Les métamorphoses du luxe : avis de tempête sur un secteur en crise ?

Par Élodie C. le 06/10/2024

Temps de lecture : 31 min

Influence, flamboyance et nouveaux récits.

Il s’affiche partout, semble omniprésent, ultra-désirable et bénéficie d’une santé insolente même en temps de disette. Et pourtant, le luxe est traversé de multiples bouleversements, boursiers notamment. Certains osent le mot “crise” (Hermès faisant exception) : il est a minima révélateur des mutations à l’œuvre dans un contexte de mondialisation, de crise économique – la Chine, où un phénomène de « luxury shame » apparaît, représente 40% du marché mondial – et géopolitique. Les repères d’alors ne sont plus ce qu’ils étaient, et si la digitalisation a transformé et dopé le secteur, elle est arrivée à maturité. 

Face à une clientèle de plus en plus exigeante, et aussi plus jeune que sa clientèle traditionnelle, les marques de luxe doivent réinventer leurs stratégies pour rester pertinentes tout en préservant leur héritage et leur exclusivité. L’impact de l’écoresponsabilité, la quête d’expériences uniques et personnalisées, ainsi que l’intégration de l’innovation technologique, notamment via l’IA et le métavers (il vibre encore), sont autant d’enjeux cruciaux à adresser pour garantir leur positionnement et leur attractivité.

De l’usage des influenceurs aux campagnes marketing avant-gardistes, en passant par l’impact de l’intelligence artificielle, ce dossier offre une analyse approfondie des métamorphoses du secteur. Le luxe, autrefois bastion de traditions immuables, a-t-il trouvé un nouvel équilibre entre héritage et modernité ?

1. Authenticité et savoir-faire

Le luxe est un objet aux multiples facettes : synonyme de faste, d’opulence et parfois d’excès, il est aussi le digne représentant d’un artisanat et d’un savoir-faire d’exception, renforçant la valeur de l’humain dans un monde digitalisé.

Retour à l’authenticité et artisanat

En 2025, cet artisanat sera réinventé, marques et consommateurs valoriseront encore davantage ces savoir-faire authentiques et humains. 

Face à la numérisation croissante, l’essor de l’intelligence artificielle, et les promesses un peu futiles du metavers, les marques chercheront au contraire à créer des expériences plus humaines et tangibles, avec des produits qui racontent une histoire, incarnant des pratiques locales et écoresponsables, prédit Damien Bettinelli, co-fondateur du studio Les Others. L’accent sera mis sur la production durable, le fait main, et des approches immersives qui invitent à ressentir la nature (le terroir, l’origine) à travers des expériences sensorielles. La technologie sera alors un outil pour amplifier cet ancrage dans le réel. Cela répond à un désir croissant des consommateurs pour des produits qui ont du sens, et non seulement de la valeur.

Dans un monde saturé par l’IA et les expériences virtuelles, le véritable luxe de demain résidera dans l’accès à la réalité. L’authenticité, les expériences tangibles et non médiatisées deviendront des privilèges réservés à quelques-uns, estime Déborah Marino, directrice générale adjointe de Publicis Luxe et directrice du planning stratégique de l’agence.

Ce besoin de réalité se reflétera dans les visuels des marques de luxe, qui chercheront à montrer de la vraie peau, des imperfections, des matières brutes. La photographie en macro et la mise en avant de la matérialité seront des éléments essentiels de cette nouvelle esthétique du luxe. (…) Les expériences authentiques deviendront un luxe en soi. Pouvoir profiter d’un moment exclusif, loin de la foule et des artifices, sera perçu comme le summum du raffinement. Les marques devront ainsi proposer des produits et des expériences qui incarnent cette quête d’authenticité. » Une tendance qu’on pourrait rapprocher du fameux “quiet luxury” tant évoqué ces derniers mois dans la mode, mais qui correspondant également à un style de vie témoignant d’une évolution sociétale et de nouvelles habitudes de consommation.

De l’authenticité et de l’exclusivité prodiguées dans un savoir-faire unique et durable que la DGA de Publicis Luxe nomme “privilège de la réalité” : “Les marques en feront un critère différenciant, avec des objets de qualité exceptionnelle, incarnant un savoir-faire unique et durable, capables de résister à l’épreuve du temps. Le retour à l’artisanat sera crucial, les consommateurs privilégiant les produits fabriqués à la main en plusieurs jours plutôt que ceux en série. Ce sera une réponse à la saturation des contenus synthétiques.« 

Un besoin d’authenticité qu’elle voit s’étendre aux relations humaines, avec des interactions en personne et des moments partagés devenant des éléments de luxe à part entière, créant un lien fort entre les consommateurs et les marques.

L’humanité à l’ère de l’IA

Oui, l’humanité, car à en croire les manchettes de presse, il est question de ça. Mais ramené au luxe, il s’agit surtout de place et de positionnement. 

Pour Arnaud Giscard D’Estaing, Group Strategy Director chez Fullsix (BETC), le futur du luxe mettra en lumière une « prime à l’humain » face à l’essor de l’IA, particulièrement en matière de créativité et de relation client. L’IA ne pourra pas reproduire l’humour, l’ironie ou la surprise, des éléments de créativité humaine que les maisons de luxe, comme LOEWE ou Bottega Veneta, continueront de valoriser. “Attention, cela ne veut pas dire qu’ils n’utilisent pas du tout l’IA dans le processus, mais bien que leur discours valorisera essentiellement le « fait main”, prend-il soin de préciser. En ce qui concerne les relations clients : “L’expérience d’un.e VIC (Very Important Customer) est intrinsèquement liée à sa relation humaine avec les conseiller.e.s de vente des maisons, et ce lien me semble irremplaçable. Les maisons de luxe vont tout faire pour mieux accompagner leur personnel de vente, les aider à gagner du temps pour mieux accompagner leur.s client.e.s. Là aussi, l’approche humaine et l’intelligence émotionnelle resteront le critère principal.” Cette dernière, qui nous rend également créatifs et artistiques, nous distingue (encore ?) et ne peut pas être reproduite à tous les niveaux par l’IA.

Débat : Loewe, meilleure pub luxe du moment ?

Même écho du côté d’Helmut qui voit des marques comme Hermès, Chanel et L’Oréal Luxe privilégier l’authenticité humaine tout en intégrant l’IA pour améliorer le service client et les processus de fabrication. “Même avec l’omniprésence de l’IA, l’humain est progressivement remis au centre des préoccupations. Cela renforce d’autant plus la notion de luxe associée à l’authenticité humaine. » Adrien Moret évoque ainsi la campagne orchestrée par l’agence pour Viktor & Rolf, où l’IA a été utilisée pour promouvoir des influenceurs et jouer sur “l’aspect real life” augmentée avec des éléments d’IA en superposition. Mais sans omettre une forte composante humaine. 

Chez Helmut et BETC Fullsix, l’IA devient ainsi “un outil de valorisation”, notamment en matière de représentation. En travaillant avec Sephora, dont la signature « We Belong to Something Beautiful » est une promesse d’inclusion et d’inspiration, il nous parait inimaginable de parler de beauté luxe en remplaçant les humains par l’IA, rappelle Arnaud Giscard D’Estaing. Et je pense que cela va plus loin que la beauté : si les influenceur.se.s virtuel.le.s n’ont jamais vraiment décollé, c’est parce que l’on souhaite (encore) se dire que l’on a affaire à des vrais gens, et que l’image que l’on me vend est encore atteignable.

Ainsi, l’enjeu pour les marques de luxe en 2025 sera de trouver le juste équilibre entre innovation créative et valorisation des savoir-faire durables de l’industrie. En tant que groupe média, Le Figaro analyse quotidiennement les comportements de ses audiences et l’évolution de leurs centres d’intérêt “grâce à la puissance et la granularité” de leur data propriétaire ou aux études ad hoc menés régulièrement sur le secteur. 

Avec le Comité Colbert, nous avons récemment mené une étude sur la transmission du luxe, les continuités et les ruptures dans le rapport au luxe entre les jeunes générations et celles de leurs parents, explique Laura Lavergne, directrice de l’agence éditoriale et créative du Groupe Figaro 14H et du média 100 % vidéo, MAD. L’une des principales ruptures entre les deux générations concernait justement l’attente plus marquée des jeunes générations en matière d’innovation.

2. Digitalisation et hyperpersonnalisation

Avoir ce que tout le monde veut, mais pas comme tout le monde. Le luxe adopte les innovations technologiques où l’IA joue un rôle majeur dans la personnalisation des expériences et l’engagement client.

Singularité

Philipp Schmidt, éditeur du Pôle Luxe de Prisma Media (Harpers’s Bazaar), note que les marques de luxe investissent massivement dans la transformation digitale et l’hyper (ou l’ultra) personnalisation pour offrir des expériences immersives qui brouillent les frontières entre le commerce physique et digital, le fameux « phygital ». “Bien que l’e-commerce ait pris du temps à s’implanter dans le luxe, il est désormais devenu un élément central de la stratégie des marques.« 

Grâce à des outils avancés comme l’IA et les CRM, elles créent des parcours clients sur mesure, à la fois en ligne et en magasin, pour répondre aux attentes d’une clientèle en quête d’expériences uniques et engageantes. « Si le Web 3 et le metavers ont perdu de leur éclat, le véritable enjeu reste la convergence entre le physique et le digital, notamment à travers des boutiques phares qui servent d’espaces d’expériences immersives.« 

L’enjeu pour les maisons de luxe est de trouver l’équilibre entre tradition et innovation en adaptant leurs stratégies digitales tout en conservant leur essence et en continuant à satisfaire à la fois leur clientèle historique et les nouvelles générations. Les technologies génératives, comme l’IA, joueront “un rôle crucial pour répondre à cette demande de personnalisation à grande échelle.« 

« 2025 sera l’année où les marques de luxe s’empareront des bénéfices du GenAI sur l’ensemble de leur chaine de valeur marketing et pour renforcer le lien avec leurs clients, confirme Julie Hardy, partner de Brandtech group. 2024 était l’année des pilotes et de l’identification des bons cas d’usage, 2025 sera l’année de la transformation et des premières ‘moissons’.”

Elle rappelle ainsi que les modèle d’IA générative influencent déjà la décision de 43% des 30-44 ans et 78% des 10-29 ans (étude Jellyfish x Yougov, Sept 2024). 2025 sera aussi l’année pendant laquelle les marques se poseront cette question adjacente, « comment répondre aux besoins croissants de contenus grâce à l’IA générative ? » et se saisiront de ces questions : Comment les modèles d’IA générative nous perçoivent-ils ? Comment puis-je les influencer ? Dois-je y consacrer une partie de mon budget ?. 

C’est ce que nous appelons, chez Jellyfish (racheté en 2023), le Share of Model, au même titre qu’on parlait de Share of voice pour les médias traditionnels. Nous avons développé une méthodologie unique dédiée à cet exercice fondamental, car qu’on le veuille ou non, les LLM recommandent soit votre marque, soit celle d’un concurrent.

Les plateformes aux avants postes

Dans l’année qui vient, l’hyperpersonnalisation deviendra incontournable pour répondre aux attentes de la Génération Z, notamment sur des plateformes visuelles comme Pinterest. Cette génération, particulièrement active sur des formats interactifs comme les Collages, utilise ces outils pour exprimer leur personnalité, visualiser et concrétiser leurs projets, particulièrement en matière de shopping souligne la plateforme : 72% des Collages sont créés quotidiennement par des utilisateurs de la Gen Z, et les enregistrements de Collages sont deux fois plus fréquents que pour les autres types d’épingles.

L’intérêt pour le luxe sur Pinterest est en forte croissance, avec une augmentation de 89 % des enregistrements d’Épingles de marques de luxe en 2023 (source Pinterest – Q4 2023). La Gen Z, qui constitue 40 % de l’audience de la plateforme et en est le segment le plus engagé, redéfinit les codes du luxe et du shopping en utilisant des outils comme les Épingles achetables et les formats interactifs. Elle crée des listes d’envies personnalisées via des tableaux, tout en se projetant dans ses futurs achats grâce à des formats visuels immersifs. Les clics et enregistrements d’Épingles de luxe par cette génération ont bondi de 86 % en un an.

Pinterest se revendique comme une plateforme stratégique pour le luxe, avec 70 % de son audience de luxe (définie comme les utilisateurs mondiaux qui ont recherché ou sauvegardé l’une des 60 marques de luxe) âgée de moins de 35 ans, soit principalement des Millennials et Gen Z. Ces derniers devraient représenter 75 % des consommateurs de luxe d’ici à 2026. Trois acheteurs de produits de luxe sur cinq utilisent Pinterest pour découvrir des marques et des produits, faisant de la plateforme une source clé d’inspiration pour ce secteur. Chaque semaine, les utilisateurs enregistrent plus de 1,5 milliard d’Épingles, notamment pour des idées de cadeaux, de voyages ou d’achats de produits haut de gamme.

Ce comportement montre une appétence pour la curation et l’hyperpersonnalisation, avec un fort intérêt pour les expériences visuelles et interactives. Pinterest, en tant que « safe space« , permet à la Gen Z de s’exprimer et de planifier ses achats tout en façonnant son avenir à travers des produits de luxe.

Expériences immersives et réalité augmentée

L’usage de l’IA, de la réalité augmentée et des outils digitaux crée des expériences uniques pour les consommateurs, même à distance. « La digitalisation au service de l’émotion et de la désirabilité, renforçant la valeur perçue des produits grâce à une mise en scène digitale immersive. Elle permet un véritable travail sur cette désirabilité, en jouant sur l’alchimie entre l’objet physique et son incarnation virtuelle« , note Julie Gonssard, directrice générale de 2001 Art Production (La Pac).

Les algorithmes jouent un rôle essentiel dans la personnalisation de ces expériences, adaptant les offres en fonction des besoins et des attentes des consommateurs ciblés. Même sur un écran, la matière et l’objet peuvent être appréhendés de manière à susciter un désir authentique, un défi que le luxe relève avec succès.« 

Ces expériences immersives via la réalité mixte ou virtuelle créent ainsi des touchpoints nécessaires pour engager une clientèle connectée, explique Marc Horgues, co-fondateur et directeur de la création de l’agence Ok C’est Cool. “Que ça soit en réalité mixte, comme Gucci et son documentaire sur l’Apple Vision Pro, ou Prada qui embauche Ines Alpha comme virtual make up artiste, les expériences augmentées continuent à engager au quotidien. Mais dans les territoires entièrement virtuels, on voit aussi apparaître de nombreux univers de marques, comme sur Roblox avec les mondes Givenchy et Burberry, ainsi que de nombreuses collaborations in-game, comme Balenciaga sur Need for Speed, ou Bvlgari et Gran Turismo.” 

Selon lui, ces expériences immersives répondent à la fois à un besoin d’exclusivité, d’avant-gardisme, et d’expression de soi, nos identités s’exprimant de plus en plus par le virtuel. 

Selon Arnaud Giscard D’Estaing (BETC Fullsix), l’intelligence artificielle est un outil précieux « behind the scene », notamment pour personnaliser et améliorer l’expérience client dans le secteur du luxe. Par exemple, Gucci 9, le centre d’appel de Gucci à New York, utilise l’IA pour offrir des réponses plus rapides tout en restant fidèle à l’identité de la marque. LVMH a également présenté à Vivatech des innovations allant dans ce sens, comme la génération d’une silhouette habillée à partir de quelques photos ou l’identification rapide d’un produit en boutique chez Dior. 

L’exemple des boutiques virtuelles ou des essayages en réalité augmentée permettent aux consommateurs de s’immerger dans une marque sans quitter leur domicile. Ces expériences immersives, couplées aux possibilités infinies de la personnalisation, répondent aux attentes d’une génération pour qui l’individualité et l’unicité sont des valeurs essentielles”, abondent Delphine Coutable et Sébastien Duchateau, respectivement directrice générale et directeur associé de l’agence Les Poupées Russes (groupe Syneido) : “Par ailleurs, l’adoption de la blockchain par certaines maisons de luxe montre un engagement vers plus de transparence, une valeur clé pour la génération Z et les Millennials, qui demandent désormais des preuves tangibles d’authenticité et d’éthique dans leurs achats. Des initiatives comme la certification numérique des produits ou le traçage des matières premières sont des exemples concrets de cette adaptation.”

3. Co-création et collaboration

Les consommateurs souhaitent participer activement au processus créatif des produits, impulser de nouveaux récits, ce qui pousse les marques à co-créer et à s’ouvrir davantage à leur public, dont les nouvelles générations, friandes d’engagement et d’interaction.

Acteurs de sa consommation

La Génération Z est devenue un moteur de croissance essentiel, représentant 30 % du marché du luxe, avec un premier achat dès l’âge de 15 ans (vs 18-20 ans pour leurs ainés). Leur pouvoir d’achat n’est pas seulement une promesse d’avenir, il est déjà un élément concret de la croissance actuelle du secteur« , observe Déborah Marino (Publicis Luxe). 

Qu’elle en ait conscience ou non, les membres de cette nouvelle génération de consommateurs ne veulent plus être de simples acheteurs, mais souhaitent participer activement à la création des produits de luxe. “Ils s’attendent à ce que les marques les écoutent et prennent en compte leurs idées. Par exemple, des fans ont imaginé des collaborations entre Jacquemus et Nike bien plus audacieuses que ce qui a été proposé officiellement, illustrant leur désir de contribuer à l’élaboration de produits qui les inspirent.”

Pour la directrice générale adjointe de Publicis Luxe, la co-création deviendra un élément central de la stratégie des marques de luxe : “En impliquant les consommateurs dans le processus de création, les marques pourront établir des liens plus profonds et authentiques avec leur public, répondant ainsi à leur besoin de se sentir impliqués et valorisés. Les nouvelles générations souhaitent participer à la construction de l’histoire de la marque, en s’impliquant davantage dans les processus de création.« 

La communication de luxe n’est plus uniquement centrée sur l’élitisme et l’exclusivité : “Aujourd’hui, les marques doivent être capables de surprendre, de raconter des histoires captivantes, et surtout de se connecter avec des valeurs contemporaines comme la durabilité, l’inclusivité et l’engagement social, affirment de concert Delphine Coutable et Sébastien Duchateau (Poupées russes). Des collaborations inattendues entre maisons de luxe et créateurs issus du streetwear montrent que les codes traditionnels du luxe sont redéfinis pour parler à une clientèle plus large et plus jeune.

Cette année, sous l’impulsion des JO de Paris 2024 et de l’événement Vogue World, le luxe, le sport, l’outdoor et le streetwear se sont entremêlés comme jamais auparavant, redéfinissant les frontières de la mode et du luxe contemporains.

Luxe et pop culture : un business lucratif

Rihanna, Orelsan ou la star de K-pop Haerin chez Dior, Zendaya, Nadal ou Ronaldo chez Louis Vuitton, Lenny Kravitz chez Jaeger-Lecoultre, Margot Robbie chez Chanel ou Dua Lipa et Adèle Exarchopoulos chez Yves Saint Laurent Beauté, pour ne citer que ces quelques célébrités. On assiste à une surenchère d’égéries du côté des grandes Maisons de luxe. Des collaborations qui vont de l’authentique” à l’opportunisme, mais qui semblent trouver un écho certain auprès des nouvelles générations.

On assiste à la fin des barrières traditionnelles qui définissaient ce qui relevait du luxe et ce qui n’en faisait pas partie. Les collaborations entre le luxe et des domaines plus populaires se sont multipliées”, analyse Martin Friedrich, planeur stratégique senior de l’agence MNSTR. Il évoque ainsi l’association de Louis Vuitton avec le jeu iconique League of Legends, celle de Porsche avec Final Fantasy ou de Gentle Monster avec Overwatch, démontrant ainsi à quel point les marques de luxe s’ouvrent à de nouveaux univers.

« Il y a une véritable perméabilité entre le luxe et la pop culture, ce qui aurait été impensable il y a encore quelques années, poursuit-il. Aujourd’hui, cette porosité est devenue naturelle et sans complexe. Le collectif Mischief, qui travaille également avec Louis Vuitton, incarne cette tendance de façon remarquable. Ils brouillent les frontières et créent un univers dans lequel les marques de luxe empruntent librement à la culture populaire, rompant ainsi avec les distinctions rigides et ‘anachroniques’ qui séparaient autrefois ces deux mondes.« 

Quoi de plus logique pour des marques dont le Graal ultime est de devenir un “objet culturel” à part entière. Il ne s’agit plus d’être l’objet d’une série ou d’un film – The New Look (pour Dior), Halston, House of Gucci, Ferrari ou Barbie habillée en Chanel pour les plus récents – mais de produire cette culture consommée par de futurs consommateurs ou des fidèles clients. Les grands noms du luxe le revendiquent sans ambage : dernièrement, c’est le n°1 du luxe qui est sorti du bois avec 22 Montaigne Entertainement. LVMH souhaite ainsi explorer de nouvelles opportunités pour promouvoir l’héritage, le patrimoine et le savoir-faire des 75 marques du groupe LVMH. Quand on voit l’effet – placement de produits – de la série Emily in Paris, l’opportunité est trop belle pour ne pas la saisir.

Nouveaux récits 

Fabien Le Roux, head of creative department de TikTok France, souligne que le luxe évolue vers une célébration de la diversité des récits et des esthétiques, en adoptant des stratégies marketing plus fragmentées et adaptées à différentes sous-cultures. Une véritable disparité se dessine, marquée par un collage d’univers variés. “Alors que l’homogénéité peut être la norme, la communauté TikTok célèbre la diversité et les différences. Les marques de luxe vont progressivement abandonner un marketing monolithique et totalisant pour embrasser une approche plus fragmentée et dynamique. Cette transformation se traduira par des stratégies plus libres, créatives et foisonnantes, où chaque élément a son propre espace d’expression. Le luxe, traditionnellement perçu comme homogène et exclusif, va devenir un patchwork de styles et d’influences.

@prada

Welcome to the #PradaCandy shop, all its doors open exclusively for ValentinesDay.#PradaFragrances

♬ suono originale – Prada

TikTok se place ainsi au cœur de cette évolution : “En tant que plateforme où les vidéos sont consommées indépendamment les unes des autres, TikTok incarne ce nouveau paradigme. Les utilisateurs s’immergent dans des contenus variés qui ne se limitent pas à une narration unique ou à une esthétique uniforme. Cela permet aux marques de se connecter à des audiences diverses, à des sous-cultures en adoptant des récits et des visuels qui résonnent avec des communautés spécifiques, tout en célébrant la pluralité.

TikTok, Pinterest, Instagram ou plus généralement les réseaux sociaux ont changé la manière dont les marques communiquent relève le duo de l’agence Les Poupées Russes. “Aujourd’hui, l’influence ne se joue plus uniquement sur les podiums ou dans les magazines, mais dans la viralité et l’engagement que ces marques génèrent. La puissance des micro-influenceurs ou des créateurs de contenu indépendants offre une voix nouvelle au luxe, plus authentique et plus proche des consommateurs.

Ramata Diallo, directrice générale de Fashion Consulting Paris et derrière le podcast Africa Fashion Tour, voit dans les concours annuels organisés par les grandes Maisons un moyen d’entretenir “son éternelle jeunesse” en détectant et soutenant de nouveaux talents, “l’avant-garde de la créativité” : “L’Andam, le prix LVMH, le festival d’Hyères sont des initiatives dont l’ambition est de connecter la tradition et la modernité. Il s’agit de créer une passerelle entre les jeunes talents et les maisons centenaires. Thebe Magugu, designer sud africain, gagnant du prix LVMH en 2019, a multiplié les collaborations depuis l’obtention de son prix. On retiendra sa collaboration avec Pierpaolo Piccioli, le directeur artistique de Valentino (qu’il a quitté en mars dernier, NLDR) pour le September issue de 2022. Les deux designers ont été invités à réinterpréter une pièce de leur collection respective. Le jeune premier face à un doyen de la mode dans un duel créatif, amical, respectueux et innovant. Ce dont la mode a besoin pour se renouveler et maintenir un public volatil en haleine.” 

Ramata Diallo évoque également la victoire du chouchou de la mode et d’artistes comme Billie Eilish, Lizzo ou Beyoncé, Duran Lantink, gagnant du prix Lagerfeld, comme signe : “Il est connu pour un usage maîtrisé de la 3D dans la réalisation de ses pièces et l’intégration de techniques artisanales manuelles, c’est un bel exemple de ce dialogue entre tradition et modernité. La quête de jeunes talents comme vivier de créativité sera plus que jamais une tendance forte en 2025.

L’adoption massive de la culture internet par les marques de luxe est devenue une tendance omniprésente, permettant à ces dernières de générer de l’engagement et de la conversation en s’affranchissant des codes rigides traditionnels. « Certaines marques, comme LOEWE, se démarquent en reprenant des éléments de leur propre identité pour les transformer en contenus inattendus et parfois humoristiques, ce qui est inhabituel dans le luxe. La marque espagnole, par exemple, a créé un sac à partir d’un tweet 🍅, illustrant ainsi sa capacité à jouer avec la culture internet. Ces marques intègrent des éléments propres à cette culture, comme les memes, et utilisent des outils tels que les smartphones pour produire des visuels qui semblent spontanés, mais qui restent en réalité très soignés.« 

D’autres, comme Alexander Wang et Marc Jacobs, collaborent avec des experts maîtrisant la viralité, les ‘memelords’, pour concevoir des contenus qui résonnent avec l’audience en ligne, effaçant ainsi les barrières entre les interactions traditionnelles et numériques. Le véritable enjeu réside dans l’habileté à générer des conversations (l’or noir du marketing de luxe), des partages, des commentaires, car ces discussions virales permettent aux marques de toucher un public plus large et d’accroître leur influence.

Plutôt que de simplement réapproprier des éléments de la culture internet, ces marques optent pour des collaborations qui apportent une réelle valeur ajoutée à leur univers. Cela dynamise leurs codes et les rend plus pertinents dans un environnement digital en constante évolution.« 

Une nouvelle attitude qui fait sourire Julie Hardy de Brandtech, le luxe s’étant acoquiné avec l’influence sur le tard : “Je me souviens de conversations avec les marques en 2013, quand je leur expliquais qu’Instagram présentait une opportunité géniale pour les marques de mode et de beauté et qu’elles me répondaient « never over my dead body » (“il faudra d’abord me passer sur le corps”, si on tente une traduction, NDLR). Aujourd’hui, Tiktok crée les nouveaux langages esthétiques qui s’invitent dans les campagnes print des marques les plus désirables. Imaginez le pouvoir des influenceurs, des créateurs, démultiplié par les capacités de création que leur offre les modèles d’intelligence artificielle. Ça va être intéressant de voir une nouvelle sophistication des contenus maintenant que le budget de production n’est plus une contrainte. Je pense que plus que jamais des nouveaux talents vont émerger, et c’est très rafraichissant pour l’industrie.

4. Flamboyance et esthétique audacieuse

Le luxe retrouve son rôle d’émerveillement en adoptant des designs flamboyants et des expériences spectaculaires pour captiver les consommateurs.

Entertainment et storytelling 

Le luxe s’intègre de plus en plus à l’univers de l’entertainment, en mettant l’accent sur des récits captivants et des productions grandioses. Les marques investissent dans des moyens impressionnants, recrutant des talents issus du monde du spectacle, comme le musicien et producteur Pharrell Williams, pour diriger des projets et des collections luxe (il a succédé à Virgil Abloh, décédé en novembre 2021, aux collections masculines de Louis Vuitton en février 2023).

« Les défilés de mode deviennent de véritables événements culturels, spectaculaires et médiatisés, qui permettent aux marques de luxe de se faire connaître à travers le monde. La présence de célébrités et d’influenceurs ajoute de la visibilité et crée un effet de buzz autour de ces événements, comme l’a fait Jacquemus« , a relevé Philipp Schmidt, de Prisma Media. Les univers de la mode et de l’entertainment se croisent de plus en plus, comme lors du défilé de Pharrell sur le Pont-Neuf, qui ressemblait davantage à un concert de rap avec la présence de stars comme Jay-Z et Beyoncé.

Ces événements symbolisent la fusion croissante entre la mode et le divertissement, où les maisons de luxe se positionnent comme des producteurs de contenu (on en revient à ce que font Chanel, LVMH et Saint Laurent. “Cependant, cela comporte le risque de s’éloigner de leur authenticité. Certaines marques optent à l’inverse pour un storytelling plus subtil, qualifié de ‘silent luxury’, mettant en avant un style plus discret, mais tout aussi impactant.« 

Nous sommes témoins d’une véritable transformation des imaginaires dans l’industrie du luxe influencée par l’ère post-Covid et les innovations technologiques”, observe Julie Gonssard (2001). “Les marques évoluent dans des univers fantasmés, que ce soit dans une esthétique épurée ou un style plus surréaliste. Des exemples comme Prada ou la collaboration entre Louis Vuitton et Yayoi Kusama illustrent parfaitement cette tendance.

Cette évolution se traduit par une fusion entre l’art et la technologie, offrant des expériences physiques et digitales inédites. Dans le cas de Yayoi Kusama, Louis Vuitton a transformé l’artiste en avatar 3D, créant une interaction entre l’artiste et l’espace public, renforçant l’aspect surréaliste des vitrines et des écrans géants. Ces initiatives témoignent d’une volonté des marques de captiver et d’enchanter le public, tout en adaptant leurs imaginaires aux nouvelles attentes, notamment grâce aux outils digitaux.

Audace créative

Le luxe ne se contente plus de proposer des produits, il doit également offrir des expériences captivantes et enchanteresses qui permettent aux consommateurs de s’évader du quotidien, surtout en période de crise. “Les consommateurs attendent des marques de luxe qu’elles apportent de la magie et de l’émerveillement à travers leurs créations. Les marques devront embrasser une esthétique flamboyante, osée et extravagante, car c’est ce que les consommateurs recherchent pour échapper à la morosité ambiante. Le luxe doit retrouver son rôle de créateur d’émotions et d’expériences extraordinaires« , estime Déborah  Marino (Publicis Luxe) pour qui cette flamboyance, combinée à une prise de risques créative, permet de redonner vie au secteur du luxe, en offrant des designs inattendus et des émotions fortes. “Les marques de luxe devront trouver un équilibre entre discrétion et flamboyance. Elles seront tenues de proposer des produits de qualité qui racontent une histoire tout en étant suffisamment audacieux pour inspirer et faire rêver leur audience.« 

Fabien Le Roux de Tiktok ne peut qu’abonder puisqu’il estime que la plateforme a déclenché “un état d’esprit novateur” qu’il nomme « Creative Bravery » : ”Alimentées par un mélange de curiosité, d’imagination, d’authenticité, les marques qui font preuve d’audace créative sur TikTok établissent des liens plus profonds avec la communauté. Pour que cette dernière engage avec du contenu de marque, il est essentiel de changer d’approche et d’intégrer cette audace créative dans les stratégies quotidiennes des marques.” 

Selon lui, en 2025, le luxe sera moins une question d’unicité et plus une célébration de la multiplicité : “Les marques qui sauront naviguer dans cet océan de disparité tout en préservant leur identité seront celles qui captiveront le mieux leurs consommateurs. Cette tendance offre une occasion unique de repenser la manière dont le luxe est communiqué et vécu, en intégrant une richesse d’interprétations et d’expériences au sein d’une même stratégie marketing.« 

Le faux, cette nouvelle réalité

Incroyable, mais faux. C’est peu ou prou le nouveau phénomène qui se fait jour en Chine. L’essor des imitations de qualité sur ce marché représente une menace sérieuse pour le secteur du luxe, car il remet en question l’un de ses principaux piliers : l’exclusivité. Les « pingti », qui offrent une qualité comparable aux produits de luxe à des prix beaucoup plus abordables, érodent la perception de rareté et de prestige des grandes marques. Comme l’explique 20 Minutes, ces Pingtis s’inscrivent dans la continuité du mouvement des “dupes”, des produits inspirés des marques de luxe, mais sans violer leurs droits de propriété intellectuelle, à l’inverse des “Pingti”. 

Ce phénomène oblige les Maisons de luxe à repenser leur stratégie pour préserver leur valeur perçue, notamment en renforçant leur image de marque, en innovant, et en s’adaptant aux nouvelles attentes des consommateurs chinois, qui recherchent désormais un équilibre entre qualité et rationalité dans leurs achats. 

Déborah Marino (Publicis Luxe) met en lumière l’évolution des attentes de la Génération Z, qui valorise davantage la créativité que l’authenticité, ouvrant ainsi la voie à “l’anoblissement du fake” dans le secteur du luxe. Ce phénomène dépasse les simples contrefaçons pour toucher des aspects plus vastes, comme les NFTs ou les produits “dupe” dans la beauté, très populaires sur des plateformes comme TikTok. Les jeunes consommateurs adoptent une attitude décomplexée face aux produits contrefaits, les percevant comme des alternatives créatives et parfois plus amusantes que les originaux. Certaines marques jouent sur cette ambivalence, comme Gucci lors d’un défilé où ses sacs portaient la mention “fake”.

Ce qui était auparavant un phénomène discret est aujourd’hui complètement assumé, avec des milliards de requêtes sur TikTok et une attitude décomplexée des jeunes consommateurs envers les produits contrefaits. Un exemple frappant de cette tendance est l’affaire Mason Rothschild, qui a produit de faux sacs Birkin en NFT. Bien qu’il ait perdu son procès contre Hermès, les jeunes continuent de les acheter, car ils les trouvent plus créatifs et amusants que les originaux. Pour eux, le Birkin est un objet culturel qui appartient à tout le monde et ne devrait pas être limité par la propriété de la marque.« 

Cette tendance redéfinit les frontières entre réel et faux, brouillant les distinctions habituelles dans la communication visuelle et les stratégies marketing des marques de luxe. Le fake devient ainsi un espace créatif légitime, où les marques peuvent expérimenter et innover en jouant sur la dualité entre réalité et imitation. Cette approche permet aux marques de toucher un public plus jeune et connecté, en réinterprétant les codes du luxe de manière innovante et audacieuse.

Ce jeu de dupes s’observe également dans cette nouvelle esthétique de vraies-fausses paparazzades vu dans les campagnes de Bottega Veneta avec A$AP Rocky et Kendall Jenner ou encore le couple d’alors Bad Bunny and Kendall Jenner (encore) pour Gucci et aussi Balenciaga.

« Les jeunes générations évoluent dans un monde où la technologie permet de dupliquer la réalité à tous les niveaux. Des outils existent pour recréer des expériences de vacances ou des objets de design à moindre coût, ce qui rend le fake une alternative tout aussi légitime qu’un produit authentique, note celle qui gère la stratégie au sein de Publicis Luxe. Cette tendance se traduira par des visuels et des contenus qui brouillent les frontières entre le réel et le faux, avec des marques grand public qui n’hésiteront pas à réinterpréter les codes du luxe à leur manière.« 

5. Durabilité et luxe responsable

La responsabilité sociale et environnementale devient un pilier central pour le luxe, avec une forte demande pour des pratiques plus durables et transparentes. En parallèle des “pingti”, le phénomène du luxury shame s’intensifie en Chine, où afficher ostensiblement des produits de luxe est de plus en plus perçu comme indécent ou arrogant, en particulier dans un contexte économique plus fragile. Les consommateurs chinois, fervents consommateurs de produits de luxe voyants, tendent dorénavant vers une consommation plus discrète et réfléchie, privilégiant des marques et produits qui incarnent un luxe plus subtil et responsable. Au premier trimestre 2024, les ventes du groupe LVMH ont ainsi ralenti de 6% en Asie, à l’exclusion du Japon. Cela pousse les Maisons à développer des collections plus discrètes et à communiquer sur des valeurs comme l’artisanat et l’authenticité plutôt que sur le prestige ostentatoire. 

Durabilité et luxe responsable

Le luxe durable s’affirme comme une tendance incontournable, avec des marques de plus en plus engagées dans des initiatives de responsabilité sociale et environnementale (RSE), observe Philipp Schmidt (Prisma Media) : “Les marques de luxe assument désormais leur responsabilité environnementale et sociale, en développant des récits ancrés dans des valeurs plus éthiques et durables. » Des programmes comme LIFE360 de LVMH illustrent cet engagement écologique, en impliquant l’ensemble des employés et sous-traitants dans une démarche responsable.

Ce qui n’a pas empêché une militante de l’association de défense des animaux d’interrompre un instant la présentation du film autobiographique de Pharrell Williams, Piece by Piece (en collaboration avec LEGO pour qui il a designé un set), au festival du film de Toronto en septembre dernier. Celle-ci brandissait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Pharrell: arrêtez de soutenir l’abattage d’animaux pour la mode ». Elle s’adressait donc moins au cinéaste qu’au styliste de la Maison Louis Vuitton.

Ce à quoi l’artiste a répondu par la suite qu’il travaillait justement à la question : « Rome ne s’est pas faite en un jour. Et parfois, lorsque vous avez l’intention de changer les choses et les situations, vous devez vous placer dans une situation de pouvoir et d’influence qui vous permet de changer les choses« .

« Certaines maisons de luxe investissent également dans le marché de la revente, créant des plateformes pour prolonger la vie de leurs produits. Cela permet de toucher une clientèle plus jeune qui peut accéder à ces produits à des prix plus abordables, sans nuire à l’image de la marque.« 

Du côté de l’agence Les Poupées Russes et de MAD, le futur du luxe repose sur un enjeu majeur : trouver le juste équilibre entre innovation créative et RSE par la valorisation des savoir-faire durables de l’industrie.  

Les marques doivent continuellement innover tout en étant responsables. L’une des grandes attentes des consommateurs, notamment des plus jeunes, est de voir les marques adopter des pratiques plus durables, que ce soit en termes de matériaux utilisés, de processus de fabrication ou d’impact environnemental. Les coups de communication, aussi créatifs soient-ils, doivent s’ancrer dans une démarche plus large et plus sincère”, affirment Delphine Coutable et Sébastien Duchateau (Les Poupées Russes).

Stella McCartney (de longue date) ou Hermès explorent ainsi l’utilisation de matériaux alternatifs comme le cuir végétal ou le mycélium. Pour le duo, ces marques montrent que l’innovation ne se limite pas aux nouvelles technologies, mais qu’elle englobe aussi l’éthique et la durabilité.

Nouveaux matériaux et éthique

Quelle valeur a un objet ? Celui de la marque apposée dessus, du temps mis à le confectionner, sa rareté, les matériaux utilisés, sa capacité à durer ou tout simplement celle qu’on lui donne ? Pour Julie Gonssard (2001 – La Pac), le retour à l’essence du luxe passe par l’accent mis sur le savoir-faire, la qualité des matériaux et la mise en avant de l’artisanat. Le luxe se positionne en tant que symbole de durabilité et de créativité, notamment grâce à des matières alternatives et une approche plus consciente, tout en continuant de raconter une histoire autour de l’objet.

Le parcours d’un client dans l’univers du luxe commence souvent par un objet ou un accessoire, avant de progresser vers des expériences de personnalisation exclusives, comme les salons VIP réservés aux clients les plus fidèles. Le savoir-faire des marques est de plus en plus valorisé, chaque maison de luxe s’appuyant sur son expertise pour répondre aux attentes de différentes clientèles, selon les marchés et les cultures. Des marques qui réussissent à l’international démontrent l’importance d’adapter leur offre, en combinant des matériaux nobles et un savoir-faire artisanal de grande qualité. »

D’autant plus face à “des générations plus critiques envers la mode en tant que concept, en raison de ses impacts écologiques. » « L’émergence de nouvelles matières, soutenues par des innovations d’entreprises comme Gaïa chez LVMH, montre que le luxe peut allier tradition et durabilité. Aujourd’hui, la matière et le savoir-faire sont des éléments centraux qui définissent la valeur d’un produit de luxe, au-delà de la simple esthétique ou de la marque.« 

Transformation et mondialisation 

Le luxe de 2025 se réinvente en naviguant entre tradition et innovation, tout en intégrant des tendances émergentes telles que l’anoblissement du fake, la culture internet et la co-création avec les consommateurs. Les marques qui réussiront à capter l’intérêt d’une nouvelle génération seront celles qui parviendront à exploiter ces nouveaux codes, tout en restant fidèles à leur authenticité et à leur savoir-faire. Toutefois, l’avenir du secteur ne repose pas uniquement sur ses qualités propres, pour Benjamin Legourd, fondateur d’Atelier Particulier, “le futur du luxe (à 2025 ou après) dépend de l’évolution des politiques publiques et taxation et de ce que l’on fait de la mondialisation. Dit autrement, cela n’aurait rien à voir avec les qualités et défauts intrinsèques au luxe, mais plus avec les conditions macro-économiques, comme pour le boom des 20 dernières années de ce secteur. Lecture que n’ont que peu les fanatiques de LVMH ou Kering.”

En parallèle, des enjeux cruciaux comme la montée de l’IA, la personnalisation et la durabilité, exacerbés par des phénomènes comme le « luxury shame » en Chine, obligent les marques à innover tout en renforçant leur responsabilité sociale. L’équilibre entre héritage et modernité, discrétion et flamboyance, sera la clé pour préserver leur exclusivité et répondre aux attentes d’une clientèle plus jeune, exigeante et connectée. Seules les marques capables de conjuguer innovation, authenticité et agilité face aux bouleversements économiques et sociétaux continueront à prospérer dans ce contexte en mutation.

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