Marques : assumez-vous pour croître ! Le cas d’école de Škoda

Par Élodie C. le 25/04/2019

Temps de lecture : 11 min

''Vous étiez moches, mais vous pouvez changer.''

Année après année, l’âge moyen des acheteurs·euses de voitures neuves augmente : en 2018, en France, il est désormais passé à 56 ans contre 43,7 ans au début des années 90. Crise économique, vieillissement de la population et nouveaux usages (autopartage, covoiturage, préoccupations écologiques…) viennent impacter les ventes des constructeurs automobiles. L’automobile n’en reste pas moins le 2e secteur en termes d’investissements publicitaires, pourtant celui-ci semble avoir perdu sa splendeur d’antan.

Ces nouveaux défis représentent une opportunité pour une marque challenger comme Škoda, en plein repositionnement. Objet de moqueries dans le passé, Škoda bénéficie néanmoins d’une base de clients fidèles avec un taux de satisfaction élevé, du soutien technologique et financier du groupe Volkswagen et elle truste les classements des marques les plus populaires en Europe (8e devant Audi, Fiat ou Citroën).

La marque, qui fêtera ses 125 ans en 2020, a toutes les cartes en main pour s’installer dans le paysage français, encore dominé par les marques tricolores, en investissant dans sa communication. Son choix d’opérer un virage à 180° en 2017 en choisissant Rosapark comme agence donnait le ton de sa nouvelle stratégie. Sacha Lacroix, directeur général de Rosapark et Paul Barrocas, responsable marketing Škoda France reviennent sur les clés de conquête du marché automobile français dans ce nouveau bilan de campagne.

Le brief

Si je vous dis Škoda, vous ne pensez pas immédiatement aux derniers modèles de la marque (les connaissez-vous seulement ?), mais plutôt à cette image datée, si ce n’est surannée, pas très sexy, mais abordable. Une image en contradiction avec la dynamique produit entreprise par le groupe. Škoda c’était l’achat malin (« simply clever« ) des années 90. Et depuis ? C’est le point de départ du brief apparu en interne en 2016 au moment de lancer une compétition d’agences pour répondre à de nouveaux objectifs. “La marque Škoda était vraiment reconnue pour des aspects très rationnels, nous explique Paul Barrocas, responsable marketing Škoda France. En revanche, elle ne bénéficiait pas de quotient émotionnel en adéquation avec notre dynamique produit. Ce fut un point majeur de notre pitch au moment de changer d’agence.

En outre, en France, “environ 60% du marché est capté par les marques françaises et leur filiale, souligne Paul Barrocas, alors même que Škoda est la 8e marque en termes de part de marché en Europe devant Citroën, Dacia ou Nissan”. La marque est donc confrontée à un challenge en termes de visibilité qui lui impose d’assurer une rupture dans sa stratégie. Non pas pour convaincre ses clients de rester – la marque bénéficie d’un taux de fidélité parmi les plus forts -, mais bien tous les autres, jeunes adultes et adultes (CSP+, modernes, tournés vers le lifestyle). “Il fallait donc émotionnaliser cette marque et lui donner un côté plus sympathique, jeune et peps”, explique le responsable marketing de Škoda France.

C’est là que l’agence Rosapark intervient. Dès le départ, l’agence est confrontée à un cas rare en publicité, comme nous l’explique Sacha Lacroix, directeur général de Rosapark : “Dans la publicité, les briefs qu’on nous soumet demandent souvent de sublimer la réalité. Avec Škoda, la problématique de marque est exceptionnelle et rare puisque c’est l’inverse : les clients ont une très bonne image de Škoda, mais les non-clients ont une image beaucoup plus négative, rationnelle, avec un rapport qualité-prix faussé. La réalité produit est au-dessus de la perception que les gens en ont. Notre travail était de réussir à combattre cette injustice. C’était véritablement le mot d’ordre en 2017.

Toutes les actions menées et les prises de paroles effectuées (TV, social media, PLV, etc.) étaient axées autour de cette stratégie de changement de perception. L’idée était donc d’émotionnaliser la marque en jouant sur les préjugés des gens pour parvenir à les toucher avec ces insights. Pour Rosapark, il était également nécessaire de montrer la dynamique de Škoda – nouveaux modèles premium, nouvelles technologies, attractivité à l’international, etc. -, car cela induit presque automatiquement une émulation positive autour de la marque.

Les campagnes

Pour mettre en oeuvre sa stratégie, l’agence a fortement investi les réseaux sociaux, terrain de jeu qui confère une plus grande liberté de création et d’expression et permet de toucher directement les potentiels consommateurs. Paul Barrocas explique qu’il a pourtant fallu mener un combat en interne pour convaincre aussi bien le siège que les concessionnaires de l’importance du média social face à la télévision.

Deux campagnes social media ont particulièrement changé la donne :
• Station with a view
Cette activation dans le métro parisien montrait le point de vue depuis l’intérieur d’une Škoda Karoq, le 2e SUV de la marque, qui symbolisait alors son renouveau. Une campagne récompensée d’un lion à Cannes en 2018 (Bronze en Outdoor). “Lorsque nous sommes allés voir de nous-même cette campagne, les voyageurs attendaient le métro le dos tourné au quai, c’était génial”, se félicite Sacha Lacroix.

Moche dans les années 90
Avec cette campagne Škoda a effectué “un pas supplémentaire dans l’acceptation de son image de marque pour changer les perceptions et marquer les esprits, précise le DG de Rosapark. Cette campagne était très novatrice en termes de création automobile, car contrairement à une quinzaine d’années, le marché publicitaire automobile est devenu pauvre créativement. Toutes les marques font à peu près les mêmes films à la télévision et survalorisent les produits. C’est la nouvelle lessive pour les étudiants en communication.

Avec “Moche dans les années 90”, Rosapark et Škoda font mouche et propulsent la campagne à l’international sous le nom “Ugly in the 90’s”. “Il fallait simplement avoir l’audace d’être honnête », confie Sacha Lacroix. La folie vintage et le charme old school des années 90 a sans doute fait le reste : “Il y a 15 ans, les Škoda n’étaient pas terribles, mais ‘Vous aussi vous étiez moche dans les années 90’. Avec cette idée créative les gens sont touchés, repensent à leur folle jeunesse et ses looks approximatifs et se disent ‘Oui, en effet, mais j’ai changé’, et bien Škoda aussi. Voilà le message.

Škoda a-t-il freiné cette audace ? “À aucun moment. Nous avons dit oui tout de suite, précise Paul Barrocas. Sur l’idée créative, il n’y a eu aucun frein, car il y avait une adéquation totale entre la perception et la tonalité, l’autodérision. Notre statut de filiale nous permet de jouer les francs-tireurs. Que ce soit « Station with a view », « Mission to Mars » ou « Moche dans les années 90 », nous avons lancés ces campagnes en parfaite autonomie, car nous avions besoin d’installer ce nouveau ton. Grâce à ces campagnes, nous nous sommes achetés une légitimité, cette liberté est nécessaire pour creuser ce sillon.” Sacha Lacroix abonde : “En tant qu’agence il faut dire que c’est un choix fort. On m’a demandé : ‘Mais comment avez-vous pu imposer ça ?’ on ne l’a pas imposé. Cette idée était alignée sur les objectifs : marquer les esprits et émotionnaliser la marque.

D’autres campagnes ont également marqué les esprits comme « Mission to Mars ». Un coup de com en écho au lancement de la Tesla Roadster dans l’espace en février 2018. Škoda a ainsi envoyé sa première voiture sur Mars… dans la Loire.

« Doug The Dog » est la dernière campagne de Škoda à s’être fait remarquer. Forcément, avec un chien d’une tonne, on passe rarement inaperçu…

Toutes ces campagnes ont-elles pour but d’augmenter l’effet parc (ou street factor), ce levier qui voudrait qu’un consommateur envisage plus volontiers d’acheter une voiture qu’il a déjà aperçue dans la rue ? “C’est l’histoire de l’oeuf et de la poule, explique Paul Barrocas. Si nous avions des voitures dans la rue, cela favoriserait o combien la notoriété spontanée. En France, quelle que soit la marque et quel que soit le modèle, il faut au moins 10 000 voitures pour créer cet effet parc (et croiser ce modèle au moins une fois par jour). Ce facteur est certes fondamental, mais dans le cas de Škoda, il faut anticiper et provoquer les choses. Sinon on peut attendre longtemps”. Pour Sacha Lacroix, “tant que cet effet parc n’est pas atteint, la publicité doit émerger plus que les autres. À partir du moment où un prospect Škoda voit une publicité de la marque, sa perception explose. L’effet parc n’est pas encore en notre faveur, mais à partir de fin 2019, la Kodiaq ou la Superbe va franchir ce seuil et sera visible. La notoriété évoluera d’autant plus.

L’aspect créatif de ces campagnes doit nous permettre, certes, d’aller chercher une nouvelle cible, mais aussi d’émerger et d’être plus efficace que les autres, explique Sacha Lacroix. La créativité est un gage d’efficacité.

Les résultats

Pour le DG de Rosapark, les fruits de cette collaboration “sont un travail progressif. Dans les choix médias, dans les choix de création, dans les choix de dispositif et dans la construction mise en oeuvre.” “Il y a 5 ans encore, toute la communication était adressée aux clients Škoda, précise le responsable marketing France de Škoda. Bien évidemment, cela alimentait le taux de fidélité, mais en revanche cela n’ouvrait aucunement les perspectives. À présent, nous renversons la table, car nous devons nous adresser à tous ceux qui ne sont pas nos clients, tout en s’assurant que ces derniers se reconnaissent toujours dans nos valeurs”.

Après deux ans de collaboration, les signaux semblent tous positifs.
• Les clients ont rajeuni
Avant 2017, l’âge moyen d’un client Škoda était de 55 ans (56 ans en France pour un acheteur·euse de voiture neuve, aujourd’hui il est tombé à 52 ans (en arrondissant), nous informe Paul Barrocas : “Quatre ans en l’espace de trois ans, c’est énorme.
• Une image qui évolue
Il existe également un indicateur d’image, c’est une note sur 10. Gagner 1/10 par an c’est déjà beaucoup, en trois ans, nous avons gagné 0,5 point« , souligne Paul Barrocas.
• Un volume de production en pleine croissance
+50% de croissance en volume de production en trois ans.
• Des campagnes qui performent
« Station with a view » :
– + de 6 780 000 contacts au sein de la station Gare de Lyon
– + de 4 900 000 d’impressions sur les réseaux sociaux
– 7 000 000 d’impressions en RP.

« Moche dans les 90’s » :
– 5,9 millions de vues
– 98% de commentaires positifs
– 145K d’interactions cumulées
– 1,9K d’internautes utilisant le hashtag #MocheDansLes90s
– 60 mentions presse, dont plusieurs articles dans la presse internationale, avec Adage, The Drum, Adweek et aussi en Allemagne.

« Mission to Mars » :
En social :
– 2 millions de vues (contre 700K pour Fight for goodies la précédente meilleure activation avec moins d’investissements médias)
– 17K d’interactions
– 5,5% de taux d’engagement (vs 2% sur les vidéos de la marque en 2017)
– 2,2% de taux d’engagement (contre 0,58% en moyenne sur le secteur auto)

Twitter :
– 5,3 millions de reach
– 759 tweets (contre 750 en moyenne par mois pour toute la marque Skoda en 2017).
– 97% de tweets positifs (vs 85% en moyenne sur les trois derniers mois)

• Des concessionnaires demandeurs
Jusqu’ici, les concessionnaires étaient plutôt perplexes quant à l’avenir de la marque. “Aujourd’hui, de concessionnaires nous sollicitent pour communiquer sur Škoda, rapporte Paul Barrocas. Ou des groupes jusqu’ici timides dans les investissements embauchent des responsables marketing, leur donnent des moyens pour communiquer en local, etc. L’effet d’entraînement est là.” Et Sacha Lacroix de confirmer : « Si le réseau et la force de vente croit en la marque et dans le produit cela a un impact sur les ventes. Aujourd’hui, toutes les planètes sont alignées pour faire avancer Škoda. »

Grâce à cette stratégie et les résultats qui en découlent, Škoda et Rosapark ont pu produire le tout premier film de marque Škoda France. “Une campagne de gamme qui sera la pierre angulaire des futures campagnes de Skoda”, précise Sacha Lacroix. Avec la même tonalité, les mêmes insights, des références génériques qui titilleront l’inconscient collectif des cinéphiles, et un aspect entertainment similaire à celui présent dans « Moche dans les années 90 ». Le film sera diffusé dès le 3 mai sur les réseaux sociaux et le 5 mai en télévision.

C’est une “prise de risque” pour Škoda, car il a fallu imposer ce choix au siège. Toutefois, le travail effectué en amont et les performances des dernières campagnes ont vaincu les réticences. Ce film de marque français permet de “définir les territoires de la marque” et représente donc de gros enjeux en termes d’impact et en termes financiers.

Mise à jour : Voici donc le tout premier film de marque de Škoda France. La campagne « L’hésitation n’est plus une option » est lancée ce vendredi 3 mai sur les réseaux sociaux et dès dimanche en télé.

Les clés du succès

– Une approche honnête
Que ce soit dans les campagnes ou dans la relation agence-annonceur, Rosapark et Skoda ont misé sur un discours de vérité. “Pour nous, tous ces indicateurs prouvaient que nous avions la bonne approche. Avoir l’honnêteté de montrer ce que les gens pensent de Škoda en leur disant : ‘Maintenant, nous allons vous démontrer l’inverse”, c’est rare, et personne ne le fait”, explique Sacha Lacroix. Le DG de Rosapark estime ainsi que cette relation de « franchise et de bienveillance » est la clé de réussite de leur collaboration.

– Un challenger à la communication de challenger
Plutôt qu’investir le canal historique de la télévision pour communiquer, Skoda a préféré axer sa prise de parole sur les réseaux sociaux, l’affichage ou la communication par l’objet. Une communication de challenger, mais avec des campagnes qui créent la surprise à chaque fois. Comme l’explique Sacha Lacroix, « Skoda est très fort pour définir des objectifs très clairs et précis, à partir de là, la création peut-être la plus barrée possible pourvu qu’elle réponde à ces objectifs.

– Une seule agence
Skoda a fait le choix de n’avoir qu’une seule agence, contre quatre auparavant (créa, digitale, CRM, etc.). « Aujourd’hui, l’ensemble du périmètre et de la chaîne client est géré par une seule et même agence, cela facilite grandement la cohérence et la rapidité de dialogue entre nous », estime Paul Barocas. Rosapark maîtrise ainsi le sujet de A à Z (publicité, réseaux sociaux, CRM, PRM, data) avec une seule et même équipe au sein de l’agence. Avec cette compréhension business de Skoda, l’agence peut être plus créative, piocher dans un aspect business pour en faire un objet de communication par exemple, ce qui booste l’efficacité de la marque, relève Sacha Lacroix. Le terrain créatif de l’agence se voit ainsi démultiplié.

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