Au-delà du réel, l'aventure continue.
Des sacs géants “roulant” dans les rues de la capitale ; des oursons à la guimauve surdimensionnés surplombant la Seine ou un métro londonien affublé de cils extra longs brossés d’un coup de mascara démesuré ; ces images surréalistes ont marqué l’année passée et signées l’émergence d’une nouvelle tendance, le FOOH, pour Fake Out Of Home.
Alors même que l’on imaginait la création publicitaire accaparée par Midjourney, Dall-E et Runway (des intelligences artificielles génératives), une autre technologie vient défier le réel, challenger les créatifs et séduire les marques.
Mêlant réalité augmentée (RA) et images générées par ordinateur (CGI – Computer-Generated Imagery), le FOOH bouscule les codes de l’outdoor et ouvre de nouvelles perspectives pour captiver et engager les audiences en ligne.
Que viennent chercher les marques avec de tels formats ? Pour quels bénéfices ? Observe-t-on d’ores et déjà des limites à cette tendance et quel futur se dessine ?
Nous avons échangé avec Antoine Joly, co-fondateur de l’agence Vokode, agence de production tech et creative derrière les FOOH de Maison Rabanne, Etam, Tattinger, Bompard ou encore Aigle.
Le topo de la tendance FOOH
2023, la consécration
Au début du mois de juillet dernier, la vidéo d’un bus et d’un métro londoniens coiffés de cils et maquillés d’un coup de mascara géant à leur passage (le nouveau Lash Sensational Sky High de Maybelline New-York) faisait le tour de la toile. L’effet est confondant de réalisme, les commentaires en témoignent – et les tentatives de copie aussi. Quelques mois plus tôt, ce sont les Bambino XXL de Jacquemus (marque à forte influence faisant aussi dans le XXS) flirtant avec l’asphalte parisien qui enflamment les réseaux sociaux. Sauf à avoir entrepris une cure de digital détox en 2023, ces coups médiatiques vous sont familiers. La technique appliquée à la publicité devenait tendance en même temps qu’on la nommait.
Si la tendance est nouvelle, la technologie qu’elle embarque ne l’est pas. À son lancement en 2016, le phénomène Pokemon Go comprenait déjà de la réalité augmentée et la CGI est couramment employée en production visuelle, et ce, depuis les années 70. De même que la 3D est intégrée dans la production en social media.
En revanche, le FOOH dit quelque chose de son époque en ce qu’il répond aux changements des modes de consommation : médias, contenus et achats. Les audiences sont en ligne, leur attention est ultra-sollicitée, les hooks vidéo sont permanents (demandez à TikTok), la bataille de l’attention est exacerbée. Avec le FOOH, les marques peuvent atteindre un public plus large en ligne tout en conservant l’impact visuel caractéristique de la publicité extérieure… sans ses limites.
“Ce format démocratise l’accès au virtuel. Il devient accessible simplement là où se trouvent les utilisateurs. Ces contenus offrent un espace créatif où l’absence de codes et de référentiel ouvre une toute nouvelle forme de narration, relève Antoine Joly, co-fondateur de l’agence Vokode. Nous ressentons un réel engouement pour la créativité chez nos clients. Les demandes se spécifient avec de plus en plus d’attentes sur cet aspect créatif.”
Ce que cherchent les marques ? Créer des publicités flirtant avec le possible (ou inversement) afin de susciter la conversation avec cette question : “Est-ce réel ou virtuel ?” Un doute suffisant pour capter leur attention et intriguer : les commentaires affluent, amusés, candides, admiratifs, les partages se multiplient, le bouche-à-oreille s’enclenche et c’est la viralité quasi assurée. La marque s’offre une visibilité considérable en ligne.
Interrogé par Digiday, Fernando Febres, VP marketing Maybelline USA et à la tête de la division « yeux » de la marque explique la démarche : “C’était un moyen de disrupter l’environnement, de faire parler les gens en leur faisant se demander : « Est-ce vrai ou non ? » C’est vraiment le but de tout cela« .
Les marques, pour de FOOH
Le FOOH a ceci d’accessible que ces outils sont connus et éprouvés. Les marques peuvent s’en emparer rapidement, avec de tels premiers succès, elles ne s’en sont pas privées, les retailers en tête de cortège. Mais pas seulement.
“Ce qui nous fait dire que c’est plus qu’une simple tendance, c’est que ça touche tout type de clients, nous travaillons notamment avec : Etam, L’Oréal, Rabanne, Taittinger, Valeo, Vache qui rit, Aigle, Club Med…”, confirme Antoine Joly.
Quelques exemples
– Maybelline
– Jacquemus
– Cyril Lignac
– Barbie
– L’Oréal
– Warner Music pour Leto
– Playstation
– Samsung
– Serge le Lapin
– le Père Noël ?
– Philharmonie du Luxembourg
– JD Sports x North Face
@jdofficial Have I just seen Big Ben wearing a Northy? #JDSports #JD #TheNorthFace #London #Streetwear #TNF #FYP ♬ original sound – JD Sports
À qui profite le FOOH ?
Les campagnes FOOH offrent plusieurs avantages :
– le coût : moins onéreuses en budget et ressources que les campagnes d’affichage traditionnelles, elles offrent une plus grande flexibilité en termes de ciblage et de durée ;
– le lieu : aucune contrainte de lieu ou de disponibilité de panneaux d’affichage ;
– la portée : elles permettent d’atteindre des audiences qui passent plus de temps en ligne, notamment les jeunes consommateurs, en France et à l’international, le web n’a pas de frontières ;
– la créativité et l’innovation : ces campagnes encouragent la créativité, en intégrant parfois des éléments interactifs ou des réalités augmentées pour engager le public ;
– la mesure de la performance : contrairement à l’affichage traditionnel, le FOOH permet une analyse plus détaillée des performances de la campagne grâce aux outils numériques ;
Pour Antoine Joly, les marques cherchent à créer un contenu ultra engageant et à se démarquer. “Il y a également une attente sur comment se projeter de façon stratégique autour de ces contenus. Comment les penser en série ? Comment augmenter l’expérience sociale sur le site web ? Comment créer de l’interaction ? Comment générer du drive to store ?”
Avec de tels questionnements, quels sont objectifs et les éléments clés pris en compte pour assurer l’impact et l’authenticité de telles campagnes FOOH ? “Un objectif de notoriété fort, affirme le co-fondateur de l’agence Vokode. Le taux d’engagement autour de ces contenus est vraiment impressionnant, les vues se comptent très souvent en millions. Les FOOH viennent tout de suite se placer en top performances sur les réseaux sociaux des annonceurs.” De quoi aiguiser les appétits. Pour assurer l’impact, le contenu se doit donc d’être :
– “court, pensé pour être lu en boucle ;
– de proposer une mécanique propre à l’ADN de la marque ;
– de créer une rupture créative.”
Si le FOOH semblent offrir de nombreux avantages aux marques, il en offrirait aussi aux créateurs logés à la même enseigne que les photographes et vidéastes concernant les autorisations et droits d’utilisation. Quand l’IA générative Midjourney, pour ne citer qu’elle, cumule les critiques et plaintes pour violation de droit d’auteur. Récemment, une liste de 16 000 artistes “aspirés” pour alimenter Midjourney a fuité en ligne. Pourtant, rares sont ceux crédités dans ces publications aux millions de vues.
Nous avons tenté de contacter le vidéaste Ian Padgham, derrière certaines des créations citées ici, de Jacquemus à Maybelline, mais ce californien exilé à Bordeaux et fondateur de la société de production Origiful n’a pas répondu à notre demande d’interview.
Des – FOOH – perdants ?
Les avantages des uns font peut-être les manques à gagner des autres. Quid des afficheurs et des espaces médias payants ? Face à des audiences et des espaces toujours plus digitalisés, “les acheteurs de médias OOH verront rapidement leurs bénéfices diminuer face à un espace de plus en plus numérique”, prédit Dom Radcliffe, directeur créatif de Here Be Dragons, dans lbbonline.
De même qu’on s’interroge sur les droits d’auteur des créateurs, qu’en est-il de l’autorisation d’exploiter l’image des bâtiments et autres lieux mis en scène dans ces vidéos ? Quels bénéfices en tirent-ils ? Aucun semble-t-il alors que certains en auraient sans doute bien besoin. Rappelez-vous ce champ de coquelicot en plein “bloom” (floraison) – dans le parc national de Lake Elsinor en Californie – saccagé par des hordes de touristes et instagrammeurs en herbe désireux de reproduire les clichés précédemment diffusés. Quand l’Arc de Triomphe accueille des bottes de pluie Aigle au rouge flamboyant sur son parvis, qui est consulté ? Le vide juridique profite pour l’instant aux créatifs. Si on prend l’exemple des intelligences artificielles génératives pour comparaison, un cadre juridique devrait se profiler à mesure que le FOOH se déploiera.
D’autres s’inquiètent plutôt de la “tromperie” opérée à l’égard des consommateurs, à l’heure où transparence et authenticité sont les maitres mots des marques et de leurs publics. Alors que certaines campagnes, dont une en OOH, a heurté les sensibilités, nous poussant à nous demander si la publicité avait besoin de sensitivity readers, faut-il préserver (infantiliser dirons d’autres) les publics face à ces faux ?
Plus encore, face à la montée des fake news pour éviter la désinformation ou la manipulation. “L’objectif principal est de générer de l’émotion et pas forcément de « faire croire », précise Antoine Joly. La qualité des productions peut parfois semer le doute, il est important de préciser la nature du format dans le post.” Le FOOH doit-il se parer d’un réel soupçon d’éthique ? Maybelline a joué sur l’ambiguïté dès la publication, ce n’est que quelques jours après l’hystérie collective suscitée par la fameuse vidéo du métro que la supercherie a été révélée… par le créateur sur LinkedIn.
Pour lui, le FOOH a pour but de “montrer une campagne publicitaire qui pourrait exister dans la vie réelle, mais qui est purement 3D/CGI.” Exit les sacs, baguettes et sneakers volants que l’on a pu apercevoir. “C’est un peu comme une démonstration de faisabilité où les marques peuvent évaluer la réaction à un coup marketing sans le faire, poursuit Ian Padgham. J’espère que certaines campagnes marcheront si bien que les marques donneront vie au projet. Mais même si ce n’est pas le cas : à une époque où nous expérimentons et partageons tout en ligne, je pense que les campagnes FOOH pourraient finir par être la plus grande tendance de la publicité en ligne.”
Pour Campaign, il y a un “aspect moral à considérer” pour que le monde ne ressemble pas à l’émission “Is it cake?” (Netflix) où les participants doivent découvrir quels objets du quotidien placés autour d’eux sont en réalité des gâteaux. Mais aussi pour ne pas permettre en CGI ce que la réalité rendrait impossible. Des questions qui interviennent après la vraie-fausse affiche de British Airways plantée à Glastonbury laissant sous-entendre que le festival n’est pas aussi irréprochable qu’annoncé concernant les annonceurs autorisés.
“Dans un monde dominé par les influenceurs des médias sociaux et les campagnes de marketing soigneusement conçues, Glastonbury reste un excellent exemple de la manière dont l’authenticité, la communauté et la création d’une expérience unique peuvent créer un phénomène qui n’a pas besoin de marketing.” Glastonbury
Du côté de Maybelline, semer le trouble ne pose pas de problème : « Tant que nous pouvons maintenir cet enthousiasme et cette confusion entre le réel et le non réel, si cela continue à être surprenant, nous continuerons à le faire« , a concédé Fernando Febres, le VP marketing Maybelline USA. « Si cela devient trop attendu, nous passerons probablement à autre chose. »
Quel futur ?
Le FOOH représente une évolution significative dans la stratégie de publicité extérieure, s’adaptant aux nouvelles réalités du marché et aux comportements changeants des consommateurs. Il reflète la convergence continue entre les médias traditionnels et numériques, offrant ainsi de nouvelles opportunités pour les marques et les annonceurs.
“Le futur de cette tendance consistera notamment à mettre ces contenus en perspective avec une approche stratégique plus globale, avance Antoine Joly. Afin d’être présent, pas seulement en social, mais sur tous les touch points utilisateur et exister dans le temps réel. Il est possible de prolonger l’expérience de ces contenus dans des applications web, dans une expérience d’achat, le gaming, la réalité augmentée…” Ce que l’agence a réalisé pour Etam en créant des contenus sociaux 3D redirigeant vers un calendrier de l’avent immersif sur leur site web : “Un succès de performance inédit pour la marque”, se félicite-t-il encore.
Quid de l’impact de l’IA sur cette tendance ? Chez Vokode, comme au sein d’autres agences créatives, l’IA est déjà très présente dans les process, particulièrement d’itération pour générer visuellement les idées. “Cela nous permet de projeter très rapidement nos clients dans des concepts concrets. Côté production, ces contenus sont encore très techniques et nécessitent d’avoir une expertise globale sur un ensemble d’outils pointus. L’IA commence à pouvoir s’intégrer au processus de production, notamment sur des sujets bien spécifiques de simulation ou de motion capture.”
L’évolution future de la tendance pourrait être fortement influencée par l’intelligence artificielle en ce qu’elle permet d’améliorer la personnalisation et la pertinence des campagnes FOOH, en adaptant le contenu publicitaire en temps réel selon les données démographiques et comportementales des spectateurs. De plus, l’intégration de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle pourrait rendre ces campagnes encore plus immersives et interactives. Cette convergence entre IA, RA/RV et FOOH pourrait ouvrir de nouvelles possibilités créatives et d’engagement pour les marques, tout en offrant une expérience publicitaire plus dynamique et personnalisée aux consommateurs.
“À une époque où nous expérimentons et partageons tout en ligne, je pense que les campagnes FOOH pourraient finir par être la plus grande tendance de la publicité en ligne”, veut croire le fondateur d’Origiful.