Après le ''mobile-first'', allons-nous vivre et communiquer dans un monde régi par le mobile ?
Dans ses tendances digitales 2016, Smart AdServer affirmait que l’année verrait l’éclosion du « mobile-only » dans les stratégies de communication. C’est à dire une approche dédiée uniquement aux mobiles, au détriment des terminaux digitaux conventionnels que sont les ordinateurs. Cette prophétie va-t-elle s’auto-réaliser ? Nous avons mené l’enquête, comme toujours, en compagnie d’experts !
Intervenants
Martin Jaglin
Executive Vice President / Mobile CEO
1000mercis Group / Ocito
Vincent Frattaroli
CEO
Backelite
Olivier Vigneaux
CEO
BETC Digital
Franck Thery
Directeur Conseil
[tag]Extrême Sensio[/tag]
Claire Gallic
Responsable Communication
Intuiti
Alexis Cussonneau
Trafic manager
Intuiti
Jules Minvielle
Président
Mozoo
Olivier Le Garlantezec
Directeur Général Europe
Phonevalley
David Pironon
COO
Smart AdServer
Hakim Metmer
Co-Fondateur
Tabmo
Renaud Ménérat
Président
userADgents / joshfire
Pourquoi parle-t-on de mobile-only ?
Pour Renaud Ménérat, 2015 a confirmé « l’entrée dans l’ère du mobile-first ». Le président d’userADgents, de Joshfire et de la Mobile Marketing Association France a dernièrement pu observer « la prise de pouvoir du mobile sur le desktop en terme de trafic ». Google a par exemple annoncé que les recherches mobiles dépassent désormais celles sur ordinateur, « et Médiamétrie confirme cette tendance au niveau du trafic des sites web ». Comme l’indique Jules Minvielle, président du groupe publicitaire mobile Mozoo, « le mobile est aujourd’hui le 1er point de contact des utilisateurs, et la tendance va s’amplifier dans les prochaines années. » Ce transfert d’audience « se retrouve dans les revenus de titans comme Google ou Facebook, qui sont désormais principalement issus du mobile ». Un phénomène également observé par Smart Adserver auprès de ses clients, comme en témoigne David Pironon, COO : « pour la plupart de nos éditeurs, la majorité de l’audience est désormais mobile et nous avons déja basculé dans du mobile-first. Et une part encore faible de nos clients, mais croissante, évolue ou se développe sur un modèle mobile-only ». Et pour les marques « les devices mobiles représentent déjà près de la moitié de leur audience digitale » selon Olivier Le Garlantezec, directeur général Europe de Phonevalley. Un chiffre qui passe « à plus de 60% du CA pour certains grands acteurs de l’e-commerce ».
Comment expliquer un tel succès ? « Le mobile est le seul outil à disposition des marques qui soit en permanence dans la poche ou dans le sac des consommateurs. Contrairement à la TV, l’ordinateur fixe voire la tablette qui restent à domicile ou au bureau, à la presse qui est lue puis jetée, à la radio qui est éteinte en sortant de la salle de bain ou de la voiture » selon Martin Jaglin, executive vice president de 1000mercis Group / Mobile CEO (Ocito) et vice président de la Mobile Marketing Association France.
Si le mobile-first est de nos jours une évidence, pourquoi parle-t-on de mobile-only pour les mois à venir ? Car au-delà de l’effet de mode, les entreprises se sont engagées dans une véritable course pour conquérir l’attention des individus, en tentant de suivre au plus près leurs usages. Et il y a urgence car de nouveaux acteurs prospèrent en s’engouffrant dans la brèche béante entre l’offre et les attentes : « il n’y a qu’à voir le succès d’une app comme Uber, que toute entreprise de taxis aurait pu créer » selon Martin Jaglin. Pour Olivier Le Garlantezec, « l’évolution des usages personnels nous montre que le mobile devient le device principal de notre vie connectée. Une très grande partie de notre surf se passe désormais depuis notre mobile, phablette ou tablette, en substitution de notre desktop. Le mobile est ainsi devenu l’élément central de notre quotidien. »
Au delà des nouvelles offres purement mobiles, de nouveaux comportements sont observés aux 4 coins de la planète : « en Asie, les personnes accèdent à Internet principalement sur mobile. Une tendance, qui contre toute attente se retrouve aussi aux États-Unis, où les jeunes qui s’installent pour la 1ère fois ne souscrivent plus pour certains à un forfait internet traditionnel. La connexion se fait via le mobile (consultation directe ou partage de connexion vers un ordinateur) » selon Franck Thery, directeur conseil chez Extrême Sensio. « C’est la 1ère fois dans l’Histoire d’Internet que des personnes s’y connectent majoritairement depuis un mobile, et non depuis un ordinateur et une connexion fixe. Que ce soit par manque de moyens ou en faisant le choix de davantage de simplicité. » Renaud Ménérat observe des comportements similaires au Nigéria et plus globalement avec la génération Y.
A noter que l’essor des objets connectés soutient les approches mobile-only puisque, comme le remarque Franck Thery « la plupart des objets connectés sont conçus pour fonctionner exclusivement ou principalement avec des mobiles. C’est par exemple le cas du multicuiseur Cookeo de Moulinex, qui peut télécharger les réglages de cuisson de nouvelles recettes en se connectant avec un mobile (via bluetooth) ». Tout comme une Apple Watch ou une montre Withings ne sont faites que pour dialoguer avec un smartphone. De quoi apparenter le mobile à un vieil objet bien connu des foyers selon Martin Jaglin : « on parle de plus en plus du mobile en tant que télécommande de la vie connectée. »
Le terme mobile-only n’est-il pas prématuré ?
Si la tendance est en plein frémissement, n’est-il pas simpliste de prôner le « tout mobile » comme unique stratégie ? Les experts interrogés abondent dans ce sens : « Je ne vois pas le mobile-only comme une réalité. Parler de mobile-centric serait bien plus naturel » pour Vincent Frattaroli, CEO de Backelite. « Exclure l’approche desktop serait d’une violence inouïe, car déconnecté de la réalité digitale qui est faite d’écrans de tailles diverses ». Nous y reviendrons.
Les principaux ambassadeurs – probablement involontaires – du mobile-only sont des pure players comme Waze, Uber ou Instagram qui ont bouleversé des marchés entiers avec une unique app. Leur point commun ? Comme le remarque Franck Thery : « ils ont tous fini par développer une version web ensuite ! » Une version plus limitée, mais avant tout complémentaire, comme Uber qui via son interface web propose de télécharger les factures des précédents trajets. Ce qui fait dire à Martin Jaglin que « le mobile-only est un abus de langage : très peu de business reposent exclusivement sur le mobile. Il faudrait plutôt parler de % de l’activité passant par le mobile (dans le cas d’un Uber, 95% par exemple) ». La version web s’apparente dans ces cas là à « une étape suivant la validation du proof of concept qui se fait d’abord sur mobile, puisqu’il s’agit de la plateforme la plus propice à un lancement aujourd’hui » selon Franck Thery. Une telle démarche « rappelle les e-commerçants qui finissent par ouvrir des magasins après avoir entériné leur concept sur le web ».
Olivier Vigneaux tempère également l’enthousiasme du tout mobile : « 67% des internautes utilisent le mobile. Ce qui représente encore une perte de 33% » dont peu d’annonceurs ou entreprises peuvent se priver à terme ». D’autant que selon le co-président de BETC Digital, nous devrions « n’être qu’à 77% d’ici 2018 ».
Pour Franck Thery, « la radicalisation apportée par le mobile-only est cependant intéressante car elle témoigne de l’accélération de la prise de conscience du mobile par les entreprises ». Ce qui tombe bien, puisque « les utilisateurs n’ont pas attendu les annonceurs pour se ruer sur le mobile ! » Olivier Vigneaux confirme : « le terme mobile-only est inspirant car il représente une manière de se projeter dans les usages les plus modernes et les plus en développement, mais cela ne peut pas être la règle opérationnelle unique pour 2016 en tout cas. »
Si nous n’avons pas l’intention de mettre un terme à ce dossier dès maintenant, soyons clairs : le terme mobile-only s’apparente donc à un coup de gouvernail un peu trop franc, mais qui a pour but de remettre le navire des annonceurs dans la bonne direction. C’est à dire celle « d’une réflexion autour des attentes et habitudes de consommation des internautes » selon Alexis Cussonneau, trafic manager chez Intuiti, pour qui la priorité doit être de « penser usage et attente pour chaque écran ».
Que restera-t-il de l’ordinateur ?
« L’ère du desktop est derrière nous » selon Martin Jaglin. La part du desktop ne cesse en effet de se réduire, avec « 4 fois plus de smartphones que d’ordinateurs vendus en 2015 ». Ce que Renaud Ménérat explique par « une forme de cannibalisation avec environ 30% de l’usage des smartphones et 70% de l’usage des tablettes à domicile ». C’est à dire des usages mobiles, mais pas en situation de mobilité ! « La Société Générale annonçait récemment que 60% des interactions avec ses clients passent désormais par l’application mobile. Devant le site web mais aussi les agences ! Le mobile cannibalise donc plus que le web… »
Dans le cadre feutré des entreprises, comme le résume Claire Gallic, responsable communication d’Intuiti : « il est tout de même compliqué de se passer d’un ordinateur ! Imaginez-vous toute une journée sur une tablette ou un smartphone (même si les écrans se sont agrandis). Ouch. » Bien qu’il soit le référent mobile d’Extrême Sensio, Franck Thery ne se voit pas encore « rédiger une recommandation pour un client intégralement à partir d’un mobile ou d’une tablette ». En revanche, « l’agence réfléchit avec ses clients grands groupes à des services mobiles utiles au quotidien en entreprise. Par exemple, des services de réservation de salles de réunion conçus pour le mobile ou des notifications liées aux infos internes, car les intranets existants sont rarement pensés pour le mobile. » Olivier Le Garlantezec observe également « que pour certaines catégories de métiers, le mobile devient un outil qui se substitue au desktop, permettant ainsi de faciliter la prise de note, le partage d’information ou de présentation », dans un contexte de travail à distance, mais aussi d’accélération du temps.
Quel impact sur les campagnes de communication ?
Tous les experts interrogés s’accordent sur le fait que le mobile-first est désormais bien présent dans le brief des annonceurs comme en témoigne Olivier Vigneaux : « avant nous recevions des briefs digitaux, désormais les annonceurs nous interrogent d’abord sur le mobile et éventuellement sur le reste de l’environnement digital. L’ordre s’est inversé. » Face à un tel enthousiasme, Martin Jaglin appelle cependant à la prudence : le mobile est un appareil intime, car toujours présent sur soi. « La contrepartie de cette proximité est que le sentiment d’intrusion des marques sur le mobile est plus fort qu’ailleurs : aux marques d’activer les bons leviers du marketing / communication mobile, et ils sont nombreux et divers. »
Au delà du mobile-first, certains annonceurs ont-ils déjà mis en place de véritables stratégies mobile-only ? Les marques ont tendance à se faire bousculer par de nouveaux entrants mobile tels que « Tinder et Happn dans la rencontre, Stootie dans les petites annonceurs, Number26 dans le secteur bancaire en Allemagne » selon Martin Jaglin. « Les rares grandes entreprises qui ont opté pour le mobile-only sont celles qui ont créé des filiales / task forces séparées (Soon / Axa Banque ou HelloBank BNP Paribas par exemple), sinon le changement est trop radical à encaisser pour les équipes en place. » Pour Vincent Frattaroli, le but des grandes marques n’est pas d’être disruptif sur mobile, mais surtout de « réduire la différence de service entre le mobile et le reste des points de contact, afin de proposer une expérience uniformisée sur les différents canaux. »
Une bonne maitrise de l’expérience utilisateur et du parcours client compte donc davantage qu’une stratégie orientée sur un point technologique, comme le résume Claire Gallic : « Tout est une question de stratégie. Que veut la marque ? Quelles sont ses objectifs pour atteindre les utilisateurs. Je pense que la question à se poser n’est pas : faut-il partir sur une stratégie mobile only mais plutôt comment je touche au mieux ma cible ? Cela nécessite de la connaitre, de l’interroger avant de définir les supports de communication et dispositifs digitaux adéquats. » Ce que confirme Franck Thery : « nous essayons désormais de repartir du customer journey. Le contexte est et doit être le point de départ de la réflexion. »
Ce qui nous amène au multi-device, un environnement a priori complexe à maitriser pour les annonceurs et les agences, avec une chaine de création des messages et des interfaces plus variées que jamais. « Le multi-device s’avère néanmoins très simple si on se place du côté du consommateur » selon Franck Thery. « En effet, l’utilisateur a désormais le choix de consulter les horaires de la RATP au bureau ou en sortant du Franprix. Il n’y a rien de complexe là dedans pour lui, tant que l’info lui est accessible ». Au delà du mobile-only, « la bonne façon de faire » est pour Vincent Frattaroli – « même s’il n’y en a pas qu’une vu que tous les clients sont différents – c’est la cohérence : services, design, produit. Il est nécessaire que tous les canaux proposent la même offre, non dégradée. Il ne faut pas forcer l’utilisateur à changer de device pour effectuer certaines actions ». Pour Renaut Ménérat, « L’omnicanal est complexe. Il multiplie les formats, les technologies, les acteurs, les solutions de tracking et d’attribution qui ne sont pas les mêmes. Il faut bien comprendre le parcours du consommateur, la « user journey » du shopper, pour avoir un mix d’investissement en ligne avec son cycle de décision qui est aujourd’hui totalement délinéarisé entre les différents écrans et même le offline. Le Graal de l’industrie publicitaire est bien d’aller chercher ce suivi et cette vision 360° du consommateur quel que soit le média, y compris ceux qui n’ont pas encore totalement succombé au digital & au programmatique temps réel : TV, affichage, radio, presse ou point de vente. »
Quel impact sur l’achat média ?
Balayons une 1ère évidence : les pure players du mobile ont tendance à privilégier des campagnes mobile-only. Comme l’indique Hakim Metmer, co-Fondateur de Tabmo. Mais le « changement s’opère majoritairement dans la place qu’occupe le mobile dans les plans media et la façon dont il est adressé. On assiste à un rééquilibrage des investissements par rapport au trafic. Les marques les plus matures ont en effet déjà migré sur des stratégies Mobile First. Par ailleurs, certains objectifs (Engagement, Vidéo, Drive to store par exemple) sont particulièrement adaptés au mobile (mobilité, interactions, device intime) et les shifts de budgets vers ces devices ont été les plus importants. »
Si les investissements médias mobiles ont le vent en poupe, Jules Minvielle prévient que « le mobile doit être intégré en amont de la réflexion, et non pas tout à la fin. » Ce qui ne semble pas encore systématique, si on en juge les derniers chiffres connus : « il y a un vrai retard entre l’audience mobile (qui approche des 50% de l’audience digitale) et les investissements publicitaires mobiles encore proches de 20% (selon les chiffres du SRI). Il faut combler ce retard ! » s’emporte, à raison, Renaud Ménérat. Avec cependant une croissance de +63% entre le 1er semestre 2015 et son équivalent 2014 selon Olivier Le Garlantezec. « Néanmoins, le mobile est clairement sous-investi, encore aujourd’hui, ne représentant que 17% des investissements médias digitaux alors que le mobile représente bien souvent plus de 50% de l’audience digitale. »
Pourquoi un tel sous-investissement ? Probablement, car pour revenir à un point précédent, nous passons tous beaucoup trop de temps sur nos ordinateurs de bureau, en oubliant les usages mobiles de la vie personnelle… Plus sérieusement, pour David Pironon « L’écosystème digital s’est en effet complexifié, si on le compare à celui de début des années 2000. Le nombre d’intermédiaires entre les annonceurs et les publishers a considérablement augmenté. Et en parallèle, on assiste une fragmentation de l’audience qui ne facilite pas le travail des annonceurs. Sur le terminal mobile, notamment, il faut en effet arbitrer entre différents environnements. Par défaut, les annonceurs ont tendance à privilégier l’univers applicatif, et notamment l’environnement Apple. Mais les priorités se définissent de moins en moins par rapport au device ou à l’OS, mais plutôt en fonction d’une audience à toucher, quel que soit le canal exploité. Et les outils permettent justement d’effectuer ce travail pour réaliser des achats ciblés via différents leviers. » La complexité ne favorisant pas les investissements immédiats.
Perspectives
Et en 2017, parlerons-nous encore de mobile-first ? Pour Franck Thery « Au delà du mobile en tant que support, l’étape d’après c’est l’écran. Et sa taille. Il va y avoir une multiplication des écrans. Il faut davantage penser taille d’écran que device ». Olivier Vigneaux rêve même « d’un monde où tous les éléments dont on a besoin vont se retrouver dans un espace virtuel de type cloud qui réunira toutes nos interfaces personnaliséees. Nous n’aurons plus besoin d’un device personnel, l’écran deviendra une commodité, que l’on choisira en fonction de l’usage du moment. »
Dans un avenir plus proche, les différents experts interrogés s’accordent sur l’énorme potentiel des « invisible apps » : c’est à dire tous les services qui se grefferont à des apps existantes, comme Messenger, Whatsapp ou encore les SMS. Olivier Vigneaux imagine ce que les apps conversationnelles représenteront « de véritables petits assistants qui m’accompagneront dans mes achats, mes recherches… Nous nous rapprochons là du commerce IRL : nous aurons une conversation avec un vendeur mais qui est intelligent parce qu’il tient compte de nos goûts, de l’heure ». Ce qui pose d’autres questions : « en s’orientant vers des invisible apps, est-ce que je suis prêt à avoir le numéro de téléphone d’une marque dans mes contacts ? Est-ce que je suis prêt à avoir le 06 de Danone dans mon répertoire ? Et puis, ces services nécessitent énormément d’intelligence artificielle, pour au final avoir une interaction plus humaine avec un mobile ». 2017, année du mobile-invisible ? Affaire à suivre…