Les 9 tendances graphiques de 2023

Par Isadora L. le 08/12/2022

Temps de lecture : 13 min

Un bazar organisé semé d’art génératif et de bonds en arrière.

Au sortir de ces quelques années moroses et anxiogènes, les couleurs vives et explosives – pourvu qu’elles soient extravagantes – ont battu leur plein cette année. Nous entrerons d’ici peu en 2023, et nous pouvons d’ores et déjà vous annoncer que les tendances que notre pool d’experts issus de la communication visuelle prévoit pour l’année prochaine se complètent parfois, s’opposent souvent mais « une volonté commune se dessine, celle de s’approprier la réalité pour en créer une nouvelle, soit pour dénoncer, questionner ou proposer un nouveau regard sur notre monde », explique Fabien Gailleul, directeur de création de The Good Company.

De l’effervescence des intelligence artificielles en passant par la réappropriation des codes des années 80, 90 et 2000, la création de 2023 sera teintée de vitamines sur fond de « bazar organisé », terme employé par Thomas Mele, directeur artistique chez Lonsdale

Quelles seront les grandes tendances de design graphique en 2023 ? Réponse dans ce dossier tendances porté par ceux qui la font.

1. L’IA et l’art génératif

Les IA sont capables de créer des photos, des illustrations, des clips et autres œuvres d’art des plus réalistes en seulement quelques clics. Ces techniques peu accessibles autrefois ont connu un saut technologique notable courant 2022 – avec l’émergence des programmes comme DALL·E (OpenAI), Stable Diffusion ou encore Midjourney. Cet art génératif – dont les agences commencent peu à peu à s’imprégner – est devenu beaucoup plus accessible qu’avant. Pour Fabien Gailleul, « tout le monde peut devenir DA en moins de 5 minutes grâce à cette technologie ». Il souligne également que l’étymologie du mot « prompt” n’est pas sans nous rappeler l’action de faire quelque chose sans tarder. Thierry Silvestri, directeur de création chez Hula Hoop, voit en cet outil une puissante source d’inspiration et de créativité – plutôt qu’une machine qui remplacerait le travail des DA et graphistes en herbe.

Le créatif nous a d’ailleurs rappelé l’incroyable campagne Heinz réalisée cet été à l’aide de Dall-E 2. Le leader du ketchup avait demandé à l’IA de générer des images de ketchup à partir de textes, mots-clés et descriptions pour prouver que la marque était dans toutes les consciences. 

Pour Paul Groves, directeur de création de l’agence W, cette forme d’art sera accessible au plus grand nombre l’année prochaine. « Le potentiel de cette nouvelle forme de créativité est infini. Elle laisse place à une fantaisie immersive », précise le DC. Ces intelligences réussissent à faire écho à des univers aux techniques inaccessibles comme des chefs-d’œuvre du XVIIIe siècle.

« Encore faut-il être suffisamment créatif et inspiré pour savoir en révéler tout le potentiel. Espérons le, la rapidité n’ira jamais à l’encontre de la qualité” clame Fabien Gailleul. Le DC a énuméré quelques artistes qui commencent à utiliser ces outils avec la publicité – notamment David Lindberg, Jeff Han, Ben Roffelsen ou encore Mario Cavalli.

Les IA sont capables de créer des clichés dignes des plus grands photographes « Yann Arthus Bertrand en PLS » – Fabien Gailleul.

Pierre Bouvet, We Are Bandits, nous fait d’ailleurs remarquer que « nous ne faisons plus la différence entre la création d’un humain ou celle d’un ordinateur », la preuve en est.

Pour Reza Bassiri, chief creative officer chez Carré Noir, « ces nouveaux outils décupleront la capacité des directeurs artistiques à explorer le champ des possibles ».

Autre fait intéressant relevé par Thierry Silvestri : un clip musical a été généré intégralement par une IA. Celle-ci s’est basée sur les paroles de la chanson, quelle prouesse technologique ! 

2. Back to the past

Le style jeux-vidéo.

Selon Paul Groves, de nombreux studios graphiques se lancent désormais dans des projets au style des années 80 – comme l’agence londonienne We Are Collins. Selon lui, cette tendance perdurera jusqu’en 2023. Les jeunes étudiants et graphistes amateurs sont très marqués par cet univers du gaming – beaucoup d’écoles de graphismes et même de Beaux-Arts intègrent le gaming dans leur cursus scolaire.

Le style rétro 

Pour Théo Germain, directeur de création et co-fondateur de Colorz, l’évasion vers des époques passées (le fameux « c’était mieux avant ») nous rassure. Le rétro et la nostalgie sont des refuges, des « amulettes anti-morosité » du monde actuel. Le dernier site de Nike (swoosh.nike) est truffé de références rétro.

Dans la même lignée que Nike, le dernier défilé de la marque de prêt-à-porter de luxe Loewe (spring summer 2023), arbore des vêtements pixels inspirés de Minecraft. From numérique to IRL.

À noter que, toujours selon le DC, les sneakers les plus hype du moment sont tous des modèles créés entre 1985 et 1995.

« cyber-punk-psychédélique-acide »

Ce nouveau style « impossible à définir » pour Fabien Gailleul n’en est pas moins une « friandise visuelle ». Cette tendance qui mixe les techniques 3D, l’illustration, le digital, le motion capture et les animations émerge et prend de plus en plus d’ampleur. « Toute une génération de nostalgiques de l’enfance s’amuse ainsi à inventer des mondes surréalistes, colorés et fantastiques, explorant constamment les limites de la réalité ».

Et ce, jusque dans la typo

L’effet science-fiction

Iridescence programmée. Pour le DC de The Good Company, « l’iridescence est un phénomène d’optique que l’on retrouve la encore dans la nature : sur certains minéraux, animaux ou de manière artificielle comme avec les bulles de savon, ou encore les traces de carburant dans l’eau… Depuis quelques années, nous la voyons émerger dans le design graphique, cet effet irisé continue d’inspirer les designers avec son évolution : l’holo-iridescence ».

Dans son dernier film, Burberry nous invite à nous extirper de notre quotidien pour tendre vers la science-fiction, avec l’aide d’une créature irréelle.

https://www.youtube.com/watch?v=X87MelwU8Ck

Le retour aux années 2000

En réaction au digital minimaliste et quelque peu lisse, le maximalisme est bien présent dans la création graphique, selon Reza Bassiri. Et ce, avec une part belle donnée à l’exploration et la création typographique, de collages en tous genres pour un effet « retro-nostalgique remixé ». « 2022 était l’année des Nineties, 2023 sera l’année du Y2K avec son lot de couleurs à foison, de dégradés à gogo et de typos rétro-techno ».

3. Le retrofutur

Onirisme, fuite de la réalité et mondes imaginaires.

Pour Théo Germain, les visuels et graphismes sont une forme de fuite de la réalité pour s’offrir des parenthèses oniriques et surréalistes. « On ne sait plus où nous sommes, ni à quelle période et tant mieux : ce c’est le but recherché ». Par exemple, la marque Carrel Paris a su mêler le style des années 60 au Minitel des années 80… tout en nous donnant rendez-vous en 2082.

Dior a également su mélanger les époques et les supports avec son partenariat aux côtés de Gran Turismo. Le résultat est dépaysant, hors du temps et surtout hors de la réalité actuelle.

La marque Lydia aussi s’y est mise elle aussi :

En dernier exemple, cet artiste a mis en lumière des Porsches transformées en… flotteurs. Ceux-ci se retrouvent déformés, complètement surréalistes et nous transportent dans un monde rétro-futuriste. 

Retrofutur 3D

« Dans les trends récentes, on retiendra notamment le make up 3D qui repousse les limites du maquillage et de la beauté à l’aide de réalité augmentée », explique Fabien Gailleul. Il cite Ines Alpha, une artiste qui utilise cette technique pour encourager une approche « amusante et créative du maquillage en exprimant l’expression de soi ».

Pour Pierre Bouvet, We Are Bandits, la 3D sera de plus en plus intégrée dans les identités. « Elles deviennent indispensables au territoire visuel des marques, et permettent d’imaginer, de créer, et de libérer les identités ».

4. Le digital réinventé

Le retour des diodes RVB, des pixels et des wireframes

« Un peu comme les impressionnistes ont dû réinventer la peinture une fois le photoréalisme atteint, nous réinventons le digital ». explique Hugo Couvry, directeur artistique chez Future Brand. Selon lui, le digital a atteint une maturité où tout est propre, fluide et instantané. Pour le réinventer, certains graphistes vont remettre en avant les coulisses et assumer les glitchs et imperfections. Les diodes RVB, pixels et wireframe sont remis au premier plan et deviennent un territoire à part entière.

La nostalgie des collages : le scrapbooking

Qui n’a jamais fait de collage dans son enfance ? Pour Hugo Couvry, cette technique permet de redonner de la texture et de l’humanité à travers un geste manuel, et un matériau naturel : le papier.

Dans cette même thématique du « retour fait main », Fabien Gailleul nous explique que la tendance des crafteurs s’affirme. « Les virtuoses du dessin ou des techniques à l’ancienne (risographie, sérigraphie, dorure à chaud, etc.) réclament leurs positions et proposent des œuvres visuelles incroyablement détaillées à la main » ceci permettant de « s’approprier la matière et de marquer sa différence ».

5. Un retour en force des mascottes 

Point important relevé par Hugo Couvry, qui soulève la volonté des marques à vouloir « recréer du lien tout en apportant du réconfort et de la familiarité ».

Notons également que M&M’s a récemment dévoilé une nouvelle mascotte féminine et inclusive : Violette

« L’inclusivité est bien évidemment de mise en 2023, les codes de représentation font la part belle à la mixité culturelle. La volonté est de représenter toujours plus de diversité dans les contenus sans effacer les différences mais en les assumant, pour refléter avec véracité toute la richesse de notre monde actuel », explique Fabien Gailleul

Une tendance de circonstance avec l’annonce des mascottes officielles des JO de Paris 2024 : les Phryges.

6. Des couleurs, toujours plus de couleurs ! 

Reza Bassiri, chief creative officer chez Carré Noir, n’est pas sans nous rappeler la couleur de l’année de Pantone : Viva Magenta. « Un rose vibrant, éclatant qui atteste notre besoin de couleur, de positivité et chaleur dans un contexte difficile ». Après trois années compliquées, les designers retrouvent leur liberté avec des couleurs « chatoyantes », des contrastes « forts » et où l’illustration est au cœur d’une création toujours plus inclusive avec des briefs et des marques plus sensibles à la diversité.

Couleurs et style des années 90

Claire Desre Morel, directrice de création design chez Babel défend les codes des années 90, avec ses dégradés, bandes de couleurs, grilles, patterns, cernés, effets et ses stickers. « Nous cumulons et accumulons les codes pour des marques plus pop, plus vivante, plus vibrantes et plus libérées ». 

Mais aussi moins de couleurs et une continuité dans le minimalisme

Pour Reza Bassiri, des marques resteront plus discrètes en 2023, avec des designs minimalistes, souvent monochromes, des messages simples et un style « direct sans fioriture ». Cela fait écho à l’ecodesign, moins d’encre, moins de papier, moins de traitement pour plus d’authenticité. Nous y reviendrons tout à l’heure.

7. Des typos en mouvement

Fantaisie et Art-Nouveau.

Nous venons de sortir d’une période « blinding », où les typographies minimalistes, bâton, sans serif, sans caractères étaient proéminentes. Selon Paul Groves, au sortir de cet ère post-covid, les créateurs de caractères de 2023 voudront retourner à davantage de fantaisie, avec un style floral, plus baroque, voire Art Nouveau.

La continuité de la 2D, 3D et du volume

Pour Paul Groves, les typographies de 2023 tireront davantage vers de la 3D, le volume et le mouvement. Les graphiques en mouvement 2D continueront de se développer et seront davantage sophistiqués.

 Typos Inclusives

« On remarque que même la typographie devient inclusive, allant encore un cran au-dessus de l’écriture inclusive, le design de caractère est désormais re-questionné pour prôner toujours plus d’inclusivité », explique Fabien Gailleul.

Le Kamasutra LGBT de Sidaction

Les illustrations inspirées des comics

Pour Alessandro Bolchi, directeur de création chez Lonsdale, les typographies et les graphismes de 2023 pourraient se mêler aux illustrations, voire au style BD pour attirer différents publics, notamment les plus jeunes.

L’animation, le cœur qui donne vie au langage visuel d’une marque

Pierre Bouvet remarque que ces dernières années, les marques ont animé leur logo, « mais, il faut aller beaucoup plus loin en créant et en réfléchissant dès le départ à la manière dont il faut intégrer les animations dans le territoire visuel. Comment donner vie à tout l’univers créatif ? Quelle partition souhaitons-nous jouer ? Sur quelle gamme ? Quel tempo ? Quelle tonalité ? ».

Selon le directeur associé, le logo, la charte et les supports doivent être animés et responsive. « On doit libérer les marques de la rigidité que nous avons vu ces dernières années. Redevenons audacieux, expressifs et remarquable pour sortir de cette banalité devenue ordinaire. Redonnons aux marques l’expression qu’elles méritent pour les rendre encore plus belles, vivantes et audacieuses ».

Pour Thomas Mele, DA chez Lonsdale, une sorte de schizophrénie dans les tendances arrive : la norme sera d’être contre-tendance et de mélanger tous les styles – un bazar organisé en somme.

Une marque de montres vintages, Analog:Shift, a créé un logotype très simple et moderne avec une multitude de monogrammes « AS” aux différents styles.

8. La RSE et le « design for good »

2023 n’échappera pas à cette tendance lourde. « Chaque jour, nous sommes confrontés au besoin de réagir et de faire bouger les choses » explique Paul Groves. Les entreprises sont de plus en plus obsédées par l’ESG, la RSE et tous les types de certifications responsables en entreprises (comme B-corp). 

« Les graphistes doivent aider à accélérer ce changement positif. Notre responsabilité est non seulement de suivre les tendances en étant créatifs, mais aussi de s’impliquer dans des projets qui comptent et les faire fonctionner au niveau local et international ». continue le DC, l’agence Pentagram est selon lui à la pointe de ce type de communication.

Stop à l’industrialisation : recentrons-nous sur l’essentiel

Pour Anne Cornetto et Sophie Grenier de Warrens (Extreme), nous sommes dans une période de quête du vrai et de notion de vraie vie. Après les différents confinements qui nous ont « coincés entre quatres murs », les gens ressentent une nécessité de revenir à l’essentiel.

« En cette période, nous pouvons avoir tendance à nous affranchir des réseaux sociaux, de leurs différents filtres qui nous ramènent à une fausse image de nous. Le vrai (qui doit rester esthétique tout de même) va mêler humour, clins d’œil et imperfection ». Elles nous racontent que les marques de livraison ont un contact très concret avec le consommateur, puisqu’elles viennent directement chez eux – leur communication est très vraie.

Dans des domaines extrêmement normés (comme le luxe et la cosmétique) nous pouvons percevoir des personnages de la rue. Cette quête du vrai s’est teintée d’un besoin d’identification et d’appartenance. « C’est rassurant de montrer qu’il y a de l’humain derrière tout cela ».

Pour Anne Cornetto, il faut continuer de rêver et de créer des rendus beaux, aspirationnels, désirables, mais à côté de ça que ce soit accessible. « Être séduisant dans la vérité n’est pas une exercice facile, mais c’est notre rôle, agences de design, de croiser cette « crudité » du vrai avec de l’aspirationnel désirable ».

Un retour à l’instinct primaire

« Plus que jamais la nature subjugue. Alors que la crise du climat continue à s’intensifier, les graphistes de tout bord questionnent plus que jamais l’organique, cherchant à se le réapproprier, à simplement représenter le vivant comme pour mieux l’immortaliser, ou alors à recréer la vie en la sublimant avec des modélisations 3D plus vraies que… nature » explique Fabien Gailleul. L’objectif des artistes reste le même quelque soit la représentation : encourager une nouvelle appréciation de l’environnement.

Ce thème nous rappelle également une récente campagne de Mercedes. Le constructeur automobile arborait son célèbre logo, comme un biomimétisme inversé, se dessiner dans un pétale de fleur, des alvéoles d’abeille, des nervures de feuilles et autres éléments de la nature. La campagne d’affichage, bien que partant d’un bon sentiment, a été vivement critiquée et accusée de greenwashing.

Et si la tendance était d’être contre-tendance ? 

Pour Alessandro Bolchi, la période instable que nous traversons peut faire émerger des contre-tendances – des tendances graphiques seront en opposition. Les marques qui pourront se le permettre continueront de jouer avec leur héritage et leur histoire, tirant ainsi vers le vintage minimaliste.

Pour contrer cette contre-tendance (vous arrivez à nous suivre ?), Alessandro Bolchi fait le pari d’une tendance plus « bavarde » et éclectique – que ce soit dans la mode comme dans le graphisme. Mélange des codes et recherche d’extravagance se prolongeront encore en 2023 (et heureusement). 

9. Le design System

Pour Henry Lim (Source.paris, cabinet de design et développement de produits numériques), l’harmonisation et l’industrialisation du design via un Design System serait la grande tendance émergente de 2023. Avec l’utilisation croissante des interfaces numériques (web, apps, bornes, outils internes, etc), les marques ont besoin de proposer des expériences cohérentes et harmonieuses à leurs clients et utilisateurs.

« Pour les équipes qui conçoivent ces produits et interfaces numériques, l’enjeu est d’industrialiser les processus de design et développement, pour gagner en temps et efficacité, tout en assurant cette cohérence visuelle”. Cela passe généralement par la construction et le déploiement d’un Design System, “une bibliothèque documentée de guidelines et de composants graphiques, assurant un langage commun entre design, développement et branding ».

De plus en plus de marques communiquent autour de leur Design System, voici l’exemple d’Orange sur son site.

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