De quoi sera faite la création publicitaire cette année ?
Après notre dossier sur les tendances graphiques, interrogeons-nous sur l’avenir proche de la création publicitaire. Entre engagement politique, renversement de la TV, brand culture et productising, l’année devrait être une fois de plus surprenante.
1. Les nouvelles formes d’écriture du social media
– Le vertical
Comme le dit si bien Thomas Birch, co-directeur de création chez [tag]St John’s[/tag], « il faut toujours aller là où se trouvent les cibles et non l’inverse. Ce sont leurs tendances qu’il faut suivre et non les nôtres. » En 2017, « il serait par exemple insensé de ne pas investir dans Snapchat pour parler à des jeunes ».
Or qui dit Snapchat, dit photo et vidéo verticales. Pourquoi ? Car c’est un ainsi que l’on tient naturellement un smartphone (si vous n’en êtes pas convaincus, lisez cette étude). Quel est l’intérêt pour une marque de concevoir des contenus verticaux plutôt qu’horizontaux ? Car cela génère « 9x fois plus d’engagement » selon Snapchat. Et comme l’explique Louis Bonichon, directeur de la création associé chez [tag]MNSTR[/tag], ce format « retourne nos habitudes de lecture. On renverse littéralement le 16/9 inspiré du cinéma à 90° pour créer un format avec un nouveau statut : beaucoup plus proche des gens, puisqu’il tient dans leurs mains. Il va forcément inspirer des campagnes et des créations ultra-innovantes. On le voit déjà dans la façon dont les médias présents sur Discover Snapchat communiquent. »
Ce format vertical, « mobile-first », signe la fin du satané film TV décliné sur le digital, puisqu’un film en 16/9 n’a aucune chance de bien s’adapter en vertical.
– Le snack content
Or qui dit social media, dit contenus « always on », et donc une production de contenus en très forte hausse. « C’est dans ce contexte que s’est développée la tendance du snack content », comme le remarque Olivier Lefebvre. Le directeur de la création de Fred & Farid Paris est convaincu que « le snack content représente un vrai bouleversement pour les métiers et l’industrie publicitaire ». Cela implique « de créer et de produire de manière agile de plus en plus de contenus conversationnels, pour alimenter tous les réseaux sociaux et les médias des marques. On est vraiment au-delà de la création d’un grand film de marque avec de l’émotion pour les médias classiques, ou même une vidéo Youtube. Un snack content peut prendre la forme d’un film de 7 secondes, d’un gif, d’un cinémagraphe, d’un post Facebook, d’une photo, d’un petit film d’animation, d’un boomerang… » Ces contenus ayant vocation à être diffusés en organique mais aussi « en programmatique auprès des bonnes cibles du social media jusqu’au retail ». La grande diversité de contenus produits permettant d’adresser différemment chaque cible.
Pour répondre à ces besoins, les agences lancent leur propres pôles de snack content : citons récemment le FF Social Studio de Fred & Farid Paris. Ou bien le loft de Publicis Conseil.
– Le live
Autre tendance connexe : le live vidéo, popularisé par Periscope, Facebook Live, ainsi que les Live Stories de Snapchat ou d’Instagram. Pour Louis Audard et Tristan Daltroff, directeurs de création chez [tag]Buzzman[/tag], « cette tendance ne peut que s’accélérer en 2017, sous l’impulsion du mobile. » La team créa responsable notamment des campagnes TippExperience et Meetic / #loveyourimperfections cite comme cas intéressant de cette tendance, le live à 82 caméras d’Adidas à Moscou :
2. L’engagement politique des marques
À dire vrai, que les marques prennent des engagements et revendiquent des valeurs n’est pas quelque chose de fondamentalement nouveau. À titre d’exemple, Dove combat les diktats de la beauté féminine depuis plus de dix ans. Son détournement du mannequin challenge en constitue l’illustration la plus récente.
Mais là où la tendance prend un nouveau tournant, c’est dans la force des revendications des marques, qui deviennent de plus en plus politiques. Une tendance portée aux États-Unis par l’indignation de la population face au président Trump et son gouvernement, ce qui a beaucoup inspiré les publicitaires lors du Super Bowl 2017. Le spot de 84 Lumber, entreprise de location de matériel, a remué les internautes lors de la coupure pub du match, de par son message humaniste sur l’immigration. Faisant du film le sujet le plus discuté de l’événement sur Twitter. Pour Baptiste Clinet, executive creative director de [tag]Herezie[/tag], les messages promouvant l’égalité sont au coeur de la tendance pour la création publicitaire en 2017.
Cela ne peut-il pas représenter un danger pour les annonceurs, qui se doivent d’être potentiellement clivants en affirmant un tel engagement ? Alexander Kalchev, directeur de la création chez [tag]DDB Paris[/tag] reconnaît que le “goodvertising est une bonne chose, dans un monde devenu violent”, mais pointe également le cynisme potentiel de la pratique : “Aujourd’hui, il ne s’agit plus vraiment d’une prise de risque, mais juste une manière de servir la tendance. Avant, le sujet à la mode était l’écologie, aujourd’hui c’est l’égalité.” Ne pas prendre la parole sur le sujet peut même être considéré comme une tare pour les marques, évoque Matthieu Elkaim, directeur de la création chez [tag]BBDO Paris[/tag], qui “finiront par susciter une forme de désintérêt de la part des consommateurs”.
La tendance semble cependant difficile à exporter : “Quelle marque française osera s’aventurer sur le terrain politique ?” questionne Ivan Beczkowski, président et directeur de création chez [tag]BETC Digital[/tag].
3. Le mains libres
Ivan Beczkowski, président et directeur de la création de [tag]BETC Digital[/tag], évoque un monde post mobile-first : « 2016 c’était des millenials aux doigts scotchés sur leur téléphone, des silhouettes hésitantes portants des casques de réalité virtuelle, 2017 ce seront les lunettes Snapchat, Alexa d’Amazon ou Home de Google qui se commandent à la voix. » Soit un changement majeur pour les marques, qui devront imaginer des expériences où leur tonalité et l’intelligence artificielle seront clé.
Ivan Beczkowski cite 2 exemples d’initiatives de marque : « Opel a déjà proposé l’expérience d’une voiture qui démarre à la force de la pensée pendant que Peugeot montrait la supériorité des sensations du corps sur celles procurées par un casque de VR. Le corps humain, notre meilleur device. »
4. Comment les médias traditionnels s’inspirent du social media
Jérémie Bottiau, associate general manager en charge de la création chez [tag]Darewin[/tag], a été marqué par le spot d’Airbnb diffusé lors du dernier Super Bowl. « Pas uniquement pour son engagement politique, mais surtout par le fait que ce spot a été tourné et acheté en média en 72h ! » L’empressement de la marque était dû à son souhait de réagir au plus vite et avec le maximum d’impact au muslim ban qui a précédé le Super Bowl d’une semaine. « Un tel schéma de production et d’achat média relève davantage d’une approche « win the moment » si chère à Twitter ». Sauf qu’il s’agit ici d’un investissement TV que l’on imagine stratosphérique puisqu’en temps normal, les écrans publicitaires du Super Bowl sont réservés jusqu’à un an à l’avance.
Comment expliquer un tel changement ? L’agence [tag]Rosapark[/tag] ose évoquer « le monde renversé apparu dans la gravure au XVIe siècle. Cette technique consistait à inverser les rapports entre deux termes du monde réel afin de produire une représentation impensable et absurde. » Un boeuf conduisant une charrue tirée par des hommes, par exemple… Quel objet du réel est aujourd’hui renversé ? Pour [tag]Rosapark[/tag], il s’agit de la TV : ‘Jadis trônant sur nos buffets boisés en plein milieu de nos living-rooms, la télévision s’est faite éclipser. Ecran noir. Désormais, nous n’avons plus d’yeux que pour notre mobile, notre bien le plus précieux. »
Or le marché a encore du mal à renoncer au « TV-first », aussi désuet peut-il paraître aujourd’hui. Sacha Lacroix, directeur général de [tag]Rosapark[/tag] nous prévient : « penser la TV en premier c’est s’enfermer dans une machine à voyager dans le temps qui serait bloquée sur l’année 1995. Il faut sortir de ce modèle qui part de la TV pour décliner l’idée sur l’ensemble des touchpoints, limitant ainsi les rhétoriques créatives. Décliner ? Déclinaison ? Ce mot porte en lui la faiblesse d’un modèle qui tend à disparaître. »
Pour renverser ce modèle déclinant, [tag]Rosapark[/tag] a imaginé un modèle : le « Social to TV ». Ce qui revient à s’appuyer largement sur les conversations digitales pour faire remonter des insights. Pour son client RED by SFR, l’agence a par exemple mis en place les « TOTW ou Tweets of The Week ». Ces tweets « soigneusement sélectionnés, sont une précieuse source d’inspiration pour les créatifs de l’agences et ont même permis de donner naissance aux prochains films de RED qui paraîtront fin mars ».
Comme avec le snack content, une telle réactivité « challenge les agences publicitaires et média » selon Jérémie Bottiau, avec la nécessité de trouver des « des circuits de production et d’achat beaucoup plus courts ». Jean-François Sacco, co-fondateur et co-directeur de la création de [tag]Rosapark[/tag], nous prévient cependant de ne pas sacrifier le craft : « trop souvent on pense que social doit être synonyme de flux continu de messages, mais la quantité ne doit pas congédier la qualité. L’idée permet certes d’attirer l’attention mais c’est le craft qui permet de la maintenir. »
5. Le Productising
La tendance du productising prévoit une réelle révolution du rôle des agences. Mais de quoi s’agit-il, au juste ? C’est avant tout une démarche qui dépasse le simple champ de la communication, et qui crée pour les marques un produit ou service fonctionnel, voué à être réellement distribué. Pour Thomas Birch, co-directeur de la création chez [tag]St John’s[/tag], l’initiative ne peut néanmoins s’avérer intéressante qu’à condition qu’elle “repose sur un vrai insight qui résonne avec la marque”. À titre d’exemple, le Kdorigami de Cultura, transformant ses papiers cadeaux en origami, promouvait les valeurs de l’annonceur, tout en parlant à la fibre créative de sa cible.
Le productising et sa vocation à élargir la gamme de produits d’un client ouvrent la voie à plus de collaboration entre les pôles de l’agence, puisqu’elle mobilise les créatifs aussi bien que les développeurs et planneurs. Une tendance sur laquelle [tag]Buzzman[/tag], à travers les propos des directeurs de création Tristan Daltroff et Louis Audard, fait un gros pari : la création de la branche [tag]Productman[/tag] à l’agence en est la meilleure illustration.
6. Du branded content à la branded culture
Ghislain de Villoutreys, co-fondateur et executive creative director de l’agence [tag]Peoplewelike[/tag], note l’évolution des contenus de marque : “En regardant les tendances fortes de la pub, la croissance exponentielle du online, vers le mobile, vers la vidéo, le native content les contenus de marque n’ont jamais été en compétition plus directe avec nos contenus privés.” Comment s’assurer un bon engagement à travers ce torrent ? En 2017, c’est avant tout en augmentant son impact culturel. Un exemple récent et réussi de cette stratégie serait la campagne de BETC, invitant le spectateur à suivre les membre des Naive New Beaters dans les couloirs des hôtels Ibis.
[tag]Cycle Media[/tag], filiale de l’agence [tag]Laundry Service[/tag], se pose en précurseur de la tendance, en livrant au public une sélection pointue des contenus de marque, qui ont la particularité de s’ancrer significativement dans la culture pop. Des publications qualitatives, particulièrement engageantes sur le web. La preuve que l’agence connaît le monde dans laquelle elle évolue, et les intérêts des consommateurs.
Cette tendance à la branded culture peut également se traduire par un recours à l’entertainement. Divertir son audience permet de mieux la capter, et de rediriger son intérêt vers la marque. Un point sur lequel s’accorde Thomas Birch de [tag]St John’s[/tag], qui admet son admiration pour la dernière opération du groupe PNL, qui annonçait ses prochains concerts à ses plus grands fans par SMS.
S’inscrire dans un cadre culturel pour une marque demande également une veille rigoureuse des succès médiatiques, afin d’en détourner les codes à l’avantage de l’annonceur. Ainsi Ibrahim Seck, directeur de création chez [tag]La Chose[/tag], prévoit-il un retour de force de la comédie musicale dans le paysage publicitaire, suite au succès récent du film La La Land. Des marques comme Nike connaissent la chanson : son spot “Pretty”, rendant hommage à West Side Story, observait déjà un vif succès en 2006.
7. L’intelligence artificielle et les chatbots
Pour Alexander Kalchev, directeur de la création de [tag]DDB Paris[/tag], l’intelligence artificielle sera évidemment un des sujets clés de 2017. Cependant « nous parlerons davantage de machine learning, ce qui est différent d’une véritable intelligence artificielle ». Pour saisir la subtilité, nous vous recommandons notre dossier concacré à l’IA.
Une application concrète de l’intelligence artificielle pour les marques : les chatbots. Alexander Kalchev y voit une opportunité : « c’est créativement intéressant et malin pour nous, puisque grâce aux chatbots nous pouvons proposer des dispositifs de marques dans des interfaces déjà connues du public. Il n’y a pas de nouvelle UX à concevoir et à faire apprivoiser : tout utilisateur de Messenger sait déjà intéragir avec un chatbot ». Reste aux marques et aux agences à savoir y développer leur tonalité, dans des messages basés avant tout sur le texte… ou la voix dans le cadre d’une IA vocale et donc « mains libres ».
8. La réalité virtuelle et la réalité augmentée
2017 sera-t-elle l’année de la réalité virtuelle ? « La VR et l’AR – voire la VAR ! – se doivent de faire partie des tendances de l’année » comme s’en amuse Alexander Kalchev. Cependant la VR se heurte encore à « une pénétration bien trop faible du marché. Nous avons par exemple développé un dispositif pour Oculus, en 8k… mais cela ne cible au final que quelques milliers de personnes. » Il y a donc une certaine distortion entre la prépondérance de la VR dans les médias, et son faible public à date. Ce qui pourrait changer avec l’arrivée de terminaux grand public comme le Playstation VR de Sony.
De plus la VR a tendance à nous isoler, alors que nous sommes tous en quête d’interactions sociales. Le cas du bus scolaire voyageant sur Mars a le mérite de proposer une expérience de pseudo VR collective, même « si cela n’a rien d’interactif » comme le précise Alexander Kalchev.
La réalité augmentée, l’AR, correspondrait-elle davantage à notre volonté d’être connectés tout en restant sociables ? « Les cas d’usages pertinents par les marques manquent encore à l’appel » selon Alexander Kalchev, même si Pokémon GO a redynamisé cette technologie.
2017 année la VR et l’AR ? « Si ce n’est pas le cas, ce sera pour 2018 ! » s’en amuse Alexander Kalchev.
9. La creative data
Si la data anime le marché de l’achat média, nous sommes convaincus que celle-ci représente une opportunité créative encore sous-exploitée. Le dernier exemple en data ? Les campagnes de Spotify qui s’amusaient de nos usages et du nom de nos playlists.
A lire également : qu’est-ce que la creative data ? Avec Baptiste Clinet.
10. Le retour à l’humour
Quoi de plus communicatif que le rire ? Il semblerait que les marques aient à nouveau intégré cette maxime. L’humour, « source inestimable d’impact émotionnel, d’adhésion et de création de liens » selon Paul Wauters, creative partner chez [tag]Babel[/tag], prend du sens à la suite des années dites « lifestyle ». Il explique : « les grands discours, les donneurs de leçon, les gens dans les pubs qui mènent des vies qui n’existent que sur Facebook… tout cela va bien s’arrêter un jour ». 2017 annoncerait donc un retour à l’authenticité, portée par le rire et le second degré, et ce afin de mieux fédérer. Là encore, le Super Bowl offre un premier regard sur la tendance : le spot Skittles s’y était cette année démarqué par son humour simple, jouissif et efficace.