Les 7 tendances graphiques de 2024

Par Élodie C. le 07/12/2023

Temps de lecture : 20 min

IA, onirisme et traditions.

À l’aube de 2024, le monde du design graphique s’apprête à vivre une année éclectique et dynamique. Au cœur de cette effervescence créative se trouve une dualité fascinante : l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle et la réaffirmation des méthodes traditionnelles. D’un côté, l’IA générative promet de transformer le paysage visuel en proposant des créations à la fois fantastiques et oniriques. De l’autre, un retour aux techniques artisanales se dessine, proposant une touche d’authenticité et de classicisme. Cette dualité crée un paysage graphique riche et diversifié, où le minimalisme côtoie l’extravagance, et l’innovation technologique, l’art ancestral. En somme, 2024 promet d’être une année de contrastes saisissants et d’harmonie créative dans l’univers du design graphique.

Quelles seront les tendances graphiques reines de 2024 ? En voici un aperçu en texte et en images par celles et ceux qui les font. 

1. IA, générative et traditions 

– Arts génératifs
Toute juste émergente fin 2022, mais déjà riche de possibilités, la vague IA générative a déferlé tout au long de l’année. Si bien que les regards les plus avertis parlent déjà de “style IA”, qu’il soit recherché ou repéré. Un style uniformisé qui peut lasser, s’inquiète Raphäel Riffé, directeur associé de l’agence Register : “C’est un outil incroyable, mais il peut générer une forme d’uniformisation « fausse réalité » lorsque cela est mal exécuté.” “J’assimile vraiment cela à l’arrivée des « effets de volume » dans Photoshop dans les années 2000.  Beaucoup de marques de grande consommation se sont retrouvées avec cet effet de logo en relief, tout simplement parce que l’outil Photoshop permettait tout d’un coup de créer facilement ces effets-là. Une vraie épidémie.” Une propagation d’images similaires à laquelle on ne risque pas d’échapper, tant la technologie se démocratise et est accessible au plus grand monde. 

Raphaël Riffé donne ainsi un conseil aux créatifs : “Utiliser le potentiel de l’IA sans faire IA, pour ne pas aboutir à une overdose un peu fake”. Un conseil qui vaut aussi pour les marques pour émerger et se distinguer de la concurrence. 

L’IA générative s’imposera comme une force motrice, offrant aux designers la possibilité de générer rapidement une multitude de concepts. Elle ouvrira la voie à des créations personnalisées, adaptées aux marques et aux préférences esthétiques variées, tout en préservant l’essence créative du designer qui fusionnera ces outils avec sa vision artistique”, prédit pour sa part Reza Bassiri, VP et directeur de la création au sein de l’agence Carré Noir.

Sonja Konig, directrice de création Architecture chez W, appelle néanmoins au “discernement”, car si “la maîtrise de l’intelligence artificielle rend possible une créativité et une productivité inédites”, il convient “de poser à la machine les bonnes questions, celles qui sortent des sentiers battus et des évidences”. Pour cela, le regard des créatifs doit “rester aiguisé, afin de discerner les réponses pertinentes et originales.

C’est la campagne de la WWF avec le musée du Prado par exemple. Soit, le détournement de quatre œuvres pour sensibiliser au réchauffement climatique et plus de 8000 images ont été générées pour visualiser ses conséquences. Ou encore l’exposition À Perte de vue où le photographe Marc Da Cunha Lopes a conçu 16 images en pilotant une IA, afin de révéler les souvenirs de 4 malvoyants. 

Musée du Prado et WWF

– IA et Tradition Augmentée
La maîtrise de l’IA permettra une créativité et une productivité inédites, tandis que la tradition augmentée mêlera classicisme et modernité, offrant des solutions créatives innovantes et des “ruptures graphiques”, envisage Sonja Konig. “Comme pour réinventer des codes familiers et historiques pour les réinscrire dans une grande contemporanéité. Cela passe par une approche colorielle radicale qui contraste avec les univers de référence et par des expressions graphiques et des patterns très actuels.” 

Comme le rebranding de l’Orchestre Symphonique de Milan “inspiré des formes de la cathédrale, intégrant les codes du futurisme et le rythme de la musique pour créer un territoire dynamique et accessible ou un territoire minimaliste (Nordiska museet a Stockholm) issu de la géométrie des moulures pour valoriser les œuvres du musée”. Un rebranding jouant le contraste entre deux époques.

Un pont entre passé et présent que l’on retrouve dans les Pictogrammes olympiques de Paris 2024, “un cas symptomatique” pour la directrice de création : “Il s’agit ici de questionner une doxa graphique établie depuis un demi-siècle lors des JO de Tokyo en 1964 ou ceux de Münich en 1972 (dessinés par Otl Aicher) : les silhouettes de sportifs normalisés dans l’exercice parfait du geste sportif. En se référant à une héraldique réinventée et à l’imaginaire des jardins à la française, la famille des 62 pictogrammes olympiques et paralympiques propose une vision où cohabitent la tradition du blason et un graphisme épuré. En faisant l’économie des silhouettes masculines et en privilégiant des symboles communs pour les sports paralympiques qui le permettent, cette solution souligne la dimension inclusive des Jeux de Paris 2024.” Une dimension appelée à s’imposer de plus en plus dans les solutions créatives. 

On retrouve en partie cette tradition augmentée, dans une tendance que l’on retrouve avec plus ou moins de force chaque année, le neo vintage. Une tendance qui consiste à piocher des référents culturels d’une époque en leur apportant un twist de modernité. Après la déferlante Stranger Things et son esthétique 80, les 90’s ont pris la relève.

Le design néo-vintage continue son voyage dans le temps avec les Pin’s, stickers, références gaming, pop culture, le fluo ou le style pochette de disque, observe Raphaël Riffé (Register). On touche la fibre nostalgique du consommateur trentenaire (musique, mode, design). Cette tendance surfe sur la mode d’avant mais en y ajoutant sa touche contemporaine pour la rendre toujours plus actuelle et attractive.” Le génie créatif et designer Virgil Abloh était un adepte de la règle des 3% consistant à modifier le design d’un objet existant de 3% seulement pour le réinventer. 

– Art Digital et Animation 2D
Avec la démocratisation et l’utilisation toujours plus poussée de l’IA dans tous ses états, l’art digital devrait prendre une place toujours plus importante dans le monde de la création. Une vision partagée par Axelle Munier et Julien Leprêtre Sato, co-fondateurs du studio Sato Creative : “Cette année, nous avons aperçu une tendance au pixel art chez des grandes marques de luxe (comme Louis Vuitton ou Loewe) qui va probablement continuer de se développer en 2024, en touchant des publics beaucoup plus larges et ainsi se démocratiser.” 

L’animation 2D devrait également bénéficier des avancées de l’intelligence artificielle. “C’est une technique qui va lui permettre d’être plus facile et « low cost », alors qu’elle était plutôt initialement réservée à des artistes ou à des studios spécialisés dans ce type de dessin, et avec une connaissance bien spécifique des logiciels et techniques d’animation (exemple : la technique du frame by frame). Jusqu’à maintenant, il fallait toute une équipe de plusieurs animateurs et illustrateurs pour créer une scène”, rappelle le duo. 

Néanmoins, de la même manière que tout le monde n’est pas forcément devenu DA en moins de 5 minutes, comme le prophétisait Fabien Gailleul, directeur de création de The Good Company dans notre précédent dossier, Axelle Munier et Julien Leprêtre Sato restent persuadés que “les artistes animateurs – comme Masanobu Hiraoka ou Sawako Kabuki – avec une forte identité visuelle et conceptuelle continueront de se démarquer dans la masse !” 

2. Opposition tech et artisanal

De la même manière qu’une avancée technologique impose ses codes visuels, l’installation pérenne de l’IA générative dans l’industrie créative engendre deux tendances opposées : un graphisme « tech » et une vision à rebours de la technologie.

– 3D immersive et texture : innovation et accessibilité
En 2024, la 3D deviendra un pilier central de la communication visuelle. “Par une approche beaucoup plus démocratisée (avec l’émergence de nouveaux outils), la 3D sera encore plus au cœur de processus de création, prédit Romain Lemahieu, directeur de création chez Frénésie. Que ce soit en print ou en digital cette technique permettra de donner du volume, de la texture, du mouvement aux créations. Elle sera captivante et immersive et s’appliquera à de nombreux univers et dans de nombreux secteurs. En plus d’être un levier central, la 3D aura aussi un aspect pédagogique pour le client en facilitant la projection des idées.

Ce qui fait dire à Mathieu Sakkas, CEO de Dragon Rouge que l’année à venir “sonne bien, comme un point de chute, de non-retour ou de pivot.” “La 3D est désormais incontournable pour créer des visuels (particulièrement en corporate) et le travail de matière réel ou futuriste va se généraliser dans les territoires de marque. C’est une manière de sortir du lissage des banques d’image et des shooting montrant des humains qui sourient ou à l’œuvre.” Toutefois, contrairement à ce qui est souvent recherché, l’ultra réalisme ne devrait pas s’imposer en 2024, “et sans doute que le contexte de tensions géopolitiques et de violences généralisés y est pour quelque chose”.

Plutôt que de l’ultra réalisme donc, du « glass blurred effect” déformants pour créer des textures et des contrastes inattendus pour les matières qu’elles touchent. Notre œil s’habitue à ces visuels, car Stable Diffusion et Midjourney (voir @DesignMidJourney sur Instagram) inondent les réseaux sociaux de leurs prouesses dans ce domaine”, souligne encore Mathieu Sakkas.

Chez Carré Noir, la réponse à cette “perfection digitale” – où l’IA crée des “œuvres numériques impeccables” – c’est la “destruction numérique”. “Une forme de rébellion captivante qui s’inspire du monde fragmenté et chaotique des ordinateurs, transformant ces imperfections en compositions visuelles intrigantes et frappantes. La pixelisation, la typographie fracturée et la distorsion représentent un contre-argument audacieux aux tendances de design propres et centrées sur la technologie”, explique Reza Bassiri (Carré Noir).

Toujours dans cette démarche de graphisme tech, Baptiste Fougeray, planeur stratégique chez Seenk, voit de plus en plus de marques s’approprier des éléments UI/UX pour en faire un motif de leur identité. “Utilisés de manière répétitive, les ingrédients digitaux deviennent des codants de marque à part entière.” Comme Figma, avec son nouveau territoire, s’inspirant des curseurs de souris. 

Google lens

De manière générale, cette année, beaucoup de campagnes ont mis en avant des codes digitaux. Que ce soit Happn en utilisant le principe de ‘card ‘ de ses profils ou New Balance en détournant les icônes de chargement que nous avons sur nos ordinateurs. Un langage, qui part de son universalité permet de faire passer un message simplement. Autrefois, outil fonctionnel, ils deviennent signifiants, poursuit Baptiste Fougeray. À l’heure où « l’expérience » est sur toutes les lèvres, et où les marques se consomment sur écran, nous pensons que les éléments UI/UX vont de plus en plus influencer et se mêler au branding qui, depuis bien longtemps, n’est plus seulement affaire de logo. Pour preuve, les fameuses «  planches UI » ont désormais très souvent leur place dans les cases branding. Finalement, le « design de l’expérience utilisateur » pourrait aussi être une définition du branding au 21e siècle.” 

Néanmoins, cette montée en puissance de la technologie ne signifie pas la fin de l’artisanat. Au contraire, un courant vigoureux prônant le retour aux techniques manuelles et à l’illustration traditionnelle se dessine, créant un contraste frappant avec l’univers technologique.

– L’artisanat illustré
Mathieu Sakkas de Dragon Rouge voit de nombreux “petits studios ultra-qualitatifs” travailler de manière très artisanale. L’illustration devrait donc tenir bonne place : “Elle sera omniprésente et fera partie de toutes bonnes chartes graphiques. Travailler un registre illustratif avec un artiste fait partie de la garde-robe des marques. La nécessité de créer toujours plus de contenus imposent de la variété d’expression visuelle. Les projets de Deezer, Reddit, Duolingo, Waze, twitch ou Figma l’incarnent bien. Des traités frais, contemporains permettent à de nombreuses DNVB de sortir du lot comme ces packs de Polina Zagumenova ou Anastasia Design vus sur Behance.

Même écho chez Reza Bassiri de l’agence Carré Noir, pour qui “l’artisanat traditionnel, avec son authenticité et son charme personnel, offre un contrepoint essentiel à la froideur potentielle du numérique. Ces œuvres faites à la main racontent des histoires uniques, apportant profondeur et émotion dans un monde numérique saturé.

3. Minimalisme vs onirisme

Les meilleurs ennemis, présents chaque année, sous différentes formes. Comme la tendance précédent, les contraires s’attirent, l’un répond à l’autre.

– Minimalisme vibrant : épuration et dynamisme
Dans cette recherche de l’épure, le sujet est central. “Chaque élément de la composition est à sa place et est justifié, avance Romain Lemahieu (Frénésie). Pas de « superflue » qui trouble le message. Le tout, mis en avant par un traitement en aplat de couleur. Cette dernière est percutante, vibrante. Des compositions structurées, dynamiques, géométriques, les lignes sont structurées et les contrastes marqués.

– Art de l’omission et minimalisme engagé
Le minimalisme extrême de certaines campagnes contraste avec la surenchère visuelle des images générées spontanément par les plateformes d’IA, analyse Sonja Konig (W). Ce principe de communication par omission laisse le spectateur libre de deviner le message, de susciter sa curiosité tout en faisant une pause dans la cacophonie des signes de notre quotidien. Un début de slogan sur un grand écran, une colonne Morris transformé en pile géante ou des objets réduits à l’essence montrent l’efficacité de ces solutions économes.

– Design réconfortant et naïf
Après l’ASMR, les vidéos satisfaying ont connu leur moment de gloire sur les réseaux sociaux. Relaxantes, réconfortantes, d’une fluidité harmonieuse, elles ont apaisé les rétines les plus sollicitées. Son dérivé graphique, le comfort design, devrait faire tendance en 2024. 

D’après Jonathan Mignot, creative director chez FutureBrand, “le ‘comfort’ design trouve sa force dans sa capacité à évoquer des émotions positives et une accessibilité immédiate. Que ce soit graphiquement ou en volume, ces courbes offrent une sensation de fluidité et de confort visuel, invitant le spectateur à une expérience visuelle apaisante, dans un monde de friction. Elles évoquent une sensation de familiarité, rappelant parfois les courbes naturelles de notre environnement quotidien.” Il évoque ainsi le travail développé par le studio KILN pour the Royal Television Society.

En parallèle au comfort design, le graphisme naïf offre “une approche franche et accessible du design graphique, offrant une perspective revigorante au sein d’un paysage visuel souvent complexe et sophistiqué, comme on peut le voir dans le nouveau territoire illustratif de la Tour d’Argent, explique Jonathan Mignot. Cette tendance met en lumière une esthétique qui exalte la simplicité et la spontanéité, sans fioritures ni artifices. Sa sobriété et sa simplicité constituent un souffle d’air frais pour ceux en quête de clarté visuelle. Derrière cette simplicité apparente se cache souvent une profondeur émotionnelle et narrative, résonnant avec un public avide de transparence et d’authenticité. Malgré sa simplicité apparente, ce style offre un vaste terrain de jeu créatif pour les designers, les encourageant à explorer sans limites formes, couleurs et compositions.

– Une vision onirique 
Sus aux compositions épurées et aux palettes de couleurs neutres, un vent d’abstraction et d’onirisme se fait sentir. “C’est la réponse à l’expansion fulgurante de l’intelligence artificielle (et l’essor de l’art génératif), tant catalyseur/facteur que conséquence/résultante de ce changement”, observe Pierre Berget, fondateur et creative director de l’agence de branding de Be Dandy. Ces technologies révolutionnaires promettent ainsi de redéfinir la manière même dont nous concevons/percevons l’art visuel en créant des œuvres artistiques imprégnées d’une “dimension quasi onirique” : “Elle explore des territoires visuels où la logique rencontre l’imagination, où l’abstraction prend vie sous des formes inattendues et fascinantes. Cette fusion entre la rationalité des algorithmes et la subjectivité de la créativité humaine ouvre la porte à un nouvel univers visuel. Elle permet d’explorer des espaces esthétiques jusqu’alors inaccessibles, propulsant l’art vers des sphères d’expression inexplorées.

Toutefois, “au-delà des pixels et des lignes de code, se pose une question fondamentale : quelles mutations cette révolution apportera-t-elle dans l’approche créative et son processus même ? L’avenir du design semble tracé entre le minimalisme, ancré dans l’efficacité, et l’onirisme, épris de liberté créative. La clé réside peut-être dans une fusion éclairée des deux mondes pour créer une nouvelle esthétique visuelle, une convergence entre l’ordre et le chaos”, ose s’aventurer Pierre Berget (Be Dandy).

Justement, entre l’ordre et le chaos, il y a le « cluttercore“, soit l’art du désordre ordonné. Cette tendance, bohème chic dans sa version déco, s’inspire du maximalisme et le porte à de nouveaux sommets résume Reza Bassiri.Plus audacieux, plus bruyant et plus coloré, il embrasse l’excès et l’extravagance avec des lignes épaisses, des couleurs vives et un chevauchement délibéré de graphiques pour une expression personnelle positive. Cette célébration libératrice du désordre met en avant des artefacts et des indices qui résonnent avec l’identité ou la passion de chacun, reflétant le chaos plus large du monde et offrant une forme unique d’expression personnelle qui se connecte avec beaucoup.« 

Nicolas Couagnon, directeur de la création de l’agence ZAKKA (Brand Thinking & Design, groupe TBWA\), voit également dans 2024 une porte ouverte vers l’exaltation, mais surtout la joie, “comme un exutoire, une échappatoire, un remède contre l’ambiance actuelle plutôt grise. La joie d’images fantastiques, oniriques, poétiques générées par l’intelligence artificielle, le nouveau videogame addictif des créatifs. Des identités, des visuels en motion design qui bougent, se transforment pour revêtir toutes les formes, toutes les couleurs. Des couleurs gaies, vives, fluos RVB (Rouge-Vert-Bleu) contrastant avec des noirs simples et chic en mode digital oversize hyper visible et assumé.” Le directeur de création voit dans cette tendance un clin d’œil “aux ambiances et à l’hyperréalisme des années 80 augmentée par les outils d’aujourd’hui”. Un neo vintage, encore, une décennie en arrière celle-ci, mais résolument positive : “Le futur est beau, joyeux et c’est maintenant”.

4. L’éco-design

Difficile de passer à côté ces dernières années où la sobriété est requise. Autrefois marginale, cette tendance est un incontournable qui a sa place au sein des Codir, souligne Raphaël Riffé (Register). Les marques doivent montrer patte blanche sur ce terrain-là, “conséquence de la pression RSE qui pèse sur les annonceurs”. “L’attente des consommateurs envers une transition écologique va redescendre sur les briefs aux agences et de ce fait être de plus en plus visible dans la communication et l’incarnation des produits : quels seront les codes ?  Le style photo « vraie vie », un taux d’encrage visiblement réduit, de la sobriété dans les effets et les matières, des supports de com plus éco-responsables (site web et print), ou des messages sur l’engagement encore plus visible, parfois même une overdose de réassurances qui peut friser le greenwashing pour les plus maladroits”, énumère Raphaël Riffé.

Si cette tendance design existe déjà, elle va se radicaliser pour les marques les plus engagées, du moins dans leur manière de s’incarner graphiquement. “C’est tout le paradoxe pour une marque dont l’objectif est de communiquer. Comment peut-on bien communiquer,  et occuper l’espace visuel, tout en étant eco-friendly ?” C’est là qu’intervient l’éco-conception.

En termes de packaging par exemple, “l’usage de nouvelles matières à base de pulpe de matériaux traditionnels, souvent recyclés, créent de superbes objets qui agrémentent les bouteilles de spiritueux ou remplacent le carton standardisé”, explique le CEO de Dragon Rouge, Matthieu Sakkas.

Sonja Konig (W) voit le design engagé s’affirmer dans de nombreux domaines. Comment ? “En recherchant des supports et des encres éco-responsables, en simplifiant les codes, en dessinant des packagings efficaces sans jamais compromettre la qualité et l’élégance du design, bref, en passant à l’acte. Le travail sur la sélection des matériaux permet de tirer profit de leurs caractéristiques en évitant celles qui ne sont pas réutilisables ou recyclables. Le sourcing de solutions nouvelles permet également de faire l’économie de l’impression et du suremballage. Le luxe et la qualité riment avec la simplicité.

Pour illustrer cette tendance, elle donne l’exemple de Wastecare de Aizome, qui s’est servi des eaux usées d’une usine textile pour concevoir un soin pour la peau. Une démarche qui rappelle celle de  Vattenfall, le fournisseur d’énergie de l’État suédois, dont l’égérie est Cara Delevingne. 

– Low Tec = Hi-Tec 
L’évolution de la technologie permet d’imaginer de nouveaux processus d’impression. Honda imprime des affiches en édition limitée avec l’huile des véhicules engagés dans les 24H du Mans. L’opérateur O2 imprime un livre avec une encre qui contient l’ADN des personnes qui ont changé le monde. Les questions que suscite la RSE sont de nature à inventer de nouveaux processus et d’ouvrir la porte à de nouvelles solutions créatives”, veut croire Sonja Konig.

5. Typographie : fusion et renaissance

– Serif is back in town
En 2024, la typographie connaîtra un mélange d’univers opposés, avec une prédominance de polices serif. Les marques adopteront des typographies plus audacieuses et personnalisées, intégrant un mélange de serif et non-serif pour apporter rupture et personnalité, explique Romain Lemahieu (Frénésie). “La typographie en sérif qui avait été délaissée par de nombreuses grandes marques, s’impose de nouveau et dans des secteurs loin du luxe : tech / outdoor / food… Et même certaines grandes marques font marche arrière”.


Pour Pierre Berget (Be Dandy), “la véritable révolution semble surgir de la volonté des marques de se démarquer par le biais de typographies exclusives”. Une tendance déjà observée lors des précédentes éditions. “Cette tendance met en lumière une recherche de singularité et d’authenticité. Quelques marques investissent déjà dans des polices typographiques sur mesure pour catalyser leur identité, détachant ainsi leur communication visuelle des standards.” 

Même écho du côté de Syd qui évoque des typographies “ forme / fabrics” où le travail de typographie est de plus en plus abordé comme du “design textile” : “Il s’agit de donner à voir une forme globale avant de permettre une lecture au mot. On voit ainsi se développer et s’épanouir des typographies patterns qui portent le système de communication de la marque. Elles prennent de l’espace, s’entremêlent, dessinent un motif au-delà du sens. Les messages posent ainsi un univers, deviennent presque des œuvres, ludiques ou non”, estime Gwendaline Chauvin, fondatrice du cabinet-conseil en stratégie de marque et design Syd.

Sur les réseaux et en particulier sur les sujets corporate, ces marques dessinées émergent et apportent autant de sens que de beau. C’est une vraie respiration pour les marques B2B et probablement une manière de se distinguer des approches photographiques IA.

2024 ne devrait pas échapper à cette tendance typographique explorant le spectre de la créativité. “On pourrait voir une augmentation de l’expérimentation avec des polices de caractères encore plus audacieuses et originales, imagine Pierre Berget. L’ère des typographies « conventionnelles » omniprésentes s’estompe au profit de typographies évoquant l’histoire et la spécificité de chaque marque. L’empattement, longtemps délaissé, fait un retour en force, offrant une plasticité nouvelle et des possibilités infinies. Cette quête d’inclusivité propulse les créatifs et les typographes vers de nouvelles explorations, intégrant ligatures et subtilités propres à chaque contexte de création. Les polices de caractères personnalisées pourraient ainsi devenir l’étendard des identités visuelles, offrant un langage graphique unique et authentique pour véhiculer les messages des marques”. 

Pierre Berget se projette déjà dans l’après 2024 grâce à l’intégration de l’intelligence artificielle dans la création de polices de caractères personnalisées : une tendance potentiellement émergente, “permettant aux designers de développer des typographies sur mesure pour répondre aux besoins spécifiques de leurs projets et favoriser l’exploration de styles uniques et atypiques, libérant une expression graphique captivante”. Rendez-vous est pris pour le prochain dossier.

6. Couleurs électriques et audacieuses

Tendance visible en filigrane, les palettes de couleurs seront dominées par des teintes électriques et lumineuses, complémentant un traitement photographique audacieux. Les couleurs vibrantes et percutantes seront utilisées pour créer des émotions fortes et mettre en valeur la typographie et la photographie (Romain Lemahieu – Frénésie).

Des palettes colorielles joyeuses, une identité toujours en mouvement, un registre feelgood et léger qui s’affranchit de la pesanteur des réflexes corporate, prédit quant à elle Sonja Konig (W). Simples et fraîches, des marques s’aventurent sur un terrain plus décontracté et renouvellent le genre avec humour et fantaisie, sans rien céder à la rigueur de la structure. Du nouvel univers de marque de BforBank, au rebranding de La Redoute, à celui, plus récent, de Center Parks.

7. Le retour des symboles forts

Les symboles uniques et percutants gagneront en importance, devenant des éléments essentiels pour capturer l’essence des marques et éveiller des émotions chez les consommateurs.

Les symboles sont ancrés depuis toujours dans notre tissu social. Mais récemment, on observe un engouement croissant pour des symboles percutants et uniques, capables de capturer l’essence même d’une marque”, explique Jonathan Mignot, de FutureBrand. C’est Burberry, qui a récemment renoué avec ses origines en arborant avec fierté l’emblématique chevalier qui représente la marque.

Aujourd’hui, les consommateurs cherchent des marques qui éveillent des émotions, qui incarnent des expériences et défendent des valeurs auxquelles ils peuvent s’identifier. Ce symbole devient bien plus qu’une simple représentation graphique ; il devient le porte-étendard d’une identité, un catalyseur qui résonne auprès du public cible. Un symbole fort et évocateur peut devenir le porte-étendard d’un message clair et mémorable.

Gwendaline Chauvin de Syd, observe ainsi un retour des structures complexes. “Après plusieurs années de travail de logotypie contraint par une structure “symbole +typographie”, la maturité des marques digitales autorise le graphisme à se complexifier à nouveau. Et ça fait du bien ! On voit le retour des cartouches, du dessin, des courbes, des symboles intégrés à un langage. Les typographies baroques qui tenaient le haut du pavé sont challengées par un travail de design qui pose des marques plus affirmées. On quitte une certaine neutralité pour reprendre une démarche de réflexion plus ouverte qui donne davantage de relief et de caractère à la marque et à son nom.

2024 sera donc une année de contrastes et de complémentarités dans le domaine graphique, un mélange harmonieux entre le progrès technologique et le respect des traditions, entre l’audace et la subtilité. Une année simplement onirique.

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