Dans les coulisses des cérémonies des JO avec Thierry Reboul et Paname 24

Par Élodie C. le 19/09/2024

Temps de lecture : 11 min

Un succès. Que dis-je, un triomphe ! Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 se sont officiellement achevés le 8 septembre dernier (ou le 14 si l’on intègre le rab offert avec la Parade des champions sur les Champs-Élysées) après une course communicationnelle et créative de 6 ans. Les superlatifs ont fini par manquer devant la démonstration qu’a été la cérémonie d’ouverture des JO le 26 juillet dernier.

Six années durant lesquelles le COJO aura vécu et fait vivre des ascenseurs émotionnels aux Français, aux médias et aux agences embarquées dans l’aventure pour délivrer des cérémonies d’ouverture et de cloture à la hauteur des ambitions qu’une ville comme Paris se devait d’avoir. 

Il a fallu pas moins qu’un consortium de 5 agences réunies au sein de la structure Paname 24 (Auditoire, Havas Events, Ubi Bene, Obo et Double 2) pour matérialiser les idées créatives de Thierry Reboul et la vision artistique de Thomas Jolly. 

Thierry Reboul, directeur de la création de Paris 2024 et des cérémonies, Nicolas Dudkowski, co-fondateur de Double 2, Julien Carette, directeur général d’Havas Paris et président d’Havas Events, Cyril Giorgini, co-fondateur et CEO d’Auditoire et Michael Courcoux, fondateur associé d’ubi bene, lèvent le rideau sur l’envers du décor des deux cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024. Vous reprendrez bien encore un peu de JO ?

La genèse

Il était une fois. Nous sommes en juin 2017, Thierry Reboul est alors à la tête de l’agence qu’il a fondée en 2000, ubi bene. Impliquée avec d’autres agences dans la candidature de Paris aux Jeux Olympiques, celle-ci marque les esprits en “déroulant” une piste d’athlétisme flottante sur la Seine pour les Journées Olympiques.

Un défi fou” selon les mots de Thierry Reboul à l’époque, qui incite sans doute Tony Estanguet, encore co-président de Paris 2024, à lui proposer, en 2018, de rejoindre l’aventure Paris 2024, pour gérer l’image et les événements des Jeux en tant que directeur de la création. “Une première dans un comité d’organisation”, nous précise-t-il. “Tony Estanguet m’a demandé si j’étais prêt à quitter mon rôle d’agence-conseil pour plonger pleinement dans l’aventure, et j’ai accepté. J’ai alors pris des responsabilités très étendues : création des cérémonies, de la marque, de l’engagement, des célébrations en ville, et de tout ce qui, aux yeux de Tony, pouvait être visible et marquer les esprits.” Création du stade de la Concorde, proposition d’organiser les épreuves de surf à Tahiti, conception des médailles avec des bouts de tour Eiffel, création de la fameuse mascotte et bien évidemment cérémonies et grands événements, de Marseille à la célébration des athlètes.

Parallèlement, le COJO lance un appel d’offres pour les cérémonies d’ouverture et de clôture. Liberté a été donnée aux candidats de se présenter seuls ou en groupement. 

Nous avons constitué une task force, appelée Paname 24, composée de cinq agences pour répondre ensemble à cet appel, car nos savoir-faire étaient complémentaires, et que l’envergure des cérémonies demandait une collaboration solide et de confiance entre les agences”, précise Nicolas Dudkowski, co-fondateur de Double 2. Ce à quoi Julien Carette, directeur général d’Havas Paris et président d’Havas Events, ajoute : “Nous avons non seulement réfléchi ensemble, mais nous avons créé une entreprise commune dont nous sommes actionnaires, Paname 24, pour porter ce projet entrepreneurial de grande ampleur.

La collaboration Paris 2024 x Paname 24

La répartition des rôles était claire : les agences se chargeaient de la production exécutive, ce qui était déjà un énorme chantier, tandis que l’aspect artistique restait en dehors de leur périmètre et relevait directement de ma responsabilité, souligne Thierry Reboul. La direction artistique avait été confiée à Thomas Jolly, qui travaillait sous ma supervision, indépendamment des agences.

Nous avons mis en place une gouvernance claire avec un président, un directeur général, et chaque agence avait des fonctions transverses et opérationnelles. Nous avons collaboré pour recruter et constituer les équipes. Au final, Paname 24 comptait 200 salariés et gérait jusqu’à 6 000 personnes sur le terrain pour la cérémonie”, se remémore Nicolas Dudkowski. “Il n’y avait pas de distinction entre les agences au sein de Paname 24, on a mixé les équipes, raconte Julien Carette. Tout le monde a porté l’étendard Paname 24 et les Jeux, oubliant la société d’origine des collaborateurs, ce qui a été clé pour le succès.

Paname 24 a changé notre statut de concurrents à celui d’associés. Nous partagions les mêmes objectifs et les mêmes risques, ce qui a facilité notre collaboration. Nous avons travaillé en totale transparence et confiance. Il n’y avait pas de place pour des agendas cachés. Nous étions tous focalisés sur la réussite des cérémonies d’ouverture (noms de code : CR1 et CR3)”, explique de concert Double 2 et Havas Events.

La solution 100% interne a-t-elle été envisagée du côté de Paris 2024 ? Elle a rapidement été écartée en raison de sa complexité, “notamment par rapport à notre architecture”, précise le DC de Paris 2024. Quant à ubi bene, dont la présence dans Paname 24 a pu susciter des questions de conflit d’intérêts, bien que faisant partie du groupement, Thierry Reboul n’a pas participé à l’appel d’offres pour éviter tout conflit d’intérêt. Celui-ci a d’ailleurs vendu ubi bene à Obo en 2019 (ces deux agences ayant été rejointes en 2021 par Double 2 pour former le groupe The Banner).

La cérémonie

Les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques Paris 2024 ont été conçues avec des directives créatives bien définies pour refléter l’identité de Paris et de la France. “L’ambition était de réaliser les premières cérémonies en ville de l’histoire des Jeux Olympiques, explique Thierry Reboul. Le projet de la Seine, notamment, avait été développé par mon équipe et était déjà bien structuré lorsqu’il a été pris en main.” La narration des cérémonies, élaborée par la direction artistique en collaboration avec des auteurs, visait à mettre en lumière des aspects clés de la culture et de l’histoire française.

En termes de production, Nicolas Dudkowski précise : “Nous devions exécuter et budgéter les propositions de Thomas Jolly, notamment sur les infrastructures et la logistique des 6 km de Seine utilisés pour la cérémonie.

Les défis liés à la mise en scène et à la coordination de la première cérémonie étaient également importants. Cyril Giorgini, co-fondateur et CEO d’Auditoire, a souligné : “Le défi de la 1ʳᵉ cérémonie d’ouverture, c’est sa taille. Plusieurs dizaines de lieux de spectacle, de scène, de performances différentes réparties sur 2 fois 7 kilomètres de quai. En termes de production, comment piloter et orchestrer tous ces éléments si disparates pour ne former qu’un seul spectacle ? Nous avons dû coordonner des milliers de techniciens en simultané pour livrer à la perfection, mais aussi innover et réinventer notre manière de coordonner, de préparer, de piloter, de toper cette cérémonie.

Pour la deuxième cérémonie, le défi, c’était la précision : “Alexander Ekman, le chorégraphe, est un pur génie. Mais il a l’habitude des chorégraphies maîtrisées au millimètre sur des scènes plus simples comme l’Opéra de Paris. Il nous a fallu travailler, nous adapter et délivrer une organisation de production et spectacle d’orfèvrerie.

Enfin, Michael Courcoux, fondateur associé d’ubi bene, a mis en avant l’importance de respecter la vision créative : “Le défi principal était de réussir à traduire en production et de réalisation à la hauteur de la vision et l’imagination des équipes créatives pour ces deux cérémonies.

Ultime défi, imprévisible et pourtant si parisien : la pluie. 

Le jour J, il s’est mis à pleuvoir des cordes. La pluie, le vent et le débit de la Seine ont été des défis majeurs. Nous avions un plan de contingence extrêmement détaillé pour chaque éventualité, à peu près 8 000 lignes Excel… Finalement, nous avons livré 100 % de la cérémonie, même si certains tableaux n’ont pas été filmés (ils ont tous été exécutés) en raison des conditions, rappelle Nicolas Dudkowski, il manquait 120 danseurs sur 6 toits parisiens.

Pourquoi certaines prestations ont été enregistrées en diffusées en vrai faux direct ? “La pluie a nécessité de filmer certains tableaux en avance pour des raisons de sécurité, notamment ceux de Lady Gaga et des BMX. En revanche, la pluie a apporté un côté épique à la cérémonie”, estime Julien Carette comme beaucoup d’autres observateurs et téléspectateurs.

Les résultats 

– Un modèle validé

Le modèle de collaboration entre agences, mis en place pour les cérémonies de Paris 2024, pourrait devenir une référence pour d’autres projets. “Cela a prouvé qu’en unissant nos forces, on pouvait accomplir des projets ambitieux. À l’international, ce genre de collaboration pourrait nous permettre de gagner des projets ensemble plutôt que de les perdre seuls”, prédit Julien Carette (Havas Events).

Nicolas Dudkowski confirme cette ambition globale : “Aucun projet international ne nous fait peur après cette expérience. Nous sommes prêts à relever d’autres défis ensemble.

Pour Michael Courcoux (ubi bene), ce projet a permis d’atteindre un niveau inédit de collaboration : “Les événements de cette envergure sont rares. Même si les agences ont déjà l’habitude de travailler parfois en collaboration, ce niveau-là n’avait jamais été atteint. Le modèle a fonctionné parfaitement, ce qui valide son efficacité.

– Fierté et légitimité 

Sur le plan des retombées business, Nicolas Dudkowski note que leurs clients sont fiers que leurs agences aient participé aux cérémonies, bien que cela n’ait pas fondamentalement modifié leur position sur le marché. “Nous n’avons pas encore vraiment communiqué sur l’événement, explique Julien Carette, mais les relations bilatérales avec nos clients et prospects montrent un intérêt et une fierté indirecte.

Et de fierté, il en est également question du côté de Paris 2024. Thierry Reboul souligne : “Une des grandes fiertés de cette aventure, notamment en ce qui concerne Paname 24, c’est que pour la première fois, des agences françaises ont eu l’opportunité de réaliser des cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Cette collaboration leur a permis de démontrer leur légitimité à un niveau jamais atteint, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives, notamment à l’international.

– Une stature mondiale

Désormais, il appartient à ces agences de transformer l’essai et de franchir une nouvelle étape. Elles avaient déjà une certaine reconnaissance à l’international, mais pas sur des projets d’une telle envergure.” Ce succès marque un tournant pour ces agences, qui ont à présent les compétences nécessaires pour s’allier sur des projets d’envergure mondiale. 

Cette expérience place désormais les agences françaises en position de force pour prétendre à des projets internationaux majeurs, comme LA 2028, une opportunité que Thierry Reboul considère désormais accessible, “ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

– Réalisation d’un rêve

Nous avions un rêve, celui de produire ces 2 cérémonies d’ouverture. Et pour réaliser ce rêve, nous avons accepté de nous mettre tous au service d’un projet bien plus grand que nous et de revoir le rôle que nous avons l’habitude d’avoir sur tous nos projets, rappelle Cyril Giorgini (Auditoire). Accepter notre rôle de producteur exécutif, sans intervenir sur la création, nous a demandé de nous concentrer uniquement sur la livraison. Nous avons constitué la « dream team » de l’événementiel français, en nous faisant mutuellement confiance dans nos choix, car aucun d’entre nous ne maîtrisait pleinement toutes les ressources nécessaires. Travailler avec de nouveaux associés, dans des rôles inédits et avec des périmètres différents de ceux auxquels nous étions habitués, était un challenge.

C’est l’expérience la plus jubilatoire de notre vie professionnelle, car nous nous sommes tous effacés derrière le projet et rien d’autre.”

Cela a permis aux agences de sortir de notre « zone de confort » pour être à la hauteur du challenge qui nous était imposé. Cette expérience extraordinaire est une aventure humaine incroyable : nous avons fait des rencontres exceptionnelles et développé un réseau parallèle à celui de l’événementiel « classique »”, se réjouit Michael Courcoux.

Les clés de succès

– L’union
L’union fait la force, surtout quand l’enjeu dépasse les intérêts individuels. Ce projet a montré qu’en se rassemblant autour d’un objectif commun, on peut accomplir des choses extraordinaires”, explique Julien Carette (Havas Events).

Cette union ne fonctionne que si tous les associés ont le même état d’esprit, celui de relever des challenges incroyables avec audace et ténacité”, souligne Nicolas Dudkowski (Double 2).

– L’ambition
Je ne vois qu’un seul mot, ambition. À partir du moment où le JOP a choisi la ville de Paris pour mettre en scène les cérémonies, nous savions tous que nous rejoignions le projet le plus ambitieux jamais imaginé”, explique Cyril Giorgini (Auditoire).

– Le challenge et la résilience
Challenge permanent, résilience, prise de risque, réunion de talents, confiance partagée, et une seule et même équipe (Paris 24 + Paname 24)”, note pour sa part Michael Courcoux.

– La création et la rupture
La capacité de rupture est essentielle : l’importance de sortir des cadres traditionnels, d’investir l’espace urbain plutôt que de se limiter aux salles de concert ou de théâtre. Je n’aime pas les murs. Si on veut s’adresser à un public plus large, il faut sortir de ces espaces fermés et investir l’espace urbain. Je suis convaincu que c’est une vision d’avenir”, explique Thierry Reboul, habitué des coups d’éclat. 

Je ne m’attendais pas à ce qu’une cérémonie puisse recréer une telle unanimité au sein d’un pays. Au mieux, je pensais rassembler, disons, environ 60 % de la population, une majorité relative. Mais voir l’ensemble du pays retrouver le moral et un véritable sentiment d’unité, vivre ensemble autour des cérémonies et des Jeux Olympiques, a été la plus grande satisfaction. Cela a également contribué au succès général des compétitions et à l’ambiance dans les stades. Les cérémonies ont vraiment été le déclencheur de tout cela. Je ne pensais pas qu’un événement d’une telle ampleur pourrait à ce point rassembler une nation, et cela m’a profondément surpris et ravi.” Thierry Reboul.

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