Analogique + IA : l'hybridation créative de demain ?
Comment une année chahutée, incertaine, faite de crises, mais aussi de grands moments sportifs et d’accélération technologique peut-elle influencer la communication visuelle des marques ?
Alors que l’intelligence artificielle bouleverse les codes de la création, une réponse inattendue émerge : le retour de l’analogique. Loin d’être en opposition, ces deux mondes convergent pour façonner des visuels uniques, mêlant imperfections humaines et puissance technologique.
Cette hybridation répond à une quête croissante d’authenticité et de chaleur dans un univers de plus en plus digitalisé. Entre innovation et tradition, c’est un nouvel équilibre créatif qui se dessine, où chaque détail raconte une histoire, à la fois ancrée dans le passé et tournée vers l’avenir.
Voici les tendances graphiques de 2025 détectées par un panel d’experts issus du monde du design.
1. L’analogique à l’ère de l’IA
Les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle et la démocratisation de son versant génératif ont accouché d’une imagerie caractéristique toute numérique. Le jeu n’est plus de compter les doigts d’une main (c’était hier, pourtant), mais de déceler le contraste, le grain de peau trop lissé ou le mouvement (ir)réel. Désormais, plus qu’une confrontation, nous assistons à une association entre passé et présent.
Forte d’une communauté mondiale de plus de 220 millions de personnes, Canva a également contribué à la démocratisation de la création avec son outil : 8 milliards de designs ont été conçus depuis le début de l’année, nous confie Maria Izvestkina, creative lead & curation chez Canva. L’entreprise n’est-elle pas la mieux placée pour savoir ce qui est à la mode et le sera demain ? En analysant des millions de recherches, d’éléments favoris et de modèles tendance, Canva a identifié les pistes créatives les plus prometteuses pour l’année à venir. Une tendance s’impose, l’analogique à l’ère de l’IA.
“Les créatifs sont en quête d’humanité, de bizarreries, d’imperfections et de familiarité que l’on peut ressentir à travers des créations faites à la main et des moyens artistiques plus traditionnels. Mais ils exigent aussi une certaine distinction et les possibilités infinies qu’offre la technologie moderne. La rencontre de l’analogique et de l’IA est un terrain de jeu passionnant : les créatifs y découvrent des moyens innovants de combiner les deux modes d’exécution du design. Le résultat ? Des visuels qui donnent une impression d’humanité unique, alimentés par une technologie transformatrice, donnant vie au meilleur des deux mondes.” Ou quand les frontières du réel se brouillent pour offrir de nouvelles perspectives créatives.
Pour Julie Ferrieux, directrice artistique chez Datagif, c’est du côté du web que cette “hybridation” va s’illustrer. Et ce, en combinant des designs vintages et des technologies récentes, en constante évolution avec l’IA. “On pourra retrouver des designs plus humains, plus personnels dans un univers digital souvent standardisé, tout en offrant à l’utilisateur des services encore mieux ciblés et plus performants.”
En réaction à cette ascension vertigineuse, une forme de résistance (je vous ai évité le mot résilience…) apparait. Une tendance et son contraire donc, un retour à l’humain, à l’authentique, au “fait main”, observe Dino Zara, directeur du design au sein de l’agence Vanksen. “Plus la technologie évolue rapidement, plus le besoin de se reconnecter à des expériences humaines se fera sentir. Je constate déjà cette tendance chez des marques qui valorisent les détails imparfaits, les nuances propres au travail manuel, et qui créent des expériences plus intimes et centrées sur l’humain.”
Même écho chez Leroy Tremblot : “Les éléments réalisés ou inspirés de techniques artisanales s’intègrent de plus en plus aux identités graphiques, qu’il s’agisse de logos, de messages ou de textures en arrière-plan. Ces détails apportent une dimension chaleureuse et authentique, contrastant avec des identités visuelles modernes et épurées. Les illustrations faites à la main, en particulier, renforcent la qualité humaine et tangible des designs, une approche particulièrement pertinente pour les secteurs des biens de consommation ou des services, où établir une connexion émotionnelle avec le public est essentiel”, note Christoph Stolberg, directeur de la création de l’agence derrière le rebranding de la LFP (Ligue 1 et Ligue 2).
Ce “contre-courant”, baptisé, human-centred design par Vanksen, se reflétera dans le design en 2025 lorsque des marques rééquilibreront “leur présence entre le virtuel et le physique, en privilégiant des interactions réelles et significatives”, prédit Dino Zara. “Cette tendance ne signifie pas un rejet du digital, mais une façon plus équilibrée de l’utiliser, en créant des liens émotionnels plus profonds avec le public.”
2. Récits sensibles pour des expériences uniques
Si on a échappé au terme “résilience”, peu de chance de passer à côté de l’authenticité depuis la pandémie où les attentes en matière de communication et consommation ont été réinitialisées. Les périodes de crise ayant souvent été le terreau d’une créativité décuplée, 2025 pourrait être “un terrain de jeu assez extraordinaire pour les marques et les agences”, veut croire Reza Bassiri, vice-président et directeur de la création de l’agence Carré Noir. Il faut dire que les crises ne manquent pas – économiques, écologiques et militaires – on peut à tout le moins s’attendre à des réponses innovantes pour ramener un peu de lumière et une vision nourrie d’espoir, ose croire le créatif.
“Dans un monde de plus en plus axé sur l’instantané et la nouveauté, les marques devront intégrer cela à leurs valeurs plus intemporelles. Gucci, par exemple, l’a fait en 2024 avec des activations virtuelles qui ont su captiver les digital natives tout en conservant son identité luxe. En 2025, il ne s’agira plus seulement de raconter une histoire, mais de partager des récits authentiques et inclusifs, résonnant avec leurs communautés de manière surprenante. Le besoin d’émerger par des expériences uniques sera essentiel. Les marques adopteront des activations immersives permettant cet équilibre entre intemporalité et surprise créative.”
Dans cette optique, la réalité augmentée, l’IA générative et le Web3 transforment l’interaction entre marques et audiences (notamment dans le secteur de la mode). Ces outils ouvrent la voie à des collections virtuelles, des campagnes personnalisées et des designs co-créés avec les consommateurs, intégrant à la fois le physique et le digital. NFTs, objets virtuels et monnaies numériques s’imposent comme des piliers d’un écosystème mêlant réel et virtuel.
Pour être le plus authentique possible, ne faut-il pas, avant tout, résister aux sirènes des tendances et à l’uniformisation qu’elles imposent et/ou induisent ? Pour Saguez & Partners, la réponse est toute trouvée : “On ne construit pas une marque durable et singulière sur la tendance du moment. Dans le mot marque, il y a marquer.” Au contraire, il est nécessaire de privilégier des récits émotionnels avec des codes visuels illustratifs pour établir des connexions fortes.
Selon Liliane Richard, directrice stratégies et territoires de marques, et Martin Lyonnet, directeur de création, auprès de Saguez & Partners, la tendance graphique de 2025 ne sera pas une tendance stylistique au sens classique du terme. Leur conviction repose sur l’opposition à toute uniformisation stylistique. Ils prônent plutôt un retour à la sensibilité, une réponse aux attentes sociétales et aux besoins émotionnels des consommateurs.
“Créer un récit pour engager la conversation avec la marque, un récit, c’est verbal, mais c’est aussi visuel, on doit raconter des histoires avec le design graphique. Nous croyons au pouvoir de la couleur, des images, aux illustrations, aux poids des mots bien mis en forme. Oui, au figuratif, un peu moins d’abstrait ou de signes passe-partout !”, proclament-ils en chœur.
Après une ère marquée par des designs aseptisés et lisses, notamment sous l’influence des contraintes digitales, ils observent un retour à des codes figuratifs et illustratifs. Ces éléments permettent de raconter une histoire visuelle et d’établir un lien plus profond avec les publics.
Pour Floriane Serres, directrice de création de l’agence de communication Jaune, la période est propice à une réflexion approfondie sur l’identité visuelle des entreprises. « L’accessibilité et les contraintes induites questionnent directement les chartes et univers graphiques. Il est important et nécessaire d’instaurer une prise de conscience en étant pédagogue et d’accompagner ces entreprises sur l’évolution de leur identité« , explique-t-elle. Cette transformation est une opportunité pour renforcer leurs codes digitaux et leur singularité dans un paysage où la prolifération des tendances rend les esthétiques plus éphémères que jamais.
3. Minimalisme et durabilité
Je vous rassure d’emblée, il ne s’agit pas de “blanding” (quoique), ni même d’éco-conception à proprement parler (celle-ci étant désormais un non-sujet). Mais de designs épurés et d’actions concrètes pour répondre aux enjeux environnementaux.
Ainsi, Reza Bassiri (Carré Noir) voit, en parallèle à sa précédente tendance, le minimalisme s’affirmer comme un symbole d’engagement et de clarté. “Les marques opteront pour des designs épurés et des messages percutants, tout en intégrant des actions concrètes pour réduire leur impact environnemental. Subway par exemple, avec son programme Fresh Forward 2.0, donne déjà un aperçu de cette alliance entre sobriété, innovation et durabilité.” De plus en plus de marques devraient “créer des expériences alliant “surprise” et valeur grâce à l’utilisation accrue de technos AR/VR et IRL”, tout en espérant que cela ne se fasse pas “au détriment de la responsabilité des marques à poursuivre leur transformation pour un monde plus éthique et durable.” Amen.
Loin des modes éphémères, chez Saguez & Partners, les identités graphiques devront refléter la singularité des marques. Le design sera pensé pour durer et s’adapter aux multiples supports tout en intégrant des éléments esthétiques utiles, répondant aux attentes sociétales et d’usage.
“Où la marque peut-elle marquer ? Partout ! En design graphique au service de la marque, on a deux armes pour démarquer la marque. Le logo et des codes graphiques forts qui doivent vivre dans différents supports et canaux, c’est à eux que doit s’adapter le graphisme, pas à la tendance de style du moment”, appuient Liliane Richard et Martin Lyonnet.
“Tous les lieux deviennent des terrains d’expression : bureau, magasin, aéroport, résidence senior, hôtel, gare, etc. Le lieu devient créateur de lien, le graphisme le met en scène et l’anime. Un sol, un mur, un plafond, un écran, une palissade… tout peut être média de la marque et identité de la marque.”
Dino Zara (Vanksen) prône pour un maximalisme minimaliste ou comment allier simplicité visuelle et touches audacieuses pour maintenir le juste équilibre. Et si ce maximalisme minimaliste est déjà bien ancré dans le paysage actuel, il se dit convaincu qu’il continuera de prendre de l’ampleur. “Ce style parvient à marier l’élégance et la simplicité du minimalisme avec des éléments plus audacieux et expressifs. Ce que j’apprécie dans cette tendance, c’est qu’elle conserve les lignes épurées et les espaces blancs tout en y ajoutant des touches inattendues : des couleurs vibrantes, des typographies imposantes et des détails éclectiques qui captent l’attention.”
Ce style à même d’injecter plus de personnalité dans les visuels des marques, en combinant sophistication et originalité. “C’est une approche qui équilibre parfaitement l’audace et la retenue, et qui incarne une vision du design contemporain capable de surprendre et d’engager l’utilisateur.”
Une audace forte dans l’épure avec des designs épurés et reconnaissables que Christoph Stolberg (Leroy Tremblot) observe dans la refonte récente et très discutée (pour ne pas dire controversée) de Jaguar ou l’écusson simplifié de Tottenham Hotspur. “Bien que polarisants, ces designs minimalistes garantissent clarté et adaptabilité sur les plateformes numériques modernes.”
“Des marques comme Fanta associent des redesigns minimalistes à des éléments ludiques et expressifs. Les textures faites à la main ou les couleurs audacieuses permettent de garder une identité dynamique tout en maintenant une certaine simplicité”, note-t-il également.
4. Typographies massives et sur-mesures
Pas de tendances graphiques sans typographie. Déjà évoquée en filigrane et présente dans les éditions précédentes, la typographie est un des éléments clés de l’expression d’une marque.
Floriane Serres (Jaune) observe ainsi une réelle prise de conscience et de considération autour de l’accessibilité, avec un impact direct sur la conception. “Des contraintes génératrices d’opportunités graphiques et de tendances certaines, dont deux se détachent et s’associent :
– L’émergence des typographies massives : elles informent tout en renforçant l’identité de marque. Elles posent et affirment un univers singulier et distinctif ;
– L’émergence des contrastes forts, avec l’apparition de palettes riches et impactantes.
Chez Leroy Tremblot, les typographies sont aussi singulières puisque sur-mesure. L’objectif étant de créer des caractères uniques pour exprimer l’identité d’une marque. Et ce, grâce à des couleurs vives : “Des palettes de couleurs vibrantes et dominantes attirent l’attention, insufflent de l’énergie et rendent les marques plus accessibles et engageantes.” C’est la refonte récente de Fanta, par Jones Knowles Ritchie, citée précédemment où les couleurs audacieuses sont l’élément visuel central.
Il poursuit : “La typographie est devenue un outil de communication phare, allant au-delà de la transmission de messages pour représenter graphiquement le caractère d’une marque. Les polices faites à la main ou sur mesure ajoutent de la personnalité et de l’unicité, renforçant l’identité distinctive d’une marque.”
Dino Zara (Vanksen), la typographie est une signature, elle est au cœur de la communication d’une marque. L’intégration de typographies propriétaires tient le rôle d’outil différenciant à rebours de l’uniformisation des années précédentes.
“De plus en plus de designers mettent en lumière les effets du “blanding” et du fameux “Pinterest effect”. Ces phénomènes traduisent une tendance vers une uniformité où les marques se fondent dans des styles visuels standardisés, perdant ainsi en singularité et en caractère”, rappelle-t-il.
Avant de déclarer : “La typographie a un rôle central à jouer dans cette différenciation. C’est un moyen puissant pour une marque d’affirmer sa personnalité et de se démarquer dans un paysage visuel saturé. Je pense que l’on verra de plus en plus de marques adopter des typographies sur-mesure, voire totalement propriétaires, pour renforcer leur identité. Une typographie unique, ce n’est pas seulement un choix esthétique. Elle devient la véritable signature visuelle de la marque, un outil pour exprimer une personnalité distincte. À mes yeux, ce choix va bien au-delà d’une tendance ; c’est un investissement stratégique.”
Dans cette démarche de distinction, Julie Ferrieux (Datagif) voit dans le come-back des esthétiques rétro une future tendance : “La nostalgie des esthétiques des années 80 / 90, une recherche d’authenticité et de créativité, pourrait pousser les designers à créer des graphismes maximalistes et audacieux, en opposition au minimalisme des années précédentes. On a envie de retrouver un graphisme expressif, qui s’éloigne d’un style trop lissé, en intégrant des couleurs vives, des typographies expressives, des textures, de l’asymétrie, donnant lieu à des expériences visuelles riches et réconfortantes.”
5. The logo is the message
Comme énoncé précédemment, les marques sont plus que jamais poussées à adopter une posture authentique et transparente, alignée avec les valeurs de leur public. Les consommateurs, de plus en plus exigeants, attendent des engagements concrets, en particulier sur des sujets comme la durabilité, la diversité et l’inclusivité (même si la tendance s’affaiblit avec le retour de Trump à la présidence US).
“L’authenticité devient un impératif dans le design et le branding. Les marques qui réussiront à établir une connexion authentique avec leur audience seront celles qui sauront aligner leur identité visuelle et leur communication avec des valeurs sincères, en phase avec les préoccupations sociétales actuelles”, estime Dino Zara (Vanksen).
Pour Baptiste Fougeray, planneur stratégique chez Seenk, les marques, surtout celles qui le peuvent, doivent capitaliser sur des éléments visuels emblématiques et s’en servir de leviers narratifs pour renforcer l’identité.
“Cette année, Coca-Cola a remporté un Grand Prix à Cannes avec une publicité montrant uniquement son logo déformé pour évoquer une canette recyclée. Tesco a remplacé les lettres de son logo par des aliments. British Airways a marqué les esprits avec une campagne composée d’une photo d’une personne souriante derrière un hublot au-dessus d’un morceau de son logo”, explique le planeur avant de citer Nils Leonard, cofondateur d’Uncommon, à l’initiative de la campagne pour la compagnie aérienne : “Seules les marques véritablement emblématiques peuvent en dire moins”.
Baptiste Fougeray d’ajouter : “Cette stratégie visant à remettre sur le devant de la scène ses assets branding participe peut-être à rendre la marque iconique.” C’est le cas – d’école – de McDonald’s, “dont les arches suffisent à identifier la marque sans qu’elle ait à signer ses communications”. Ou Heinz dont la communication tourne autour de ses attributs emblématiques immédiatement reconnaissables. “It has to be Heinz”. Récemment, la marque s’est illustrée avec une campagne mettant en scène une simple étiquette floue et retournée pour évoquer le geste visant à se servir du ketchup. Pas besoin de plus pour savoir quelle marque de ketchup était ici représentée. Une stratégie, le message est véhiculé par les assets identitaires de la marque, qui semble se démocratiser.
“En affichant ces symboles sans texte ou contexte supplémentaire, les marques sollicitent une connexion émotionnelle implicite et universelle. Ce lien repose sur l’idée que le public connaît la marque, partage son histoire et entretient une relation durable avec elle. Cela ouvre la voie à des campagnes puissantes qui parviennent à véhiculer de l’émotion tout en renforçant le caractère iconique de la marque. Rappeler intelligemment que l’on existe, via ses assets de marque et sans trop en faire, n’est-ce pas pertinent dans un contexte de défiance envers les discours publicitaires ?”