Les 9 tendances de la création publicitaire en 2022

Par Élodie C. le 27/01/2022

Temps de lecture : 25 min

La plus grande se situe entre le L et le N.

L’année dernière, à la même période, après une année 2020 que nous étions tous pressés d’oublier, le monde (de la création) publicitaire se voulait optimiste et s’accordait à dire que la technologie et le digital avaient été le pilier de la continuité. Pour l’année à venir, la création publicitaire française misait alors sur un engagement des marques toujours plus prononcé, sur de grandes épopées télévisuelles, une quête de sens et d’idées toujours plus créatives, même (voire surtout) dans la contrainte, ou encore sur le gaming et l’entertainment. Aucun.e n’avait alors sur les lèvres ces mots qui sont aujourd’hui incontournables : metaverse, NFT, Web3 (un peu moins pour celui-ci, on vous l’accorde).

Ils.elles ne le savaient pas encore, mais une mini révolution se préparait. C’était quelques jours à peine avant l’arrivée fracassante des NFT dans le paysage médiatique — avec la vente du GIF Nyan Cat pour un demi million de dollars (300 ETH), puis celle, record, de ​​l’œuvre numérique de l’artiste Beeple, Everydays : The First 5 000 Days, pour 69 millions de dollars chez Christie’s — et quelques mois avant que Mark Zuckerberg annonce sa volonté de faire du groupe une « entreprise metaverse », pour ensuite le rebaptiser Meta en octobre dernier (aussitôt parodiéjusqu’en Islande).

Il fait peu de doute que ces univers/artefacts virtuels prendront une large place dans les tendances de la création publicitaire 2022, mais rassurez-vous, notre panel de directrices et de directeurs de (la) création a les pieds sur terre et mise aussi sur le réel, les idées et un optimisme exacerbé.

1. Web3 et metaverse 

C’est une révolte ? Non, chers internautes, c’est une révolution. C’est un peu LA tendance dont en découlent plusieurs. Si le monde est toujours baigné d’incertitudes et vit au rythme de la pandémie et ses énièmes vagues, les nouveaux usages qui en émanent transforment le paysage publicitaire. Alors que le web 2.0 vit des jours heureux, entre interactivité, social, mobile et ultra dominance des GAFA, le voici concurrencé par l’avènement du Web3, son Internet ouvert, décentralisé et sûr, promettant de rendre le pouvoir aux utilisateurs.  

Comme le souligne malicieusement Fabienne Fiorucci, directrice de création de l’agence Dare.Win, « Oui, vous qui venez enfin de maîtriser TikTok, on est déjà passé à l’étape d’après. Celle de la prochaine évolution d’internet à base de blockchain, metaverse, et autres NFT. » De quoi en perdre son latin, mais si ces nouveaux termes sont visibles le Web3 et sa décentralisation promise font déjà débat du côté d’Elon Musk ou de Jack Dorsey, fondateur de Twitter. À leurs côtés, notre panel est partagé entre enthousiastes, observateurs attentifs et proactifs et réservés. 

Évidemment, « c’est nouveau, tout le monde en parle et ça sera forcément un nouveau terrain de jeu pour les marques. Et quand on sait qu’un particulier vient de dépenser 450 000 $ pour une maison virtuelle juste à côté de celle Snoop Dogg dans The Sandbox, on comprend à quel point on peut d’ores et déjà donner du crédit et du potentiel à ce nouvel univers », estime le duo de directeurs de création de l’agence Marcel Gaëtan du Peloux et Youri Guerassimov.

Les initiatives ne manquent pas. Fabienne Fiorucci évoque ainsi cette innovation déployée en NBA aux États-Unis où « pour la première fois, une équipe professionnelle a fait son entrée dans la Metaverse ». Les Brooklyn Nets offrent ainsi une « Netaverse » à leur public : « Un innovant système vidéo qui permet à chaque spectateur de se placer et se déplacer… comme s’il était réellement sur le terrain. Un principe d’immersion sans précédent, que nous verrons certainement se développer dans d’autres équipes et sport (rendez-vous bientôt sur la pelouse du Vélodrome) », parie-t-elle.

Pour Gilles Fichteberg, co-fondateur de l’agence ROSA Paris, cette tendance est encore un signal très faible. Si Facebook, avec Meta, tente la vulgarisation auprès du grand public, sa vision est « tout sauf metaverse au niveau de la décentralisation ». Les premiers balbutiements des marques tentant de s’inscrire dans cet univers-là s’illustrent encore trop fréquemment de façon classique, comme à travers les multiples drops NFT permettant d’accéder à des produits et/ou services qui ont été orchestrés ces derniers mois : adidas et ses collaborations avec Bored Ape Yatch Club ou Prada, Budweiser et Pepsi, mais aussi Nike qui, non content de se lancer dans le metaverse avec NIKELAND sur Roblox, a racheté le studio RTFKT connu pour ses sneakers virtuelles (comme ici pour Atari). 

« Il faut être attentifs, la tendance va se développer et de manière assez puissante. Les marques ont la capacité d’entrer dans l’univers du Web3 avec un acte créatif fort, puisque le storytelling, les roadmap sont au cœur de cette problématique-là, observe Gilles Fichteberg. Et comme en agence, le saut créatif se fait aussi autour du storytelling et la manière de raconter des histoires, un vrai gros travail va se mettre en place autour de ça en 2022. Les marques sont au tout début de la compréhension de cet univers, quand elles le comprendront véritablement, l’aventure créative va être incroyable. » 

GAFA vs Big Tech
Si les plateformes hébergeant ces univers virtuels sont multiples et accessibles au plus grand nombre — Microsoft vient d’ailleurs de prendre le train en marche en s’offrant Activision Blizzard pour la bagatelle de 69 milliards de dollars — les outils permettant une plongée immersive sont encore considérés comme des objets de niche avec un coût ne permettant pas un usage démocratique. À ce titre, ​​le metaverse est sans doute l’occasion toute trouvée pour Zuckerberg de justifier les 2 milliards de dollars dépensés dans le rachat d’Oculus en 2014. La bataille entre hardware et software, GAFA et big tech, semble d’ores et déjà enclenchée « pour devenir la destination N°1 de la téléportation virtuelle », note Sébastien Partika, directeur de création chez Productman (l’agence d’expérience de marque de Buzzman).

« La course aux pionniers du métavers a commencé et 2022 va la voir s’intensifier. Pour l’instant, à part dans l’univers du jeu vidéo qui a déjà prouvé beaucoup de créativité et d’efficacité dans l’invitation des marques dans leur gameplay, le metavers de 2022 ressemble encore beaucoup au metavers d’hier », relève Ghislain de Villoutreys, co-fondateur et directeur de création de Moonlike M&C Saatchi. Celui-ci évoque ainsi les micro-sites expérientiels de marque d’il y a 10 ans, qui avaient fini par disparaître, car trop chers à produire pour des audiences limitées, au profit de l’explosion des réseaux sociaux et l’avènement du Web 2.0. 

« La prochaine frontière sera celle du device qui nous propulsera dans le metavers, au-delà de nos écrans de laptop. Allons-nous massivement mettre des masques Oculus et plonger dans le métavers 10.0, réellement immersif ?, questionne-t-il. Hum… Le vrai changement à court terme, plus proche et réaliste, devrait se limiter à des nouvelles expériences de e-commerce, plus interactives et immersives. »  

Un avis partagé par Sébastien Partika, directeur de création chez Productman: « Tout comme Facebook a contraint les marques à pulluler sur sa plateforme pour se trouver lui-même un modèle économique, Meta mettra tout en œuvre pour que les annonceurs s’installent dans le monde virtuel et puissent le rendre viable. Dans ces mondes (dérivés du gaming et/ou des plateformes sociales), il ne sera pas rare de croiser l’avatar d’un influenceur qui viendra nous vendre une fiole de boost brandée Red Bull avant d’aller tronçonner quelques zombies, ou de faire évoluer votre personnage dans des rues qui ressembleront plus à Gstaad et ses boutiques de luxe, qu’à celles d’Ard Carraigh (du jeu vidéo The Witcher). »

Un monde de créativité
Pour Mathieu Vinciguerra, executive creative director de l’agence WNP, ces univers mêlant Web3, NFT, cryptomonnaies, attirent de plus en plus de monde et ne sont plus restreints aux seuls « nerds ». Alors qu’en 2017, le patron de la banque JP Morgan qualifiait le bitcoin de « fraude » qui allait exploser en plein vol, la banque autorise désormais ses clients — bon gré mal gré — à investir dans la cryptomonnaie, rappelle-t-il.

« Le metaverse ce n’est pas Fortnite, qui n’est qu’un simple jeu vidéo avec une communauté très forte, souligne le créatif. Le metaverse matérialise la réunion de la vraie vie et de la vie digitale, dont les frontières sont déjà bien mélangées depuis quelques années, et encore plus depuis le Covid. J’espère que ce ne sera pas glauque, mais au contraire très créatif et excitant. » 

Même son de cloche du côté de Sid Lee Paris : « Notre vie digitale fait désormais partie intégrante de notre réalité. Et c’est souvent dans ces espaces virtuels que les communautés se retrouvent, et que l’on se sent le plus à même d’exprimer qui on est, rappellent Céline et Clément Mornet-Landa, co-directeurs de création. Aujourd’hui beaucoup d’ado préfèrent que leur skin ait une paire de Jordan dans Fortnite plutôt que de les porter eux-mêmes. »

Pour le duo créatif, c’est la possibilité pour les marques de « s’adresser à ces communautés de façon affinitaire et privilégiée, à condition d’en connaître les codes et d’en respecter les règles. Ces metaverses seront forcément un terrain de jeu sur lequel s’amuser en création. »

Mélanie Pennec, directrice de création chez DDB Paris est d’ailleurs prête à « miser tous [ses] bitcoins [sur] le monde merveilleux du virtuel (alors que, croisons les doigts, on re-vivra comme avant dans la vraie vie) » : « Publicité ciblée, boutiques dans le métaverse, NFT à gogo, comme un e-monde nouveau. La demande explose, à nous d’être aussi créatifs que dans la vraie vie maintenant. »

« Tout ce qui est lié, blockchain, crypto, Web3 et décentralisation, va représenter un terrain d’opportunités pour les créatifs, poursuit Mathieu Vinciguerra (WNP). La technologie est mûre : les jeux vidéo et le gaming vont être un outil, les technologies haptiques (gants, capteurs) et les casques de réalité virtuelle aussi, et les avatars vont même pouvoir être des éléments avec lesquels communiquer. Nous ne sommes d’ailleurs jamais autant créatifs que lorsque nous devons nous adapter et nous réinventer. Pour les marques, le metaverse, c’est la promesse d’accéder à de nouveaux publics et d’innover sur leurs produits. Pour nous, c’est la promesse de se réinventer. »

Déjà des anti-metavers ?
Sans se faire les oiseaux de mauvais aussi ou les empêcheurs de tourner en rond, le duo de directeurs de la création chez TBWA\Paris, Benjamin Marchal et Faustin Claverie, imaginent qu’en créant un monde à part, à la manière des anti-vax, apparaîtra sans doute des anti-metaverse : « Même les jeunes ont marre de ce système », rappelle Benjamin Marchal

Il poursuit : « Dans l’industrie de la publicité, on ne fait que parler de ces usages-là, mais 90 % d’entre eux ne font pas comme ça, pas comme nous on l’imagine à Paris. On ne fait que regarder les usages geek, puis on les généralise. Ce sont des usages très pointus, qui font peur à tout le monde en réalité, et cela ne représente pas la vérité des usages de la majorité des gens. Le metaverse, etc. est un prisme très parisien, et ne prend pas en compte les usages simples. »

« Personne n’ose critiquer les usages d’internet, estime encore Benjamin Marchal, nous sommes dans des métiers de perception, le risque est d’être catalogué de has been (ou sa version ’20 : de boomer, NDLR). Pourtant, on peut critiquer et retrouver cet esprit critique français, où tout se discute, tout en travaillant dans cette industrie. Tout n’est pas parfait et c’est à nous de défendre le peu qu’il reste à défendre : les idées, c’est l’essentiel. »

2. Le tsunami NFT

Comme nous nous le demandions dans notre dossier consacré au métaverse en octobre dernier, le NFT sera-t-il le futur modèle économique du metaverse ? De l’art numérique aux skins, sneakers et autres objets virtuels, le NFT (Non Fungible Token) est désormais indissociable des univers virtuels où à peu près tout peut s’acheter et se revendre.

Comme le prédisent Gaëtan du Peloux et Youri Guerassimov (Marcel), si 2021 a signé l’explosion du phénomène NFT, « ça va être bien pire cette année : une pluie de NFT dans les communications des marques va s’abattre sur le monde, jusqu’à l’overdose. » Sortez vos parapluies, car il y aura, « beaucoup de trucs gratuits et sans intérêt, juste pour paraître moderne ». « Et comme d’habitude, quelques brillantes exécutions viendront montrer à quel point les NFT sont un moyen supplémentaire pour les marques de se connecter puissamment avec leurs cibles et de créer de la discussion, de la visibilité et bien sûr du earned média », prennent-ils soin d’ajouter.

Pour Ghislain de Villoutreys (Moonlike M&C Saatchi) : « On en est encore à l’âge de pierre des NFT, ou à l’âge de pixel ;) Le potentiel est énorme pour les marques. Le terrain de jeu est illimité pour créer de nouveaux liens privilégiés entre elles et leurs audiences. Comme imaginer une nouvelle génération de campagne promos par exemple : gagnez le track de la musique de la pub en NFT ? Ou un portrait en NFT de notre égérie, dédicacé ? » 

Si la tendance est la plus forte dans l’art, le luxe et la mode, cette technologie permet avant tout « de garantir l’authenticité d’un fichier (photo par exemple) via un certificat numérique, et de redonner une réelle place à l’utilisateur en tant que créateur, rappelle Fabienne Fiorucci (Dare.Win). Du tout premier tweet vendu par le fondateur de la plateforme 2,9 millions de dollars, à la vente, plus récente, du meme Side eyeing Chloe qui s’est arraché à 74 000 dollars par un studio dubaïote.

Ainsi, pour la directrice de création : « Même si le principe initial de Web3 est controversé, et son impact pérenne discuté dans les plus hautes sphères de la Silicon Valley, il offre de nombreuses possibilités à surveiller de très près et à appréhender dans nos métiers avec humilité. Oui, aujourd’hui on découvre tous cet univers et personne n’est capable de donner une définition précise du metaverse ou du Web3. C’est ensemble que nous allons définir tout cela, avec au centre : les communautés. Alors osons, essayons des choses, arpentons ces nouveaux terrains de jeux avec envie, ambition et responsabilité. Ne cassons pas le jouet dès à présent. Le Web3 pourrait “owner” cette décennie. Nous ne sommes finalement qu’en 2022. »

3. Les communautés

Emile Durkheim disait, l’individu est la religion du monde moderne. La société contemporaine a exacerbé le mythe de l’individualisme performatif à outrance. Pourtant, depuis quelques années, les gens se définissent de moins en moins en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une communauté, notent Céline & Clément Mornet-Landa. « Alors que pendant des décennies les marques ont cherché à parler au plus grand nombre avec le message le plus large possible, aujourd’hui les gens ont envie qu’on s’adresse à leur groupe intime, sur une thématique forte qui leur tient à cœur. » Ce qui devrait offrir de nouvelles opportunités en création, prédisent-ils.

« Jusqu’ici les marques s’appuient énormément sur les influenceurs pour bénéficier de leurs abonnés. Mais il faudra de plus en plus que les marques aient leur propre communauté. » D’autant que les influenceurs sont vraiment sortis renforcés de la pandémie. Quand certains les prédisaient déjà finis, ils ont su se renouveler et se mettre à l’écoute et au diapason de leur communauté. Pour Gaëtan du Peloux et Youri Guerassimov (Marcel), « les influenceurs vont de plus en plus être créatifs dans leur rôle et leurs prises de parole. Ils vont de moins en moins se contenter de reposter des opérations de communication et vont proposer des contenus de divertissements complémentaires aux campagnes qui vont venir nourrir les plateformes des marques. »

Comme on peut le voir sur TikTok observe Ghislain Villoutreys (Moonlike M&C Saatchi) : « Avec son usage exclusivement vidéo à la première personne, et avec un temps passé de plus de 1 heure par jour pour les utilisateurs réguliers, TikTok crée une relation quotidienne quasi live entre les tiktokers stars et leurs fans. Ce qui explique que les stars de TikTok sont en train de devenir les influenceurs les plus puissants du monde. En 2022, on devrait les voir de plus en plus dans la pub, comme récemment Francis Bourgeois dans les campagnes Gucci x North Face. »

En outre, toutes les marques ne peuvent pas se prévaloir de 195 millions d’abonnés sur Instagram comme Nike ou d’une communauté active comme celle de la marque Peloton bâtie notamment à coup de fitness interactif lors du confinement. 

En dessous d’un certain nombre d’abonnés sur Instagram ou TikTok, « il sera de plus en plus compliqué pour une marque d’être audible et crédible dans son discours. Et pour cela il ne faut pas simplement bien s’adresser à sa communauté, il faut réellement partager les mêmes mots, les mêmes références… Et surtout les mêmes valeurs et les mêmes combats de façon authentique, au risque pour la marque d’être démasquée et rejetée. » 

Ils en veulent pour preuve Blanche Gardin et sa série La meilleure version de moi-même, qui s’est pris les pieds dans le tapis du féminisme et la sororité avec son regard satirique : « Ce n’est pas si facile d’intégrer une communauté, et que — comme pour le green washing — on pourra rapidement voir les marques qui souhaiteront s’attribuer des valeurs et des combats de façon trop intéressée. » Ainsi, « au-delà de créer de la désirabilité sur ses produits, une marque doit également désormais travailler autour de ce besoin de créer un sentiment d’appartenance fort, et c’est un super challenge pour tous les créatifs. »

4. Far from Time

Et si on prenait le temps ? Dans la frénésie du monde actuel, en perte de sens ou une information en chasse une autre, où l’on a l’impression que le temps nous file entre les doigts, une tendance apparaît « inévitable » à Frédérick Lung, directeur de création au sein de l’agence Romance, le long terme : « En ces temps de crise, ce sont les marques qui arriveront à construire des territoires sur le long terme qui s’en sortiront le mieux. Dans une période incertaine et changeante, les marques doivent offrir des repères et une forme de stabilité aux consommateurs. À l’opposé d’une stratégie de coups, cela implique pour elles de développer des territoires qui s’appuient une vérité de notre époque et qui donnent naissance à des créations qui, les unes après les autres, nous projettent vers des lendemains meilleurs. »

Un vœu partagé par Mathieu Vinciguerra (WNP), qui ne souhaite pas « nourrir la bête » : « Nous n’avons plus le temps de travailler correctement, les délais se contractent. Le retour au temps long, c’est prendre le temps de faire mieux les choses, de donner plus de respect à ce qu’on fait que ce soit les créatifs, les agences, ou les agences-conseil, en les rémunérant sur les pitchs, sur lesquels on peut passer 6 mois. Le métier meurt peu à peu à cause du temps et de l’argent investis à perte. J’espère qu’il y aura une véritable prise de conscience dessus, avec un retour à des pratiques plus normales — pas comme Audi qui convoque 20 agences sur une compétition, comme l’avait raconté Nicolas Lévy (DG et associé de l’agence Steve, NDLR) dans un thread sur Twitter. Ces marques ne se rendent pas service. Avec la crise, les temps sont difficiles avec des restrictions de budget. Le risque, c’est qu’il ne reste que les grands réseaux et plus les petits artisans, les petites plus locales. »

5. Les idées : encore, toujours, plus fort 

La tendance paraît évidente, et pourtant. Pour Benjamin Marchal et Faustin Claverie (TBWA\Paris), c’est le nerf de la guerre et à l’instar de ce qu’on observe dans l’industrie du divertissement, où les reboot rivalisent avec suites et remakes, le monde de la pub semble souffrir d’un manque d’imagination criant. Les originals ideas sont devenues une espèce en voie d’extinction.

« En termes de contenu, ce qui nous chagrine, c’est cette donnée alarmante : dans les 83-84, 90 % du contenu hollywoodien était des œuvres originales, c’est le temps de Ghostbusters, Flashdance, des Gremlins, E.T., Les dents de la mer, ou Star Wars, autant de films que les générations d’aujourd’hui ne font que citer et remixer. La culture d’aujourd’hui, c’est la culture d’hier simplement remixée. À ce titre, Stranger Things n’est que la reprise de tout ce qu’on aimait dans les années 80. Il ne faut pas confondre influence et copier-coller, se désole Benjamin Marchal. De nos jours, 90 % du contenu produit sont des adaptations, de romans ou de comics, où ne prévalent que le bien et le mal, c’est très manichéen. Il n’y a plus de place pour l’imagination et les débats. J’espère vivement que l’on reviendra à des idées partout, et donc dans la publicité aussi, car nous ne pouvons pas construire une culture uniquement avec la fan base qui existait avant. Si la culture autour de nous s’appauvrit, tout le storytelling, la stimulation intellectuelle, et la publicité s’appauvrit aussi puisqu’elle se nourrit de ce que produit la société. Nous devons retrouver du panache et arrêter de parler court terme et rentabilité ».

Faustin Claverie poursuit en constatant que le cinéma et la publicité sont tributaires de canaux de diffusion, ce qui complique les choses. « On s’adapte, mais les idées créatives doivent prévaloir. »

Pour le duo de l’agence Marcel, « la création française va continuer de briller au plus haut niveau. Dans la continuité de l’excellente prestation de la France au dernier Festival de Cannes (4 Grand Prix et beaucoup de jolis Lions), on verra cette année aussi que les idées et la création française en général sont parmi les meilleures du monde. »

Et si cela passait par le hi-jacking ? « On le sait déjà, la publicité qui ressemble à de la publicité n’intéresse plus grand monde, constate Julien Sens, créatif sénior chez Sid Lee Paris. Notre attention est déjà de plus en plus sollicitée de tous les côtés. Entre l’envie de regarder encore un dernier épisode de Fleabag sur Prime Video bien qu’il soit déjà 2h du matin un lundi soir, les heures passées sur Twitch ou sur console à assister à des parties de Call of Duty pour tenter un top 1 en mode battle royale, ou tout simplement vivre sa vie, voir une expo au Louvre, voyager, sortir, dormir, regarder les Simpsons… pas le temps pour la publicité. » 

Quelle solution s’offre aux marques, « plutôt que d’espérer capter cette attention via une vidéo en pre-roll immédiatement ignorée, une story sponsorisée aussitôt swipée, ou toute autre interruption publicitaire » ? Passer undercover, ou presque explique Julien Sens : « Les marques ont compris qu’il était plus judicieux de se fondre dans le décor, de ne faire qu’un avec le contenu tant convoité. Se glisser au cœur même d’une partie de jeu vidéo, devenir un épisode des Simpsons (comme le génial coup de com de Balenciaga, NDLR), transformer une interview en clip musical (Stromae récemment au 20h de TF1, NDLR), ou même ressembler à une simple review sur un site de voyage avec Hate to Protect… Cette tendance devrait être la publicité qui fonctionne le mieux dans les prochaines années, car tout simplement, elle ne ressemble pas à de la publicité. »

6. Légèreté, ironie et YOLO

Dans la même veine d’un retour aux idées, originales et créatives, le duo de TBWA\Paris souhaite que le métier retrouve l’ambition publicitaire du monde d’avant, mais d’il y a 20 ans : avec le plein emploi qui se profile peut-être, comme à la fin d’une guerre, verra-t-on émerger, si ce n’est exulter un positivisme exacerbé ? « Les gens ont envie de se retrouver, de vivre ensemble comme en 98, tout en gardant ce qui était acquis. On ressent cette ambition de la part des clients, j’aimerais bien que ce soit la grande tendance », espère Faustin Claverie.

Sur le même tempo, Benjamin Marchal espère plus de légèreté, produire moins, mais mieux. Ce qui peut sembler antinomique par rapport au monde dans lequel on vit, où les points de contact constants nécessitent de produire toujours plus.

Un souhait partagé par Mathieu Vinciguerra (WNP) qui appelle à un retour à l’originalité, au WTF et à l’impertinence en publicité : « La qualité va aussi s’en ressentir avec moins de contenu, mais plus de qualité. Il faut arrêter de nourrir la bête comme des cinglés en produisant sans cesse. » Il espère ainsi que 2022 signe le retour de l’originalité et de l’advertainment : « Les créatifs n’en peuvent plus de la bien-pensance, des publicités gentillettes et de la bien pensance à l’américaine. Sans faire le vieux con, je suis très content des avancées technologiques, etc., mais parfois l’impertinence dont on pouvait faire preuve en communication lors de mes débuts comme junior me manque. C’était rafraîchissant. Aujourd’hui, on est tous chez nous, coincés à faire dix autotests par semaine, on a un peu envie de se marrer. J’espère que l’originalité, le WTF et l’impertinence en publicité vont faire son grand retour en 2022. »

Louis Bonichon et Perrine Lizé, respectivement co-directeur de la création et co-directrice de la création, co-fondatrice et directrice générale de l’agence MNSTR, estiment que nous sommes devenus plus lucides sur l’impact de notre mode de vie sur le monde. « Les marques ont suivi cette tendance avec de nombreux discours graves et premier degré. Mais au milieu de cette gravité, on voit se dégager un ton plus ironique. Le succès de Don’t look up n’est pas anodin. Il y a 3 ans, pas sûr que l’intrigue aurait rencontré son public. On a besoin de rire de ce qui nous fait peur et à la différence du cynisme, l’ironie nous invite à nous moquer un peu de nous-même, pour nous remettre un peu plus en question », constatent-ils encore.

Même écho du côté de Lauren Haberfield, executive creative director chez Edelman France, pour qui « le temps des messages conservateurs, sûrs et passifs qui ‘nous rapprochent’ est révolu ». Pour elle, les audiences, les différents publics auxquels l’industrie d’adressent recherchent « activement » une chose en 2022 : la nouveauté. « Mais contrairement à ce qui s’est passé lorsque nous avons ‘réparé le monde en lui donnant un snickers’ il y a deux ans, la tendance à la nouveauté doit s’accompagner d’un avantage supplémentaire qui touche les gens à un niveau individuel. » 

Elle poursuit : « Cela signifie que la communication de masse prendra du recul cette année, l’expérience et les activations au niveau local ou de niche étant le moyen le plus authentique pour nous de conquérir les cœurs et les esprits. Cela va niveler le terrain de jeu créatif, en donnant aux petits budgets la chance de se mesurer aux géants du paid media, ce qui devrait donner lieu à des créations très excitantes et inattendues. » Comme ce qu’a proposé Xbox avec Halo Infinite — Master Piece.

7. La résilience (oui, encore elle)

Depuis deux ans, ce mot est devenu un incontournable du secteur. Cette année, il symbolisera le nouvel optimisme, prédit Nicolas Guittard, directeur de création d’ORES Group. « Plutôt que de s’acclimater au misérabilisme ambiant, les marques célébreront la résilience. Après des campagnes reflets du climat actuel (pas le plus heureux), les marques pourraient montrer la superbe capacité des gens à se relever, à rebondir. »

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Crédit : @yugnat999

« En création, il s’agira de tenter d’oublier le futur inquiétant et chercher plutôt à voir le verre à moitié plein. Le fond sera optimiste, la forme vivante, colorée, sensationnelle. »

Il évoque ainsi le cas B&Q, « We Will Grow Again » ou la campagne de La Sécurité Routière, « Célébrer la vie », mais aussi la campagne « résistante » de Tesco, « Nothing stopping Us ».

« Créer, c’est résister. Résister, c’est créer. »

8. The brand Avengers

L’union fait la force, Thanos l’a appris à ses dépens. Dans ce contexte de crise, où la solidarité et la communion des forces ne sont jamais de trop, une tendance plus profonde pourrait s’installer en 2022. Louis Bonichon et Perrine Lizé (MNSTR) misent ainsi sur la coalition de marques pour venir bousculer la création publicitaire l’année prochaine.

« Au-delà de la collab produit, on pourrait s’attendre à voir des marques s’unir pour prendre la parole. Comme aujourd’hui, avec Decathlon et Adidas qui s’unissent pour collecter et recycler des chaussures. Mais pourquoi ne pas imaginer des projets plus ambitieux ? Des annonceurs concurrents unis autour d’un même budget publicitaire, pour promouvoir une cause (le made in France, la biodiversité, ou la construction d’un imaginaire positif), ce serait un signe fort pour 2022 pour célébrer les valeurs de la collaboration. » Si la Gauche pouvait lire ces lignes…

9. Faire le bien, pour le bien commun

Cette tendance, qui infuse l’ensemble du secteur, « sera toujours au cœur du meilleur travail que nous verrons cette année, c’est un must pour les consommateurs », rappelle Juana O’Gorman, global creative director chez Ogilvy Paris. Elle fait le constat des dernières années, où les idées “good” ont porté « sur les économies d’eau, la réduction et le recyclage du plastique, le recyclage des vêtements, l’égalité des femmes, la célébration de la diversité, l’inclusion, la prise en compte de l’âge, tout ce qui peut rendre le monde meilleur. Et c’est très bien. Mais ce que j’aimerais voir, c’est comment nous pourrions revenir — et redescendre — à nos propres petits univers. La famille, le voisinage, les communautés, la culture locale. J’ai l’impression que nous avons essayé de changer le monde à un niveau très élevé, et à présent, nous avons la belle opportunité d’influencer nos propres petits univers. À l’ère de la personnalisation et après tout ce que nous avons découvert sur nous-mêmes pendant le Covid, revenir à une approche plus intime pourrait être très intéressant. »

Un constat partagé par Sébastien Partika, de Productman, qui se doute bien qu’en 2022, « on fera des campagnes NFT à tout va et des virtuals shops à tourne-main, autant d’idées faciles et peu coûteuses à déployer et qui feront leur petit buzz dans le milieu, mais est-ce vraiment ce qu’attendent les consommateurs ? »

Il enchaîne : « Pour ne pas céder à la facilité, les annonceurs qui auront l’ambition d’un discours plus haut devront forcément en passer par une autre trend tout aussi forte : le ‘good’ et la quête de sens. Il est vital pour les marques de se recentrer sur ce qu’attendent vraiment les consommateurs si elles veulent continuer à jouer leur rôle dans le vrai monde. » Comment ? « Une des solutions créatives sera sans aucun doute de développer les expériences de marque qui remettent au centre des produits et services l’humain et l’émotionnel pour que les marques puissent toucher leurs cibles tout en nous aidant à devenir de meilleurs consommateurs. »

Et inversement, puisque les marques se savent également observées par les consommateurs qui attendent que leur discours et leurs actes se rejoignent. Cette année, dans la continuité du travail entrepris par certaines d’entre elles, « les marques vont essayer d’être meilleures, et de le dire, assurent Louis Bonichon et Perrine Lizé, de MNSTR. Aujourd’hui, elles s’engagent publiquement sur un objectif. » Comme adidas, qui communique sur son objectif de Zero plastic waste : « Ils ne disent pas qu’ils ont réussi, mais ils partagent. Un autre exemple : la transparence de la marque Loom au sujet de ses emballages. On peut y voir une tendance cynique ou une nouvelle forme de discours publicitaire ultra transparent. »

Un constat qui trouve un écho chez Lauren Haberfiel, d’Edelman France : « Les gens ont soif de changement, ce qui signifie que la communication ciblée sera plus importante que jamais. Mais tout ce temps passé enfermé a rendu les gens méfiants et cyniques. Vous savez ce qu’on dit, si vous voulez que le travail soit bien fait, vous devez le faire vous-même. C’est pourquoi la créativité qui prospérera cette année passera des marques qui parlent de leurs actions à celles qui donnent aux gens un rôle légitime à jouer pour donner vie à leur mission. » 

Ce qui fait dire à Ghislain de Villoutreys (Moonlike M&C Saatchi) que nous devrions voir plus de productions publicitaires se vantant d’être à empreinte environnementale limitée : « Il devient très difficile, pour certaines marques engagées se trouvant prises à leur propre ‘piège’ de valeurs notamment dans le luxe ou le lifestyle, d’assumer des shooting de 3 jours à 10 000 km d’ici, ou de construire des décors hors de prix pour une utilisation unique. La manière de produire des contenus, plus responsable, devient un enjeu certain de communication », analyse-t-il.

Ainsi, pour Lauren Haberfield, « les marques devront se concentrer sur des actions directes que les gens peuvent soutenir, plus elles sont pointues et spécifiques, mieux c’est. Le Slacktivisme est terminé, partager un post n’est pas suffisant et les CTA ne peuvent plus s’en sortir avec ‘en savoir plus sur xx.com’. C’est une grande opportunité pour nous, car nous aurons enfin une raison de nous éloigner des grands gestes pour nous concentrer sur ces petits détails obscurs que seule la créativité peut résoudre. » 

To be continued 2022.

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Le compte pro Shine fait du bruit

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