Bilan des Cannes Lions 2024 : la razzia de Publicis, l’IA fatigue et nos Simbas d’or

Par Élodie C. et Xuoan D. le 24/06/2024

Temps de lecture : 10 min

Clap de fin sur notre 10ᵉ Cannes !

Chaque année, la semaine cannoise est la plus attendue des publicitaires et créatifs. D’année en année, elle semble porter autant d’espoir que de déception, sans doute le signe des grands rendez-vous. 

Avec un contexte politique, social et climatique “brulant” depuis plusieurs années déjà, 2024 détenait tous les ingrédients d’une grande année. Des coups d’éclat, de grands films, des surprises, des happenings, de l’inspiration, de la créativité à ne plus savoir qu’en faire, des innovations, des tendances, de l’humour, de l’extravagance même ? Qu’en fut-il ? On fait le bilan, cannement, et la Réclame décerne ses Simbas d’or !

Petit topo avant de commencer

Les chiffres de 2024 

– 26 753 entrées au niveau global ;
13 agences françaises primées ;
– 46 lions pour les agences françaises : 4 Grands Prix, 10 Gold, 11 Silver, 21 Bronze ;
– 63 % des lions français sont revenus à Publicis Groupe et 37 % à Publicis Conseil.

Versus 2023
– 26 992 entrées au niveau global ;
– 14 agences françaises primées ;
– 58 lions pour les agences françaises: 3 Grands Prix, 14 Gold, 14 Silver, 27 Bronze.

🦁 Les Simbas d’Or de la Réclame

🏆 La campagne qui méritait mieux : Greetings from la Banlieue de BETC et Heetch.
💋 La meilleure plage : Pinterest.
🌇 Le meilleur rooftop : l’apéro de l’ARPP + le rooftop de Netflix, ex aequo.
🎉 La meilleure soirée : toutes.
🌈 Les meilleures paillettes : comme chaque année, la Pride sur la Google Beach.
🙈 Le mea culpa d’or : la Réclame qui a oublié 3 fois Steve lors des shortlists ou du palmarès.
🛒 Le Grand Prix qu’on a pas vu venir : DoorDash au Super Bowl.
👻 Le ghost de l’année : on le gardera pour nous.
🐿️ Les influenceurs de l’année : Loïc Roussel et l’écureuil curieux.
🐰 Les rendez-vous manqués : ceux du matin (pas de notre faute !) 

Le Grand Débarquement

À Cannes, certaines choses sont immuables : les plages des big tech et les yachts des adtech où la domination américaine s’observe partout, jusqu’à la salle de presse où les prises européennes se comptent sur les doigts d’une main. Amazon déploie une A’Maison sur son propre “Port” pour mettre ses marques à l’honneur (de Prime à Twitch) et offrir conférences et concerts. Pinterest renouvelle son Manifest Festival traduction IRL de sa plateforme avec des expériences incarnées par des créateurs de contenu et un salon de tatouage aussi prisé que réel (80 rendez-vous jour et ce n’était pas de l’encre effaçable). Reddit semble avoir trouvé sa place à deux pas du Palais, Netflix son rooftop sur le toit du JW Marriot et TikTok son “garden” dans la cour du Carlton.

L’AACC bien que sans FrenchCamp depuis 2019 s’est montrée très présente avec plusieurs événements organisés (conférence, apéro et déjeuner), dont un pour présenter sa nouvelle signification et sa nouvelle identité. La French Connexion de Pascal Cubb se voulait le point de ralliement de l’écosystème français, tout comme la plage RTL lui servait de lieu de rencontres et de rendez-vous – la RTL Beach Party en a été le premier joyeux point d’orgue (merci Carine !). En passant, merci à ces plages et cafés qui proposent un vestiaire aux invités, en particulier les journalistes chargés comme des tortues ninja.

La cérémonie des récompenses est toujours aussi prisée, avec nouveauté cette année, la révélation des gagnants Silver et Bronze en début d’après-midi. 

IA partout, green nulle part ?

Cela ne surprendra personne, et on aurait aimé l’être, l’IA est partout, de toutes les conférences, sur les plages, yachts, suites et dans le Palais. Chacun veut mettre une pièce dans la machine sans forcément avoir quelque chose de plus/mieux/différent à dire, concourant – déjà – à une “AI fatigue”. Toutefois, elle offre parfois des rencontres du 3ᵉ type, comme au Monks Café de Media.monks avec Sir Martian, le pendant alienesque de Sir Martin Sorrell, grand chef des Monks et de S4 Capital.

On remarquera cependant que l’IA, notamment générative, est à la convergence de la créativité et de la tech. Ce qui légitime et donne un vernis particulièrement « cool » à des groupes / réseaux comme The Brandtech, Media.Monks ou encore Publicis qui a lourdement investi dans le conseil tech (Epsilon, Sapient…) Alors qu’à une époque, évoquer la convergence de la data et de la créativité n’était pas un sujet particulièrement sexy aux yeux des festivaliers cannois.

Si les sujets green – climat, sustainability, environnement – restent présents dans les conférences prodiguées au Palais (How to Sell Sustainability without Greenwashing / What Will the Weather Forecast Be In Cannes in 2050), et dans les attentions offertes aux festivaliers, labelisées écoresponsable ou fair trade (la gourde n’a pas dit son dernier mot), le palmarès privilégie le social et l’inclusion, que d’aucuns attribuent à la sensibilité toute américaine. 

Autres “absents” du Festival de la créativité, les influenceurs français. Si l’organisation avait déroulé le rooftop du Palais à la creator economy, force est de constater que nos créateurs de contenu préfèrent les marches du Festival de Cannes (alors qu’ils ne font pas de cinéma, mais aimeraient sans doute) à celles d’un festival censé les célébrer. Deux influenceurs croisés au Havas Café (et invité par Havas Paris Social), Loïc Roussel et l’écureuil curieux, s’étonnaient d’être les seuls représentants. La faute, probablement, à un festival qui ne vise que l’international.

Il suffirait d’une étincelle

Cette 71ᵉ édition est finalement assez lisse, on en viendrait à regretter l’intrusion de Greenpeace en 2022. Point d’étincelle, tout cela manque un peu d’âme. Pas de grande annonce cette année, et même la présence d’Elon Musk pour une conférence de 45 min avec Mark Read (WPP) n’a pas déchainé les passions. Et cela se ressent jusque dans la cérémonie :  si les lauréats sont toujours heureux de monter sur scène pour savourer leur sacre, ils ne semblent point surpris, le secret des Gold et des Grands Prix étant éventé bien avant l’arrivée de l’inimitable hôte de la soirée sur scène (Juan Senor). Jeudi soir, les hauteurs de la Californie cannoise bruissaient déjà du Grand Prix décerné à une agence française le lendemain dans une catégorie où on ne l’attendait pas. Autre surprise pour cette autre agence parisienne dont la campagne pour le roi des burgers a obtenu un Gold sans les moindres RP. On sonnera également le warning concernant la présence de ghosts d’un autre temps dans le palmarès français.

Quoi qu’il en soit, au regard des shortlists et surtout du palmarès de cette année, Publicis a l’air d’avoir trouvé sa martingale cannoise. 63 % des Lions français cette année reviennent au groupe Publicis et 37 % à Publicis Conseil. À la direction de la communication de l’agence, on rend à Marco Venturelli ce qui lui revient, un art de la gagne et du réseautage. Le président en charge de la création de Publicis préparerait les Cannes Lions l’édition à peine achevée et travaillerait jusqu’à 25 fois les cases des campagnes soumises au Festival. Un art du storytelling dans lequel brilleraient les Américains et qui jouerait beaucoup dans les résultats. Mais pas seulement, la créativité s’observe aussi dans l’art de “peser” dans les jurys, comme nous l’expliquait un créatif au bord d’une piscine remplie de Lions, notamment via des groupes WhatsApp par réseau ou par pays où l’on joue de son influence et du sentiment d’appartenance de chacun. Il fut un temps où ce jeu était réservé aux Nord et Sud Américains. Mais ça, c’était avant.

À noter que les Grands Prix paraissent désormais plus accessibles aux agences françaises : 11 depuis le Covid, alors que nous n’en avions relevé que 4 lors de la décennie 2010.

On / off

Aux Lions, il y a les accrédités qui ont accès au Palais, ses conférences et cérémonies, puis ceux qui, sans “accréd”, peuvent aussi profiter de tout ce que le off propose en journée et en soirée : ses plages, garden, rooftop, soirées et expériences. Même ce festival off semble aujourd’hui avoir du plomb dans l’aile tant les plages et soirées sont en voie de “VIPsation/privatisations”. Pour entrer, être sur liste ou journaliste (fichtre) ne suffit plus. Croyez-le ou non, certains ne sont vus proposer des “pending list” pour accéder à une soirée. Qu’est-ce qui a rendu ce festival si… protocolaire et “boring” ? Les Américains diront certains. 

On notera que cette année, les plages privatisées de la Croisette ne relevaient pas du off, mais d’un programme de partenariat avec le Festival. Si bien que des cartes les présentaient à plusieurs endroits, ce qui s’avérait fort pratique.

Parmi les surprises de ce off, la “Sport Beach” du groupe Stagwell – qui a récemment racheté l’agence WNP en France – a impressionné la Croisette. Terrain de basket, mur d’escalade, pickle ball, cours de fitness et terrasses en hauteur sur une plage à la largeur inégalée. Côté conférences, du lourd avec Eric Cantona, Megan Rapinoe, Frank Lampard et les frères Kelce (dont le chéri de Taylor Swift, la rumeur a bruissé que cette dernière ferait un saut à Cannes, en vain). Sport toujours en cette année d’Euro de football, FIFA a eu la brillante idée d’installer sa – tout première – plage sur la Croisette et d’y inviter des gloires anciennes et actuelles du foot, de Ronaldo (pas Cristiano) à Blaise Matuidi.

Quant aux yachts des adtech, ils étaient moins présents que les années précédentes, la faute à… un quai en travaux. Mais le moral du secteur est au beau fixe, comme expliqué dans notre article la Réclame .mark&tech de mercredi dernier. D’autant que les banquiers d’affaires, acteurs des fusions-acquisitions et du private equity ont débarqué en masse sur la Croissette pour faire leurs emplettes parmi les adtech selon Digiday, dans des proportions inédites.

On s’étonnera toujours des multiples Cannes qui cohabitent sans forcément se mêler chaque année. D’un côté, le culte de la créativité au Palais, pour les accrédités (à partir de 4 000$ la semaine), et ces cérémonies “où personne ne va” mais qui remplissent le grand auditorium Louis Lumière. De l’autre, un off protéiforme dédié globalement à l’achat média : entre grandes plateformes, groupes médias, groupes d’agences (quelques-uns) et scale-ups de l’adtech, où l’on signe des deals, on assiste à des conférences le pied dans le sable ou sur la moquette d’un yacht.

Étonnamment, le “on” et le “off” semblent peu dialoguer, si bien que les problématiques adtech sont absentes du Palais. Quant à la créativité, elle est sur toutes les lèvres, y compris de ceux qui n’y voient là qu’une commodité à automatiser. Il serait peut-être temps pour les Lions d’assumer ce que le festival est devenu, et de proposer à la fois des contenus et prix pour la créativité, mais aussi pour la partie tech / média / business. Ce qui ne ferait qu’augmenter la valeur de chaque accréditation, loin d’être indispensable à la majorité des festivaliers aujourd’hui.

Dans les prochains jours, la Réclame va plonger dans les entrailles du palmarès pour l’analyser plus en détails et s’attarder notamment sur l’efficacité du “use of humour” (nouvelle sous-section cette année). À l’année prochaine fellows !

Tous les épisodes de la Réclame à Cannes

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