Fyre Festival : quels enseignements pour le marketing d’influence ?

Par Élodie C. le 28/01/2019

Temps de lecture : 9 min

La génération Instagram piégée par ses propres outils.

Fin décembre 2016, les 10 mannequins / influenceuses les plus en vue de la planète – Bella Hadid, Emily Ratajkowski ou encore Alessandra Ambrosio et Hailey Baldwin – partagent des clichés de ce qui semble être leurs vacances au soleil sur Instagram. Elles annoncent la tenue prochaine d’un festival au nom évocateur, le Fyre Festival, et invitent leurs followers à les y rejoindre en partageant le lien de l’événement. Un message bientôt relayé par une horde d’influenceurs. Très vite, la toile s’emballe, s’interroge, trépigne d’impatience jusqu’au jour J où la supercherie est révélée. En lieu et place d’un festival de luxe, les participants découvrent un site en construction, sans infrastructure, électricité, célébrités promises et programmation musicale haut de gamme. Comment une campagne reposant intégralement sur l’influence et les réseaux sociaux a-t-elle pu virer au fiasco ?

La promesse

Cela devait être l’événement de l’année 2017, voire même de la décennie : les modèles les plus tendances du moment réunies dans un film promotionnel paradisiaque annonçant la première édition du Fyre Festival, planté quelque part aux Bahamas, sur une île ayant autrefois appartenu à Pablo Escobar. Ajoutez à cela un co-organisateur VIP en la personne du rappeur Ja Rule – caution people / line-up – et une publication énigmatique postée par quelques 400 influenceurs avec pour toute légende #FyreFest, et vous obtenez, en seulement quelques jours, un phénomène mondial. Le Fyre Festival était né !

Tout ce tapage concentré en une promesse : vivre une expérience unique, exclusive, et évidemment luxueuse, sur une île privée des Caraïbes le temps d’un week-end, avec tout ce que le monde (bon, disons plutôt les États-Unis) compte de happy few. Soit une grande fête hautement instagrammable entre élites fortunées concoctée par Fyre Media, la société fondée par Ja Rule et son associé Billy MacFarland.

À l’époque, le Fyre Festival est censé promouvoir l’application du même nom, Fyre, dont la vocation est de permettre à des personnes ou sociétés de « booker » des artistes musicaux pour des événements.

Problème, Billy MacFarland a vendu un festival qu’il n’a même pas commencé à organiser. 48 heures seulement après l’ouverture de la billetterie, l’événement affiche complet. Du jamais vu pour la première édition d’un festival. L’attente n’en est que plus énorme. Certains participants ont déboursé entre 2 000 et 12 000 dollars par personne pour s’offrir cette part de rêve, sur la seule foi d’un teaser partagé en masse sur les réseaux sociaux, du bouche-à-oreille et des célébrités “parrainant” le festival. Nous sommes alors fin 2016 et le festival doit se dérouler quelques mois plus tard, en avril. Pendant ce laps de temps, la communication est aussi millimétrée que verrouillée, l’organisation ne fournit aucune information sur les installations (hébergements, villas, etc.), la programmation des artistes ou tout autre renseignement relatif aux festivités. Le site de l’événement (aujourd’hui hors ligne) n’est pas plus bavard, les curieux n’ont droit qu’à une revisite écrite du film promotionnel : « Chez Blackbeard et Pablo Escobar… le Fyre Cay vous attend. D’une chasse au trésor en immersion, aux plus grands esprits de la musique, de l’art et de la cuisine. Rejoignez-nous ».

La campagne de lancement

– Une semaine de vacances aux Bahamas pour la dizaine de mannequins engagées, afin de filmer le teaser de l’événement et publier des clichés sur les réseaux sociaux.

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work is tough ?

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– Le 12 décembre, 63 influenceurs postent simultanément la même publication, un carré orange accompagné du hastag #FyreFest. Bilan : 300 millions d’impressions en 24 heures. Kendall Jenner reçoit 250 000 dollars pour son unique publication, contre 20 000 dollars minimum pour les autres influenceurs.

– Une seconde vague de 400 autres influenceurs relaie la publication. Une opération chapeautée par Jerry Media, l’agence de l’influenceur Fuck Jerry.

Le fiasco

Toutefois, ce plan de communication savamment dosé ne résistera pas à la réalité : le Jour J, lorsque les hordes de festivaliers découvrent l’étendue du mensonge. Rien n’est prêt et / ou conforme à ce qui leur a été vendu. Le festival entre millennials fortunés vire au cauchemar : site en construction, bagages égarés puis distribués en pleine nuit, nuée de tentes FEMA (Federal Emergency Management Agency) réparties sur un terrain vague pour tout hébergement, très loin des villas promises, bagarres pour se nourrir, organisation aux abonnés absent ou totalement dépassée et… aucune Kendall Jenner à l’horizon pour vous accueillir sur son yacht.

Une immense débâcle symbolisé par une image devenue virale en même temps qu’elle ajoutait le dernier clou au cercueil de l’événement et révélait la supercherie : le sandwich au fromage servi à ces festivaliers de luxe.

Il est d’ailleurs assez ironique de relever que ce qui a contribué au succès foudroyant du festival est également à l’origine de leur chute. Les publications montrant l’escroquerie ont submergé les réseaux sociaux, que ce soit sur Instagram ou Twitter. Les festivaliers évoquent un « camp de réfugiés » et parlent de conditions digne de Hunger Games. À quelques semaines de l’échéance, le compte @Fyrefraud tentait d’alerter le public sur la catastrophe annoncée, mais sans trouver de véritable écho. Pire, l’organisation du festival supprime les commentaires critiques et bloque la fonctionnalité sur Instagram.

Trois ans après son retentissant échec et la mise sous les verrous de sa tête pensante, Billy McFarland, le Fyre Festival refait parler de lui avec la sortie quasi simultanée de deux documentaires sur les plateformes Hulu et Netflix. Titré Fyre, le meilleur festival qui n’a jamais eu lieu, la mouture de Netflix autopsie de manière chirurgicale la débâcle courue d’avance et dévoile comment le marketing d’influence a servi à vendre une illusion. Celle d’en être et de pouvoir frayer avec ceux qui en sont à grand renfort de filtres Instagram.

Les enseignements

– Une prescription à double tranchant
Comme 8 Français sur 10 avant d’effectuer un achat en ligne, qui ne lit pas les avis et autres recommandations publiées en ligne ? À ce jeu-là, les influenceurs ont un pouvoir de prescription énorme et incontestable : 75% des internautes français ont déjà effectué un achat après la publication d’un influenceur. Transposée dans le contexte du Fyre Festival, la communauté des mannequins Instagram et influenceurs approchés s’est embrassée : 6 000 personnes étaient attendues. Il s’est vendu plus de tickets qu’il n’était possible d’accueillir de personnes sur place et encore moins dans les conditions espérées. L’organisation n’a jamais eu les moyens de ses ambitions, tout en s’entêtant à prêcher l’inverse.

Utiliser un tel pouvoir de prescription sans être capable de délivrer le service vendu est périlleux, si ce n’est suicidaire, pour une marque. Tout en s’avérant très coûteux : des millions de dollars ont été dépensés en influence pour lancer la machine. Kendall Jenner, annoncée au Fyre Festival et payée 250 000 dollars pour son unique publication, n’a jamais mis les pieds aux Bahamas. Le deal le prévoyait-il seulement ? La jeune femme promettait néanmoins des pass VIP pour ses followers et un code promo utilisable dans les 24 heures pour être sur la liste de l’aftershow du Fyre Festival en présence des artistes présents. Cette publication a généré plus de 7 millions de vues… et combien d’achats via cette affiliation qui ne dit pas son nom ?

Certains pourront d’ailleurs s’étonner qu’aucun des influenceurs grassement rémunérés pour faire la promotion du festival n’ait eu à répondre de leur “recommandation”.

Si vous êtes payés pour cautionner un festival, n’êtes-vous pas responsable de la qualité dudit festival, s’interroge le head of innovation de l’agence Zenith Tom Goodwin. Cette question semble d’ailleurs plus viser les Jenner, Ratajkowski, Hadid et consorts que les centaines d’influenceurs “lambda” invités au festival. Ces derniers ont vu leur week-end de rêve virer au cauchemar, et ce, dès le vol aller. Premiers témoins des errements de l’organisation, ces influenceurs si prompts à promouvoir le festival furent ceux qui ont causé sa perte. À grand renfort de photos et vidéos, leurs publications ont rapidement mis fin à la supercherie.

Ou de l’utilité de soigner le service client autant que l’expérience utilisateur plutôt que de tout miser sur le lancement. Le social media doit être utilisé comme une stratégie globale et non être confiné au seul lancement produit. Ce sont d’ailleurs ces mêmes influenceurs qui se sont ensuite retournés contre Billy MacFarland et Fyre Media en entamant des poursuites judiciaires.

– Le savoir-faire événementiel ne se disrupte pas
L’événementiel est un métier. Construire une bonne e-réputation et générer un haut de désirabilité nécessite sans doute une bonne compréhension des réseaux sociaux et ses rouages, cependant un savoir-faire digital ne remplacera jamais un savoir-faire événementiel. Une première édition plus modeste aurait sans doute été plus sage. L’organisation aurait eu tout le temps de faire valoir l’aspect exclusif de l’événement en n’invitant des personnalités triées sur le volet par exemple.

– Un outil promotionnel démesuré
Rappelons une nouvelle fois que le Fyre Festival n’est, à l’origine, que la campagne de promotion d’une application de booking d’artistes musicaux. Un levier promotionnel absolument disproportionné par rapport aux enjeux de la société à ce moment-là. La société vient de se monter, Fyre est le premier service proposé par la compagnie, les résultats sont alors incertains. Par ailleurs, l’application de booking est réservée à un usage événementiel. Il aurait été plus logique d’orchestrer une communication B2B ou du moins viser les riches organisateurs de soirée plutôt qu’un festival aussi grandiloquent. Fyre aurait pu se faire une place, mais le festival qui devait lui permettre d’exister l’a finalement condamné à ne jamais voir le jour.

– La transparence
Pourtant généreusement rémunérées, Kendall Jenner ou Bella Hadid n’ont jamais mentionné le caractère sponsorisé de leur publication. Laissant croire à leurs followers qu’elles avaient un lien avec les organisateurs du festival et qu’elles seraient présentes pour festoyer avec eux. À ce titre, les deux agences représentant les modèles Instagram, ainsi que Kendall Jenner, ont reçu une citation à comparaître pour s’expliquer sur le détails des montants versés par MacFarland et Fyre Media.

À aucun moment, Billy MacFarland et son équipe de choc n’ont accepté l’évidence : l’échec total de leur festival. Jusqu’au jour J, alors que tout partait à vau-l’eau, ils pensaient encore pouvoir duper leur monde. En s’enfermant dans leurs mensonges, ils ont empêché tout aucun retour en arrière. En assumant certaines erreurs, Fyre Media aurait pu laisser le choix aux clients d’annuler, ou de venir en toute connaissance de cause.

Une phrase résumait à elle seule cette campagne désastreuse : lorsque des employés de Fyre Media tentent de pointer les dysfonctionnements et parlent alors de “fraude”, Grant Margolin, responsable du marketing du festival, rétorque : ce n’est pas de la fraude, c’est de la publicité mensongère. Ce qui n’est rien d’autre qu’un type de fraude.

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