Mise aux enchères de cet article : 1 ETH.
En une vente, à 69,3 millions de dollars tout de même, l’artiste américain Beeple, quasi inconnu du grand public jusqu’alors, a propulsé son nom, l’art numérique et les NFT sur le devant de la scène internationale en électrisant un marché de l’art ronronnant, crise sanitaire oblige, et que seul Banksy semblait émouvoir avec ses happenings savamment pensés. Peu de temps avant, le GIF Nyan Cat entrait dans la postérité de la culture web en s’arrachant un demi-million de dollars (300 ETH d’alors).
Quels sont ces objets dématérialisés qui se vendent à prix d’or (et au-delà de toute raison gardée) ? Pourquoi autant d’artistes, de marques, de personnalités et d’institutions surfent sur ce nouveau phénomène ? Quelles opportunités et risques amènent-ils dans leur sillage alors que le marché des NFT a connu une croissance extraordinaire de plus de 250 millions de dollars en 2020 contre 63 millions en 2019 (source Atelier BNP Paribas) ?
Nous avons interrogé une cercle restreint d’acteurs, agences (MNSTR, DDB Paris, pasdepubmerci, The Source) et marques (Atari et McDonald’s), pour décoder la frénésie autour de ces petits jetons numériques. Tentons d’imaginer, dès aujourd’hui le futur qu’ils dessinent.
NFT, CQFD ?
NFT pour Non Fungible Token. Trois lettres pour désigner un jeton cryptographique dématérialisé, unique et non interchangeable. Chaque NFT dispose de ses propres caractéristiques et de sa propre valeur. Ce jeton peut représenter un actif physique ou numérique, comme un tweet par exemple, dont le certificat d’authenticité est scellé dans à la blockchain ERC (Ethereum Request for Comment), ce qui le rend infalsifiable. Grâce à cette technologie décentralisée, sécurisée et transparente tous les aléas que connaîtra cet actif au cours de sa vie seront répertoriés et accessibles, qu’il soit vendu une ou des centaines de fois. À son détenteur la preuve de sa propriété, au créateur la paternité de son œuvre (ainsi que les droits d’auteur et de reproduction, comme toute œuvre d’art physique).
Depuis le début d’année, leur popularité explose après les ventes successives de plusieurs NFTs pour des milliers, voire des millions de dollars : de Grimes et sa collection vendue 6 millions de dollars à Jack Dorsey et son premier tweet à 2,9 millions de dollars. L’artiste Beeple quant à lui a fait mieux que les derniers Basquiat et Van Gogh… réunis !
Si vous n’êtes pas amateur d’œuvres digitales, spéculateur ou familier des cryptomonnaies et de la blockchain, il est donc fort probable que ce nouveau phénomène vous laisse quelque peu perplexe quant à son utilité et sa valeur. Pourquoi acheter à prix d’or ce qui peut être récupéré, dupliqué et diffusé à l’envi en quelques clics de souris ? « Pour parler en termes de collection d’art physique : tout le monde peut acheter une gravure de Monet. Mais une seule personne peut posséder l’original », résume The Verge.
Pour simplifier, c’est la version 3.0 des cartes Panini, des autographes de stars que l’on s’arrachait enfant, du t-shirt de la tournée Alive des Daft Punk de 2007, des cartes Magic dont la valeur atteint également des sommets, tout comme celles des cartes Pokemon. Ce qui rassemble c’est la passion ou l’envie de collectionner et de s’octroyer une part d’immatériel, d’art, de pop culture, de souvenir qui n’appartient qu’à soi, et qui prendra peut-être de la valeur.
NFT pour tous ?
Une grande partie de l’emballement suscité repose ainsi sur les spéculations autour de la rareté des certificats mis en vente. Plus ils sont rares et l’édition des œuvres limitées, plus sa valeur potentielle grimpe. Avec un marché de l’art à l’arrêt (musées et galeries fermés), de nombreux artistes, notamment très connus, ont vu une alternative possible avec les NFTs, d’autant que les plateformes et applications de création et d’échanges fleurissent, parmi lesquelles OpenSea, Nifty Gateway, Rarible, Mintable ou Makersplace.
C’est donc la ruée vers l’or 3.0, mais gare à la fièvre prévient Guillaume Carrère, head of strategic planning de l’agence MNSTR : « Il faut faire preuve de beaucoup de discernement face à l’emballement. Faire la part des choses entre les gros titres et ce que cela change véritablement pour une marque. » En 2017, les CryptoKitties, qu’on ne nomme pas encore NFT, connaissent un succès fulgurant (5 millions de dollars générés en quelques jours) avant de s’effondrer. Le Figaro les décrivait alors comme un système « à la frontière entre le Tamagotchi et les célèbres cartes à collectionner Pokémon ».
Land d’opportunités
Aujourd’hui, avec un marché des cryptomonnaies plus mature et des usages plus développés, des perspectives se dessinent. « Nous n’avions pas pressenti que ce collectibe de petits personnages très amusants, échangés pour des valeurs folles, allaient lancer un mouvement plus tard, reconnaît Guillaume Carrère. Nous avons entendu parler des NFT l’année dernière lorsque l’on s’est intéressé à la blockchain (pour nos sujets de prospectives), mais c’est vraiment en début d’année que nous avons pris conscience du phénomène à l’agence. On a compris la profondeur du sujet dans lequel s’insèrent les CryptoKitties à travers le nombre de champs d’application concernés. Les NFT font surtout échos à des choses très fondamentales par rapport au business de nos clients. »
« Les opportunités vont bien au-delà de la communication, le caractère inaltérable des NFT’s les rendent par exemple très intéressants pour en faire des certificats d’authenticité et permettre aux marques d’éviter la contrefaçon ou pour garantir l’exclusivité d’un produit ou d’une expérience », poursuit Pierre Guengant, Head of Social chez DDB Paris.
– Luxe
Le secteur du luxe s’est ainsi emparé de la blockchain pour lutter contre les contrefaçons et assurer la traçabilité de leurs produits, comme LVMH avec Aura dès 2019. Avec la technologie NFT, Arianee propose un certificat de propriété digital aux marques de luxe et du retail garantissant l’authenticité d’un produit tout en facilitant et sécurisant son éventuelle revente.
Contre 13 euros, Gucci offrait de son côté la possibilité d’acquérir une paire de chaussures inédite qui pouvait ensuite être utilisée dans le jeu vidéo Roblox ou sur le réseau social VR Chat.
Pour Mathieu Lacrouts, fondateur de l’agence Hurrah Agency qui a récemment mis aux enchères une campagne esport prête à l’emploi, « les NFT offrent une nouvelle opportunité de relation avec le client. Ce dernier pourrait ainsi acquérir un jeton non fongible auprès d’une marque puis obtenir l’exclusivité d’achat sur l’un de ses produits. C’est une premiumisation de l’expérience digitale. »
Comme il l’explique, dans l’industrie des jeux vidéo nombre d’entre eux ont un business modèle basé sur l’accès freemium au jeu associé à la vente de skins et d’objets virtuels : « Aujourd’hui, il est assez compliqué pour les fans d’acheter et de revendre les skins, quelques éditeurs tentent sans doute d’intégrer les NFT dans leurs jeux pour permettre ces transactions. »
– Jeu Vidéo
En mars dernier, l’éditeur français Atari a mis aux enchères des sneakers NFT conçues en collaboration avec le studio RTFKT qu’il était possible d’essayer via un filtre Snapchat en RA avant de les acheter. La OG Edition s’est vendue pour 10 ETH, soit plus de 18 000 dollars sur SuperRare, marketplace de NFT spécialisée dans la vente d’œuvres d’art numériques. Ces baskets peuvent ensuite être utilisées dans des jeux multi-joueurs basés sur la blockchain, comme Decentraland, The Sandbox et le prochain Metaverse d’Atari.
Le secteur du gaming n’a pas attendu la ferveur des derniers mois pour flairer le potentiel de cette technologie appliqué à l’univers du jeu vidéo. Skins (tenues en VF) et autres objets virtuels s’échangent déjà depuis de nombreuses années. Atari travaille ainsi sur ces produits depuis quatre ans maintenant, à ceci près qu’ils ne s’appelaient pas nécessairement NFT à l’époque, se souvient Frédéric Chesnais, PDG d’Atari : « Nous sommes une entreprise de jeux vidéo, cette technologie est naturelle pour nous, c’est notre cœur de business. Les NFTs se prêtent très bien à nos types de jeux, très simples, et à l’art d’Atari, foncièrement pixel, ils correspondent donc très bien aux œuvres numériques et ce que l’on retrouve dans les NFTs ». En début de mois, l’entreprise a dévoilé une nouvelle division dédiée à la blockchain et propose désormais son propre token ATRI.
– Sport et eSport
Lancé en 2019, Sorare mêle judicieusement football et crypto. Cette ligue de fantasy football mondial permet aux joueurs d’acheter, vendre, échanger et gérer une équipe virtuelle avec des cartes de joueur numériques qui lui appartiennent. Avec plus de 130 clubs de football partenaires à travers le monde et 50 000 utilisateurs actifs revendiqués, la start-up a généré 11 millions d’euros de ventes de cartes (dont une partie est reversée aux clubs) fin février.
À côté de cette plateforme, une autre startup explose en fonctionnant sur le même principe que le français Sorare, socios.com. La promesse ? « Be more than a fan » (Etre plus qu’un simple fan) et participer à certaines décisions de son club de foot favori (définies par le club lui-même), comme le design du nouveau maillot, à l’instar des fameux socios barcelonais. Le PSG a ainsi créé sa propre cryptomonnaie en 2018 pour favoriser et optimiser l’engagement de la communauté des fans en les impliquant dans la vie du club.
« La plateforme donne le pouvoir aux clubs d’aller créer des expériences de fans poussées via des tokens uniques, souligne Mathieu Lacrouts (Hurrah agency). Les clubs ont ainsi la possibilité d’avoir des interactions avec les fans en dehors du stade et des réseaux sociaux, de manière totalement décentralisée, et de les monétiser ».
Dans le sport, la National Basket Association réussie à monétiser son audience grâce à la plateforme NBA Top Shot (partenariat avec la société Dapper Labs derrière les CryptoKitties) permettant aux fans de collectionner des extraits marquants de match : cette séquence avec LeBron James a atteint les 208 000 dollars !
– Caritatif
Transformer les dick pics non sollicitées en NFT, ou les messages haineux des réseaux sociaux et les revendre pour financer des associations de défenses comme le propose The Hate Supermarket est possible. « La technologie peut ainsi se mettre au service d’associations qui voudraient réaliser des ventes aux enchères en full digital pour lever des fonds et générer des dons par ce mécanisme-là », estime Jacquelin Guillaume-Duverne, fondateur de l’agence pasdepubmerci à l’origine de l’opération #bideas visant à permettre aux créatifs de vendre leurs idées inexploitées en NFT. « C’est très intéressant d’un point de vue sociétal : partir d’un problème et le retournant peut-être assez dissuasif et intéressant comme forme de dénonciation », poursuit-il.
« Il y a quelque chose à creuser du côté des associations qui ont de plus en plus de mal à financer leurs actions : les gens ont parfois du mal à tracer l’utilisation des dons, les NFTs permettent de combiner les deux puisque la blockchain permet cette traçabilité et de rendre les appels aux dons plus ludiques et interactifs qu’actuellement alors que les associations peinent déjà à en obtenir, pointe Jacquelin Guillaume-Duverne. Cette solution permet également de casser l’aspect virtuel du don avec une forme de contrepartie tangible et concrète qui peut servir de levier pour convaincre certains réfractaires à franchir le pas. »
Une idée qui fait son chemin. De l’autre côté de l’Atlantique, l’agence Deutsch LA a dévoilée une collection d’art numérique — « Against Asian Hate » — visant à susciter des dons, à sensibiliser et à condamner la haine envers la communauté asiatique, rappelle quant à lui Guillaume Carrère (MNSTR). « C’est une opportunité très forte de mettre la technologie au service des l’engouement des marques. C’est clé aujourd’hui et présent dans tous les briefs que l’on peut recevoir : mettre la technologie au service d’une idée forte. »
– Événementiel
Secteur sinistré par la crise, l’événementiel pourrait trouver un nouveau souffle avec les NFTs. Ces jetons peuvent permettre l’accès à des expériences uniques et exclusives.
« Une marque de l’industrie musicale pourrait ainsi décider de transformer ses places de concert en NFT pour visualiser le parcours d’un billet (et ses éventuelles reventes) avant son utilisation finale en physique, imagine Mathieu Lacrouts (Hurrah agency). Un asset digital dont on connaît l’origine et les transactions peut être très intéressant pour des utilisations futures. » S’il observe des applications encore très axées sur la communication publicitaire avec des NFTs « très gimmick dans l’approche – et j’inclus notre campagne NFT dedans », il voit les NFTs devenir de vrais outils marketing, avec de vraies stratégies pensées autour de cette technologie et des produits associés. « À ce moment-là, nous aurons une vraie démocratisation du NFT ». Une démocratisation qui semble loin tant la technologie des cryptomonnaies exclut déjà une majeure partie des gens.
Guillaume Carrère voit aussi des opportunités se dessiner en termes de CRM puisque le NFT, en donnant accès à des objets, badges, expériences, contenus, etc., est une manière de récompenser une communauté autour de sa marque.
Toutes les marques ont-elles vocation à investir ce marché ? Les exemples récents nous prouvent qu’on y trouve de tout (et un peu n’importe quoi). C’est aussi la « beauté », ou le travers dirons d’autres, de cette technologie : elle permet toutes les extravagances créatives. Pour peu qu’elles s’inscrivent dans une stratégie définie et répondent aux besoins et enjeux d’une marque. Une chose est sûre, NFT et communauté(s) sont étroitement liées.
McDonald’s a ainsi vu une opportunité de s’adresser à tous ses publics tout en étant la première marque à se positionner sur le sujet en France. En collaboration avec son agence DDB Paris, la marque aux arcades jaunes a dévoilé une collection d’œuvres d’arts numériques uniques. « McDonald’s est une marque populaire, c’est dans son ADN. Populaire, moderne, et utile, explique Anne Lainé, directrice marketing de McDonald’s France. Nous nous devons d’aller chercher les tendances émergentes pour en parler avec nos consommateurs, jouer avec les fans qui attendent de leur marque fétiche qu’elle s’empare de ces sujets d’actualité. Pour nous, c’est également l’occasion de collaborer avec tous ceux qui font la pop culture. C’est notre terrain de jeu naturel puisque McDonald’s fait partie elle-même de la culture populaire. »
Avec cette campagne où 20 œuvres uniques étaient à gagner, la chaîne de restauration rapide souhaitait ainsi faire parler d’elle au-delà de ses produits. « L’ambition était de créer de l’engagement auprès d’une population encline à s’intéresser aux NFTs et créer de la conversation », poursuit Anne Lainé. Pari réussi puisque rien que sur Instagram, la publication du jeu-concours a généré 32K likes et plus de 25K commentaires. « Nous avons créé de l’engagement auprès d’une population complémentaire à celle avec qui l’on parle d’habitude. Ce qui est parfait puisque nous voulons parler à tout le monde, notamment à une population plus “geek”, et plus en phase avec les tendances tech. »
L’enseigne ne s’interdit pas de renouveler l’expérience. « Comme pour tout phénomène de tendance, nous allons surveiller son évolution, précise Anne Lainé. Notre velléité est d’être la première marque en France à jouer avec les NFTs. Il ne faut pas non plus y mettre plus d’importance. Nous n’avons pas d’autres ambitions que le jeu », nuance la directrice marketing France. C’est pourquoi McDonald’s a demandé à DDB Paris que la clé de répartition permettant à tout créateur d’une œuvre numérique de percevoir une rémunération à chaque transaction soit mise à 0. « Si tant est qu’il y ait des phénomènes de spéculation à moyen terme autour de notre collection NFT, nous ne voulions pas que cela soit fait au profit de McDonald’s, mais à ceux qui auront gagné ces NFTs. Cela nous tenait à cœur pour rester dans le jeu et la tendance. »
Les fans et les membres d’une communauté quant à eux ont l’occasion de montrer leur amour et leur loyauté. « Et ces timbres numériques sont des badges d’honneur », résume-t-on du côté d’Adweek.
« Tout ce système repose sur la communauté et peut être perçu comme une forme de mécénat, dans le meilleur sens possible : peu de créateurs réussissent véritablement à vivre de leurs créations en les vendant en tant qu’œuvre. Ils se passent donc par des intermédiaires, comme des marques ou des agences pour travailler, rappelle Valentin Feist, senior content producer & marketing chez The Source. Seuls les plus connus pourront peut-être s’affranchir des marques. Si tant est qu’ils le souhaitent ».
Pour les créateurs, les NFTs représentent un moyen de valoriser et monétiser des œuvres et idées, notamment celles qui sont reproductibles et diffusées à l’envi. « Les NFT ne sont pas faits pour être dupliqué à l’infini, mais pour proposer une mécanique afin qu’un artiste soit rémunéré comme il l’entend pour une création, si par la suite elle est reproduite et “consommée” l’artiste aura été rémunéré en amont pour son travail », estime Mathieu Lacrouts (Hurrah agency). L’utilisation majoritaire des NFTs actuellement le laisse donc « dubitatif » : « Mettre en vente des GIF qui existent depuis des années est un peu incohérent ». Avec le risque que cela crée de la défiance envers les NFTs dont l’utilisation ne fait pas véritablement sens pour la plupart des gens, contrairement à son application dans les jeux vidéo, avec Sorare, les cartes Pokemon ou les collectibles.
Pour Guillaume Carrère au contraire, la vente d’éléments mythique de la culture web des dix dernières années est « une manière rétroactive de célébrer, d’officialiser ou de reconnaître ces éléments iconiques de la culture web. » « C’est une très bonne chose pour tous les artistes numériques qui œuvrent depuis des années. Que ce soit en réalité augmentée ou avec des productions digitales, moins tangibles, et par nature moins reconnues par le secteur traditionnel. En décentralisant la manière dont ces œuvres sont monétisées, on officialise leur valeur et celle de ces artistes. »
Une reprise en main également saluée du côté de The Source et qui permet de revenir à une forme de propriété quand bien même elle serait partagée.
« Il peut également être intéressant pour eux de mettre un pied dans le monde des cryptomonnaies sans avoir nécessairement à miser de l’argent ou en perdre, leur revenu pouvant même être multiplié par rapport à la mise de départ », analyse Valentin Feist. Il précise toutefois que si la plateforme recrute ce type de créateurs, The Source n’a pas vocation à créer des NFT dans un temps proche, mais structure son MVC, la division de gestion des talents. « Et dans ce cadre, peut-être qu’ils voudront en faire pour avoir une ligne de revenu supplémentaire ».
Exemples d’applications
– Pringles créé un goût exclusif et virtuel le « CryptoCrisp » qui prend la forme d’un fichier mp4 ;
– Des cartes de baseball ou de football ;
– Le meme girlfriend overly attached vendu 411 000 dollars ;
– Les highlights de NBA Top Shot : « L’exemple le plus convaincant selon moi : tout le monde adore et joue avec. » Frederic Chesnais – Atari ;
– Tweets : le 1er de Jack Dorsey et celui avec le fameux sandwich proposé lors du Fyre Festival ;
– Collab Atari x studio RTFKT ;
– Article de journaux comme celui du New York Times ;
– NFT de personnalités comme Kate Moss x Vogue ;
– Les singles NFT de Boy George, Snoop Dog x crypto.com ou Lindsay Lohan ;
– La collection d’art numérique de Grimes ;
– La Bourse de New York sur crypto.com ;
– Caritatif : Taco Bell, The Fabricant x Adidas, The Hate supermarket ou le NFT de Snowden vendu 5 millions de dollars au profit de la Fondation pour la liberté de la presse ;
– Sponsoring : une joueuse de tennis vend une partie de son bras aux enchères NFT, le gagnant peut faire inscrire ce qu’il veut dessus ;
– McDonald’s avec DDB Paris : « un exemple intéressant puisque l’on crée une œuvre qui va avoir valeur pour quelqu’un in fine. Même si l’idée est de participer à un mouvement et mesurer la fan base« . The Source ;
– Pasdepubmerci : « On peut imaginer une variété d’usages dans le milieu créatif, comme une licence ou qu’une mission de freelancing soit validée par l’émission d’un NFT ou d’un token pour tracer et vérifier la conformité d’une réalisation« . The Source
– Atari Wax & Atari Land.
« Les exemples les plus convaincants sont ceux qui parviennent à s’approprier cette technologie pas uniquement à l’utiliser, et faire qu’ils soient structurants en termes d’activité, observe Guillaume Carrère. Comme NBA Top Shot avec la vente de highlights sportifs qui permettent d’engranger des revenus complémentaires tout en nouant un lien très fort avec ses consommateurs ».
Quid des créateurs ? S’ils génèrent des revenus conséquents, y a-t-il un risque qu’ils n’aient plus besoin économiquement des marques et agences ?
« Il n’y aura pas de place pour tout le monde, prédit le fondateur de l’agence pasdepubmerci. Ce ne sera pas un marché sans limites. Certains artistes en vivront très bien et d’autres non. À l’instar des artistes traditionnels, il s’opère une sorte de barrière à l’entrée, tout le monde ne parviendra à vendre son travail ou à des prix suffisamment intéressants pour être viable économiquement. »
Et pour ceux qui peuvent le faire, ils ne trouveront en face d’eux que des collectionneurs fortunés pour l’acquérir. La grande majorité ne pourra s’offrir un NFT de « célébrités » du marché.
Seuls les créatifs avec des audiences/communautés engagées et d’ores et déjà « adulés » pourront être indépendants économiquement, sans que cela ne les coupe nécessairement du travail avec les agences, prédit Valentin Feist. Certains créateurs, et heureusement, l’apprécient. Comme l’expliquait le rédacteur en chef de Wired, Kevin Kelly, dans un essai paru en 2008, un artiste a seulement besoin de 1 000 purs fans (1 000 True Fans en VO) pour vivre de son art : « 1000 followers qui achètent tes NFT valent plus que des millions qui n’achètent rien. »
Parmi les créateurs de The Source, Pablo Rochat a ainsi mis un NFT – Hypnotized pigeons – aux enchères à 1 ETH qui s’est finalement vendu près de 22 ETH, soit plus de 54 000 dollars (environ 45 000 euros). Le motion designer nantais Johan Petit avec 600 fans sur Instagram a vendu l’une de ses œuvres 0,50 ETH, et le « Emotionnal Flow » de Romain Laurent est parti pour 1 ETH. S’ils rééditent l’expérience, ces artistes peuvent très bien se passer de marques et agences.
Par ailleurs, les « purs artistes refusant le travestissement de travailler avec des marques et des agences vont peut-être pouvoir vivre de leur art. Mais cela favorise plutôt les superstars avec des revenus conséquents et qui bossent déjà avec des agences », avance Valentin Feist.
En revanche, ce nouveau marché peut faire émerger de nouvelles catégories d’artistes sous-évalués aujourd’hui, notamment les artistes digitaux déconsidérés par le marché de l’art. « Pas forcément des gens formatés par les écoles ou des passages en agences, mais des personnes qui y trouveraient le moyen de valoriser et proposer des idées directement sur le marché », prédit le fondateur de pasdepubmerci.
Si tous s’accordent sur l’opportunité que le marché peut représenter en termes de revenus supplémentaires, d’authentification pour l’auteur et de traçabilités, ils analysent diversement le risque réel d’une désintermédiation suscité par l’engouement autour des NFTs.
« Les agences pourraient perdre de leur impact, mais cela va de pair avec le sujet des créatifs qui se mettent en free plutôt qu’en agence, observe-t-il. Le rôle des agences sera toujours de faire correspondre des idées avec les enjeux d’un client. Avec #bideas le but pas d’acheter des idées totalement packagées, mais d’opérer un travail en agence pour adapter et préciser le travail afin de le rendre stratégiquement cohérent pour l’annonceur. »
Comme le concède lui-même Jacquelin Guillaume-Duverne, aucun créatif n’a déposé son idée en NFT pour le moment. « Il y a encore un travail de pédagogie à faire, les créateurs ne se rendent pas compte des opportunités que cela ouvre, il y a encore un peu de chemin à faire avant que cette technologie devienne grand public. »
Pour Guillaume Carrère, le mécénat de la part des marques existera toujours. L’implication avérée de certaines d’entre elles dans milieu artistique (comme Agnès B.) ne changera pas parce que des artistes auront moins besoin d’elles.
Il observe un très fort engouement lié à la période à l’isolement et notre plongée dans les mondes numériques. Un engouement qui restera très fort dans l’univers artistique selon lui.
Un phénomène pas sans risque
Comme tout phénomène émergent qui suscite un engouement parfois irraisonné, le marché des NFT a ses limites. Au premier rang desquels son aspect spéculatif. Qui peut prédire ce que vaudra le premier tweet de Jack Dorsey demain ou la toile numérique « The First 5000 Days » de Beep. C’est un risque que les acheteurs doivent intégrer avant d’investir puisque la valeur de leur acquisition repose, en partie sur la rareté du certificat, mais aussi sur les cryptomonnaies, l’Ethereum le plus souvent.
« À partir du moment où l’objet est non fongible, il existe un risque inhérent de valeur, et de valeur spéculative », souligne Anne Lainé de McDonald’s France. Il était donc important pour la marque de se lancer sans bénéfices spéculatifs. L’enseigne fait régulièrement gagner des objets physiques dans ses campagnes McDrop : doudounes, t-shirts, bananes, pins, etc., des produits qui peuvent être réitérés dans des quantités limitées. Les NFTs s’inscrivent donc dans le prolongement de cette stratégie. Physiques ou numériques, ces goodies font déjà l’objet de spéculation. Certains NFTs gagnés récemment seraient déjà sur leboncoin, comme les coupelles de sauce Big Mac le sont sur eBay ou les cartes Pokemon offertes dans les menus Happy Meal depuis le 13 avril à l’occasion des 25 ans de la franchise.
Certains observateurs voient donc dans le marché des NFT aussi bien l’avenir des collections et du marché de l’art qu’une bulle spéculative.
D’autant plus que la création d’un NFT est à la portée de n’importe qui avec un minimum de connaissance, suscitant une pollution créative avec l’apparition de token de mauvaise qualité, à l’instar des shitcoins sur le marché des cryptomonnaies. Il faut donc être un minimum initié pour distinguer ce qui a vraiment de la valeur, comme sur le marché de l’art traditionnel. La plateforme beeplegenerator.com s’en amuse et permet à tout un chacun de créer sa propre œuvre inspirée de l’artiste numérique américain.
Ensuite, et c’est la particularité du NFT, un acheteur n’est jamais pleinement propriétaire de l’œuvre acquise. Lors du processus de création d’un NFT fondé sur les smart contracts, et son enregistrement dans la blockchain — les plus courants étant le format ERC 721 pour les œuvres tirées à un seul exemplaire — le créateur décide librement des droits de propriété intellectuelle qu’il transfère ou non via le NFT. Ainsi, l’acheteur se porte acquéreur du NFT et non de l’œuvre, c’est-à-dire d’une reproduction de l’œuvre située au sein de la blockchain. Il n’est donc pas autorisé à en faire une exploitation commerciale, et ne peut en interdire son utilisation. Tout juste obtient-il le droit de jouir de la reproduction de l’œuvre dans un cadre personnel comme l’afficher dans son wallet… quand le fichier .JPEG de la production n’est pas supprimé par la plateforme en question suscitant l’incompréhension chez les non avertis.
« Si une startup qui émet des NFT fait faillite et cesse d’héberger ces œuvres d’art numériques, ces cartes de collection de basket-ball ou d’autres supports, les acheteurs pourraient se retrouver avec des jetons correspondant à des fichiers qui n’existent plus », prévient Business Insider.
Quand bien même les NFTs seraient réputés infalsifiables, ils n’excluent pas la fraude. Rien n’empêche une personne de tokeniser l’œuvre de quelqu’un d’autre et de chercher à la vendre avant son auteur, pointe Mathieu Lacrouts d’Hurrah Agency. Même si le marché de l’art est une communauté très soudée et attentive aux tentatives d’usurpation et de plagiat. « Avec la blockchain, j’opterai plutôt pour la sécurité et la transparence des transactions, elle permet de lever les doutes plus tôt puisque tout se passe aux yeux de tous, contrairement aux autres plagiats qui se découvrent trop tard », estime Jacquelin Guillaume-Duverne.
Enfin, la principale limite au marché des NFTs qui fait consensus chez tous les observateurs est le coût écologique de ces jetons numériques, très énergivores. Le minage des cryptomonnaies pose déjà question et sera sans doute l’un des principaux défis du secteur à relever pour assurer sa pérennisation.
« Beaucoup d’articles mettent en lumière le risque écologique lié aux NTFs. Ces derniers tournent principalement avec la blockchain Ethereum (ETH) qui, avec celle du Bitcoin, fait partie des blockchains les plus énergivores », rappelle Guillaume Carrère de MNSTR.
Une consommation d’énergie que l’on doit au minage Proof of Work (preuve de travail) de la blockchain Ethereum. Les spécialistes du secteur arguent cependant que le passage au Proof of Stake (preuve d’enjeu) devrait sensiblement réduire l’impact environnemental dans les mois et années à venir.
À l’heure de la goodvertising, des enjeux d’éco production et de RSE chez les marques en échos aux nouvelles attentes des consommateurs, cet impact écologique fera nécessairement partie de leurs réflexions et elles auront sans doute à cœur de collaborer avec les partenaires les plus « vertueux » possible : « Les clean NFT tournent déjà sur des réseaux moins énergivores et des alternatives existent comme Thezos », poursuit le head of strategic planning de l’agence MNSTR. Pourquoi ne sont-elles pas utilisées ? Tout simplement parce qu’elles ne sont pas connues.
Mathieu Lacroust juge ainsi l’impact environnemental des NFT « catastrophique » et explique avoir fait une donation à la WWF pour compenser ce que la création de leur campagne esport en NFT a coûté. « Nous avons vraiment hésité à faire cette opération, car en termes de consommation énergétique, elle revient à réaliser un Paris-Toulouse en voiture en aller simple », concède-t-il. Cette empreinte varie en fonction de l’œuvre à tokeniser ou du moment de la journée où elle est édictée. Tout à chacun peut évaluer l’impact écologique de son NFT en se rendant sur le site carbon.fyi par exemple.
Pour The Source, si le minage et les cryptomonnaies représentent un risque environnemental, le phénomène des NFTs reste encore trop marginal et naissant pour lui prêter tous les maux, notamment par rapport à d’autres formes de pollutions.
En revanche, il conviendra de surveiller certains secteurs déjà polluants, comme la fast fashion, pour qu’ils ne rajoutent pas de la crise à la crise. « Si H&M se met à produire un certain nombre de NFT, j’espère qu’ils se feront retoquer », tance le CEO d’Hurrah agency.
Et demain ?
Si l’avenir est déjà bien incertain, le phénomène des NFTs recèle un énorme potentiel pour l’ensemble de l’écosystème de l’économie virtuelle. Encore naissant, le marché devrait gagner en maturité.
Pour le CEO d’Atari, les NFTs représentent la prochaine évolution notable du jeu vidéo : « Nous verrons l’apparition de jetons de plus en plus sophistiqués sur les metaverse. Les NFT vont entrer dans une autre dimension, comme ce qu’a connu les CryptoKitties, des NFTs “craftables” (deux NFT associés pour en donner un 3e) vont apparaître. Aujourd’hui, à part le regarder et le revendre, il n’y a pas grand-chose que l’on peut faire avec un NFT, mais de nouvelles combinaisons vont voir le jour, ce n’est que le début. »
Toutefois, pour assurer sa survie, son adoption va être conditionnée à la facilité d’utilisation et d’accès à cette technologie, prédit Mathieu Lacrouts. « Aujourd’hui c’est une tannée ! Et le fait que cela soit très lié au crypto fait peur. Que se passe-t-il si demain je perds mon téléphone et donc mon wallet digital ? On sait sécuriser l’or et l’argent, mais la sécurisation des NFT, très volatiles, n’est pas évidente. Il faut imaginer que celui qui s’est offert le Beeple à 69 millions de dollars l’a sur son téléphone… En termes de sécurité, certaines questions de fond ne sont pas encore résolues. Il faut intégrer qu’on se soumet à un système de hacking potentiel ».
Pour pasdepubmerci, l’avenir du NFT réside surtout dans l’utilisation et la démocratisation de la blockchain alors que les applications intéressantes manquent : « Tout ce qui est nouveau offre forcément des opportunités pour les marques et l’un des fondements de notre métier est de se saisir de ces technologies et des mouvements de société pour réfléchir aux opportunités qu’ils pourraient apporter aux marques que l’on accompagne pour répondre à leurs besoins. Si le NFT permet à une marque de vendre des produits immatériels à ses clients, on peut très bien imaginer que la relation puisse s’inverser et que des clients vendent directement des produits immatériels à des marques et casse toute la chaîne habituelle d’intermédiaires qui rend difficile l’existence d’une relation directe dans ce sens. »
Guillaume Carrère voit également cette technologie évoluer « détournée de ses principaux champs d’application artistiques et collectibles, sur des thématiques de CRM et d’événementiel. Autant de champs d’application plus intéressants pour les marques pour faire vivre leurs communautés, les engager et leur faire vivre des expériences vraiment innovantes. »
Dans un monde qui, par nécessité avec la crise sanitaire, est devenu un monde virtuel, Anne Lainé de McDonald’s France se demande s’il n’y a pas un segment pour cet art numérique au-delà de la publicité, à chercher du côté des nombreux artistes qui s’emparent de cette technologie. « Cette tendance peut durer dans les semaines et mois qui viennent à côté de tous les phénomènes physiques existants. Même si ce phénomène n’a probablement aucune chance de remplacer le physique, c’est un bon complément pour pallier la pandémie (avec les musées fermés, l’absence de concerts, etc.) ».
Le modèle des NFTs pourrait également bouleverser le domaine de la propriété intellectuelle : « La valeur de cette authenticité peut retrouver une valeur presque fiduciaire, c’est une opportunité intéressante pour les créateurs », enchaîne Valentin Feist. La démocratisation de la technologie revient ainsi sur le tapis. Le développement de nouveaux usages apparaît donc indispensable : « Les non initiés ont du mal à comprendre comment on peut payer si cher une œuvre reproductible que l’on peut héberger sur son téléphone. L’aspect collection et art, sape un peu l’intérêt véritable de cette technologie pour la creators economy. Si les créatifs produisent des choses intelligentes autour des NFT cela peut être une révolution ! »