Après l’euphorie des débuts, l’âge de la maturité pour la relation web3 et marques ?

Par Élodie C. le 23/03/2023

Temps de lecture : 22 min

Entre 2021 et 2022, le sujet était sur toutes les lèvres et la furie médiatique à son paroxysme. Pas un jour sans qu’une marque n’annonce son drop NFT ou son entrée dans le metaverse. Pour un résultat plus que contrasté. Désireux d’être parmi les premiers à investir ces nouveaux mondes, Meta a lancé Horizon Worlds en grande pompe avant de reconnaître que son metaverse était un monde vide. Si nous nous demandions quel monde il dessinait pour les marques, le metaverse – et les tokens non fongibles – ne sont qu’une pierre dans l’édifice web3. 

Aujourd’hui, le bruit médiatique et l’attention des marques se sont reportés vers le dernier phénomène du moment, les intelligences artificielles génératives, ChatGPT, Midjourney, Stable Diffusion & Co. Assistera-t-on à une guerre des technologies ou une alliance entre deux innovations complémentaires ?

Alors que s’achève aujourd’hui la Paris Blockchain Week 2023, l’occasion est trop belle pour nous de nous interroger sur l’attractivité du web3 pour les marques en ce début de printemps. 

Web3, le soufflet s’écroule ?

S’il est encore un peu tôt pour parler d’âge de la maturité pour le web3 et les marques, l’euphorie de 2021-2022 semble déjà loin. Toutes les marques qui ont voulu se lancer ont eu l’occasion de le faire, avec plus ou moins de succès et de créativité. Une accalmie salutaire puisque, comme le relèvent Aristide Bui et Olivier Legris, fondateurs de l’agence de stratégie web3 native CRVE basée à Londres, New York et Paris, “cela a permis de filtrer entre d’un côté les marques vraiment intéressées et prêtes à prendre le temps de s’impliquer dans les communautés web3 et celles qui avaient un rapport plus opportuniste et superficiel”. 

Après la course à l’échalote aux premiers early adopters, l’heure est désormais aux explorations et expérimentations, c’est la phase de la pérennité note pour sa part Max Vedel, co-fondateur et creative director de la creative metaverse agency Swipe Back. “Comment s’insert-on intelligemment dans l’écosystème ? Qu’est-ce que l‘on construit ? Quelle communauté toucher ? C’est le vrai début du web3, celui où l’on commence à réfléchir à moyen-long terme, notamment avec nos clients qui nous contactent pour élaborer une stratégie sur la durée et non plus pour un simple one shot. Le sujet est toujours très présent chez les marques, mais moins visible, on travaille dans de meilleures conditions.

Laurent Bainier, rédacteur en chef de 20 Minutes, très bavard” sur ces sujets, observe ainsi que plusieurs grandes marques “se staffent”. “Les agences s’emparent des sujets web3, proposent de vraies expertises comme Havas Play ou des rendez-vous réguliers comme Razorfish avec I Want to break 3”. L’agence, fusion de Havas Sports & Entertainment et Socialyse Paris, dispose en effet d’une équipe de 7 personnes dédiées à ces sujets. Depuis 18 mois maintenant, elle accompagne des marques comme Hennessy ou Discovery Channel autour de “projets raisonnés et créateurs de valeur, seuls types à avoir survécu”, confirme Emmanuel Quéré, creative strategist chez Havas Play. L’agence a notamment noué un partenariat avec The Sandbox pour former ses collaborateurs à la culture web3 et aider les marques “à créer des expériences interactives engageantes pour activer leurs fans et clients.”  

Lire notre interview de Sébastien Borget, co-fondateur et COO de The Sandbox : « Dans le métavers, la créativité ne doit pas être bridée par les contraintes du monde IRL »

Aujourd’hui, il s’agit moins de s’emballer que de réfléchir au “formidable potentiel offert par ces outils”, estime Yannick Kryk, head of creative tech et senior copywriter chez WNP : “La blockchain a le potentiel pour révolutionner de nombreux domaines, tant pour ses capacités de traçabilité que pour la possibilité de créer des fonctionnement communautaires décentralisés, et les NFT peuvent changer radicalement notre rapport à la propriété, et devenir autre chose qu’une simple bulle spéculative sur le marché de l’art numérique.”

En effet, de CRVE à Accenture Song en passant par Wunderman Thompson et Havas Play, nombreux sont ceux à miser sur ces jetons numériques promis à intégrer le quotidien des gens, et leur wallet mobile. Ian Rogers, chief experience officer de la licorne française Ledger, voit dans ce portefeuille numérique, “le futur de l’identification” (relire notre interview). Cela prendra évidemment du temps avant de voir son adoption par le plus grand nombre, mais une fois parvenu à cette appropriation de masse, “des choses formidables” verront le jour “qui ne seront pas simplement des coups de communication qui surfent sur des buzzwords”, renchérit Yannick Kryk

En écho, Olivier Legris, dont l’agence CRVE est partenaire de la Paris Blockchain Week, rappelle que la plupart des marques ont lancé des opérations web3 avec essentiellement des objectifs d’image et de réputation. “2023 est un tournant avec une priorisation sur le business et la capacité de web3 à générer des revenus. Par exemple, dans l’industrie du luxe, les dernières annonces concernent non plus seulement des drops NFTs, mais la montée en puissance de Aura, une blockchain dédiée à la traçabilité et la lutte contre la contrefaçon.” Fruit d’un partenariat entre LVMH, Microsoft et ConsenSys, la startup nous démontrait l’utilité de sa technologie en 2019 au salon Viva Tech. 4 ans après sa création, Aura a évangélisé de nombreuses marques de l’industrie autour de ses services.

Lire notre dossier : NFT : véritable ruée vers l’or 3.0 pour les marques ou miroir aux alouettes ?

Dans le contexte de crise actuel et de restrictions budgétaires, il ne s’agit plus de s’aventurer dans des projets coûteux au ROI incertain : “Beaucoup trop de projets web3 pitchés aux marques prenaient l’angle de la création d’un token ou une collection NFT avec des promesses d’autofinancement et l’illusion que cela ne “coûtait” rien, se souvient Aristide Bui. Aujourd’hui on revient aux fondamentaux du “pourquoi lancer un projet web3” et quel est l’intérêt à long terme.”

Ce qu’on confirme chez OKCC Labs, le laboratoire d’innovation nouvellement créé de l’agence OK C’EST COOL dont Marc Horgues est co-fondateur et ECD : “Pour les marques, construire en s’adressant uniquement à un public de spéculateurs, jaugeant uniquement la désirabilité du NFT sur le marché sans s’intéresser à la relation avec la marque, c’est un très mauvais départ.” Le bear market que connaissait le marché des cryptomonnaies ces derniers mois et la chute retentissante d’acteurs majeurs du système “va permettre de faire le tri entre les projets sérieux et long terme et d’éloigner les personnes uniquement intéressées par le profit. Pour les marques, ce sera l’occasion de construire un écosystème et des communautés saines, en expérimentant à leur rythme sur des principes d’engagement et de co-création”.

H3NSY, la plateforme web3 d’Hennessy, a été lancée “sans genesis drop payant ou NFT à acheter” pour cette raison. “L’idée est avant tout de construire une communauté autour des valeurs de la marque, de discuter avec les créateurs, les artistes et les personnes qui souhaitent aider à co-construire les expériences qu’on proposera à l’avenir. Une nouvelle façon d’entrer dans le web3, et je pense que chaque marque devrait avoir la sienne.

NFT : de collectibles à utiles

Fini les drops ? Aujourd’hui, les unes sur les NFT ressemblent à ça.

Le NFT en tant qu’objet digital collectible inscrit dans une logique de business model centré sur la vente a vécu en ce qu’il n’est plus un axe de réflexion et de développement tel qu’il pouvait l’être au plus fort de sa tendance, estime Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson : “Ce n’est plus le coeur des discussions. Le web3 reste en revanche au centre de l’attention pour sa capacité à toucher de nouvelles communautés, à créer des passeports digitaux, à aider les marques avec un besoin de certification et de traçabilité ou dans une logique de CRM.

Emmanuel Quéré (Havas Play) confirme puisque parmi les trois nouveaux briefs reçus cette semaine, l’un d’eux est “assez représentatif du chemin pris par de nombreux « projets web3 » au sein des entreprises” : “Ils nous ont approché une première fois avec la volonté de développer des versions NTFs de certains de leurs assets « iconiques » dans une optique plutôt de « collectibles fans service » à « la Sorare » pour le résumer à gros traits. Aujourd’hui, ils ont bifurqué vers la création de NFTs utilitaires, lors d’événement notamment (donnant accès à certains services débloqués via de la gamification, ou preuve de sa présence à l’événement – POAP).

De nouveaux axes d’exploration et d’expérimentations émergent. Bao Tu NGoc, responsable web3 d’Accenture Song, en distingue 2 qui émergent plus que les autres : celui du futur des communautés et celui du futur de la data. Avec l’avènement des réseaux sociaux à la fin des années 2000, les marques ont trouvé “l’outil magique” pour construire et engager leurs communautés. 

Quinze ans plus tard, avec le modèle data-centric dominant des GAFAM, elles se sont rendu compte qu’elles ont en effet le « freedom of speech » mais toujours pas le « freedom of reach »”. Pour cela il faut payer et investir massivement dans des plans média avec une communication à sens unique. “Aujourd’hui, le concept des DAOs (Decentralized Autonomous Organizations) issu de la philosophie web3 par exemple nous propose une autre approche : on constate que lorsqu’un projet ouvre la gouvernance (le pouvoir de décision) à ses membres ou qu’il leur donne partiellement accès aux « equity » (une partie des bénéfices générés par ce projet est partagée avec les membres), ce projet transforme alors sa communauté de membres passifs en une armée d’ambassadeurs actifs prêt à promouvoir, à défendre ou encore à s’impliquer dans ce dernier.

Il donne ainsi l’exemple de Nike via le rachat d’RTFKT ou Adidas grâce à Erika Wykes-Sneyd, premiers à « expérimenter » ces concepts de DAO, avant que d’autres marques suivent “avec plus ou moins de justesse” : Audi, Lacoste, NYX, etc. Et le responsable web3 d’interroger : “Et si le futur des communautés passait par de vrais « incentives » qui offrent réellement des choses à gagner à celles et ceux qui donnent de leur temps et de leur énergie ?

Revoir l’émission Les Enjeux – la Réclame : Les marques doivent-elles plonger dans le metaverse ?

Pour ce qui touche à la data, le web3 est l’occasion rêvée – ou fantasmée ? –  de voir l’utilisateur reprendre le contrôle de ses données. Pour les marques, une question se pose : « Avec la rigidité des régulations et les difficultés croissantes à obtenir la data, comment faire pour continuer à maintenir un niveau décent de personnalisation pour ses consommateurs ? ». Pour Bao Tu NGoc, c’est là que les outils du web3 ont leur rôle à jouer notamment les jetons numériques et les digital wallets. “Avec des startups comme Hypermint et Arianee ou plus récemment le mastodonte Salesforce qui a lancé son « NFT Cloud », nous voyons de plus en plus de produits clés en main permettant aux marques d’émettre des jetons et explorer de nouvelles interactions avec leurs audiences.” Cela passe par assister à un festival, acheter un produit physique, écouter un morceau de musique ou encore regarder un film VOD : “Demain toutes ces preuves d’action pourront être matérialisées sous forme des jetons envoyés dans les digital wallets anonymes des utilisateurs. Chaque digital wallet sera alors un profil utilisateur différencié grâce à son lot unique de jetons. Une fois le digital wallet qualifié, une marque peut alors mettre un nom, une adresse de contact sur ce dernier avec toute la data que représentent les jetons qu’il contient.

Chez Razorfish, ces sujets de transparence et de sécurité des données sont au cœur des réflexions notamment en ce qui concerne l’amélioration de l’expérience utilisateur. “Ce qui est intéressant à regarder, c’est comment les marques s’approprient cette nouvelle norme digitale, explique David Ouanounou, directeur général ajoint de l’agence. Nous avons déjà vu certaines entreprises comme Nike et Louis Vuitton utiliser des applications décentralisées pour lutter contre la contrefaçon de leurs produits. Ou d’autres, comme Coca-Cola et Budweiser qui commencent à expérimenter le web3 à l’échelle avec des programmes de fidélité basés sur la blockchain pour récompenser les clients qui achètent leurs produits. Dans les mois à venir, nous verrons probablement de plus en plus de marques intégrer des technologies décentralisées dans leur stratégie commerciale pour améliorer leur relation avec les clients et renforcer leur présence sur les marchés numériques.

Web3 vs IA ?

L’emballement médiatique autour des intelligences artificielles génératives ne vous aura pas échappé. Médias, agences, créateurs de contenu, géants du web, artistes, créatifs, chacun teste et commente la vague (de remplacement) à l’œuvre. L’euphorie autour des IA génératives va-t-elle éclipser le web3 dans le cœur des marques ou lui permettre de se développer plus sereinement loin des projecteurs ? 

C’est la 2e option qui l’emporte pour Laurent Bainier de 20 minutes qui a lancé 20 Mint, un journal participatif sur le web3. Il prévient toutefois, “seuls ceux qui ont le temps et les ressources pour développer des projets dans l’indifférence du très grand public en tireront profit. Pour les plus fragiles, ce sont des expérimentations avortées, des budgets coupés. Et c’est dommage… Ce que fait Lacoste avec UNDW3 ou Renault avec R3NLT, pendant cette période d’eaux basses, leur donnera plusieurs longueurs d’avance quand on sortira de l’hiver web3.

Un sentiment partagé par Bao Tu NGoc d’Accenture Song qui observe que “l’intérêt est certainement retombé pour les grands « diseux » du dimanche qui subissent le FOMO (Fear of Missing Out) des nouveaux narratifs, mais pas pour les « faiseux » qui voient les technologies web3 comme une opportunité de construire un Internet plus décentralisé et plus juste ou encore de résoudre des tensions jusqu’alors insolvables.” “Les dynamiques n’ont jamais été aussi fortes” pour ces derniers note-il. Il en veut pour preuve la multiplication des évènements autour de ces sujets, comme NFT Paris qui a établi un nouveau record de participation avec 10 000 personnes sur 2 jours au Grand Palais Ephémère.

Pour Virgile Brodziak (Wunderman Thompson), cette accalmie est l’occasion de réfléchir sérieusement à ce sujets qui permettent de limiter la collecte de données, mais aussi de tisser un lien entre le possesseur d’un produit et la marque dans un processus de revente et de seconde main notamment. “Toutes ces approches plus stratégiques doivent être mises sur la table et anticipées. Demain, ces technologies devront faire partie intégrante de la proposition de valeur des marques.

Lire notre interview de Wunderman Thompson et Arianee au sujet des NFT de YSL Beauty.

Un laps de temps qui permettra peut-être au web3 de se débarrasser de l’aspect nébuleux et sulfureux qui l’entoure. À ce titre, IA et web3 marchent main dans la main. Comme le relève Emmanuel Quéré (Havas Play), nous nous retrouvons aujourd’hui avec le web3 est une “notion nébuleuse composée de nouveaux leviers qui permettent de créer des nouveaux points de contacts média, d’optimiser son CRM en le gamifiant et de tester de nouvelles logiques d’engagement communautaires”. Sujet de roman, films et montré comme la machine qui finira par nous remplacer tous, l’IA opère aujourd’hui “une irruption concrète dans notre réalité”. “Je ne sais pas s’il faut s’étonner qu’une technologie capable de battre les meilleurs joueurs d’échecs, de Go ou de Starcraft depuis des années soit capable aujourd’hui d’écrire un article, de créer un site ou faire de l’art à la manière de.” Le creative strategist la réduit néanmoins à ce qu’elle est, un outil : “c’est un peu le Thermomix du bureau”. Sentence qui à le mérite d’être rassurante… N’est-ce pas ?

Pour rassurer ou susciter l’intérêt du grand public, les marques n’hésitent pas à jouer avec les mots, voire à les faire disparaître. Max Vedel remarque ainsi qu’un shift s’est opéré récemment. Les NFTs étant connotés plutôt négativement auprès du grand public – il faut dire que l’avalanche de drops et de flops ne doit pas y être étranger -, des annonceurs comme Nike n’appellent plus les NFT ainsi,  mais “digital collectibles”, le terme “metaverse” quant à lui est moins utilisé, lui est préféré l’appellation de “plateforme immersive” (ou web immersif). Des termes qui ne suscitent pas une fatigue immédiate à leur lecture et sont peut-être assez flous pour susciter la curiosité… 

Le terme NFT va disparaître progressivement pour laisser la place aux véritables utilisations qu’il en est fait, prédit Marc Horgues (OKCC Labs) : “On achètera des œuvres d’art génératif, ou des habits virtuels pour nos avatars, ou des cartes de membres digitales et tout cela sera basé sur la blockchain mais de façon transparente. L’usage est déjà là, la technologie aussi, il ne manque que certaines briques pour que cela se répande partout, mais les géants de la tech y travaillent, de Microsoft à Salesforce pour citer les récentes annonces d’intégration web3.

Au final, ce sont les mêmes technologies et les mêmes outils, nous sommes  juste en train d’atteindre un stade de maturité”, poursuit Max Vedel. Swipe Back, qui “crée aujourd’hui plus de plateformes virtuelles que jamais auparavant”, et définit la stratégie web3 d’une marque du groupe LVMH, observe les annonceurs et directeurs marketing attendre que la hype et la connotation négative soient redescendues pour effectuer leurs annonces sur ces sujets-là.

L’intelligence artificielle, aujourd’hui sous le feu des projecteurs, vient s’ajouter à la réflexion en cours. OKCC Labs y voit “une analogie forte avec les NFT” : “On parle d’une technologie qui englobe beaucoup trop de cas d’usages pour que le terme soit valable dans le temps sans être rapidement galvaudé. L’IA est en train de révolutionner de nombreux secteurs, mais elle sera, à mon sens, à terme invisible.” Elle était déjà présente dans de nombreux outils sans qu’on le sache.  

À l’instar de Swipe Back et OKCC Labs, beaucoup estiment que les deux sujets n’entrent pas en concurrence, mais sont au contraire complémentaires.

« Le principe même de l’innovation, c’est de devancer l’usage. Alors forcément, on a un peu l’impression qu’une trend chasse l’autre, concède Yannick Kryk (WNP). En réalité, c’est un gigantesque arbre des possibles qui se crée ici, avec des apparentes divergences, mais surtout de potentielles convergences à plus long terme. C’est en s’appropriant une innovation que le grand public lui donne de l’ampleur et rend possible l’apparition de nouveaux usages. “L’important réside toujours dans la trace laissée. C’est une fois encore dans quelques années que nous en prendrons réellement la mesure. » Et que son usage massif sera garanti ou pas. 

Pour CRVE, il ne sert à rien d’opposer web3 et IA : “Ce sont deux révolutions passionnantes qui arrivent en même temps. L’IA est une révolution en termes de workflow, en particulier dans la capacité de créer du contenu ou de code, tandis que le web3 est une révolution en matière de partage de la valeur”, explique Aristide Bui.

Son associé Olivier Legris poursuit : “On peut même envisager l’IA et le web3 comme complémentaires. Grâce aux IA, chaque individu devient plus productif et la création de valeur est ainsi mieux distribuée. Dans ce nouveau monde nous aurons besoin de rassembler ces individus via des outils décentralisés comme les DAO, ou les communautés créatives NFT.” De même, grâce à ces outils, “il sera d’autant plus facile pour n’importe qui de lancer un projet web3, quel que soit son background. Vous pourrez utiliser Midjourney pour votre réflexion créative et des chats GPT pour du code.

Même son de cloche du côté de Razorfish pour qui ces technologies sont souvent complémentaires et “peuvent être utilisées ensemble pour créer des solutions plus puissantes”. David Ouanounou évoque ainsi ces applications décentralisées basées sur la blockchain qui peuvent utiliser des algorithmes d’apprentissage automatique pour améliorer leurs fonctionnalités et leur efficacité. Ou les chatbots basés sur l’IA qui peuvent être intégrés à des réseaux décentralisés pour fournir une assistance à la clientèle plus efficace et personnalisée.

Bien que les AI soient une technologie en croissance ultra-rapide, le web3 se situe sur un plan différent : il est une évolution du web et en ce sens constitue une révolution pour les marques et les consommateurs bien plus structurelle. C’est un nouveau paradigme où la data appartient au consommateur, avec la promesse sous-jacente de bouleverser le rapport de force entre les marques et leurs audiences et donc de réinventer la relation client dans son ensemble !

Havas Play teste ces nouvelles technologies IA “à toutes les étapes de (leur) processus créatif et sur tous (leurs) métiers avec deux règles d’or”, nous précise Emmanuel Quéré : “1, ne jamais questionner l’IA ou la nourrir avec des données ou briefs confidentiels de nos clients ; et 2, ne jamais mettre les marques pour lesquelles nous travaillons dans la situation où elles pourraient être attaquées par un auteur dont l’IA aurait utilisé ou réinterprété la création originale pour générer un visuel ou une vidéo.” 

L’avenir sera-t-il web3 ?

Déjà sujet de spéculations et suspicions, la fluctuation du marché des cryptomonnaies – qui vivait jusque-là un bull run avant d’enchaîner sur un bear market (puis un futur bull ?) et l’écroulement de FTX a “délégitimé le sujet crypto au sens large et conforté les crypto-sceptiques dans leur perception d’une bulle spéculative qui va nécessairement finir par percer. Et ce malgré la bonne résistance du Bitcoin ces dernières semaines”, analyse Benjamin Lévy, VP et managing partner de WNP. Ensuite, le contexte socio-économique favorise “les actions promotionnelles et court-termistes, quand il défavorise les innovations sans ROI garanti, sauf peut-être dans le secteur du luxe qui reste à l’avant garde de ces sujets.

Par ailleurs, malgré son empressement à faire la course en tête et après avoir investi des milliards de dollars dedans, “Meta / Zuckerberg a l’air de délaisser son métavers au profit des IA génératives, observe-t-il encore, ce qui laisse à penser que l’adoption des métavers sera bien plus lente que ce qui nous était annoncé. Il a devancé la tendance, peut-être un peu trop même…” En effet, dans une lettre au personnel, le patron de Meta a révélé que « l’investissement le plus important du groupe » porterait désormais sur l’intelligence artificielle. Le géant travaillant sur le sujet depuis des années déjà au sein de son laboratoire FAIRE (Facebook AI Research), ça laisse augurer des avancées phénoménales dans les prochaines années.

Pour OKCC en revanche, “le Metaverse est à mon sens loin d’être une idée morte, n’en déplaise à certains.” “L’accélération du développement de la réalité mixte est un signal certain, et je pense qu’on effleure à peine la portée des expériences immersives de demain.” Et “l’IA a un rôle crucial à jouer dans l’accélération de la naissance de ce Metaverse unifié, pérenne et interopérable, à la fois en permettant de générer des assets 3D, des textures, des mondes, voire des PNJ, des scénarios de gamification ou autres éléments essentiels. Mais également de façon plus structurelle, en permettant la modération de ces espaces, la passerelle entre un standard et un autre, la reconnaissance de l’espace physique et bien plus encore”, prédit Marc Horgues.

En revanche, les marques et entreprises ayant initié une réflexion profonde et une stratégie longue termiste sur ces sujets vont “s’appuyer sur leurs débuts parce qu’elles ont saisi les bénéfices de s’y plonger, mais également parce que c’est compliqué de faire machine arrière quand on a fédéré une communauté et commencer à construire un écosystème viable.” 

Bao Tu NGoc d’Accenture Song se dit d’ailleurs “très optimiste” quant à l’évolution du web3 : “Les arrivées de gros acteurs comme Salesforce dans le monde du web3 représentent des signaux rassurants pour l’écosystème dans son ensemble. Et chaque nouveau projet web3 de marque permet d’avoir une interprétation juridique nouvelle : le lancement du projet NFT de Porsche par exemple a permis d’ouvrir la discussion sur les conditions de remboursement liées au « mint » d’un NFT (achat initiale d’un NFT par un utilisateur).” 

Si les dirigeants n’investissent pas dans le web3 ce n’est, selon lui, pas par manque de moyen, “mais par manque de compréhension quant aux business models applicables”. Avec une approche holistique et les exemples concrets de ceux qui s’y sont aventurés (“merci aux first-movers”), les verrous sautent. “C’est le moment pour les cabinets de consulting et les agences de communication d’être patients et pédagogues, car en réalité il n’y a pas vraiment de résistance, juste des personnes qui ne cherchent qu’à être convaincus pour se lancer.

L’avenir semble aussi riche que prometteur dans la redéfinition de la relation marques / consommateurs. Chez Wunderman Thompson, il y a deux angles à surveiller, une partie CRM (comment je me sers de ce lien digital sans avoir besoin d’une base de données pour comprendre comment mes clients avancent pour les engager et les récompenser) et un angle qui préexiste aux NFT, la blockchain et le fameux passeport digital.

Un objet qui pourrait transformer le marché de la seconde main qui échappe totalement au producteur d’un bien actuellement puisque sa revente passe par des plateformes tierces, souligne Virgile Brodziak. “Le web3 permet de retrouver un lien avec le client final et permet d’étudier l’historique vie du produit.  Le passeport digital est la perspective la plus excitante à travailler pour les marques sur le marché de la seconde, par la compréhension qu’il offre sur la vraie vie d’un produit une fois sortie du magasin tout en reprenant la fin sur le client final que ce soit le 3, 12 ou 20e acheteur.” 

Ce qui fait dire à Laurent Bainier (20 Minutes) que “le cheval de Troie restera le NFT : on en utilisera de plus en plus et on en parlera de moins en moins. On achètera un ticket de concert, on recevra une carte de fidélité sans savoir que ce sont des jetons non fongibles. C’est par cette porte que les marques rentreront dans les wallets des consommateurs…” 

Pour CRVE, malgré les polémiques, les principaux moteurs principaux de l’adoption des crypto-monnaies et de la décentralisation sont toujours actifs et leur importance ne fait que se confirmer. En effet, “les sondages et études d’opinion montrent un rejet croissant des élites et de ce qui est perçu comme “le système”. (cf. Edelman trust Barometer). Par essence une technologie contestataire et anti-centralisation, la blockchain apparaît comme une façon de partager différemment le pouvoir et la valeur.” 

C’est souvent une des principales raisons évoquées par les détenteurs de crypto-monnaies, avec la volonté de “sortir” du système bancaire. “Le système financier accumule les crises, après les subprimes, vient maintenant Silicon Valley Bank et Crédit Suisse. Cela renforce les partisans de la décentralisation dans leurs aspirations à proposer une alternative. Alors qu’on évoque la fin d’un cycle monétaire, que les mécanismes de réserve fractionnaire des banques sont questionnés, une crypto monnaie comme Bitcoin décentralisée, limitée en quantité et régie par un code inviolable devient un actif refuge.”

David Ouanounou (Razorfish) voit “les technologies elles-mêmes continuer de se développer et de se perfectionner, notamment en matière d’interopérabilité entre différentes blockchains, de scalabilité et de sécurité. Avec à la clé des expériences utilisateurs encore plus riches et plus immersives, et des écosystèmes de produits et services plus intégrés.”

Logiquement, et on en voit les prémices, “la réglementation des blockchains et de crypto-monnaies devrait suivre, même si cela semble contradictoire avec l’esprit du web3, car les gouvernements et les organismes de réglementation commencent à comprendre les implications massives de ces technologies pour les marchés financiers, les transactions commerciales et la sécurité des données.

Ce n’est qu’après ces différentes étapes, et dans un temps plus ou moins long qu’une adoption massive pourrait avoir lieu. C’est l’un des enjeux du web3, estime Max Vedel (Swipe Back), onboarder le maximum de personnes : “Il y a un enjeu d’adoption et de déployer des stratégies sensées pour la marque sur du long terme. Il faudra ainsi veiller à proposer un cadre sécurisant, pour les NFT notamment. Nous allons assister aux premières stratégies réfléchies avec des enjeux commerciaux. Et pourquoi pas voir le web3 devenir un stream de nouveau revenu.” À l’avenir, les prochaines campagnes pourraient mêler web2, influence, et web3 dans une vision 360 comme cela se fait actuellement. 

Un avis partagé par Olivier Legris (CRVE) pour qui “la priorité des marques doit être d’aborder le marché non pas dans une logique d’extraction (faire payer les natifs web3), mais de démocratisation (onboarder de nouveaux utilisateurs). Le nombre de wallet actifs est au plus bas et les principales collections NFT (Yuga / Bored Apes ou Chiru Labs / Azuki) concentrent toute l’attention. Nous pensons que nous allons voir l’émergence de tooling business pour les marques qui s’intègrent avec l’écosystème web3, typiquement des solutions CRMs ou des wallets aussi simple à utiliser qu’un compte Google.

De la même manière que l’intelligence artificielle s’est peu à peu intégrée dans notre quotidien – “Google l’a fait, à bas bruit, avec une destruction créative lente” rappelle Emmanuel Quéré (Havas Play) – “l’adoption de masse, et donc l’adoption par les marques et leurs clients des technologies web3, passent par un niveau d’abstraction où l’utilisateur n’a pas besoin de comprendre qu’il interagit avec des outils web3”, estime Aristide Bui (CRVE).

Le lancement des NFTs de Reddit en est un bon exemple. “L’utilisateur n’a découvert que dans un deuxième temps que son digital collectible était en fait un NFT et qu’il en avait la pleine possession sur la blockchain.” La révolution est en marche et elle s’opère actuellement sous nos yeux. Sans 49.3. 

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