Les 12 travaux de l’adtech, édition 2024

Par Xuoan D. le 04/07/2024

Temps de lecture : 13 min

Cookies, réglementation, éthique et IA : les prochains mois seront décisifs.

Les défis ne manquent pas pour la jeune industrie « de moins de 30 ans » (comme l’indique Geoffroy Martin, CEO d’Ogury) de la publicité en ligne : 

– La fin des cookies tiers, sans cesse annoncée et repoussée, marquera un avant et après très fort, et pourra, une fois de plus, renforcer les plateformes au détriment des acteurs indépendants ;

– La réglementation qui va vers davantage de “privacy”, sous couvert de bonnes intentions, risque de produire les mêmes effets que la fin des cookies (et à la fin, c’est la plateforme qui gagne)  ;

– La fragmentation des usages digitaux et désormais télévisuels ne facilite pas la vie des annonceurs, des agences, et in fine, des régies ;

– L’empreinte carbone de la publicité en ligne ne peut plus être négligée, d’autant plus à l’ère de l’IA, et dans le cadre d’une réglementation de plus en plus précise concernant les sujets digitaux ;

– La montée des fake news, particulièrement en plein contexte électoral, cause des problèmes de brand safety ;

– Sans oublier des sujets persistants comme l’adblocking, la mesure de l’attention, la fraude et MFA…

Face à ces épreuves titanesques, tous les acteurs interrogés pour ce dossier prônent la solidarité. « Annonceurs, agences, adtech et éditeurs sont liés : la manière dont nous relèverons collectivement ces défis déterminera la vitalité de l’ensemble de notre écosystème », prévient Sandrine Reinert, directrice générale de Jellyfish France. 

Jean-Baptiste Rouet, Chief Digital & Programmatic Officer de Publicis Media, ainsi que président de la Commission Digitale de l’Udecam abonde dans ce sens : « L’enjeu principal de l’adtech est de faire converger les intérêts des principaux acteurs de l’open web, les annonceurs, leurs agences et les éditeurs ». 

Une fois ce contexte posé, le secteur parait encore plus dynamique qu’il ne l’était il y a 4 ans, lors de notre précédent article sur les 12 travaux de l’adtech

– Le foisonnement de solutions face à la fin des cookies tiers atteste d’une grande vitalité – mais aussi d’une grande complexité – comme nous le verrons. 

– La digitalisation de la publicité TV est en marche, et les solutions adtech contractualisent avec les régies historiques, grâce à la CTV et à l’émergence du Total Video.

– Le retail media fait les grands titres de la presse spécialisée, apportant son lot d’opportunités, même si certains le voient déjà atteindre un plateau.

– Enfin, l’IA promet une très grande automatisation du ciblage, des budgets et même des assets créatifs des campagnes. 

Voilà pour cette introduction en guise d’executive summary. Place maintenant aux douze (ou presque) travaux de l’adtech, édition 2024, en compagnie de dirigeants d’adtech, d’agences média et d’associations interprofessionnelles.

1. Cookieless et réglementation, le double baiser de la mort ?

C’est évidemment la transformation majeure à venir, même si elle tarde à venir et que le marché s’est lassé d’en débattre à Cannes : la fin des cookies tiers. « Le marronnier de notre industrie » pour Nicolas Rieul, président de l’Alliance Digitale et récent fondateur de la solution martech Actionable. « Chaque année, la fin est annoncée avec aplomb dans les colloques et sur les post LinkedIn des bookmakers de l’adtech. Et pourtant, en 2024, près de 7 ans après la décision d’Apple et 4 ans après celle de Google, l’ensemble de l’industrie, adtech comme éditeurs ou agences, mais aussi utilisateurs plébiscitent encore largement le cookie tiers. »

Mais diable, pourquoi Mozilla (Firefox), Apple (Safari) et Google (Chrome) se sont faits les chantres de la vie privée des internautes, décrétant la fin des cookies tiers à usage publicitaire ? Chez Mozilla, cela peut paraitre évident : il s’agit d’une des missions de la fondation, pour un Internet plus éthique et moins mercantile. Du côté d’Apple, l’occasion était trop belle pour attaquer le business model publicitaire de Google et de Meta sans pour autant sacrifier le sien, Apple générant ses marges grâce à un hardware vendu à prix d’or et à des services additionnels. La firme de Cupertino s’en est pris aux cookies tiers mais aussi à l’usage publicitaire des identifiants mobiles. Quant à Google, comment renverser une telle charge ? En parant le coup pour le transformer en opportunité stratégique : quand la “privacy” se renforce, la donnée se raréfie… sauf pour les plateformes, qui, de par leur position dominante, sont maitres en leurs jardins (fermés). Jugez-en au leadership de Google dans la navigation web, les OS mobiles, les emails ou le search. Que l’utilisateur soit logué ou non, Google recueille suffisamment de données, et tente même de définir de nouveaux standards publicitaires comme avec la Privacy Sandbox. A-t-on déjà vu un pareil avantage concurrentiel ?

La réglementation va-t-elle venir en aide aux acteurs indépendants ? Rien n’est moins sûr. C’est même contre-productif à date, comme le résume Jean-Baptiste Rouet : « Nous savons à présent que depuis l’instauration du RGPD en Europe ou du CCPA en Californie, la collecte du consentement impacte principalement les acteurs de l’open web au profit des grandes plateformes. Les conclusions préliminaires récentes de la commission sur la non-conformité au DMA [Digital Markets Act de l’Union européenne, NDLR] du modèle « Pay or Consent » de Meta pourrait dangereusement menacer le modèle d’affaires des éditeurs et réduire fortement la capacité des marques à qualifier, segmenter, cibler et mesurer leurs audiences. »

Ainsi, le risque est grand dans les années à venir que les investissements publicitaires en ligne soient encore plus fléchés vers Google, Meta, Amazon et autres « gate keepers » riches en datas. Pourtant, le Search (Google, Bing, etc.) et le Social (Meta, TikTok, LinkedIn, X, etc.) représentent déjà 71 % de la publicité en ligne en France. Et le groupe Meta, à lui tout seul, s’apprête à dépasser la TV linéaire aux États-Unis en termes de revenus publicitaires.

Nicolas Rieul nous prévient, il va falloir attacher sa ceinture : « si la dépréciation des cookies tiers est annoncée de longue date, elle n’en reste pas moins un séisme pour l’open web, tout particulièrement pour les éditeurs. Il faudra donc que les solutions proposées permettent un financement durable de l’open web et des éditeurs. Cela va bien au-delà d’un défi économique qui serait uniquement lié à notre industrie, il s’agit aussi d’un enjeu politique et démocratique. » Impact d’ici début 2025, aux dernières nouvelles.

Les acteurs indépendants n’auront d’autre issue que de se serrer les coudes. Et c’est heureusement déjà le cas.

2. Les alternatives aux cookies tiers

N’y voyez aucune analogie avec l’actualité politique française : mais face à une adversité plus grande que soi, il faut savoir faire front. « Le développement d’un framework commun aux solutions d’identifiants alternatifs, privacy by design, des telcos, des broadcasters, des retailers et des marques représentent l’opportunité majeure de cette décennie, pour une meilleure répartition de la valeur et un bond notable d’efficacité pour les marques, comparés aux cookies tiers et autres identifiants mobiles rendus obsolètes » selon Jean-Baptiste Rouet (Publicis Media / Udecam), appelant le marché à se fédérer.

Le défi cookieless génère une effervescence certaine. « Les solutions alternatives se sont multipliées et ont beaucoup progressé », s’enthousiasme le président de l’Alliance Digitale, Nicolas Rieul. « Nous publions un guide depuis plus de trois ans visant à répertorier les différentes solutions d’activation et de mesurabilité cookieless. Jamais celles-ci n’ont offert des possibilités de ciblage et de mesure aussi intéressantes que maintenant. Ce dynamisme remarquable de notre secteur est à saluer et il va continuer dans les prochains mois. »

Citons pêle-mêle le ciblage contextuel, les PPID ou Universal ID, la Privacy Sandbox de Google, l’EDGE computing, les data clean rooms ou encore le marketing mixel modeling (MMM) désormais open-sourcé comme Pierre Harand, co-CEO de fifty-five nous l’expliquait à Cannes. Chez Ogury, on parie sur un avenir cookieless mais aussi « id-less » grâce à des personas issues de sondages (données zero party), de l’analyse contextuelle et sémantique, d’analyses croisées des résultats de campagnes, ainsi que d’un important corpus de données collectées grâce à une interface de consentement de 2014 à 2021.

3. La grande fragmentation

Toutes ces solutions devront avoir fait leurs preuves dans moins d’un an, sans qu’aucune ne semble aujourd’hui prendre le leadership. C’est là que le bât blesse.

« Sur ces sujets-là, il y a une vraie prime à l’innovation. Et le fait que Google repousse sans cesse la date de fin des cookies tiers dans Chrome a quelque chose de frustrant. Les alternatives sont prêtes, mais ces reports ne leur permettent pas d’être massivement adoptées dès maintenant, et ni à l’une ou à l’autre de prendre le lead en étant en avance sur le marché », nous confiait Bastien Faletto, VP Sales EMEA de mediarithmics, dans le vacarme du Caffé Roma de Cannes, un lieu aussi agité que peut l’être le secteur actuellement.

L’ère du cookieless sans cesse repoussée a un effet mi-figue mi-raisin. Pour Nicolas Rieul (Alliance Digitale), cela donne lieu « à une situation compliquée où, d’un côté, des entreprises investissent pour mettre en place des solutions alternatives aux cookies tiers et de l’autre, de nombreux acteurs du marché voient le report […] comme un soulagement pour leurs activités. »

Mais il n’y a pas que cela. « Le principal challenge est l’hyper fragmentation. On a de plus en plus d’outils qui font plus ou moins la même chose » poursuit Bastien Faletto, avec le recul de quelqu’un qui a 17 ans d’expérience dans la publicité en ligne (IAB, nugg.ad, TripleLift). La fragmentation est d’ailleurs le mot clé qui est le plus revenu lors des discussions avec les interviewés de ce dossier. Idem pour Guillaume Belmas, CEO et co-fondateur de Realytics : « Notre principal défi en tant que mesureurs ? Réunifier tout ce qui se fragmente au niveau des audiences. Et cela provient en premier lieu des usages qui sont, eux aussi, de plus en plus fragmentés » avec le multi-devices et des modes de consommation multimodaux (à lire, notamment, notre dossier sur la CTV et le Total Video).

Or, dans un marché touffu, les décideurs ont tendance à élaguer… à la machette. Les annonceurs « ne sont que très peu concernés par la dépréciation des cookies tiers pour l’instant et auront tendance à choisir la facilité le moment venu » concède Nicolas Rieul. « Il faudra donc les convaincre de se saisir des opportunités qu’offrent les différentes solutions et l’intérêt stratégique de ne pas être dépendant d’une seule. » Même son de cloche pour Habenn Bereket, directeur général de Seedtag France, spécialiste de la publicité contextuelle : « pour maintenir un certain niveau de performance, qu’il s’agisse du reach, de l’engagement ou des metrics de considération, les annonceurs ont tendance à renforcer organiquement leurs investissements au sein des walled gardens [Google, Meta & consors, NDLR]. Parce qu’ils savent qu’en faisant cela, ils atteindront leur audience, ils auront des données déterministes de qualité, et donc le grand pari pour les acteurs indépendants de l’industrie de l’adtech est d’empêcher cet investissement organique au sein des walled gardens en les convainquant que les alternatives peuvent être aussi efficaces si ce n’est plus. […] Atteindre le bon niveau de reach peut être fait en combinant plusieurs tactiques, même si nous pouvons voir que les ID unifiés ont un niveau croissant de correspondance avec les first party data des annonceurs. » 

« C’est un vrai défi, car les annonceurs ne veulent pas payer pour plusieurs solutions redondantes, et la notion de productivité et de performance est clé dans notre écosystème », conclut Sandrine Reinert (Jellyfish). Le challenge est de taille, mais après tout, chaque pourcentage de ce marché en croissance est bon à prendre pour les indépendants. Voilà pour l’opportunité du côté des adtechs.

Du côté des éditeurs, la transition risque d’être plus douloureuse. Les revenus du programmatique générés avec Prebid chutent de plus de 50 % sans cookies tiers selon les premiers tests. Criteo a évalué à 60 % la perte de revenus pour les éditeurs si l’ère cookieless commençait aujourd’hui avec la version actuelle de la Privacy Sandbox de Google. Simples effets d’annonce dans une configuration de marché encore très fraiche ? L’avenir nous le dira, mais il est grand temps pour les éditeurs d’explorer toutes les alternatives, que cela passe par du ciblage cookieless / idless, la diversification des revenus, le social pubishing (des publicités sur les médias sociaux portées par les marques médias), ou autre.

4. L’éthique et le climat

L’ère de la “privacy” va-t-elle rimer avec bonnes pratiques ? Pour Habenn Bereket (Seedtag), « si les solutions privacy first représentent un défi pour le secteur de l’adtech, elles poussent les annonceurs à adopter des pratiques plus éthiques et plus durables en ce qui concerne les données des utilisateurs, ce qui ne peut que favoriser l’innovation dans la manière dont la publicité est menée en digital. »

Sandrine Reinert partage cette analyse : « Les algorithmes prennent les décisions, mais restent des boîtes noires. Les annonceurs exigent désormais plus de transparence et des capacités de personnalisation pour améliorer leur ciblage, réduire leur empreinte carbone et protéger leur image de marque. C’est clé pour notre futur, et pour continuer à générer des avantages concurrentiels. »

Le pont entre éthique de la donnée et bilan carbone se construit ainsi, patiemment, un hauban après l’autre. L’Alliance Digitale vient tout juste de lancer un appel aux acteurs de l’évaluation et de la réduction carbone après avoir lancé avec le SRI son Digital Carbon Framework. L’Union des marques a élaboré de consorts l’initiative Oneframe pour mesurer l’empreinte carbone des campagnes de communication.

La réduction du CO2 émis par la publicité en ligne peut aussi être accomplie par des choses “simples” comme améliorer la performance des dispositifs, en limitant notamment les requêtes. C’est l’approche d’une solution server-side comme celle de Nexx360 : « Au lieu d’avoir 50 requêtes qui partent du mobile de l’utilisateur, il n’y en a plus qu’une, et tous les traitements programmatiques se font dans le cloud », détaille André Baden Semper, CEO et co-fondateur de l’entreprise, lui aussi rencontré sur une terrasse cannoise. « On peut travailler de manière beaucoup plus intelligente avec chaque partenaire, avec beaucoup moins de gaspillage. » (à lire sur un sujet connexe, le passage en server-side de Google Analytics avec Addingwell)

5. La brand safety dans un contexte épidermique

Nous devions avoir dans ce dossier le représentant d’un célèbre SSP, mais l’actualité politique française l’a mobilisé sur une tout autre tâche : l’implication « dans le processus de vérification des contenus en ligne, particulièrement tout ce qui touche à la dissémination de contenus haineux, fake news, usurpation de marque média, etc. »

« Les discours de haine et le cyberharcèlement en ligne ont explosé, avec une augmentation de 819 % en France entre le 1er et le 25 juin par rapport au mois de mai », observe Laetitia Zinetti, RVP Europe du Sud de DoubleVerify, le spécialiste de la brand safety, de la suitability et de la lutte contre la fraude publicitaire. « Ces contenus nuisibles, exacerbés par les actualités politiques controversées, posent un risque important pour la réputation des marques, notamment en période électorale. Les annonceurs doivent non seulement protéger leurs marques, mais également veiller à ce que leurs investissements publicitaires ne financent pas involontairement ces contenus préjudiciables pour leur image. Brand safety et suitability sont des priorités essentielles pour garantir la performance des campagnes publicitaires tout en maintenant la transparence et la confiance dans l’écosystème digital. »

6. L’IA

Si l’IA n’est pas un sujet de débat quotidien pour l’adtech, son utilisation en coulisses est bien là. « L’IA est indispensable pour traiter les gazillions de datas à disposition. Or le rapport bruit-signal est tel que ce sont les évolutions des algorithmes des IA qui nous permettent aujourd’hui d’identifier les signaux et de leur donner du sens », précise Geoffroy Martin (Ogury).

Avec l’IA générative, le concept de DCO (dynamic creative optimization) connait une nouvelle jeunesse. « Le Criteo AI Lab va avoir 6 ans dans quelques mois, ils travaillent de façon intense la partie création », nous a confié Marc Fischli, Executive Managing Director EMEA de Criteo, depuis le yacht de cette célèbre licorne tricolore, aujourd’hui repositionnée sur le « Commerce Media ». L’IA permet à Criteo d’aller plus loin sur « le ciblage, la création et la mesure ». Concrètement, pour la création, cela revient à personnaliser à la volée les messages et visuels d’une campagne en fonction de l’audience, de signaux extérieurs (la météo par exemple) ou les performances de la campagne. 

7. Les autres travaux herculéens 

Nous aurions aussi pu évoquer dans ce dossier : 

La digitalisation de la publicité TV actant le rapprochement des acteurs du programmatique avec les régies TV : à lire, notre dossier Total Vidéo.

Le retail media a-t-il déjà atteint un plateau ou va-t-il continuer sa folle croissance ? Rendez-vous en novembre pour un dossier spécial retail media.

– L’adblocking, la mesure de l’attention (pas toujours à l’avantage de la publicité en ligne), la lutte contre la fraude et les MFA, les blocklists et autres sujets épineux…

Autant de thèmes qui seront prochainement couverts et analysés sur la Réclame .mark&tech !

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