Un pilier culturel, de 10 à 70 ans (et plus).
Quel secteur peut se targuer de réunir près de la moitié de la population mondiale ? En 2023, le monde du jeu vidéo réunissait près de 3,38 milliards de joueurs allant de 10 à 70 ans (source). Un phénomène culturel qui prend de multiples formes et offre autant d’opportunités aux marques qui n’ont pas peur de s’y aventurer.
Peur ? Malgré des chiffres parfois renversants, les marques semblent encore frileuses. Il faut dire qu’au contraire d’une plateforme comme TikTok, unique point de contact dont on peut appréhender les codes, l’univers du jeu vidéo est aussi protéiforme que le nombre de titres, supports (consoles, téléphones, ordinateurs) et profils de joueurs existants.
Malgré tout, des tendances se dessinent permettant aux annonceurs de trouver leur voix/voie. Insights, chiffres clés, Arnaud Robin, head of Gaming chez Swipe Back, nous les présentent
Le gaming : média culturel de masse
Loin d’être une tendance passagère, le jeu vidéo a traversé les époques tout en en étant le reflet pour s’imposer aujourd’hui comme un pilier de la culture contemporaine, aux côtés du cinéma et de la musique. Arnaud Robin, head of gaming de l’agence Swipe Back, explique que le gaming, souvent perçu comme un territoire de niche, s’avère être un média de masse en pleine expansion.
Le jeu vidéo dépasse désormais largement les revenus combinés du cinéma et de la musique. En 2024, il représente plus du double de ces deux industries réunies (en termes de valeur globale de marché en 2024) : soit 282 milliards de dollars vs 124 milliards de dollars, en croissance de 8,7%. Arnaud Robin invite donc les décideurs marketing à revoir leur perception : “C’est une tendance de fond, ce n’est pas un phénomène culturel, c’est de la culture au même titre que le cinéma.” Avec son influence croissante et son poids économique impressionnant, le jeu vidéo redéfinit les contours de la culture de masse, ouvrant de nouvelles opportunités pour les marques en quête de pertinence.
Une audience massive et hétéroclite
Aujourd’hui, presque la moitié de la population mondiale joue à des jeux vidéo. Ce chiffre inclut aussi bien les adeptes de jeux mobiles simples, comme le Sudoku, que les joueurs de blockbusters, les fameux jeux AAA. Avec des innovations comme le cloud gaming, qui permet de jouer sans téléchargement, et l’essor des outils de création intégrés aux jeux, le public ne cesse de croître. Robin précise : « L’accessibilité des jeux est en constante amélioration. Consoles, mobiles, streaming, et même par le biais du cloud gaming : tout converge pour rendre le gaming omniprésent. Par exemple, des services récents, comme celui annoncé par Samsung, permettent de jouer à des jeux directement depuis des serveurs distants, sans avoir à les télécharger ni les installer, bouleversant ainsi les modèles traditionnels d’applications tels que ceux introduits par Apple il y a quelques années. »
Les gamers ne constituent pas un groupe homogène. Leur profil est diversifié en fonction de leurs habitudes et des attentes qu’ils ont vis-à-vis des jeux vidéo. Cette variété est précieuse pour les annonceurs, car les joueurs sont souvent des consommateurs influents, ouverts à des publicités pertinentes et attirés par des expériences enrichissantes. Une approche créative et immersive, comme proposer du contenu unique dans des jeux populaires tels que Fortnite ou Minecraft, peut renforcer leur engagement et leur connexion à une marque.
Arnaud Robin s’adresse ainsi directement aux directeurs marketing : “Vous qui représentez de grandes marques et qui, peut-être, percevez encore le gaming comme un phénomène de niche, associé à vos enfants ou petits-enfants, il est essentiel de comprendre que le gaming est bien plus qu’un simple loisir : c’est une véritable culture à part entière qui occupe aujourd’hui une place prépondérante dans le paysage culturel mondial.”
Les différents profils de gamers
– Ultimate Gamer
Description : Ce sont des passionnés hardcore. Ils passent de longues heures à jouer et recherchent des expériences immersives.
Habitudes : Jouent à des jeux compétitifs ou narratifs, souvent des blockbusters ou des jeux exigeants.
Exemple de comportement : Participer à des tournois ou explorer des jeux en profondeur pour en découvrir tous les secrets.
– Community Gamer
Description : Ces joueurs privilégient les expériences multijoueur et sociales.
Habitudes : Ils aiment interagir avec d’autres joueurs, que ce soit dans des jeux coopératifs, compétitifs, ou des communautés en ligne.
Exemple de comportement : Organiser des soirées gaming avec des amis ou se retrouver sur des plateformes comme Discord pour jouer ensemble.
– Mainstream Gamer
Description : Des joueurs occasionnels qui jouent principalement pour se détendre après une journée de travail ou pendant leur temps libre.
Habitudes : Ils sélectionnent avec soin les jeux auxquels ils consacrent leur temps, souvent des titres grand public ou faciles à prendre en main.
Exemple de comportement : Jouer quelques heures par semaine à des jeux populaires comme FIFA, Call of Duty ou Animal Crossing.
– Timefeeler
Description : Ces personnes ne se considèrent pas comme des gamers, mais jouent pour occuper de courts moments dans leur journée.
Habitudes : Ils s’adonnent à des jeux rapides et accessibles, comme Candy Crush ou Sudoku.
Exemple de comportement : Jouer sur leur téléphone dans les transports en commun ou pendant une pause.
– Backseat Viewer
Description : Ces spectateurs consomment du jeu vidéo à travers d’autres joueurs.
Habitudes : Ils regardent des streamers ou influenceurs sur des plateformes comme Twitch ou YouTube.
Exemple de comportement : Suivre les parties en direct ou visionner des contenus créés autour des jeux vidéo sans y jouer eux-mêmes.
Quel langage publicitaire ?
Cet univers et ses habitués n’accueillent pas la publicité traditionnelle sans adaptation. “Le gaming reste un territoire encore peu exploité par les annonceurs, surtout sur les consoles et les PC, ainsi que dans tout l’écosystème qui gravite autour du jeu vidéo (streaming, discussions, interactions sociales). Bien que la publicité soit déjà présente sur certains supports, comme les jeux mobiles, sous des formes classiques (affichage, interstitiels), ce n’est pas un endroit où l’on peut simplement transposer les vieilles formules publicitaires”, avertit Arnaud Robin.
L’audience, souvent réfractaire à la publicité classique, impose aux marques de développer des approches créatives et respectueuses des codes de cette culture. Par exemple, plutôt que d’afficher des publicités intrusives, les marques peuvent tirer parti des outils interactifs et immersifs intégrés aux jeux. Le head of gaming insiste : “Il faut comprendre la cible et intégrer la publicité dans cet univers de façon authentique pour créer des expériences pertinentes et engageantes.”
Les tendances et défis 2025
– Les jeux ‘bac à sable’
“Beaucoup de marques veulent créer des expériences au sein des jeux vidéo et dans des plateformes qu’on appelle des plateformes bac à sable comme Fortnite ou Roblox. Ces dernières donnent les outils pour pouvoir créer des jeux dans le jeu. »
Swipe Back donne pour exemple l’arrivée de Nike (avec Nike Land) et Vans sur Roblox, qui mettent à jour leur expérience extrêmement régulièrement. « Peut-être trois mois maximum, avec des nouveaux contenus, de nouvelles missions, de nouveaux jeux, des nouveaux cosmétiques, etc. »
Ces jeux permettent aux marques de s’immerger dans un univers interactif en créant des expériences de gameplay uniques, renforçant leur visibilité tout en captivant les utilisateurs avec des mises à jour fréquentes.
Une stratégie de contenu dynamique est essentielle pour maintenir l’engagement des joueurs et maximiser le retour sur investissement.
– Pas d’immersion sans ambition
« Ça coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros de pouvoir faire ce genre d’expérience parce que c’est du temps de game design, de concept, de 3D, de tests. Cela demande une certaine rigueur et un certain investissement », souligne Arnaud Robin.
« Avec un investissement de base important, on peut pérenniser, faire en sorte que ce jeu devienne un véritable produit vivant capable d’attirer et de fidéliser les joueurs, notamment si le jeu est populaire. » Et ce, tout en générant des revenus grâce à la monétisation intégrée. Ce qu’ont fait Nike et Vans notamment.
– De l’impact avec un budget limité
Certaines marques adoptent une approche plus économique en s’appuyant sur des solutions existantes, comme des partenariats avec des jeux populaires (ex. Tekken et Nike) ou des collaborations avec des créateurs indépendants de maps sur des plateformes comme Fortnite. Ces stratégies permettent une intégration réfléchie et pertinente sans nécessiter de lourds investissements.
“Il existe des initiatives à impact réduit mais tout aussi efficaces en termes de message. Par exemple, WWF a exploité une mécanique de Fortnite en demandant aux joueurs de renoncer temporairement à la destruction des ressources pour sensibiliser à la préservation de l’environnement. Ce type d’opération repose davantage sur une idée forte et un bon relais médiatique que sur des moyens financiers.”
– Complexe, l’univers du gaming ?
Malgré une audience massive et variée, avec des milliards d’utilisateurs sur différentes plateformes et des cibles allant de 10 à 70 ans et plus, pourquoi semble-t-il encore nécessaire de convaincre les marques de l’intérêt et des opportunités du gaming ? Quels sont les freins qui persistent dans ce secteur, pourtant aussi dynamique et porteur que d’autres médias émergents comme TikTok ?
Première piste, sa forte segmentation. “Contrairement aux réseaux sociaux comme TikTok ou Facebook, qui sont des plateformes uniques et clairement identifiables, l’univers du jeu vidéo est fragmenté avec des milliers de nouveaux titres qui sortent chaque année, explique Arnaud Robin. Quelques jeux, comme Fortnite et Roblox, se démarquent en proposant des outils et des indicateurs (KPI) adaptés pour attirer les marques. Par exemple, Roblox a récemment intégré une offre publicitaire directement dans son écosystème, démontrant qu’ils ont compris comment capter l’intérêt des annonceurs.
Cependant, la majorité des jeux vidéo ne sont pas conçus comme des plateformes marketing. Ce sont avant tout des produits culturels, sans intention initiale d’accueillir des campagnes publicitaires. C’est grâce à l’expertise des agences que des opportunités ont été détectées et exploitées, en veillant à respecter les codes des joueurs pour ne pas les rebuter avec des formats intrusifs.”
Ce processus nécessite du temps et une réelle maîtrise de l’univers du gaming, qui est nettement plus complexe que celui des plateformes sociales. Comme il l’explique, des réseaux comme TikTok investissent considérablement dans l’accompagnement et l’éducation des annonceurs pour simplifier leur intégration. En revanche, même des jeux très populaires comme Fortnite ou Roblox ne consacrent pas autant de ressources à attirer les marques, car ce n’est pas leur priorité économique principale.
Pour quels objectifs ?
Selon Arnaud Robin, 3 grands objectifs sont poursuivis par les marques, chacun offrant des opportunités uniques.
1. Pertinence culturelle et image de marque
Le gaming est un vecteur puissant pour renforcer l’image d’une marque et démontrer qu’elle comprend les codes et la culture des joueurs. Le but ? Établir un lien authentique avec des communautés spécifiques.
“L’aspect image est très important, comme le fait d’être en phase avec un phénomène culturel et de montrer qu’on est une marque qui comprend ces cibles-là. »
Dans les tournois de League of Legends, KitKat sponsorise la pause (le “break” en VO donc) avec un spot ciblé, en écho à sa tagline, “Have a break. Have a KitKat”. « Ça fonctionne très bien pour les viewers. »
En 2023, Lacoste Watches s’est intégré au jeu de course Trackmania avec l’activation « LACOSTE.12.12 RUN » pensée par l’agence mnstr. Leur montre connectée Costs’intégrait dans un mode « contre-la-montre » en collaboration avec le streamer de renom ZeratoR.
Ensuite, Tekken et Nike ont ciblé les fans hardcore de jeux de combat en annonçant leur partenariat lors de l’EVO, la grande messe mondiale des jeux vidéo de combat. « Ils sont allés s’adresser directement à ces fans-là, et ça avait beaucoup de sens. »
2. Awareness et edutainment
Pour informer ou sensibiliser, les marques utilisent le gaming pour offrir des expériences ludiques qui captivent les joueurs tout en transmettant des messages ou informations. L’objectif principal étant de pouvoir informer sur ses produits ou de faire passer des messages, notamment pour des associations, rappelle Robin.
Google a développé un jeu façon « Où est Charlie ? » pour mettre en avant son moteur de recherche. Les joueurs devaient retrouver les termes les plus recherchés sur son moteur de recherche parmi une masse d’illustrations. « C’était un moyen de pousser davantage Google dans un contexte un peu concurrentiel. » Avec TikTok et ChatGPT en embuscade.
Sur Roblox, IKEA, avec The Coworker, a embauché des vendeurs virtuels et les a rémunérés dans le cadre d’un coup RP visant à se positionner comme un employeur clé auprès des jeunes (au UK).
Enfin, dans une opération primée (VMLY&R Brazil), Greenpeace a revisité la map du jeu GTA en montrant une version submergée par la montée des eaux, sensibilisant au réchauffement climatique, Los Santos +3°C. « Le jeu vidéo a cette force de ne pas juste montrer des choses, mais de les faire vivre. Ça me paraît être la principale opportunité pour les marques quand il s’agit d’éduquer sur un produit : de montrer les avantages de tel ou tel choses. »
3. Monétisation et engagement direct
Certaines marques explorent des moyens innovants pour générer des revenus et créer des expériences engageantes :
– Gucci dans Zepeto, vend des objets virtuels et des vêtements grâce à de la monnaie numérique ;
– Pour la sortie du film Beetlejuice 2, le trailer classique par une expérience immersive sur Roblox, permettant d’acheter directement des tickets de cinéma. « C’était une première, et ça montre qu’on peut connecter des expériences dans le jeu avec des actions concrètes. »
– Dans League of Legends, KFC récompensait les joueurs avec des coupons échangeables en restaurant pour chaque victoire dans un jeu. « C’est un super initiative pour générer des revenus tout en connectant avec le produit. »
« La règle numéro un, c’est de placer les joueurs en premier. Ils veulent s’amuser, kiffer leur jeu. L’objectif de la marque, c’est de passer un message ou de générer des ventes, mais la valeur ajoutée de Swipe Back, c’est de trouver ce sweet spot entre les deux. »
Pour réussir dans le gaming, les marques doivent aussi :
– Diversifier leurs points de contact. « Faire un truc dans un jeu, c’est cool, mais si on n’en parle pas au-delà, personne ne sait que ça existe. » Il est important d’intégrer ces expériences à un dispositif global : influence, streaming, contenus médias.
“Pour Yop, l’agence a créé une map dans Minecraft en 2023 et dans Fortnite cette année. L’idée était de proposer du contenu inédit, conçu de A à Z, pour offrir aux joueurs une expérience divertissante et leur permettre de découvrir Fortnite sous un nouvel angle, à travers un jeu brandé. Ce dernier récompensait les joueurs d’une manière ou d’une autre, notamment avec des produits. Cependant, au-delà des récompenses, c’est l’expérience de jeu elle-même qui constitue la véritable valeur. Par ailleurs, ces joueurs, souvent influents dans leurs cercles sociaux, contribuent à recommander et à promouvoir les produits qu’ils découvrent dans ce type d’expérience.”
– Penser sur le long terme. « Beaucoup de marques font des one-shots. Pourtant, nous pensons qu’il est essentiel d’adopter une démarche itérative. »
“Cela rappelle les débuts des réseaux sociaux, il y a 15 ans, quand les marques se lançaient sur Facebook avec quelques publications. De nos jours, il est presque impensable qu’une marque ne soit pas présente sur les réseaux sociaux, sauf si cela fait partie d’une stratégie assumée.
Pour nous, le gaming suit une logique similaire : c’est un terrain riche, mais plus complexe, avec une grande diversité de jeux et d’opportunités. L’intégrer dans le mix marketing demande une réflexion globale pour maximiser la visibilité et atteindre les objectifs fixés, qu’il s’agisse de ventes, de notoriété ou d’image. Il est aussi crucial de mesurer les performances, car les jeux offrent aujourd’hui de nombreux KPI. Ces données permettent d’analyser les résultats des campagnes et de réitérer en optimisant les approches.
En somme, cette démarche doit fonctionner comme un cercle vertueux : on teste, on apprend, et on recommence, en améliorant continuellement. Mais comme pour les réseaux sociaux il y a 15 ans, il faut itérer et intégrer le gaming dans le mix marketing pour que cela devienne une habitude. »
Les chiffres du gaming
– 3,38 milliards de joueurs dans le monde en 2023 (Newzoo) ;
– 282 milliards de dollars de revenus générés dans le monde en 2024 (Statista) ;
– 82% des joueurs américains ont noué de nouvelles amitiés et relations à travers les jeux vidéo (Statista – étude Swipe Back) ;
– Au moins 5 profils différents de joueurs ;
– 40% des marketers envisagent d’intensifier leurs investissements en 2024 (étude IAB – Changing the Game) ;
– L’audience des gamers est 1,3 fois plus susceptible d’apprécier les publicités promouvant des nouveautés (Blizzard) ;
– 39% des gamers les publicités proposant des récompenses vs 29% des non gamers (Blizzard) ;
– 85% des annonceurs utilisent les mêmes metrics pour le gaming que les autres médias (IAB – Changing the Game).