Google Meridian : un MMM pour les gouverner tous ?

Par Xuoan D. le 26/02/2025

Temps de lecture : 10 min

(Les investissements média)

En juin dernier, les pieds dans le sable cannois, Pierre Harand déclarait au micro de la Réclame : « L’attribution digitale basée sur le cookie n’a plus d’avenir ». Le co-CEO de fifty-five (The Brandtech group) vantait les mérites des MMM (Marketing Mix Modeling), et en particulier d’une solution open source de Google en bêta. Sept mois plus tard, Meridian sortait du bois. L’occasion pour nous de nous entretenir avec le dirigeant d’un des 4 partenaires certifiés de Meridian en France.

Les MMM représentent-ils l’avenir de la mesure de l’efficacité publicitaire ? Toutes les marques vont-elles se doter d’un MMM ? Meridian est-il un nouveau coup de maître de Google pour flécher les investissements vers Google Ads et YouTube ?

Éléments de réponse avec cette interview riche en enseignements pour la Réclame .mark&tech.

Le MMM semble connaître un regain d’intérêt ces dernières années. Comment l’expliquez-vous ?

Pierre Harand : Les solutions de mesure de l’efficacité média digitale que nous avons connues ces dix dernières années sont de moins en moins valables, notamment à cause de la diminution de la population de cookies tiers. 

D’autre part, le digital s’étend sur des supports naturellement sans cookies – le DOOH, la CTV, ou encore les walled gardens – et qui ne peuvent donc pas être traqués avec les moyens habituels. Il y a un manque important que le MMM peut combler. 

Par ailleurs, quand on parle de Marketing Mix Modeling aujourd’hui, ce n’est pas la même chose qu’il y a dix ans. Les anciens MMM étaient essentiellement des études, des modèles économétriques présentés sous forme d’un paquet de slides livrés une fois par an, qui décrivaient le passé sans offrir une réelle granularité, ni actionnabilité des conclusions. Aujourd’hui, grâce aux technologies cloud, au big data et à l’intelligence artificielle, le MMM se transforme en un véritable outil interactif, mis à jour en continu, capable d’intégrer non seulement des données online mais aussi offline, comme les ventes, et d’offrir une précision incomparable dans l’analyse de l’impact des actions médias.

Existe-t-il des alternatives aux MMM ? 

P.H. : Le MMM va s’imposer comme la mesure clé de l’efficacité média. Il existe bien sûr d’autres modèles, mais dans un monde où les investissements sont de plus en plus éclatés entre une multitude de canaux – en ligne et hors ligne – il n’y a pas vraiment d’alternative aussi robuste.  

Si l’on parle d’annonceurs qui ont un profil d’investissement publicitaire très spécifique, comme ceux qui misent exclusivement sur le digital avec une approche purement ROIste, l’attribution classique peut suffire. Dans ces cas-là, on coupe, on mesure les clics, et on optimise en fonction des résultats. Mais dès qu’une marque investit sur plusieurs canaux, notamment en branding et en offline, on a besoin d’un modèle capable de comparer ces différents leviers.  

C’est là que le MMM devient incontournable. Il permet non seulement d’évaluer l’impact de chaque investissement, mais aussi de prendre en compte des éléments plus complexes comme la synergie entre les canaux. C’est une approche plus holistique qui répond mieux aux enjeux des grands annonceurs.  

Je suis convaincu que le MMM, dans sa version moderne, va devenir le standard du marché.

En quoi Meridian mérite-t-il notre attention ?

P.H. : Le time to market de Meridian est particulièrement bon. Aujourd’hui, les CMO et les directeurs médias font face à de nombreuses contraintes. Ils doivent arbitrer entre les nouveaux leviers (CTV, DOOH, retail media, audio digital) tout en gérant des budgets souvent en baisse. 

Parallèlement, le coût des médias traditionnels, comme la télévision, évolue fortement – on voit par exemple des spots de 20 secondes vendus au prix de ceux de 30 secondes il y a quelques années. Cela pose des questions cruciales sur le ROI de la télévision et sur la réallocation des budgets.  

Dans ce contexte, Meridian arrive avec une solution open source qui permet de répondre à ces enjeux de mesure et d’optimisation. Il s’appuie sur une méthodologie robuste tout en restant flexible et accessible. Google a bien compris que les marques avaient besoin d’outils faciles à intégrer pour piloter efficacement leurs investissements.

Justement, Meridian est-il simple à utiliser ? Est-ce une solution pour toutes les marques ?

P.H. : Meridian n’est pas donné à tout le monde, dans le sens où il nécessite une expertise technique cloud et data que toutes les marques ne possèdent pas en interne. Ce n’est pas un outil clé en main que l’on peut utiliser immédiatement. C’est un modèle open source qu’il faut alimenter avec des données de qualité, bien préparées, et construire tout le processus d’analyse derrière. Ensuite, il faut être en mesure d’exploiter ces insights sous forme d’interfaces et de recommandations actionnables.  

C’est pour cela qu’il n’y a aujourd’hui que onze partenaires en EMEA capables d’accompagner les annonceurs sur Meridian, et seulement quatre en France.  

Côté coûts, Meridian démocratise le MMM. Les MMM traditionnels étaient des études extrêmement coûteuses, de l’ordre de plus de 100 000 euros par an. La différence majeure est que Meridian représente un investissement ponctuel. Une fois que l’outil est mis en place, il se met à jour automatiquement, ce qui évite de repartir de zéro chaque année. Pour un annonceur ayant une structure de données relativement simple, le coût peut être en dessous de 100 000 euros. Cela représente une solution plus accessible que les MMM classiques.

Meridian n’est pas le modèle le plus performant du marché, mais il est pertinent, flexible et améliore considérablement l’accès aux outils de mesure avancés. Et comme il est open source, les marques ou leurs partenaires peuvent l’adapter selon leurs besoins spécifiques.

Est-il possible de faire des simulations ? Par exemple, si je coupe tel budget, qu’est-ce qui se passe ? 

P.H. : Oui, tout à fait. C’est l’un des principaux avantages de ce type de modèles. Une fois que l’outil est en place, on peut tester différents scénarios et voir immédiatement leur impact sur les performances. Par exemple, si je diminue de 10 % mon budget télé linéaire et que je réalloue cet investissement sur la CTV ou le retail media, je peux visualiser en temps réel l’évolution des indicateurs de vente.  

Cela permet de repérer rapidement des optimisations possibles. On constate souvent qu’entre 5 et 10 % des investissements publicitaires sont peu efficaces, et que leur redistribution vers d’autres canaux peut améliorer la rentabilité. Dans le cas de TotalEnergies, par exemple, leur modèle MMM a permis d’identifier environ 4 millions d’euros d’investissements publicitaires qui n’étaient pas pleinement optimisés. Cet argent a pu être réalloué sur des canaux plus performants, avec un ROI plus intéressant.

L’autre avantage est que ces simulations ne sont pas statiques. On peut tester des combinaisons infinies et ajuster ses investissements en fonction des évolutions du marché et des performances des campagnes. Cette approche permet d’optimiser en continu, plutôt que d’attendre une étude annuelle pour ajuster sa stratégie. 

L’IA permet-elle de suggérer des simulations ? 

P.H. : Pas encore, mais c’est l’étape suivante. Une fois que l’on dispose d’une base de données solide et d’un moteur d’analyse capable de faire tourner régulièrement des simulations, l’étape logique sera d’intégrer une couche d’IA qui puisse suggérer proactivement des optimisations.  

L’idée est d’arriver à un agent conversationnel qui permettrait d’interagir avec le modèle en langage naturel. Plutôt que de manipuler des curseurs pour tester différents scénarios, on pourrait poser une question du type « Si je réduis mon budget télé de 15 % et que je le transfère sur le DOOH, quel serait l’impact ? » et obtenir une réponse immédiate avec des recommandations précises. 

Comment ce type de modèle peut-il transformer la mesure des investissements médias ?

P.H. : Les MMM transforment la mesure des investissements médias en apportant une vision plus précise et actionnable de leur efficacité. On structure désormais l’analyse en définissant un véritable learning agenda : l’idée est de lister en amont les grandes questions auxquelles les annonceurs veulent répondre, et de les tester de manière rigoureuse dans le modèle.  

Pour affiner encore plus la précision des analyses, on s’appuie également sur des tests d’incrémentalité. Par exemple, si une marque se demande quel budget allouer à la CTV mais n’a que peu d’historique sur ce canal, on peut concevoir un test spécifique en injectant un budget précis sur une période définie afin de mesurer son impact réel. Ces tests permettent de calibrer le modèle et d’apporter des insights plus fiables, plutôt que de s’appuyer uniquement sur des données passées.  

Ce qui change fondamentalement, c’est qu’on ne travaille plus uniquement avec des études ponctuelles qui donnent une vision rétrospective. On est dans une approche dynamique. Cette capacité d’adaptation permanente fait toute la différence et rend ces modèles si précieux dans un environnement média en constante évolution.

Vous avez accompagné des marques comme Salomon et Leroy Merlin dans l’utilisation de Meridian. Quels enseignements tirez-vous de ces premières implémentations ?

P.H. : Nous avons testé Meridian en bêta avec Salomon et Leroy Merlin, et les enseignements sont très intéressants. Ces marques n’ont pas encore souhaité communiquer publiquement sur les résultats, mais ce que l’on observe, c’est que le modèle permet vraiment de challenger les investissements médias traditionnels, notamment la télévision, et de repenser leur répartition sur d’autres canaux plus récents comme la VOL ou la CTV.  

Il ressort que les audiences de ces nouveaux canaux digitaux continuent de croître très vite, mais que les budgets médias ne suivent pas toujours cette évolution avec la même rapidité. Il y a souvent de l’inertie dans la répartition des investissements, et le MMM permet d’identifier où des ajustements pourraient être bénéfiques.  

Avec Leroy Merlin, par exemple, nous avons pu mettre en place un modèle très poussé basé sur un jumeau numérique du marché, avec 100 000 agents virtuels simulant des comportements de consommateurs du marché du bricolage français, calibrés sur des années de données d’achats et d’interactions avec la marque. Ce type d’approche permet d’aller encore plus loin dans la compréhension des leviers de performance et d’optimiser les investissements de manière beaucoup plus fine.

Quelles sont les limites actuelles de Meridian ? 

P.H. : L’une des limites majeures des MMM en général, et donc de Meridian, est qu’ils ne prennent pas en compte le contenu des campagnes. On peut mesurer l’impact d’un investissement média, mais on ne modélise pas la qualité des créations publicitaires elles-mêmes. Pourtant, on sait que la performance d’une campagne dépend aussi de la force du message, de la pertinence du visuel, et de l’adéquation avec la cible.

C’est un enjeu sur lequel nous travaillons déjà. Il y a des démarches émergentes, comme les creative analytics, qui consistent à analyser la performance des créations à travers différents formats et canaux, en utilisant la reconnaissance visuelle et l’intelligence artificielle pour regrouper des déclinaisons d’un même message publicitaire. C’est encore un sujet de prospective.

Quel est l’intérêt pour Google de proposer gratuitement une solution aussi décisive que Meridian ? Peut-on comparer cela à la mise à disposition de Google Analytics suite au rachat d’Urchin ?

P.H. : Google sait bien que les annonceurs sont encore relativement lents à déplacer leurs budgets offline vers le digital. En proposant un modèle open source comme Meridian, ils facilitent l’accès à une mesure plus précise des performances médias. L’objectif est qu’en équipant les annonceurs avec des outils de mesure fiables, ces derniers seront plus enclins à investir davantage sur les canaux digitaux, dont une bonne partie est dominée par Google.  

Cela dit, le modèle de Meridian est totalement open source, ce n’est pas une boîte noire. On peut l’auditer, comprendre comment il fonctionne et même le personnaliser pour l’adapter aux besoins spécifiques d’un annonceur. C’est d’ailleurs ce que nous faisons souvent : on prend Meridian comme base et on ajuste certains paramètres pour améliorer la pertinence du modèle selon les spécificités de la marque.

Cette démarche n’est pas propre à Google. Meta avait lancé il y a quelques années Robyn, qui était une sorte d’ancêtre de Meridian, basé sur la même logique de modèle open source pour le MMM. Nous sommes donc dans une tendance de fond où les grandes plateformes cherchent à standardiser et à démocratiser la mesure, tout en restant dans une logique qui, in fine, favorise l’orientation des budgets vers leurs propres environnements.

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