Le Retail Media, entre mythes et réalités

Par Vincent B. et Guilhem B. le 21/11/2024

Temps de lecture : 22 min

Session de rattrapage #3 !

Dans l’univers du marketing digital, les innovations ne manquent pas. Pourtant, derrière cette effervescence, parfois jargonneuse, se cache des bouleversements profonds qu’il est important pour tout professionnel de maîtriser.

C’est là qu’intervient la session de rattrapage. Cette nouvelle rubrique sur la Réclame .mark&tech va s’attaquer à chaque sujet complexe adtech / média dans une forme à la fois experte et pédagogique. Sur le pupitre, pour mener ce grand travail d’enquête et de restitution : Vincent Balusseau, professeur de marketing à Audencia Business School, et Guilhem Bodin, partner chez Converteo.

Qui aurait pu prédire ? Alors que le Retail Media captait 1,5% des investissements publicitaires globaux il y a 10 ans, il devrait représenter 15% de ces mêmes investissements en 2024, selon GroupM (pour un montant de 120 milliards d’euros). Et même 20% de l’ensemble des dépenses publicitaires aux Etats-Unis, pour, dès l’an prochain, dépasser les montants investis dans la télévision (linéaire et connectée). Là-bas, les investissements en Retail Media pourraient, en 2027, atteindre un niveau dix fois supérieur à celui de 2023, d’après les projections d’e-Marketer. En Europe, le Retail Media affiche un taux de croissance quatre fois supérieur à celui du marché publicitaire (IAB Europe). En France, il est le levier qui connaît la croissance la plus rapide de l’ensemble des leviers publicitaires digitaux, et a passé le cap du milliard d’euros investis en publicité On-site en 2023 (publicité On-site uniquement). 

Dans l’Hexagone comme au niveau global, la domination d’Amazon est écrasante. Mais la manne Retail Media a évidemment aiguisé les appétits des (e)Retailers, généralistes ou spécialisés  – dont les géants de la grande distribution française –  qui se sont mis en ordre de bataille pour challenger le leader. Troisième grande (r)évolution de la publicité digitale, après celle du Search et du Social, mais avec une trajectoire de croissance nettement plus rapide, le Retail Media défie les pronostics, et complique la vie des analystes, tant le sujet est mouvant, et tant il recouvre de multiples dimensions (de l’organisation interne des annonceurs sur le Retail Media jusqu’aux solutions technologiques mises en place par des distributeurs devenus vendeurs d’espaces publicitaires).

La data au cœur de la définition du Retail Media

Il faut commencer par en cerner les contours. Pour Lawrence Taylor, grand expert du sujet et fondateur de Retail 4 brands, il convient de distinguer ce qui relève des activités traditionnelles de Trade marketing du Retail Media, pour n’inclure dans ce dernier que les activations publicitaires qui mobilisent la donnée des retailers en input et/ou en output. En input, pour du ciblage : soit par rapport à une intention d’achat exprimée en temps réel par les utilisateurs (via les Sponsored product ads, ou l’équivalent du Paid search appliqué au Retail Media), soit par rapport à des profils utilisateurs, donc de la donnée d’audience incluant les historiques de vente (via la publicité Display sur les sites des distributeurs, par exemple). En output, pour la mesure de ces activations : la donnée transmise par les retailers (par leurs régies ou directement par leurs outils de gestion de campagnes) permet d’évaluer les impacts business sur le court et le long terme. 

Le marché introduit aussi une distinction entre la publicité On-site, la publicité Off-site (ou « extension d’audience ») et la publicité In-store. 

La publicité On-site regroupe les formats de type Search, Display ou Vidéo diffusés sur le site ou l’application du distributeur ou de la marketplace. Elle assure la mise en avant des produits des industriels sur la « digital shelf » à une étape clé du parcours client, dans un contexte où la part allouée aux résultats organiques, notamment sur mobile, va diminuant. Elle permet aussi de travailler le haut du tunnel, en assurant une visibilité (via du Display) sur des sites marchands, qui, pour certains d’entre eux, sont de vrais carrefours d’audience. 

La publicité Off-site offre aux annonceurs la possibilité de toucher des segments d’audience du Retailer en dehors des environnements contrôlés par celui-ci. La donnée first-party du distributeur est alors mobilisée pour diffuser de manière ciblée des formats Display et Vidéo sur l’Open-Web, YouTube, les médias sociaux ou encore les sites de streaming et BVOD. Avec la publicité Off-site, les annonceurs, et les annonceurs « non-endémiques » (ceux qui ne vendent pas sur les sites des distributeurs) peuvent travailler l’ensemble du tunnel, et poursuivre des objectifs de Branding comme des objectifs de Performance.

La publicité In-store, plus proche de la traditionnelle « Publicité sur le lieu de vente » (PLV), enfin, correspond aux publicités diffusées sur l’ensemble des dispositifs et points de contact physiques ou digitaux (via des écrans connectés) présents au point de vente, ou dans sa proximité directe. (Une partie de celle-ci seulement rentrerait donc la catégorie Retail Media, si l’on se réfère à la définition proposée ci-dessus).

Ciblage, mesure, simplicité d’achat : le trio gagnant ?

La data retailer constitue bien le cœur de la proposition de valeur du Retail Media.

« Retail data is better data. It’s the most powerful data. We have powered digital advertising to date on proxies and behavioral advertising, but now we know what people are shopping for and buying. That’s the best signal that you can have for targeting ads in the majority of cases”, affirme Andrew Lipsman, un des analystes incontournables du marché du Retail Media. « On peut TOUT connaitre des individus à partir de leurs paniers, dont leurs grandes étapes de vie » ajoute Jean Vautrin, Global Media Manager chez Bel…et on peut prédire, de façon assez puissante, ce qu’ils achèteront dans le futur.

Les autres catégories d’acteurs de la publicité digitale – Google et Meta compris – continuent eux de courir après la donnée transactionnelle. Et à l’heure où les possibilités de ciblage, du moins sur l’open web, vont en se réduisant, la data retailer fait saliver les annonceurs, et pour de bonnes raisons. Parce qu’elle est déterministe, et pas modélisée, comme chez d’autres acteurs. Parce qu’elle est attachée à des identifiants persistants, comme un email, et pas un cookie tiers. Parce qu’elle est potentiellement « privacy-compliant », pour peu que les consentements aient été recueillis. Et parce qu’elle est disponible en quantité, au moins chez ces retailers dont les sites marchands sont de véritables carrefours d’audience.

Mieux, l’activation de cette donnée en Off-site – sur les sites de l’open web, sur les médias sociaux, sur les chaînes de Streaming ou encore le DOOH – pourrait représenter un véritable « game-changer sur l’ensemble de l’achat média digital », pour reprendre l’expression de Jean Vautrin. Le retail media n’est pas simplement un nouveau canal, mais une surcouche data pouvant être ajoutée sur l’ensemble des canaux digitaux. Qu’il s’agisse d’orienter ses activations à visée performance sur les cibles les plus réceptives, ou de concentrer ses efforts de construction de marque sur l’ensemble des acheteurs d’une catégorie. Reste, bien sûr, à valider l’équation économique de ce type d’activation : la data Retailer en Off-site vient s’ajouter au prix du média, et elle coûte cher – sujet sur lequel nous reviendrons.

Les possibilités de mesure sont présentées comme l’autre grande force du Retail media. Les retailers comme les marketplaces sont en effet capables, au sein de leur environnement (site ou application marchande) de faire le lien entre, d’une part, les publicités auxquelles les individus ont été exposés – ou sur lesquelles ils ont cliqué – et, d’autre part, les achats effectués au sein de ces mêmes environnements (et même au sein des magasins physiques, pour les retailers les plus avancés). La mesure en « closed-loop », en « circuit fermé », via les données first-party du retailer, ouvre aussi de multiples possibilités d’optimisation de campagnes en temps réel, à l’instar de ce qui peut être fait sur d’autres canaux digitaux. Là aussi, il nous faudra confronter le discours à la réalité.

L’ensemble de ces éléments conduisait le Financial Times, dès 2022, à considérer le Retail Media comme un nouveau média de masse entrant en compétition directe avec les Walled-gardens pour les budgets publicitaires des annonceurs. Reste à rivaliser avec les outils d’achat du marché (en Search, Social ou programmatique), disponibles en « self-service » (directement opérables par les équipes de l’agence média, voire par les annonceurs). Là, Amazon a montré la voie, en développant et en améliorant depuis des années deux grands outils :  la Amazon console pour les activations On-site, et sa DSP pour les activations Off-site. La « plateformisation », ou la mise disposition d’outils d’achat permettant d’accéder de manière autonome aux inventaires digitaux et de piloter des campagnes est un attendu du marché. Elle est aussi une nécessité pour des régies cherchant à servir de manière efficiente de multiples annonceurs, et même un impératif pour les marketplaces accueillant une grande quantité de resellers. Lors du lancement d’Unlimitail (la joint venture entre Publicis et Carrefour), Arthur Sadoun insistait d’ailleurs sur l’objectif de simplification : que le Retail media – via Unlimitail – devienne, idéalement, aussi simple à opérer que l’open web. Aux retailers de faire leur mue, pour atteindre un niveau d’excellence média à la hauteur des standards du marché. 

Les planètes semblent donc assez bien alignées pour un Retail Media que Stephan Loerke, CEO de la World Federation of Advertisers, n’a pas hésité à qualifier, en cette fin 2024, de « levier de croissance véritablement transformateur pour les marques ». 

Un ado difficile à cerner…

Il faut pourtant aller au-delà des discours et des effets d’annonce. 

Comme le rappelle fort justement Nick Ashley, vétéran du Retail Media et en charge du développement de la platforme de Tesco (une des enseignes de distribution leader aux UK) « Retail media is only now coming of age. It’s not the toddler some talk about. But it’s not an adult yet. It’s in its teenage years.” Un adolescent plein de promesses, donc, mais un ado quand même.

L’écosystème Retail Media (français) est complexe et excessivement fragmenté. Il se prête par conséquent mal aux généralisations. Ce qui vaut pour un Amazon voire un Cdiscount ne vaudra pas pour un Fnac-Darty (et sa régie Retailink). Et ce qui vaut pour un Unlimitail (régie de Carrefour mais aussi de Showroomprivé, Kingfisher, Rakuten…) ne vaudra pas non plus pour un Valliuz (régie de Auchan, Boulanger, Décathlon, Leroy Merlin.….), deux acteurs leaders, notamment sur l’alimentaire. Il est aussi en pleine évolution : ce qui valait en 2023 doit probablement être revisité aujourd’hui. Des bascules technologiques importantes ont eu lieu chez certains acteurs majeurs, il y a moins d’un an. De nouveaux acteurs AdTech ne cessent de se positionner sur le marché pour répondre à tel ou tel besoin du marché…et font régulièrement évoluer leur positionnement et leur proposition de valeur.

Mais enfin, puisque nous nous attelons à rédiger des « sessions de rattrapage » destinées aux non-spécialistes, il nous faut relever le défi. Quels sont les grands éléments à garder en tête pour commencer à comprendre l’écosystème Retail Media français ?

Premier élément: Il y a Amazon et il y a tous les autres (même si Walmart, Kroger ou d’autres progressent rapidement). Amazon est, de loin, l’acteur le plus sophistiqué, tant dans les modes d’achat – essentiellement en self-service, à la manière d’un Meta ads, donc – , que pour que formats publicitaires disponibles, la richesse de la data ou les possibilités de mesure et d’optimisation de campagne. On ira donc, dans ce papier, s’intéresser davantage à ces autres acteurs qui tentent de le rattraper. 

Deuxième élément : il y a les États-Unis, et il y a le reste du monde. Il suffit de jeter un œil aux benchmarks des offres de chaque Retail Media Network américain, effectués par Mars United Commerce chaque trimestre, pour prendre la mesure de l’écart qui existe entre les États-Unis et la France (Attention néanmoins à ne pas trop fantasmer l’avance des États-Unis, nous disait Lawrence Taylor, pour qui les retailers américains (et anglais) sont, au moins pour une bonne partie d’entre eux, confrontés aux mêmes défis que les retailers français – notamment sur le sujet crucial de la plateformisation -).

… et en pleine crise de croissance

Le troisième élément a justement trait à la plateformisation. Sur ce sujet, le marché a pris beaucoup de retard, souligne Frédéric Clément, fondateur de Mimbi, une des AdTech prometteuses du marché. La majorité des investissements en Retail media est encore effectuée en gré à gré, ou, via ce qu’on appelle aussi le « Managed » (Managed service). L’agence média (ou l’annonceur en direct) négocie avec la régie qui va fournir des recommandations, et, sur la base d’un ordre d’insertion, gérer et optimiser la campagne sur l’ensemble des inventaires… et transmettre les performances de campagnes. 

Le self-service, où l’agence média (ou l’annonceur, le fournisseur markeplace, etc.) achète, gère et optimise sa campagne via un outil reste encore une configuration minoritaire, notamment sur l’alimentaire, précise Johann Barsby, Directeur associé chez Publicis Commerce

Mais l’ensemble du marché s’active, ajoute Frédéric Clément, en commençant par la mise à disposition du Search (des Sponsored product ads) via des plateformes en self-service, comme c’est le cas depuis plusieurs mois chez Unlimitail, nous rappelait Edouard Brunet, Head of Product chez Unlimitail, ou chez Fnac-Darty.Et si les plateformes restent d’ailleurs encore spécialisées (une plateforme permettant d’acheter et de gérer une campagne search ne permet pas d’acheter et de gérer une campagne display, sauf exception), Frédéric Clément est convaincu que l’ensemble des inventaires seront, à terme, disponibles (achetables) au sein d’une même plateforme. À date, et sur le marché français en tout cas, il n’existe pas non plus, à l’exception de Fnac-Darty, de plateforme qui permettrait d’acheter tous les inventaires digitaux liés à plusieurs Retail Media Networks.

Le quatrième élément renvoie à la multiplicité des solutions technologiques utilisées par les régies des retailers pour diffuser de la publicité sur leurs sites (voire, dans le cas des solutions en Self-service abordées à l’instant, pour permettre aux acheteurs de gérer directement les campagnes). On distinguera deux grandes catégories d’outils : la première dédiée à la publicité On-site, la seconde à la publicité Off-site. 

La première catégorie inclut, d’une part, les solutions technologiques de type Criteo, Citrus ad et Kamino, permettant de vendre et d’acheter de la publicité digitale sur le site des e-commercants. Si celles-ci ont généralement été développées autour du Search (afin de rendre possible l’affichage de publicités en réponse à une requête d’un visiteur du site), elles évoluent pour permettre de créer des inventaires display et vidéo sur les sites des retailers. Cette première catégorie inclut d’autre part les solutions technologiques issues du monde du programmatique (la publicité display et vidéo diffusée sur un site web ou une application), en l’occurrence des SSP/adservers. Des acteurs comme Xandr, Pubmatic ou Equativ (qui vient de racheter la solution native Retail Media Kamino) ont fait évoluer leurs outils pour s’adapter aux enjeux spécifiques du Retail Media.

La seconde catégorie d’outils est mobilisée par les régies des retailers pour permettre aux annonceurs de toucher les segments d’audiences de ces mêmes retailers sur d’autres inventaires (le Off-site, ou extension d’audience). Les audiences créées à partir de la base de données acheteurs du e-commercant (généralement à l’aide d’une CDP ou d’une DMP) sont poussées dans les plateformes d’achat digitales « traditionnelles », comme Google ads avec YouTube, Meta ads pour le Social ou DV 360 ou encore The Trade Desk pour la publicité Display et video sur l’open web.

La diversité des stacks technologiques mobilisés par les retailers, et la prolifération des Retail Media Networks créent naturellement de nombreux défis pour les agences médias (et les annonceurs). Ainsi et par exemple, alors que les DSP du marché ont globalement suivi les standards IAB pour le display et la vidéo, les AdTech du Retail Media ont eu tendance à développer leurs propres formats…obligeant les annonceurs investissant auprès de plusieurs régies Retail Media à démultiplier les efforts en création ou en adaptation de création.

Des annonceurs en mode « test and learn » 

Les annonceurs sont, aussi et fort logiquement, loin d’être arrivés à maturité sur le sujet. 

Et les pratiques, comme les ressentis des uns et des autres, échappent aussi aux généralisations.

En premier lieu, parce que ces derniers, pour la majorité d’entre eux, testent différents Retail media networks, types d’activations et formats, et sont donc en phase d’apprentissage, notamment sur le e-Commerce alimentaire, dont les offres ont grandement évolué ces derniers mois. Les pratiques sont donc encore émergentes, et les bonnes pratiques loin d’être stabilisées.

En second lieu, des différences majeures en termes d’organisation et d’approches, côté annonceurs, existent entre les verticales, du fait des niveaux de pénétration très variables du eCommerce entre tel ou tel secteur. D’autres différences, liées aux premières, proviennent des degrés très divers de maturité – notamment organisationnelle – des annonceurs sur les sujets eCommerce et Retail média. Ainsi, peu de comparaison possible, entre, par exemple, un groupe Seb qui investit « bien plus que la moyenne du marché en Retail média », comme nous le confiait Florian Bacquier, Global Media Activation Lead chez Groupe Seb, un L’Oréal qui, d’une manière générale, est en avance de phase sur l’ensemble des sujets digitaux, ou un acteur de l’alimentaire comme Bel pour qui « l’essentiel du business se fait encore sur le carrelage », donc au point de vente physique, nous rappelait Jean Vautrin, voire un acteur de la literie ou du bricolage qui s’en tient souvent au seules actions Trade pour faire la promotion de ses produits.

Une concentration sur le bas de tunnel

Commençons par les objectifs poursuivis par les annonceurs. 

Le discours tenu par les analystes Retail media, et par les régies, notamment aux États-Unis, insiste sur la capacité « full-funnel » du Retail Media, via, notamment, les activations Off-site. Les médias spécialisés font ainsi la part belle aux partenariats montés entre des acteurs du Retail et ceux du streaming, en particulier (La CTV et le Retail media, croisement des deux tendances les plus « hots » du marché ?).  

Force est de constater, toutefois, que le On-site, et plus particulièrement les sponsored product ads, captent l’essentiel des dépenses du marché français (et international). La part d’Amazon dans le Retail Media en France, et, au sein d’Amazon, la part allouée aux publicités Search (les Sponsored product ads, plébiscitées par l’armée des resellers présents sur la plateforme) vient toutefois biaiser ces chiffres, comme nous le faisait remarquer Johann Barsby. Ainsi, chez Unlimitail, le display représente près de la moitié des investissements des annonceurs, précise Edouard Brunet.

Les budgets Retail Media investis par les annonceurs restent encore aujourd’hui assez orientés bas de tunnel. Les investissements Display, par exemple, cherchent essentiellement à générer du trafic sur le site du retailer (et des pages produits de l’annonceur), indique le même Johann Barsby. Des exceptions existent. Clara Giovannangeli, E-Retail Manager Garnier skincare chez L’Oréal, insiste ainsi sur les opportunités Branding associées au Retail media, certes en Off-site mais aussi en On-site, via des formats à fort impact (du type homepage takeover sur Amazon) sur des sites carrefours d’audience, ou du Display plus classique, mais orienté awareness et recrutement d’individus visitant d’autres catégories que les catégories mode-beauté…(qu’on distinguera du Display retargeting par exemple, résolument axé bas de tunnel). 

Les acteurs non-endémiques, eux, pourraient avoir intérêt à être présents sur les grands carrefours d’audience que constituent les sites des retailers, mais continuent à privilégier le Off-site, constate Johann Barsby. Le Off-site en streaming fait l’objet d’expérimentation, et reste encore dans une phase de test and learn chez les annonceurs accompagnés par Publicis Commerce… à l’issue de laquelle il sera possible de savoir si les incréments de performance viennent justifier le surcoût de la data – sur des inventaires en streaming déjà chers -. Chez Bel, l’extension d’audience sur les sites de streaming, a fait l’objet de tests, qui viennent achopper sur « le coût hallucinant de la data », regrette un Jean Vautrin qui aimerait explorer l’impact d’un ciblage plus fin, même dans des approches Branding. 

Une mesure qui tarde à se professionnaliser 

La mesure des impacts constitue l’un des grands enjeux du Retail Media, du point de vue des annonceurs. Les capacités de mesure en circuit fermé, propres au Retail Media, vantées par les acteurs du marché, viennent se heurter à la réalité – en l’occurrence, à la diversité des pratiques et des stacks technologiques côté régies des retailers, mais aussi à l’absence de standards sur la mesure, même si le marché se structure grâce aux initiatives de l’IAB et de l’Alliance digitale. 

La question du mode d’achat a déjà son importance, mais n’est pas propre au Retail Media.

En managed, c’est la régie du retailer qui ira transmettre, toutes les semaines, ou quelques jours après la fin de campagne, les résultats, comme le rappelle Edouard Brunet. En self-service, l’agence média aura accès en direct aux KPis et procèdera elle-même aux optimisations des campagnes. A l’annonceur, en managed comme en self-service, de faire confiance aux résultats communiqués en l’absence, du moins à l’heure actuelle, de tiers mesureur (précisons quand même que le marché s’est longtemps contenté de l’absence de tiers mesureur chez les GAFA…).

Les choses se compliquent dès lors que l’agence média mobilise plusieurs régies. Certes, le marché gravite autour d’un certain nombre de KPIs (et notamment le ROAS, grand classique sur les actions bas de tunnel), mais les modes de calculs de ceux-ci varient grandement d’un retailer à un autre, empêchant la comparaison des performances entre les réseaux activés. Le calcul du revenu attribué à une campagne (le numérateur du ROAS) représente, en lui-même, un vrai casse-tête, compliquant l’implémentation de standards par l’ensemble des acteurs. 

Par exemple : les ventes en magasin, et plus simplement sur le site ou l’application du retailer, suite à une campagne de l’annonceur, sont-elles comptabilisées ? (Elles le sont rarement, même si, là aussi, les choses bougent chez certains). 

La prise en compte des effets de halo, a priori légitime, constitue un autre défi. Faut-il attribuer à une sponsored product ad pour un pack de 6 bouteilles de bière de la marque x les ventes de pack de 12 bouteilles de bière de la même marque ? Et à quelle hauteur ? Et chaque retailer utilisera sa propre règle, sans être toujours très transparent, nous confie Edouard Brunet. 

Les fenêtres d’attribution, enfin, varient par catégorie… et par retailer. Tel retailer s’attribuera une vente après avoir exposé un individu à une bannière display jusqu’à 7 jours après l’exposition, tandis qu’un autre, plus conservateur, s’en tiendra à une fenêtre de 24h « post-view »… sur la même catégorie produit. 

Bref, comme le déplore Clara Giovannangeli, « Personne n’a les mêmes formats, et personne n’a les mêmes KPIs, ou en tout cas les mêmes façons de les calculer. Par exemple, personne n’a les mêmes modes d’attribution… ce qui complique le travail pour l’agence media et l’annonceur pour traduire tout ça dans un langage permettant les comparaisons ».

La question de la mesure d’incrémentalité vient aussi se poser avec une acuité toute particulière en Retail Media. Avec l’incrémentalité, et en schématisant, on cherche à déterminer la part des ventes effectivement causées par la campagne, en éliminant celles qui auraient lieu « de toute façon » – sans la campagne de l’annonceur, donc. On considère en effet que les publicités affichées au plus près de l’étape de décision, et donc au point de vente (digital ou non), ont un impact incrémental sur les ventes plus réduit que celles affichées en amont des parcours client. Autrement dit, et au-delà des limites provenant de son mode de calcul, c’est le ROAS lui-même qu’il faut venir challenger en Retail Media, pour tenter de mettre en évidence les relations de cause à effet entre des expositions ou des clics, en amont, et des conversions, en aval. Mais l’incrémentalité reste encore un buzzword, pour Florian Bacquier , et même, « le buzzword de l’année 2024 », nous disait-il. Seuls les annonceurs les plus matures ont véritablement avancé sur le sujet avec les régies concernées – et cela alors que les méthodologies existent, comme chez Unlimitail, aussi bien sur le On-site que sur le Off-site -, précise Edouard Brunet.

La simplification des process d’achat et de gestion de campagnes comme la professionnalisation de la mesure représentent donc des défis importants à relever pour les acteurs de l’écosystème.

Annonceur-fournisseur et retailer-régie : une collaboration à réinventer

Les annonceurs sont eux, confrontés à d’autres problématiques, et, au premier chef, des problématiques organisationnelles.

Comment gérer au mieux l’activité Retail Media, déterminer les bons niveaux d’investissements (en Retail Media et par retailer), gérer de manière optimale les budgets investis au sein de chaque retailer, alors que les responsabilités comme les budgets sont souvent morcelées entre différentes équipes (les Sales, en charge de la relation avec les distributeurs, le Marketing, le Media et eCommerce) ? 

Pour l’heure, il existe probablement autant d’organisations Retail Media que d’annonceurs (voire, autant d’organisations que de pays dans lesquels l’entreprise est implantée, remarque Jean Vautrin). Johann Barsby voit néanmoins émerger une fonction transverse de type « Shopper activation » chez les annonceurs plus matures, qui centralise, ou du moins coordonne, l’ensemble des investissements au sein d’un même retailer – en incluant les contrats commerciaux, et donc les activités historiques relevant du Trade marketing. 

Le sujet est clé et dépasse le seul enjeu d’optimisation des investissements Retail Media (et donc le seul sujet publicitaire).

Il touche à l’évolution de la relation entre un fournisseur devenu annonceur, et un distributeur devenu régie… toujours un peu plus gourmande à mesure que la visibilité organique des produits sur les sites des principaux retailers diminue. 

Cette relation s’articule, en France et ailleurs, autour des contrats commerciaux. A l’issue de négociations – assez âpres ! -, les distributeurs s’engagent à mettre en avant les produits du fournisseur au travers d’actions dites de Trade marketing… contre de multiples avantages consentis par le fournisseur – des remises substantielles sur les quantités achetées. 

Dans ces engagements de mise en avant par le distributeur, a été inclus, depuis toujours, ce qu’on appelle aujourd’hui le Retail Media In-store… Sont venues s’y ajouter des mises en avant sur le site du distributeur, donc du Retail Media On-site. Les efforts consentis par les équipes commerciales du fournisseur, lors des négociations commerciales, se traduisent donc par des opérations Retail Media…sur lesquelles les équipes digitales, eCommerce ou Media de l’annonceur n’ont pas la main. D’une manière générale, le Trade relève de la boîte noire : les fournisseurs n’ont qu’une visibilité très réduite sur l’impact des opérations menées par le distributeur (bien que celles-ci, aient, d’une manière ou d’une autre, été « financées » par le fournisseur). Et alors que les investissements en Retail Media, hors contrats commerciaux, augmentent, on voit bien ce que les « fournisseurs-annonceurs » ont à gagner à centraliser l’ensemble des investissements effectués chez un même client/prestataire.

On peut aussi imaginer que certains fournisseurs finiront par tordre le nez en voyant les montants totaux investis auprès de tel ou tel retailer ne cesser d’augmenter au fil des années.

Et certains pourraient aussi finir par réclamer un peu plus de transparence sur les résultats des actions Trade… quand les investissements en Retail Media (hors contrats commerciaux, encore une fois) donnent lieu – dans le meilleur des cas – à des rapports assez détaillés, incluant une batterie de KPIs, parfois accessibles en temps réel. « In the world of screens, pixels, and measurement, where we know what happens at every touchpoint on a given channel, how can trade marketing continue in its current guise » ? nous disait Colin Lewis, un des autres analystes phares du Retail Media, en prenant appui, il est vrai, sur le marché américain, où la législation régulant les contrats commerciaux diffère de celle de la France.

Par-delà le surcroît de transparence et de visibilité autour des résultats des actions menées, les annonceurs attendent également, en contrepartie d’efforts financiers qui vont croissant, que les distributeurs se transforment en véritables partenaires « insights et data » – des sortes de « mini-Kantar à l’échelle d’un distributeur », pour reprendre l’expression de Colin Lewis. Avecce que le marché qualifie de « Data collaboration » entre le fournisseur-annonceur et le distributeur-régie, et qui revêt de multiples formes, les industriels cherchent à mieux comprendre les consommateurs et leurs acheteurs : des insights dégagés au travers de l’analyse des paniers des acheteurs d’une marque donnée jusqu’à ceux obtenus en croisant les bases de données de l’annonceur avec celle du distributeur (via la technologie des Data Clean Rooms). Sauf que les fournisseurs doivent là aussi payer, la plupart du temps. 

Possible, donc, que les termes de l’échange soient à revisiter pour que les annonceurs « avalent la pilule », et que le Retail Media atteigne les sommets promis par les analystes.

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