Back to business.
Le 69e festival des Cannes Lions a plié son tapis rouge vendredi soir, après une semaine d’awards, de conférences en anglais et de soirées exclusives. Trois ans après la dernière édition, les Lions ont tout fait pour revenir en force. Que pouvons-nous en retenir ? L’analyse de la Réclame.
Une nouvelle normalité… très normale
Faut-il s’en réjouir ou s’en étonner ? Retrouver les Cannes Lions en 2022 donne l’impression d’assister à l’édition de 2020 s’il n’y avait pas eu de Covid pour percuter la marche du monde. La dernière édition date de 2019, mais peu de choses ont changé. Les Awards et le Palais sont fidèles à leur protocole, tout comme les plages des plateformes qui rivalisent de taille, de conférences et de petites attentions pour les festivaliers. Les yachts des sociétés de l’ad tech se frottent à nouveau les pare-battages le long du quai du Palais.
Qu’y voir de nouveau ? Du gel hydroalcoolique partout, la sensation d’y croiser un peu moins de monde, mais surtout des exposants qui font leur arrivée ou renforcent leur présence. Amazon a largement développé son aura cannoise avec son propre “Port” à proximité des yachts pour présenter à la fois Amazon Ads, Amazon Studios, AWS, mais aussi Twitch (dans un appartement à part) et Wondery (podcasts). Reddit était présent à différents endroits de la Croisette, confirmant le déploiement du site communautaire en Europe et en particulier en France. Pinterest est passé d’un stand expérientiel en face du Palais à une bien plus grande plage, toute aussi expérientielle, y évoquant la non-toxicité de ses contenus tout en faisant la part belle aux influenceurs.
Pas de French Camp de l’AACC cette année, mais une plage RTL qui a l’intelligence d’y organiser nombre de rendez-vous français, servant de base arrière à l’écosystème hexagonal. La pétanque la Réclame en moins !
RSE contre metaverse
Que ce soit dans le Palais, les plages, les yachts (sic) ou les hôtels, la “sustainability” aurait pu faire partie du bingo de toute bonne conférence cannoise. Mention spéciale pour la conférence “By 2030 Every Ad Will Be a Green Ad” réunissant les grandes holdings publicitaires au Palais. Ou bien “Sustainability in Advertising – Can Coffee Save the World?” faisant se rencontrer Lavazza, Amazon et la planète autour d’un café.
Si les angles de ces conférences étaient plus orientés croissance verte que décroissance, les membres de Greenpeace sont venus jouer les “casseurs d’ambiance en soirée” avec un voilier jetant l’ancre au large d’où partaient chaque jour des happenings millimétrés de la part de cette ONG experte en communication. De la cérémonie de remise des prix interrompue, à la plage de WPP envahie pour protester contre la publicité pour les énergies fossiles, jusqu’à l’échelle de pompier permettant au meme canin “this is fine” de surplomber le tapis rouge du Palais.
De quoi réhausser le cahier des charges d’une industrie qui parle beaucoup de RSE, mais a encore du mal à la mettre en pratique pour elle-même lors d’un événement au bilan carbone relevé, entre déplacements en avion depuis les 5 continents… ou depuis Paris.
Autre tendance forte du moment : le metaverse, le web3 et les NFT. On les retrouvait dans les programmes des conférences et workshops, mais aussi dans les expériences proposées sur les plages. Meta mettait les bouchées doubles pour faire la démonstration de son expertise AR et metaverse. Pendant que Snap s’associait à Vogue pour proposer son propre musée du style augmenté. Bref, un peu d’utopie technologique pour une population qui hésite encore entre course en avant consumériste et prise en compte des limites de notre monde. La conférence “Sustainability in the Metaverse, Media and Brand Accountability and Luxury” tentait de faire le pont entre ces deux univers qui se croisent rarement.
Face aux “deals”, la créativité n’est plus qu’un faire-valoir
Si la Réclame est venue principalement pour traiter le palmarès cannois, entre Lions français et Grands Prix, notre approche ressemble à celle d’habitués d’un cinéma d’art et d’essai en perte de vitesse face à un multiplexe vombrissant de blockbusters et de confiseries. “The International Festival of Creativity” est chaque année, de plus en plus un marché où les “dealmakers” occupent tout l’espace : les plateformes, les ad tech et l’écosystème achat média dans son ensemble. Chacun de ces acteurs pourra évoquer l’importance de la créativité, mais là n’est pas son cœur d’activité. La data, l’impression de publicités par millions, la signature de contrats mondiaux seront les véritables sujets de discussion sur les yachts et plages de ces entreprises. Le palmarès des Lions ? Une affaire d’artisans… ô combien importants, mais ne concentrant plus assez de valeur pour être présents sur la Croisette, hormis via les holdings WPP, Dentsu ou Havas. Les agences n’ont plus de yacht, les sociétés de production se font discrètes hormis quelques soirées dantesques dans les villas de la Californie locale. Quant aux médias, leur présence ne tient plus qu’à l’intérêt de leur régie pour la destination.
Dans cette foire, chacun tente de faire vivre l’expérience la plus folle aux décideurs marketing globaux. Et force est de constater que la crise n’est pas pour tout le monde. L’ad tech FreeWheel invite les Black Eyed Peas pour un concert sur sa plage. Pendant que Spotify joue de son catalogue pour offrir les shows de Kendrick Lamar, the Black Keys, Post Malone ou encore Dua Lipa en invitée surprise. LCD Soundsystem ambiançait le port d’Amazon et Kylie Minogue la plage de Google.
Vous ne rêvez pas, ces artistes ne se sont pas déplacés pour un grand festival estival, mais simplement pour quelques milliers d’annonceurs et de publicitaires. Et leur présence aura été infiniment plus commentée que n’importe quel Grand Prix. Toutes ces festivités étaient aussi l’occasion pour les festivaliers les plus aguerris de se recouvrir les avants-bras.
On sera plus ou moins surpris de voir d’autres célébrités se déplacer pour vendre aux décideurs “markom” leur marchandise. Le très créatif – dans le sens publicitaire du terme – Ryan Reynolds était invité au Palais pour parler de sa société de production Maximum Effort et de l’âge d’or des pubs TV. Paris Hilton, quant à elle, avait une collection de NFT à écouler.
Mais au-delà des paillettes, quelques “deals” spectaculaires se sont probablement mis dans la bonne direction à Cannes. Netflix était sur la Croisette pour y rencontrer les principaux acteurs de l’industrie en amont de sa future offre financée par la publicité.
Des palmarès français et globaux décevants
Le nombre d’envois de campagnes continue sa décroissance. De 43 101 “entries” en 2016, les Cannes Lions n’en ont reçues que 25 464 en 2022, après 29 074 en 2021, représentant une année double après l’édition de 2020 annulée. L’inflation des catégories, désormais au nombre de 31, n’a pas permis d’inverser la tendance.
Les agences françaises suivent cette décrue – sans l’accentuer – avec 1 234 envois cette année, contre 1766 en 2016 et 1380 en 2021.
Après un palmarès 2021 exceptionnel pour les agences parisiennes, couronnés par 4 Grands Prix, la récolte 2022 a fait de nombreux déçus avec 58 lions contre 65 l’année dernière. Si la différence ne semble pas forte, l’édition 2022 ne décerne que 3 Gold à la France contre 9 Gold et 4 Grands Prix l’année dernière.
Fait étonnant concernant la tradition française pour le print, pas une seule shortlist en Print & Publication. Et donc pas plus de Lions.
Ces awards peu festifs pour les agences française font suite à quelques semaines de “on ne sait pas si on va à Cannes”. Soit le discours ambiant du printemps, se soldant par des villas louées pour certaines, mais aucune campagne envoyée. Ou au contraire de quelques Lions obtenus sans présence sur place, l’ambiance “entre inflation et conflit en Ukraine” ne s’y prêtant pas.
Côté la Réclame, nous avons “promené” un Gold, simplement pour prendre quelques photos d’ambiance. La rédaction a été surprise par la dizaine de “congratulations” pleuvant sur la Croisette. De bonnes ondes très anglo-saxonnes, qui à vrai dire, ne nous ont pas fait de mal… alors que ce Lion ne nous appartenait pas.
Quant au palmarès global, les Grands Prix internationaux sauvent les femmes mexicaines non bancarisées, les lapins de laboratoire, le corail grâce à de la pâtée pour chats, les jeunes indiennes connaissant leurs premières menstruations… Il célèbre aussi les athlètes paralympiques, refait vivre en 3D le Kylian Mbappé anglais assassiné dans sa jeunesse (un Titanium pas très Titanium à notre goût), crée une équipe de cyclistes en prison, imagine une maison qui résiste aux cyclones et inondations, corrige les smartphones moins douées pour prendre en photo la peau noire que la peau blanche (une triste réalité), recycle les déchets d’ananas en cuir, favorise la conversion au bio des agriculteurs céréaliers. Habitués des Grands Prix, Nike adapte l’entraînement des athlètes féminines lors des règles. En Suède, on imagine un nouveau type de viande « sustainable » et très locale, miam. Le patrimoine ukrainien ainsi que votre voix – oui, la vôtre ! – sont sauvegardés en ligne, un supermarché allemand veut rendre leurs douces années aux jeunes confinés, la constitution de l’ancienne dictature portugaise se transforme en poèmes, Adidas aide les femmes dubaïotes à ne plus avoir honte de nager en public et l’Etat libanais reçoit du papier pour enfin organiser des élections. En Inde toujours, on lutte contre la dengue. Et pour finir, Run DMC rappe contre le diabète. Bref, les Grands Prix ont décidé de sauver les individus avant la planète. Le discours de Greenpeace n’ayant pas encore eu la chance d’avoir la moindre prise.
Il va falloir sonder les entrailles de ce palmarès pour trouver un peu plus de pépites proches du quotidien des publicitaires et annonceurs français. C’est-à-dire imaginer des prises de parole faisant la promotion de produits et de services, puisque cela reste encore la priorité de la profession, à tort ou à raison. Tel sera notre travail dans les jours à venir.