L’affichage, c’était mieux avant ?

Par Isadora L. le 12/12/2022

Temps de lecture : 7 min

Retour sur les 100 ans d’outdoor en France avec Clear Channel.

Si nous vous demandions quelle affiche publicitaire vous a le plus interpellée dans votre carrière, ou même votre vie ? Vous pencheriez plutôt pour les photomontages de Jean-Paul Goude, les campagnes inclusives avant l’heure de Benetton, les mythiques (mais pas toujours catholiques) affiches Volkswagen, ou bien opteriez pour la dénudée Myriam ou l’irrévérence élégante d’Eurostar ? Pas facile de faire un choix tant la publicité regorge de campagnes mythiques, au saut créatif évident.

Aujourd’hui, nous vous proposons de faire un bon de… 100 ans en arrière avec un fantastique recueil : « En haut de l’affiche ». Paru à l’occasion du centenaire de la régie outdoor Clear Channel, cette véritable bible de l’affichage retrace l’évolution de celui-ci de 1920 à nos jours. Tanguy Demange (journaliste expert des médias et de la publicité), Pascal Grégoire (co-fondateur de la maison créative Justement) et Tashi Bharucha (directeur de création de Clear Channel) ont passé en revue plus de 3 000 campagnes et interviewé des publicitaires pour nous faire entrer dans les coulisses des plus grands classiques.

Les deux experts de la publicité ainsi que Boutaïna Araki, présidente de Clear Channel France et du Grand Prix de la Communication Extérieure, nous parlent aujourd’hui d’affichage, de campagnes marquantes et de l’avenir de ce média considéré comme le plus exigeant.

Qu’est-ce qui vous a mené à créer le projet « En haut de l’affiche » ?

Boutaïna Araki : Tout d’abord, Clear Channel (anciennement Dauphin OTA) fête ses 100 ans d’existence cette année. En parallèle, notre attachement aux médias et à la créativité nous ont donné l’envie d’éditer un livre afin de mettre en avant l’aspect créatif de notre média. 

Clear Channel tient beaucoup à cette partie création. En plus d’avoir créé un studio créatif en 2011, nous avions également réfléchi en 2016 à la manière dont le DOOH pouvait travailler cette dimension de créativité et de contenu en nouant des partenariats (Brut, Beaux-Arts) afin d’apporter un contenu éditorial sur nos écrans. Pour notre centenaire, nous avons voulu magnifier la création, en mettant en place le Futur Prix avec la maison créative Justement (pour récompenser les créatifs indépendants), en les faisant travailler sur la thématique « la différence en haut de l’affiche ».

À travers cet ouvrage, nous avons voulu mettre à l’honneur la création et porter cela très haut en faisant appel à des talents incontournables.

Tanguy Demange : Avec Pascal Grégoire et Tashi Bharucha, nous avons sélectionné les campagnes visuelles les plus marquantes sur 100 ans – environ 350 – et nous en avons chroniquées une centaine. Certes, c’est un magnifique livre d’images, mais nous voulions également qu’il ait du fond et un fil rouge – puisque nous parlons des affichistes jusqu’aux dernières campagnes Back Market, Camaïeu, Prime Video, etc.

Nous avons interviewé 20 publicitaires spécialistes de l’affichage en France depuis les années 70/80. Parmi eux, Jacques Séguéla (qui vient d’ailleurs de publier son dernier livre « 90 ans d’amour », ndlr) Benoît Devarrieux, Rémi Babinet, Olivier Altmann, etc. Dans cet ouvrage, ceux-ci nous expliquent ce qui fait vraiment une bonne affiche – voire même une mauvaise affiche.

Vous avez dit dans un communiqué que cet ouvrage est aussi « un reflet de toutes les facettes de la société, un témoin de l’évolution des mœurs ». Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en vous plongeant dans 100 ans de communication extérieure  ?

B.A. : Il n’y a pas tellement de surprise, mais plutôt une remémoration. C’est drôle de se replonger dans des créations des années 60-70 et de voir à quel point la publicité a pu façonner la société. Pas forcément dans le bon sens d’ailleurs – la publicité a un réel pouvoir, qui peut être utilisé à bon comme à mauvais escient. Je suis très sensible aux sujets liés à l’égalité femmes-hommes, et nous voyons comment la publicité a pu alimenter une image de la femme au foyer, souriante, serviable au service de son mari – tout cela a aidé à construire cette image. 

À l’inverse, d’autres publicités ont bousculé les codes, je pense notamment à la campagne United Colors of Benetton qui a perturbé positivement, en permettant de lancer une conversation.

Ce que j’aime beaucoup dans la publicité, c’est quand elle arrive à nous surprendre tout en nous remettant en question. C’est très parlant – notre monde étant dans une phase de transition très forte – de voir que la publicité s’empare des enjeux d’aujourd’hui pour nous montrer où nous pouvons aller. Quelle désirabilité est-ce que nous pouvons inventer – qui engage le citoyen vers un plaisir de vivre s’appuyant sur d’autres fondamentaux que ceux que nous avons pu avoir pendant des années. Plus qu’un étonnement, c’est une reconfirmation d’un certain nombre de convictions que j’avais en relisant ce magnifique ouvrage.

T.D. : Nous ne pouvions pas vraiment faire des thématiques type « l’image de la femme », « l’image des communautés ethniques » car avec l’affichage, nous n’avons que 20 ou 25 % du spectre – la télévivion prend beaucoup le relais à partir des années 80. En revanche – si nous reprennons l’exemple de l’image de la femme – nous pouvons constater une émancipation avec l’image des Kookaïettes

Les campagnes Dove du début des années 2000 préfigurent ce que sera la publicité sociétale d’aujourd’hui.  

Le secteur de la communication est en général focalisé sur le présent et le futur. Était-ce aisé de regarder ainsi dans le rétroviseur ?

T.D. : C’était assez facile en réalité. Déjà, nous revenons à une sorte d’âge d’or que sont les années 70-80 où tout se met en place – c’était très agréable de constater ce côté agitateur de l’espace public dès les années 80. En plus de cela, les publicitaires adorent revenir sur leurs campagnes. Nous avons joué sur ce qui se disait des campagnes de l’époque et de la manière dont nous voyons les choses aujourd’hui.

Considérez-vous que la publicité, c’était mieux avant ? 

B.A. : Il y a des publicités que l’on ne pourrait plus faire de la même manière, mais ce que je trouve intéressant, c’est la partie impertinence, cette capacité à étonner que parfois nous avons du mal à retrouver. Nous osions beaucoup plus dans les années 80, 90, moins aujourd’hui. Il y a un équilibre que nous sommes en train tous de chercher entre le respect d’un certain nombre de considérations (respect de l’image de la femme, des diversités, etc.) et en même temps d’avoir toujours à l’esprit que la publicité c’est aussi un message qui interpelle, qui doit retenir l’attention et s’adresser à l’intelligence de celui qui regarde l’affiche.

Pascal Grégoire : Beaucoup se demandent si la publicité – au-delà de l’affichage – n’est pas devenue plus sage et consensuelle. La réalité, c’est que malgré cela il y a des cas de campagnes d’affichages qui sont extraordinaires. J’aime citer par exemple « New is Old » de Back Market [qui a reçu le Grand Prix Effie 2022, ndlr] ainsi que les campagnes monmarché.fr de Buzzman.

Il y a une nouvelle façon de s’exprimer en affichage, c’est vrai qu’il n’y a plus les grandes sagas de l’époque sur certaines grandes marques (comme Evian, RATP, etc.)

Aujourd’hui il y a quand même des marques qui prennent la parole avec beaucoup d’humour – certes moins de moyens – mais c’est une sorte de publicité que j’adore puisqu’elle permet d’entrer en connexion avec les gens en les faisant réfléchir et réagir. Il y a peut-être moins de campagnes flamboyantes, mais il reste tout de même un lien entre l’affichage et les Français de la rue. Cette créativité-là n’a pas disparu.

C’est un des médias qui reste le plus communicant et le plus direct : nous en avons besoin.    

Un peu de prospective maintenant : comment voyez-vous l’affichage évoluer dans les 100 prochaines années ?

B.A. : Ce qui est sûr, c’est que l’affichage restera toujours LE grand média – il a une place déjà très ancrée dans les lieux de vie des individus. Nous le voyons continuer à vivre dans cet espace-là, faire partie de l’écosystème car Clear Channel, c’est non seulement la publicité créative, mais c’est aussi un média intégré dans l’écosystème de la ville (nous fournissons des mobiliers urbains et un certain nombre de services).

Nous sommes un média qui redistribuons de manière très significative à la communauté. Je le vois prendre une place de plus en plus importante dans la transformation des villes – qui vont et sont en train de se transformer pour intégrer une nouvelle façon de vivre et de se déplacer, nos mobilités vont faire partie de cette révolution-là.

Le digital ouvre aussi un champ des possibles encore plus fort à la fois dans la créativité publicitaire, mais aussi dans la capacité à émettre des contenus éditoriaux. Je vois Clear Channel devenir un média plus complet, et prendre davantage de place en termes de contenus d’information, de sensibilisation mais aussi d’entertainment car nous passons tous beaucoup de temps dans la rue.

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