Un souci de plus pour l’écosystème adtech.
En décembre dernier, un rapport de l’ANA – l’association des annonceurs américains – calculait que 35 % des dépenses média programmatiques étaient gaspillées, dont 10 % du total allant à des sites MFA. Ces sites appelés initialement made for advertising, et désormais made for arbitrage, constituent des contextes de piètre qualité pour les campagnes des annonceurs, avec à la clé un supposé ROAS (return on ad spend) faible. En juin 2023, l’ANA estimait même à 21 % les impressions programmatiques de l’open web effectuées sur des sites MFA.
Avance rapide vers mars 2024, avec cette fois-ci une très longue enquête signée Adalytics, une solution d’analyse des investissements programmatiques des marques. Ce qu’il en ressort ? Que le préjudice peut dépasser les 10 milllions par an et par annonceur. Qu’annoncer sur un site MFA peut coûter plus cher par visiteur incrémental qu’annoncer au Super Bowl. Ou que les éditeurs de MFA sont passés experts dans le contournement des règles : sujets éditoriaux consensuels pour ne pas être blacklistés, multiples formats publicitaires sur une même page (plus de 60 dans l’un des exemples), pas de capping, et un rafraichissement artificiel des pages pour renouveler l’inventaire.
Comment y remédier ? Il n’y pas de solution simple pour se protéger des MFA en tant qu’annonceur ou agence média, mais certaines pistes ont le mérite d’exister.
Qu’appelle-t-on MFA ?
Il n’y a pas de définition officielle des MFA aujourd’hui, la nature de ceux-ci évoluant avec le temps. Mais en ce début 2024, nous pouvons tout de même identifier quelques traits communs :
– Ce sont des sites de contenus à faible valeur ajoutée, aux titres le plus souvent racoleurs ;
– Sans marque média établie ;
– Truffés de publicité, bien au-delà des guidelines de l’IAB à l’international ou de l’Alliance digitale en France ;
– Qui utilisent toutes les techniques possibles pour servir le maximum d’impression publicitaires, notamment via le rafraichissement artificiel des emplacements et des pages.
Historiquement, ces sites étaient qualifiés de “made for advertising”, voire de “made for adsense” quand Google Adsense n’était pas encore concurrencé par des SSP programmatiques. Aujourd’hui, on définirait davantage les MFA comme “made for arbitrage”. Car après tout, la plupart des médias sont “made for advertising”. Alors que l’arbitrage est ici utilisé par les éditeurs de MFA pour acheter du trafic le moins cher possible pour ensuite le revendre en cumulant artificiellement les impressions sur leurs sites. Les MFA se distinguent d’ailleurs par une forte dépendance à la publicité comme canal entrant, le trafic direct et les partages sur les réseaux sociaux étant, à quelques exceptions près, inexistant.
Ce qui surprend le plus avec les MFA, c’est la capacité de leurs éditeurs à se jouer du contexte et des prérequis du marché programmatique. Par exemple, vous n’y trouverez jamais de contenu problématique et donc blacklistable par les annonceurs et leurs conseils. Les annonceurs veulent des impressions massives au CPM peu élevé ? Pas de problème, les MFA peuvent leur fournir. Les MFA ne relèvent pas de la fraude en général. Ce sont simplement des business dénués de sens, de déontologie et appauvrissant leur écosystème.
Enfin, les MFA mutent. Certains se retrouvent poussés dans les recommandations Google Discover, le Saint Graal de l’audience organique soudaine et massive. L’IA générative est désormais fréquente pour produire les contenus des MFA, servant notamment à produire des deep fakes. Nous avons d’ailleurs observé que certains sites MFA n’hésitaient plus à utiliser les logos de véritables médias (Ouest France, Le Monde…) pour renforcer leur crédibilité et partageaient même leurs contenus sur les réseaux sociaux, que ce soit sponsorisé ou non. En somme, ce n’est pas demain que ces contenus de faible qualité quitteront le web.
Les enseignements d’Adalytics
Forte de 24 000 mots (temps de lecture : 2 heures), l’enquête d’Adalytics est plus que fournie. Heureusement, son introduction est un “executive summary” qui pourra convenir à la majorité des professionnels du secteur. En voici les principaux enseignements :
– 80 % des SSP du marché américain, malgré les guidelines de l’ANA à ce sujet, continuent à afficher des publicités sur des sites MFA.
– 6 mois après l’étude estivale de l’ANA sur les MFA, la situation n’a pas changé, et les principaux annonceurs américains continuent à afficher leurs publicités sur de tels sites.
– Le rafraichissement des publicités sur les MFA se fait en général de façon très agressive. Si bien qu’un même internaute peut
– Les principaux SSP et adexchanges du marché programmatique sont tous concernés par des impressions sur des MFA : ShareThrough, Epsilon Conversant, TripleLift, Teads, GumGum, Colossus, Sovrn, Sonobi, Ogury, Zeta Global, Nexxen, Google, Criteo, Smart AdServer, 33Across, Magnite, Pubmatic, Index Exchange, OpenX, OpenWeb, et Microsoft Xandr.
– Idem pour les DSP : Roku OneView, AdTheorent, Quantcast, StackAdapt, Comcast Beeswax, Yahoo DSP, Xandr DSP, Google DV360, et Amazon DSP.
– On y retrouve aussi toutes les holdings publicitaires de l’achat média.
– Amazon, net leader du retail media américain avec une part de marché estimée à plus de 75 %, ainsi qui ses suiveurs – à l’exception de Walmart – semblent d’importants pourvoyeurs de revenus publicitaires pour les MFA.
– Même les publicités YouTube se retrouvent affichées sur des sites MFA, le plus souvent avec une faible visibilité, en lecture automatique et sans le son.
Les risques engendrés par les MFA
En générant à la fois un fort trafic et de forts revenus avec un contenu de piètre qualité, les MFA s’accaparent une part du budget des annonceurs qui aurait pu revenir à des médias légitimes, au contexte bien plus premium pour les marques.
Au milieu d’une soixantaine de formats publicitaires sur une même page, une bannière a peu de chance d’avoir le moindre impact business pour un annonceur. Pourtant, l’impression aura été servie et facturée. Prends ça, ROAS !
Enfin, une telle audience, captée par des sites à l’UX et aux contenus trompeurs, est une nouvelle atteinte au maigre capital confiance que le public a encore dans les médias.
Quelles solutions pour exclure les MFA d’un plan média ?
Vous l’aurez compris, automatiser la détection de sites MFA n’est pas chose aisée pour les différents acteurs du marché. Le contenu y étant passe-partout, point de blacklist possible. Les multiples emplacements publicitaires ? Tout est fait pour qu’ils soient distribués à partir de sources différentes, permettant au cumul sur une même page de passer inaperçu des SSP et DSP.
Les fameux private deals programmatiques ? Plutôt que passer par l’open auction – les enchères libres – les éditeurs contractualisent un certain nombre d’impressions programmatiques garanties grâce à un deal ID. Ainsi, on pourrait penser que les MFA se retrouvent excluent de tels accords ? Ce n’est pas le cas comme le relève Adalytics. 19 % des dépenses média de l’étude se retrouvent sur des sites MFA via les open auctions. Alors qu’en private deal, les MFA sont loin de ne pas avoir leur part du gâteau, puisque 14 % des budgets du panel observé y sont consacrés.
Le plus efficace semble encore être d’utiliser des listes d’inclusion et d’exclusion des sites pour C’est ce que semblent privilégier les agences médias françaises interrogées.
Il existe aussi des solutions de vérification avec un focus particulier sur les MFA. IAS (Integral Ad Science) a récemment lancé un système de détection des MFA grâce à l’IA. DoubleVerify en a fait de même en septembre. Adalytics recommande également les offres de Jounce Media et DeepSee.io.
Enfin, comme l’explique Adalytics, la priorité doit être donnée à des partenaires SSP et DSP qui luttent activement contre les MFA. Ce jeu du chat et de la souris ne peut se faire qu’en ajustant finement certains réglages, sans forcément en faire la publicité. La créativité des éditeurs de MFA étant, ironiquement, très grande, il est clé pour les acteurs du marché de faire preuve d’agilité.