rappelons-nous la brillante campagne de Skoda, “Moche dans les années 90”.
“Parler de ses défauts en toute transparence permettra d’engager beaucoup plus les consommateurs. Je crois beaucoup à l’humour au regard de la période. On s’ennuyait déjà à la télévision : les films, c’était drôle, c’était triste, c’était émotionnel, c’était conceptuel. Je crois beaucoup à de la fraîcheur, à de la spontanéité, à de l’humour. C’est le sens de notre métier à l’origine.” Sébastien Zanini rappelle ainsi cette campagne de 2018 où KFC exprime sa frustration face à une pénurie de poulet avec ses trois lettres justement ordonnées… Shocking !
De la même manière que l’on dit que l’erreur est humaine, l’humour serait-il un trait propre à l’être humain, un domaine où l’IA, toute puissante qu’elle est dans sa gestion « exponentielle, empirique, presque abyssale » des choses n’a pas sa place ? C’est ce que revendique Nicolas Lautier, executive creative director de l’agence BETC : « L’IA ne sait pas gérer la comédie. Et c’est assez rassurant de savoir que nous avons encore notre valeur ajoutée dans la création. La comédie est très propre à l’humain, c’est une forme d’intelligence que l’intelligence artificielle n’a pas. On ne connaît pas la recette de l’humour, c’est de l’ordre du feeling, c’est de la dentelle, et ce n’est pas rationalisable ou modelable de manière algorithmique. »
3. Made in reality
Pourtant, face à l’omniprésence conférant à l’omniscience de l’intelligence artificielle, certains évoquent déjà la création d’un label « human made », tel un AOC délivré pour protéger un savoir ancestral désormais menacé. La comédie est le genre de talent qui pourrait être « labellisé » et lui donner ce “je ne sais quoi” qui fera toute la différence.
C’est ce que raconte le teaser du festival du film de Brooklyn : une IA n’aurait jamais pu imaginer/écrire tel scénario. “Avec l’IA, on est souvent sur les exécutions visuelles, alors que la comédie n’est pas dépendante du craft. Faire rire quelqu’un, c’est complexe, il n’y a pas besoin d’avoir beaucoup d’artifice, pas besoin de rentrer dans un craft absolu”, concède le créatif de BETC. Idem pour le bijou de campagne “We take it seriously” de Comedy Central ou la campagne maison “Papa” pour Canal Plus, multi-primée (un Lion d’Or à Cannes en 2023 dans la catégorie Film – Media/Entertainement et un récent Immortal Awards, décerné par le média anglais Little Black Book – lbb, une première pour une agence française)
Nicolas Lautier le résume très justement ainsi : “L’intelligence est dans la question et nnon dans la réponse. C’est intéressant ce que cela dit sur la place que l’humain veut/va avoir sur l’utilisation de l’IA. Cette dernière donne une réponse, mais c’est la question qui produit de l’intelligence.”
Tient-on dans l’humour et la comédie humaine le salut de l’humanité ? Sarah Connor aurait-elle dû demander à Terminator de lui raconter une blague pour faire imploser Skynet ? Trêves de galéjades, l’humour est une affaire sérieuse. D’ailleurs, la grande messe de la publicité mondiale ne vient-elle pas d’ajouter une catégorie « humour » dans une liste déjà pléthorique (30 en 2023) ? Ironiquement, cette annonce n’a pas fait rire la création française, ou alors jaune. Le duo Claverie–Marchal de TBWA\Paris trouve même cela “triste” : “Alors maintenant l’humour, est une catégorie ! C’est tout de même la base, ce qui nous a fait aimer ce métier. C’est le pas de côté. On espère qu’il s’agit d’une façon de le mettre en valeur, ce serait dommage de cantonner un genre à sa finalité émotionnelle. Ce serait en oublier complètement le fond créatif.”
Sébastien Zanini de Dentsu Creative a pris le parti d’en rire : “C’est très bizarre cette histoire de catégorie sur l’humour. Dans une interview, Olivier Altmann se demandait : À quand une catégorie sur les idées ? l’humour est une forme de politesse en publicité, quand on impose un message commercial, la moindre des choses est de divertir.”
Comme le relèvent TBWA et BETC, cette tendance révèle sans doute un ras-le-bol de la profession, comme ressenti lors des derniers Cannes au sein des jurys : “Quand on rentre dans un tunnel de 25, 50, 60 case studies qui sortent les violons, sur des causes certes très justes, mais un peu lourdes, il y a une vraie prime à l’humour”, estime Nicolas Lautier. Et même si cela ne s’est pas forcément ressenti dans les résultats, le duo de TBWA observe qu’on “s’ennuie énormément dans ces festivals, où très peu de choses intéressantes émergent, parce que tout est sur la même tonalité. Mettons un peu légèreté dans ce monde déjà bien compliqué.” Point positif avec cette création de catégorie “humour” c’est que cela va mécaniquement entrainer beaucoup plus d’inscriptions et de travaux drivés par ces catégories-là. “Ça “ouvre une case” dans la tête des créatifs et des agences”, note encore l’ECD de BETC.
4. Même joueur joue encore
Et pour se divertir, il faudra encore compter sur le gaming, mais comme levier à part entière et non plus comme une expérience à proprement parler, espère pour sa part Cléa Rannou de Gangstères. Elle voit ainsi le gaming “changer de dimension” pour peu qu’il soit pensé comme un levier intégré à une stratégie globale, qui interagit avec d’autres. “Exit l’expérience vécue en solitaire dans un jeu, on crée des ponts, des interactions entre une expérience in game, un évènement, un live Twitch voir même une campagne globale.” Une démarche illustrée par l’activation de l’agence Yop Versus.
Pour Fabien Teichner, fondateur et directeur de la création de l’agence Interruption, “les marques auront tout intérêt à se diriger vers des contenus plus ambitieux, plus audacieux, et encore plus divertissants en intégrant de plus en plus le monde de l’entertainment. Le gaming devrait donc continuer d’être investi par les marques, comme en 2023 où l’on a vu de belles campagnes à l’instar de « Cheat cookies d’Oreo ». 2023 a aussi été l’année d’un cas d’école et du retour d’un “genre que l’on croyait un peu délaissé”, le brand content, incarné par le film Barbie (de Greta Gerwig).
“Le cas le plus ultime de brand content à grande échelle, estime-t-il. Ce film est un tour de force monumental, car il inverse purement et simplement la relation que les consommateurs ont avec une marque en les faisant passer d’une posture de zapping à une posture d’adhésion totale qui les amène jusqu’à payer leur place pour aller voir une publicité de 2h, estime le DC. Au vu des énormes retombées positives pour la marque, il est imaginable que cela puisse donner envie aux annonceurs de communiquer à nouveau via du brand content qualitatif et de proposer des contenus qui soient d’abord de l’entertainment avant d’être de la publicité.” Comment ? En faisant appel à des gens talentueux pour les concevoir et les exécuter : documentaires, interviews, mini-séries, comme “The last performance” pour Partners life.
L’objectif est autant de divertir que de trouver la clé qui fera de sa publicité un contenu à part entière suffisamment intéressant et attrayant pour être liké, partagé, commenté, avec une sainte viralité à la clé. Bienvenue dans la société Instagram ! “À l’instar des musées qui ont commencé il y a quelques années à développer des expositions dont l’expérience avait vocation à être partagée sur les réseaux pour générer du bouche-à-oreille, la publicité génère, elle aussi, son lot de contenus craftés pour voyager sur les plateformes”, observe Ibrahim Seck de MediaMonks Paris.
Pour le directeur créatif, le meilleur exemple reste la fameuse Sphère de Las Vegas inaugurée par le groupe U2 avec une série de concerts immersifs à souhait, et dont les images ont fait le tour de la planète. Un “incroyable engouement pour cette boule qui permet aussi bien d’afficher un ballon NBA, qu’un igloo grandeur nature qui abrite une Heineken Silver ou encore un globe oculaire ultra réaliste en très haute définition.”
“Sur TikTok, tous les contenus publicitaires liés à la sphère cumulent des millions de vues, poursuit Ibrahim Seck qui prédit donc plus de Sphère en 2024, mais espère tout de même avoir “la chance de voir autre chose que des balles géantes et des logos sphériques. Dans un autre registre, on peut aussi espérer qu’ils améliorent le coût énergétique du dispositif qui est tout simplement faramineux.”
Et dans le genre “contenu publicitaire instagrammable”, il évoque le lancement de la Vans MTE l’année dernière qui a vu des paires de baskets géantes et motorisées défiler dans les rues de New York, et plus récemment Jacquemus et ses sacs Bambino démesurés, totalement FOOH.
5. Nouvelles voies créatives
Comment ne pas aborder cette nouvelle tendance visuelle et créative qui challenge la création ? Une tendance qui s’inscrit dans la volonté des annonceurs de questionner la manière dont ils communiquent et par conséquent dont travaillent les agences créatives, précise Cléa Rannou. “Le Fake Out of Home permet de repousser les limites du réel et de créer des formats immersifs, engageants et immédiatement viraux en social : 100% gagnant !” Elle y voit également l’opportunité de répondre à leur questions sur l’empreinte carbone d’une production : 100% IA vs un shooting / tournage. “Des enjeux à prendre en compte, dans un contexte global vs idée créative et équipes engagées. Un contexte qui permet de réconcilier quête de vérité et univers virtuel. En assumant le fake, en en faisant un outil qui décuple les possibilités créatives, celui est accepté, car il ne s’agit pas de mentir aux consommateurs”, estime la directrice de la création.
Pour ne pas ajouter de la confusion à la confusion, avec l’explosion de l’IA générative, les fausses images, vidéos et autres deepfakes ont pullulé en ligne. Tout le monde a en mémoire la vraie fausse photo du Pape François en doudoune ou d’Emmanuel Macron portant le gilet orange pour ramasser quelques poubelles sur son passage.
“La frontière du vrai et du faux risque de devenir un terrain de jeux aussi passionnant que préoccupant, prévient Louis Bonichon de MNSTR. Fausses campagnes qui ont l’air vraies (FOOH, fake prints) et vraies campagnes qui ont l’air fausses. Vrais objets qui ont l’air faux et faux objets qui ont l’air vrais. La frontière entre le monde digital et le monde tangible est de plus en plus floue, ce n’est pas nouveau. MSCHF en font leur terrain de jeu – et s’en inspire à chaque nouvelle proposition.”
“Parfois l’illusion est sophistiquée et la question du vrai et du faux génère des conversations. Est-ce de la réalité ou est-ce la réalité augmentée ? Certaines installations (Vuitton x Yayoi Kusama) « IRL » sont tellement surréelles qu’elles ont l’air artificielles. Plus qu’une simple tendance visuelle, c’est un nouveau registre de storytelling qui ouvre pas mal de pistes.” À l’instar du nouveau format à la mode sur les réseaux sociaux, TikTok en tête, l’UGC (pour User Generated Content).
6. User Generated Campaigns
Selon une étude réalisée par le Nielsen Consumer Trust Index, 9 consommateurs sur 10 ont plus confiance en de l’UGC que de la publicité classique. Même Eva Longoria s’y était mise en 2020, signant le coup de com du confinement avec L’Oréal. Depuis, “les UGC sont partout sur nos feeds : témoignages, unboxing, tests produits, etc. Presque jusqu’à l’overdose parfois”, souligne Cléa Rannou de Gangstères. Pour ne pas lasser et se renouveler, une nouvelle dynamique émerge pour aller plus loin et en proposer une vision plus créative.” Passant ainsi d’un utilisateur sandwich, simple outil de promotion et de production de contenu, à acteur des stratégies de contenus des marques, annonçant ainsi l’ère des Users Generated Campaigns. Et ce dans un mouvement marque-utilisateurs, avec des formats (à l’instar des Branded missions) qui encouragent les créateurs et utilisateurs à s’approprier de manière fun et créative les marques pour créer des contenus, ou en intégrant la marque aux usages et aux trends avec l’utilisateur en égérie.
Pourquoi l’UGC cartonne autant ? Peut-être parce qu’il s’adresse directement et frontalement au spectateur, sans filtre (ou presque), comme le relève Anne-Laure Naumowicz, directrice de la création de l’agence Elvis : “Les audiences ont plus que jamais besoin de voir du vrai : du contenu moins retouché, moins maîtrisé, moins filtré. Les créateurs de contenu vont continuer d’avoir la cote et même prendre de plus en plus la main sur la création. Et le direct continuera de prendre de la valeur avec ce qu’il garantit de contenu brut, moins contrôlé et donc potentiellement plus honnête et plus convaincant.”
Pour 2024, Ibrahim Seck mise également sur les créateurs de contenus, devenus “incontournables pour les marques” : “Le GP Explorer ou l’ascension de l’Everest par Inoxtag ne sont que quelques exemples de la puissance des évènements créés par les YouTubers. Ces évènements, qui génèrent de l’engagement et des millions de vues, sont devenus absolument indispensables pour les marques. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Nike s’est immédiatement positionné pour accompagner le Youtuber qui a passé la barre des 7 millions d’abonnés YouTube dans son projet Road to Everest. Ces blockbusters de l’influence vont continuer de se multiplier. Les agences vont devoir s’adapter à ces nouveaux formats / médias.”
7. Durabilité vs Instantanéité
S’adapter. Ne serait-ce pas la tendance ultime finalement ? “Publicitairement parlant, être dans la tendance, c’est s’inscrire dans un moment, dans une époque. Bien communiquer avec son temps”, estime Julien Scaglione, co-fondateur et directeur général de l’agence Grinta. Et l’ex head of social media de Buzzman d’expliquer : “Quand on sort Mukai, le manga pour les produits laitiers, on le fait parce que le pass culture nous dit que la tendance chez les jeunes, c’est le manga. Mais le format livre, lui, est vieux comme le monde.
Quand on fait la promotion de Aquaman 2 dans tous les Truffaut de France en décembre dernier, c’est parce que l’on sait que la tendance est d’acheter son sapin à ce moment-là, et que Truffaut est le plus gros vendeur en France. C’est évident qu’il y a des tendances technos qui vont permettre de voir sortir de très belles campagnes. Mais ce n’est pas qu’une question de tendance, mais bien de créativité.”
Comme en écho, face à des contenus seront toujours plus nombreux et “des algorithmes facétieux” où l’on prédit que “la nouvelle trend sera l’absence de trend”, “le timing devient presque plus important que l’insight”, observe Cléa Rannou de Gansgtères. “Il ne s’agit plus seulement de réagir vite à des trends (qui reste très efficace) mais aussi d’anticiper autant que possible les événements qui feront l’actualité de notre cible pour penser ses campagnes, leurs incarnants et leurs timings de diffusion. C’est ce qu’à très bien fait Calvin Klein en lançant sa campagne avec Jeremy Allen White deux jours avant les Golden Globes. La campagne n’a rien d’inédit ou d’originale, elle reprend les codes de la marque, mais au bon moment, avec le bon incarnant.”
Selon Julien Scaglione, les tendances nuiraient même à la créativité au lieu d’être des outils au service de la créativité : “Lorsqu’une tendance apparaît, on voit des campagnes sortir les unes après les autres comme si les agences se précipitaient pour être les premières à dégainer. Et comme ils essaient de faire vite, cela crée beaucoup de déchets”, regrette-t-il.
“Les campagnes dont on parle le plus et qui sont le plus efficaces ne sont pas celles qui utilisent les bonnes tendances, mais celles qui utilisent bien les tendances. C’est pour cela que je dis que la tendance doit toujours être la créativité et que la créativité ne doit pas dépendre des tendances”. Sous peine d’être sanctionnés par les consommateurs, saturés de messages commerciaux, mais pas réfractaires pour autant aux “bonnes” publicités. “On passerait de bien meilleurs moments pendant notre pré-roll sur YouTube.”
“Si je devais recommander une tendance à côté de laquelle ne pas passer, c’est de réfléchir à des campagnes efficaces pour la marque dans le temps, sans tomber dans le piège de l’immédiateté, conclut Julien Scaglione. Nous devons prouver vite. Démontrer rapidement. Avoir des résultats en très peu de temps. Les poster sur Linkedin. On ne se soucie malheureusement pas assez de l’impact sur la durée. On produit des campagnes, avec beaucoup de contenus, parce qu’il faut inonder, partout, tout le temps, il faut que ça clique. J’aimerais que la tendance soit plus aux émotions qu’à la data.”
En cette ère de sobriété chaudement recommandée et de restrictions budgétaires, il conviendrait peut-être d’appliquer des recettes éprouvées dans d’autres secteurs : “Puisque le recyclage et la seconde main sont deux grandes tendances qui cartonnent, pourquoi ne pas les appliquer à nos métiers ?”, suggère ainsi Anne-Laure Naumowicz (Elvis).
“À l’heure de l’incertitude budgétaire de nos clients, rien de tel que de remettre dans le mixeur les assets existants, d’ajouter un nouveau message, d’autres technologies pour les exploiter (coucou l’IA et son florilège de possibilités de transformations visuelles), de passer le tout au filtre de la stratégie pour garantir la cohérence de marque et tadam, que de nouvelles campagnes avec un investissement de production minime voient le jour ! Une solution temporaire bien sûr, mais rassurante pour nos clients”.
Elle donne ainsi l’exemple du travail de l’agence avec Fitness Park, devenu Supporteur officiel des JO de Paris 2024 “juste après avoir sorti sa nouvelle copie TV… Ils pensaient donc devoir se contenter d’assets digitaux simples, mais nous avons repris le film, l’avons remixé, en avons changé la VO, la musique, le motion, le discours, et Fitness Park a pu se permettre de passer en TV pour l’occasion. C’est de l’optimisation sur le moyen terme, mais c’est mieux que de disparaître du radar. Et puis la contrainte est le piment de la créativité, alors c’est le moment d’être malin.”
Même son de cloche du côté de Dentsu Creative, pour qui, “les campagnes, la publicité, la communication, la publicité doivent être durables et accessibles : on a fait de la publicité en fonction des budgets sans trop se préoccuper de l’impact environnemental d’une campagne. Aujourd’hui, pour un annonceur, c’est un sujet qui compte à la fois dans le choix des agences, dans les choix de l’idée, dans le choix de la production. Et donc, ça conditionne pas mal de choses”, concède Sébastien Zanini.
“Cette idée de durabilité, presque de réutilisation des campagnes va nous obliger à imaginer des nouveaux formats créatifs, optimiser des choses du passé, qui ont servi autrement. Cela va impacter les idées parce qu’on s’appuie sur la somme de contraintes et c’est des contraintes que l’on trouve des nouvelles idées. C’est quelque chose qui n’est pas encore mesurable, même si on nous demande de plus en plus que cela puisse l’être : avoir des outils pour pouvoir contrôler ou mettre en place ce type de campagne responsable, à faible impact carbone, durable, en opposition, peut-être, à la fast publicité, fast communication, au poste jetable. Cela va booster la créativité”, escompte-t-il.
La messe est dite !