Facebook ambitionne de faire de Messenger le point de départ de toute expérience digitale.
2016 annoncerait la fin de l’hégémonie des apps sur mobile selon TechCrunch. En cause, une certaine « fatigue » due au nombre d’apps sur l’écran d’accueil, dans un contexte de lutte pour l’attention plus relevée que jamais.
En réaction, les plateformes de messagerie instantanée – Facebook Messenger, WeChat, voire des services SMS – se lancent dans l’e-commerce, la recommandation de contenus, en passant par le relationnel client. En ligne de mire, la volonté de s’inscrire dans tout parcours mobile et donc digital. Pour réaliser ce putsch, Facebook lancerait lors de la conférence f8 du 12 avril un store annoncé comme plus important que l’App Store, où l’on retrouvera un peu d’humain et beaucoup de (ro)bots. Découvrons ce que ce nouvel écosystème va apporter comme perspectives aux marques.
De quoi parle-t-on ?
Facebook Messenger est utilisé par 800 millions de personnes chaque mois. WhatsApp, qui appartient à Facebook, en revendique plus d’1 milliard. WeChat en compterait 650 millions, essentiellement en Chine.
Avec de tels usages globaux, les applications de messagerie instantanée ont comme ambition de s’approprier le titre de principal outil de communication personnelle au monde, voire professionnelle dans le cas d’un Slack (2,3 millions d’utilisateurs). Avec dans la liste des candidats à la disruption : l’e-mail, le téléphone voire Skype.
Propulsés par des notifications aussi incessantes qu’addictives, les apps de messagerie sont omniprésentes dans un parcours mobile et donc digital, puisque nous vivons dans un monde « mobile-first ». De quoi en faire le point de départ de tout usage d’Internet ? Cela ne fait aucun doute pour Ted Livingston, fondateur de Kik : « les apps de chat remplacent dans les faits le navigateur. » Marjolaine Grondin, fondatrice du service Jam abonde dans ce sens : « Lorsque notre accès à la technologie était dominé par les ordinateurs, le plus simple était de naviguer via Google. Avec le téléphone, le point d’entrée change : ouvrir les applications de messagerie est le nouveau réflexe. »
Or Internet ne se résume pas à des messages adressés à nos amis. Plus de 20 ans de pratiques numériques ont considérablement enrichi les usages, notamment d’un point de vue transactionnel et informatif. Afin de s’assurer de leur rôle central à venir, les messageries instantanées ouvrent leurs plateformes. Des partenaires s’intègrent aux apps de messagerie, comme par exemple Facebook Messenger qui en reconnaissant une adresse permet de commander un Uber. Ces partenariats de gré à gré étant par nature limités, des programmes plus vastes sont proposés, notamment dans le cadre de développement de bots, c’est à dire de robots conversationnels. Des bots qui ont la capacité de répondre à un utilisateur, de comprendre son langage de façon naturelle, et d’apprendre de ses erreurs (celles du robot, cela va de soi). A la façon d’un Siri, d’un Google Now ou d’un Cortana mais dans le cadre d’une messagerie.
Slack a annoncé investir 80 millions de dollars dans des startups développant des bots et autres intégrations pour son service de messagerie professionnelle. Facebook a montré la voie en développant M, un bot messenger à l’intelligence mi-artificielle mi-humaine, qui aurait réponse à tout. Afin que M ne soit pas le seul bot de Messenger, un « bot store » est attendu pour le 12 avril, permettant ainsi à n’importe quel acteur digital de proposer ses propres bots connectés à Messenger. De quoi lancer pour de bon le marché des « invisible apps », c’est à dire les services qui n’existent qu’en se greffant à des apps existantes. Les opportunités pourraient être considérables, vu les audiences atteignables. Voyons quelles sont les cartes que les marques ont à leur disposition dans ce tout nouveau jeu.
La relation client
Facebook a commencé à ouvrir Messenger à quelques marques, afin que celles-ci puissent échanger avec leurs clients, fans ou prospects. Une commande e-commerce chez Everlane pouvant déclencher l’envoi d’une confirmation de commande sur Messenger. L’acheteur pouvant ensuite dialoguer avec la marque comme bon lui semble.
Pourquoi ne pas proposer ces informations par e-mail ? Car les boites e-mail sont trop souvent devenues une incontrôlable mêlée de newsletters et de spams. Facebook Messenger et ses concurrents font le pari d’apporter une meilleure expérience grâce aux algorithmes et à une interface minimaliste.
De la même façon qu’il est plus naturel – et efficace – d’interpeller une marque sur Twitter qu’en contactant son service client, un message s’apparentant à un SMS adressé directement à la marque pourrait représenter un gain de temps pour les utilisateurs.
Si le programme Messenger for Businesses, n’est pas réservé aux bots de marques, ceux-ci ne devraient pas tarder à s’exprimer. Une solution telle que Nina Web de Nuance permet par exemple d’intégrer un assistant virtuel à un site web. Celui-ci répondant aisément aux questions les plus courantes, réduisant drastiquement les coûts de service client. La solution a initialement été développée par Virtuoz, une entreprise française rachetée par Nuance dont le co-fondateur est Alexandre Lebrun. Ce polytechnicien a depuis fondé Wit.ai, une startup acquise par Facebook pour être intégrée au projet M de Messenger. De quoi montrer la voie à bien d’autres bots orientés relation client…
Les transactions et l’e-commerce
Précurseur, WeChat permet depuis 2 ans de réaliser des paiements, que ce soit en ligne ou dans des boutiques. Snapchat s’est essayé au « snapcash » entre amis, depuis rejoint par Facebook Messenger.
Au-delà des paiements, nombre de conversations ayant lieu dans les apps de messagerie peuvent être sources d’achats : des dates de vacances pourraient initier la recherche d’un billet d’avion, une date pour déjeuner une réservation au restaurant… D’autant que les apps de messagerie ont la capacité d’enregistrer un numéro de carte bancaire et une adresse postale, ce qui centralise et fluidifie grandement le tunnel d’achat auprès de services e-commerce variés. Citons également Walmart qui oriente ses clients en magasins par SMS, indiquant où se trouvent les produits recherchés.
Reste aux marques à développer leurs propres solutions, en profitant notamment du Chat SDK de Facebook ou d’équivalents. De tels projets nécessitent cependant de mettre en place de l’intelligence artificielle et ensuite de soigner leur acquisition de trafic, dans un environnement peu défriché à date.
La marche serait-elle trop haute ? Une autre approche serait de dépendre de meta-services fonctionnant avec les messageries. Citons par exemple Assist, disponible sur SMS, Facebook Messenger, Slack, Telegram et Kik. Assist est un bot qui vous permet de commander en quelques messages des fleurs, un Uber, un repas livré à domicile, une nuit d’hôtel ou une coupe chez le coiffeur. Des concurrents comme Operator, Magic ou les français Clac des doigts et Toutcequejeveux proposent des services de conciergerie similaires. Les marques les plus transactionnelles pourraient se rapprocher de tels services, pour être bien intégrées aux réponses des bots.
L’information
Le site d’informations économiques Quartz a récemment surpris ses lecteurs avec une nouvelle app iPhone basée sur une conversation. Celle-ci sert à définir les goûts et les attentes du lecteur, mais aussi à délivrer l’information. Le ton se révèle bien plus proche qu’à la lecture d’un quotidien économique, ajoutant un peu d’affect… et donc de préférence de marque ?
À noter que Danone s’était également distingué début 2015 avec un twist similaire lors de la refonte de son programme relationnel devenu DanOn : dans l’app mobile, plutôt que de proposer un rébarbatif formulaire CRM, les informations sont demandées dans le cadre d’une conversation s’apparentant à des sms. Ce qui est bien moins intimidant.
Passons au tutoiement avec Jam, un service français de conciergerie qui a pour mission d’accompagner les étudiants au quotidien. Que ce soit en terme de sorties, de contenus, de recherche d’emploi. Le tout avec la simplicité d’un dialogue SMS et la finesse d’une relation amicale : Jam retiendra par exemple les dates de congés ou de partiels d’un étudiant, ce qui évitera de lui proposer une sortie en boite de nuit la veille d’un examen.
Cette proximité produit des effets inattendus comme l’a relevé Olivier Vigneaux, président de BETC Digital, au dernier SXSW : « Les progrès de ces intelligences sont en train de rendre le dialogue avec la machine de plus en plus pertinent. Et donc de plus en plus ‘émotionnel’ nous dit Julia Hu, fondatrice de Lark technologies, un système de coaching santé qui fonctionne sur la conversation avec des bots. Les utilisateurs hommes avouent y avoir un rapport libéré et donc plus efficace au programme, car ils ne se sentent pas jugés par la machine alors qu’ils le seraient pas un vrai nutritionniste. »
Comment les marques peuvent-elles réagir ?
Face à de telles mutations, qui avouons-le, pourraient remettre en question quelques principes d’un environnement digital déjà fort mouvant, les marques ont tout intérêt à expérimenter dès maintenant avec les bots et les messageries.
5 façons de s’y mettre :
1. Concevoir des dispositifs se connectant aux SDK des apps de messageries les plus pertinents pour leurs audiences. Ne pas hésiter à cumuler les API de ces services, à la façon d’un Assist qui est disponible sur toutes les messageries qui lui sont accessibles.
2. Se rapprocher de bots existants : Assist, M, Jam…
3. Reprendre les codes des messageries instantanées
4. Une fois familiarisées au conversationnel soutenu par l’intelligence artificielle, pourquoi ne pas proposer des bots dépassant le cadre privé des messageries ? Twitter propose pour cela un terrain d’expérimentation au reach important, comme l’illustre le Loveb0t de Durex.
5. Identifier les agences digitales et partenaires les plus en avance sur l’automatisation du conversationnel. Des offres ne devraient pas tarder à être popularisée, afin de rendre plus accessible la mise en ligne de bots sur les messageries. Le co-fondateur de Siri a d’ailleurs dévoilé Viv, une plateforme qui permet à n’importe quel service ou objet de bénéficier d’une intelligence artificielle.
Mise à jour du 25 mars 2016
Preuve que les robots conversationnels ont encore du chemin à parcourir, Microsoft retirait l’accès à Twitter à son intelligence artificielle Tay au bout d’une journée seulement. L’adolescente virtuelle s’étant mise à exprimer par tweet des propos racistes entre autres, au contact d’internautes mal intentionnés.