Craft : Les 4 tendances de la production film pour 2023

Par Élodie C. le 23/02/2023 - Agence : BETC

Temps de lecture : 12 min

Du low craft à l'hyper réalité.

Qu’est-ce qui est craft et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Le débat paraît sans fin puisqu’il serait surtout affaire de goût. Certains l’aiment “léché”, d’autres plus authentique, quand certains aiment mixer, voire superposer les techniques. Et puisque derrière chaque grande création publicitaire il y a un studio de production qui opère, nous avons choisi de les mettre en lumière. 

Gageons qu’à l’instar de la création publicitaire, la production sera influencée / inspirée par les univers digitaux et ses outils “intelligents”. Quels outils, formats et visions donneront corps aux idées les plus créatives ?

De Birth, à BETC, en passant par Frenzy, La Pac ou encore Hungry & Foolish, un panel resserré de sociétés de production nous dévoile leurs tendances craft pour 2023. Moteur !

Less is more

Dans une société du “toujours plus”, ou l’exubérance rivalise avec l’ostentatoire, la sobriété est plus que jamais d’actualité (même du côté des influenceurs, c’est dire). Une sobriété que l’on retrouve dans les publicités diffusées lors du Super Bowl. Comment cette grand-messe publicitaire peut-elle faire preuve de sobriété quand ses trente secondes d’antenne s’arrachent 7 millions de dollars et que chacune d’elles aligne autant de stars qu’une cérémonie des oscars ? 

Tout est dans le craft low profil, explique Karim Naceur, global head of TV production de BETC : “Sans surprise, l’événement est extraordinaire et pour nous, publicitaire, il donne le ton des tendances à venir en production. S’il y a toujours un florilège de stars et que c’est la compétition au film le plus impressionnant et spectaculaire, j’ai retenu un retour aux films des années 90-2000 avec un craft pas forcément très développé.” Il évoque ainsi le clip de Squarespace avec Adam Driver et son côté “maquette”, ou celui de la marque de mayonnaise Hellman’s avec Jon Hamm et Brie Larson dont la présence au milieu d’aliments géants apporte une dimension comique.

C’est le retour des films à l’ancienne, comme Dunkin avec Ben Affleck ou Avocado From Mexico qui est, pour moi, la masterpiece de cette année. Son florilège de tableaux très low craft servent parfaitement le storytelling de la publicité et confère un ton unique. Ces films prouvent qu’il n’y a plus besoin de millions pour faire des films humoristiques, juste d’une bonne idée et d’une direction artistique cohérente avec son propre ton.” 

Peut-on s’attendre à ce que cette tendance traverse l’Atlantique ? Celui qui a signé la “petite production” pour CANAL+, Le Secret de Wakany, observe que les films de BETC produits l’année dernière ou en cours de production sont plus portés sur “la sincérité du ton et du propos. La post-production, même si elle sera toujours sophistiquée avec un certain niveau d’exigence, signe un retour à la vraie idée, l’authenticité avant même le rendu.

Elsa Rakotoson, fondatrice et CEO de Frenzy Paris, est du même avis : “L’absence de craft est « le » craft lorsqu’il est au service du propos.” Comme lorsque RSF laisse parler les faits pour lutter contre la propagande et la désinformation de l’État russe.

Big craft 

De l’autre côté du spectre, le “big craft” se fait tendance, poursuit Elsa Rakotoson, une “valeur sûre car les grands films méritent des grands écrans’”, comme le rappelle Pathé.

Autres valeurs sûres du marché, les formats longs et cinématographiques “qu’il s’agisse d’une tonalité comédie ou plus axée sur l’émotion”, ce que nous donne à voir la saga Intermarché, le film du réalisateur Arnaud Desplechin pour la Fondation Abbé Pierre ou encore le blockbuster “Le secret de Wakany” de CANAL+

Le craft se fait “big” lorsqu’il se met au service de l’engagement : c’est la campagne « Real Tone » de Google, réalisée par Joshua kissi, en collaboration avec Lizzo. “Google souligne ici l’importance de la photographie pour capturer différentes carnations et couleurs de peau, explique la CEO de Frenzy Paris. Ce film et ce parti pris visuel se basent sur le constat historique d’une technologie de capteurs qui, jusqu’ici, ne prenaient pas en compte les carnations dans les tonalités les plus foncées.

Entre onirisme et hyper réalité

La technologie sert ainsi autant à révéler une réalité invisibilisée car brouiller les lignes entre réalité et réalité artificielle. Qu’est-ce que le réel ?

D’autant qu’aujourd’hui, avec la multiplicité des plateformes, formats et outils, “les grandes campagnes peuvent avoir une vie qui se prolonge sur une plateforme métaverse, un monde virtuel ou une activation AR, souligne Hugo Legrand-Nathan, fondateur, CEO et producteur de Birth. Cela nous incite à repenser les campagnes à 360° avec plus d’immersion, d’épaisseur et d’interactivité.

Au-delà des métavers et autres avatars, les produits sont eux aussi « digitalisés » et assumés en l’état, ce qui rend encore plus fort le parti pris global, estime Laura Sacarrère, directrice des productions chez Hungry & Foolish. Les produits ne sont plus traités de manière ultra réalistes : ils sont présentés selon le même niveau de rendu que les univers créés sur mesure pour les accueillir.” Comme dans cette vidéo de Hugo Richel pour Valentino.

Les campagnes deviennent de plus en plus mixtes, avec de la 2D, de la 3D et même du live action. “Le storytelling publicitaire est en train de se repositionner. L’interactivité, l’innovation et le community building poussent à créer des parcours utilisateurs plus captivants et immersifs que les médias traditionnels.”

Preuve en est avec leur travail pour Audemars Piguet en 2022 où il a fallu “challenger et pousser le craft encore plus loin pour l’appliquer sur la réalité augmentée, nous avons repris chaque séquence du film dans des filtres de réalité augmentée en utilisant les « assets » déjà existants et en les conceptualisant pour la marque.

Ces campagnes mixed-media prennent de plus en plus d’ampleur, avec pour cible la GenZ, assure la maison de production.

Laura Sacarrère, directrice des productions chez Hungry & Foolish, voit également ce mix s’imposer : “Accumuler et superposer des images en tout genre issues de différentes techniques – photo/illustrations/GIF/3D, etc. – dans une sorte de surenchère visuelle, de joyeux « bordel » organisé pour une approche ludique et tout en énergie. Plus il y en a, plus on prendra plaisir à voir et à revoir ces films, histoire de découvrir les détails qui s’y cachent.” Les easter eggs du craft en somme.

Pour Hugo Legrand-Nathan, la digital fashion vient s’imposer comme un point tournant dans le craft en 2023 : “Nous entrons dans une réalité hybride qui oscille entre le réel et le digital. L’approfondissement de cette frontière est tout l’enjeu de cette nouvelle ère. Nous devons explorer la matière digitale dans le temps et l’espace.” 

Cela donne la campagne Burberry avec l’avatar de Naomi Campbell conçue par Frederik Heyman, les création d’artistes digitaux comme Guillaume Soze (Sauzey) ou Pleid ST avec la collection de NFT NEO DLX.

“Les grandes maisons de luxe ont toujours su visualiser en amont les mouvements et tendances de société. À l’heure où les marques, notamment de luxe, se sont intéressées au digital fashion, une nouvelle génération devient friande de contenu et d’expériences personnalisées”, conclut le producteur.

Une démarche qui s’observe partout. De Louis Vuitton avec Nicolas Ghesquière à Balmain en passant par Gucci ou Givenchy, les maisons de luxe utilisent depuis longtemps le digital et ses artefacts, notamment dans le JV, comme moyen d’expression.

« Je crois que nous sommes à la croisée des chemins en ce début d’année, observe pour sa part Jérôme Denis, CEO de La Pac. Avec la nomination de Pharrell Williams à la tête de la création de la maison Louis Vuitton homme comme synthèse : la mode, la street culture, la conversation entre les 2 infusent le craft. Expressions libres, formes libres, collages, remix, patchworks… après un cycle très orienté vers l’authentique, le vrai – inspiré d’approches documentaires ou du cinéma du réel -, le craft se sophistique à nouveau à la recherche de formes”. 

L’univers du gaming est un parfait terrain de jeu qui “traverse désormais les narrations avec des caméras plus libres, hyperboliques, qui explorent l’intégralité d’une scène et donnent souvent le sentiment d’une immersion plus importante. Mais aussi des univers représentant une hyper-réalité : les villes se font plus grandes, les espaces désertiques toujours plus étendus, le réel est altéré et amélioré pour créer une dimension plus entertainment et faire rêver.” 

Pour le CEO de La Pac, Quentin Deronzier incarne parfaitement cette nouvelle tendance avec la campagne Nike adapt pour Nike Portland ou sa dernière campagne pour Audemars Piguet avec Publicis Luxe : “La frontière entre réel et hyper réel est mince et crée un spectacle inattendu, puissant et raffiné.”

Jérôme Denis (La Pac) cite également le film des Daniels (Daniel Scheinert et Daniel Kwan), 11 fois nominés aux oscars cette année, Everything everywhere all at once : “Le film explore sur une trame narrative simple un craft gaming et méta, fait de mondes parallèles et de réalités en layers. Le craft tend à se complexifier avec plusieurs layers. Comme un effet de miroir à vies qui elles-mêmes se multiplient dans un même instant être le réel et les différents réseaux sociaux sur lesquels elles se déploient. Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui est 3D ?” 

D’autant qu’aujourd’hui, les marques cherchent de plus en plus à brouiller les perceptions, à faire se confronter plusieurs réalités autour d’expériences toujours plus immersives. James Cameron le proposait déjà en 2009 avec Avatar lorsqu’il a “imposé” la 3D dans les salles obscures. 14 ans plus tard, les mondes de Pandora qu’ils présentent dans La Voie de l’eau sont toujours plus oniriques et confirment l’avenue de cette technologie. 

Pour Laura Sacarrère (Hungry & Foolish), faire vivre des expériences visuelles virtuelles oniriques au travers de textures, formes, couleurs, angles de vue, transitions d’une richesse infinie sera l’une des grandes tendances craft en 2023. “On voyage ainsi dans des univers étrangement beaux (parfois même psychédéliques), les frontières avec la réalité s’effacent. En immersion sensorielle à l’image comme au son, les sens sont stimulés, les rêves les plus fous prennent vie.

C’est aussi raconter des histoires sous le prisme de l’animation japonaise et de la culture manga “pour aller toucher nos âmes d’enfant”. “Quand Chanel et Head & Shoulders s’approprient ce traité, on sort complètement des codes habituels du luxe ou de la cosmétique. C’est divertissant et presque rassurant de nous toucher ainsi, dans un contexte où l’univers audiovisuel est en pleine évolution, voire révolution…

Vous avez dit intelligence artificielle ?

Difficile d’y échapper tant la tendance est “lourde” (au sens propre comme au figuré ?) ces derniers mois. Jérôme Denis (La Pac) le concède, l’IA sera, “à coup sûr, un nouvel outil qui va se démocratiser à la vitesse de la lumière et qui va enrichir la palette de ‘jouets’ avec lesquels réaliser des images.” L’une des réalisatrices de La Pac, Lisa Paclet, vient justement de réaliser un court métrage 100% IA ‘Midnight Interviews’ et travaille à un clip avec le label Ed Banger en ce moment. 

Les apps IA en soi n’ont rien de nouveau, concède-t-il. Elles s’inscrivent dans la longue histoire de la création virtuelle, de l’animation, des VFX (les effets spéciaux donc, NDLR)… elles offrent une simplicité a priori d’aboutir à une image inexistante. En revanche, elles promettent de “redéfinir les standards de fabrication d’image sans aucun doute, sans pour autant résoudre la sempiternelle question qui traverse chaque prise de décision pour un réalisateur sur un film, à savoir ce qui est juste et qui dégage la bonne émotion (rire, larme, choc esthétique, etc.) ?« 

Pour Karim Naceur (BETC) à côté du low craft, il restera toujours des films super bien produits à coup de millions, comme ceux du Super Bowl. Cela restera toujours à la mode, mais ils permettent également de suivre les évolutions technologiques. “Année après année, ces films permettent de visualiser les moyens mis en place et d’observer le rendu de post-production arriver aujourd’hui à un certain niveau, de quasi perfection.” En écho à ses homologues, il constate lui-même que les frontières entre ce qui est tourné en réel ou non tend à se brouiller.

Il poursuit : “Nous restons très vigilants avec la production virtuelle, l’IA, etc. Plus ce sera intégré, plus on l’oubliera. Et ça va dans le sens de la tendance low craft : cela servira des productions moins fortes à l’image, mais plus intégrées.” Le low craft se place ainsi en réponse aux phénomènes des IA. “C’est le retour à l’essence même du film, faire passer un message sans mettre des millions dans une production ouvre un champ de possibilités créatives. L’idée primera toujours sur un craft super-sophistiqué.

Les intelligences artificielles n’ont pas suscité un grand enthousiasme chez Elsa Rakotoson, de Frenzy Paris : “Les quelques campagnes utilisant l’IA sont encore décevantes en matière de craft (Martini « Unbottling »). Nous sommes encore en attente de campagnes « Films » ouvrant à toutes les perspectives que permet l’IA, soit une dimension plus artistique et expérimentale dans l’approche visuelle… mais cela ne saurait tarder, une nouvelle vague de créatifs et réalisatrices/teurs émergent actuellement !” Elle évoque ainsi

Ffio0ul, un studio créatif dont les réalisateurs viennent de signer le teaser pour la plateforme « We Are All Angel » de Mugler où la marque vend des NFT créés par Marc Tudisco. 

Laura Sacarrère (Hungry & Foolish) quant à elle se voit bien innover en collaboration avec des AI et créer des contenus audiovisuels inattendus : “La technologie vue comme une team avec les créatifs ouvre les portes vers des images puissantes et innovantes, celles qui marquent les esprits. À l’instar du clip de Disturbed Bad Man, réalisé avec Midjourney en un temps record (1 mois), qui dénonce le sort du peuple ukrainien sur la base de milliers et de milliers d’images d’une grande intensité. On réinvente aussi certaines techniques pour leur apporter un nouvel élan de fraîcheur, comme celle du Stop motion version AI de Paul Trillo et de ses concepts cars.” 

La directrice des productions attend désormais d’être bluffée par les intelligences artificielles côté son, puisque la partie image a fait ses preuves. “2024 sera certainement une année phare pour ce qui touche au sonore.” Et ce n’est pas Spotify, qui vient de dévoiler un DJ personnel dopé à l’IA, qui va la contredire.

À toi de jouer 2023 !

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