Cyberharcèlement : pourquoi Orange a créé des safe zones sur Fortnite et Roblox 

Par Élodie C. le 04/01/2024 - Agence : Publicis Conseil

Temps de lecture : 9 min

Le retour des cabines téléphoniques 3.0.

Comment traiter le sujet ô combien actuel du cyberharcèlement auprès des jeunes générations quand on est un des acteurs leader du numérique, qui plus est un opérateur téléphonique  – historique – qui a fait de son usage responsable (et sain) l’un de ses chevaux de bataille ?

En intégrant directement au gameplay des plateformes comme Fortnite et Roblox des “safe zones”, soit des espaces de confiance dans lesquelles les joueurs/joueuses peuvent venir s’informer, alerter et être aidés ou simplement souffler. 

Anne Imbert, directrice marque et contenus du groupe Orange, Séverine Nubel, global brand ID director chez Orange, et Boris Langlois, global brand director de Publicis Conseil reviennent sur cette activation aux millions de concerné(e)s.

Le contexte

Depuis sa création en 1994, Orange s’attache à informer sur les effets indésirables du numérique et accompagner les utilisateurs vers un usage responsable. Ce qui était novateur en 94 l’est forcément beaucoup moins aujourd’hui. Anne Imbert, directrice marque et contenus du groupe Orange, rappelle ainsi qu’Orange a été le premier à prendre la parole pour sensibiliser à l’usage des téléphones dans les cinémas en Angleterre – “D’une banalité absolue aujourd’hui” ; à sensibiliser sur les usages du téléphone au volant en 2018 (avec une campagne déployée à l’international ou avec la Sécurité Routière en France) ou encore à sensibiliser aux usages et au temps d’écran chez les jeunes l’année suivante. “C’est donc naturellement que nous avons poursuivi ces sujets-là en créant quelque chose de nouveau, qui va au-delà de la sensibilisation des usages à travers des expériences de marques.” 

Le brief

Pour créer une expérience ludique, pertinente et efficiente, le jeu est le levier tout trouvé : “Il faut se rendre là où sont les jeunes, là où sont les victimes, afin de contribuer à transformer l’image de marque d’Orange auprès de la nouvelle génération, explique Boris Langlois, global brand director de Publicis Conseil. Ce qui signifie pour nous, de nous adapter aux codes.” 

Ce que confirme Anne Imbert : pour entrer sur ces plateformes, il faut adopter leurs codes : “Orange a un enjeu de marque. C’est une marque extrêmement connue, un peu familiale. Sensibiliser les familles à ce sujet, c’est une chose, et c’est le rôle de Bien vivre le digital, sensibiliser les victimes ou les cyberharceleurs, c’était tout l’objet de cette activation. Et ça, c’était un point essentiel pour nous : Orange est un peu une marque familiale, moins attendue auprès des jeunes et des jeunes gamers, pour pouvoir être accepté dans ces univers, elle se doit d’adopter les codes.” 

Comment prouver et faire savoir son engagement d’opérateur et d’acteur responsable ? 

Nous sommes passés d’une posture relativement passive par rapport à ces enjeux – informer, faire de la pédagogie, mettre des contenus à disposition de nos clients et de la société avec Bien vivre le digital – à une démarche active de création d’un espace ludique et de sensibilisation des personnes cyberharcelées, là où elles en sont victimes. Nous nous sommes mis au niveau des mappeurs et des joueurs. Nous sommes dans ce mode collaboratif pour une cause qui est une cause utile”, souligne Anne Imbert. 

Séverine Nubel, global brand ID director chez Orange, poursuit : “En septembre 2022, quand on ne parlait que du métavers, Orange diffusait de grandes campagnes mondiales sur l’usage responsable du temps d’écran, sur le recyclage des mobiles et sur l’inclusion digitale qui sont les trois piliers de notre engagement sociétal. Facebook basculait en Meta, tout le monde s’est affolé et toutes les marques voulaient y aller et se demandaient comment. Chez Orange, la question d’y aller ou pas ne s’est pas posée : nous avons toujours une vision très positive des nouvelles technologies. Nous sommes allés dans le metaverse avec ce qui nous différencie aujourd’hui, notre engagement sociétal, et une cause qui nous tenait à cœur, le cyberharcèlement. Une démarche en totale cohérence avec nos actions des 3-4 dernières années.” 

Orange soutient ainsi l’Association E-Enfance pour lutter contre le cyberharcèlement et a développé l’application sécurisée 3018, du nom du numéro d’urgence pour les jeunes victimes de harcèlement

Boris Langlois le souligne, un gamer sur cinq, soit 20% des gamers ont été victimes de cyberharcèlement, lorsque cela concerne les femmes, le chiffre grimpe à 66%. “Il fallait donner les clés d’un numérique responsable à chacun et à chacune, comme on pouvait le faire auparavant en télé, en affichage, en ambiante ou en nudge.

Tous les parents ne savent pas ce que font leurs enfants sur Fortnite, ça permet de communiquer sur ce qui est fait pour eux.

Pour le comment, Orange est allé chercher dans son héritage. Séverine Nubel : “Orange a toujours été dans la vie quotidienne des gens, notamment comme acteur de l’urbanité avec nos cabines téléphoniques. L’enjeu était de ne pas être donneur de leçons et marque à papa. Publicis nous a présenté l’agence Bem.Builders pour nous aider à nous intégrer aux plateformes. C’était un vrai lâcher prise pour une marque très managée comme Orange.

C’est quoi une safe zone ?

Nous avons pensé cette safe zone comme une bulle dans laquelle vous soufflez à peine entré, raconte Séverine Nubel. C’est un moment où vous pouvez choisir de ne rien faire, où vous êtes certain.e de ne pas être tué. Ensuite, deux choix se présentent à vous : soit vous identifiez (pays et langue), soit vous tapez sur un buzzer parce que vous êtes cyberharcelé et activez alors une alerte qui vous renvoie vers une association locale pour vous aider à sortir de cette situation”. 

Et si vous êtes entrés par hasard ou curiosité, il y a un quiz qui vous fait gagner des points de vie pour avancer dans le jeu, et vous sensibilisent au cyberharcèlement : “Il y a des gens cyberharcelés, mais il y a aussi ceux qui harcèlent. Nous ne voulions pas stigmatiser : on ne se rend pas forcément compte qu’on peut harceler quelqu’un. Nous proposons donc un vrai parcours de pédagogie et de sensibilisation au cyberharcèlement. Cette aide est accessible à l’international dans les pays où la marque a un lien avec les 3018 locaux, comme en Slovaquie, en Roumanie, en Pologne ou en Espagne.” Orange est également en discussion avec tous les pays de la zone Orange en Afrique et au Moyen-Orient.

Concrètement, cette zone est séparée en deux parties, “ce qui répond au double objectif de la marque », rappelle Boris Langlois
– la partie alerte, avec le soutien aux victimes ou aux témoins de cyberharcèlement ; – la partie pédagogie, pour faire savoir et essayer, via une approche de gamification, d’adopter de bonnes pratiques. “La frontière peut être parfois ténue entre  je charrie, je titille et je bascule dans le cyberharcèlement.

L’activation

Les cabines téléphoniques qui ponctuaient les rues de France ont été remises au goût du jour et “plantées” sur des maps existantes (partenariats), “là où il y a du trafic naturel, où sont les gens, les cyberharcelés et plus généralement nos cibles”, précise Boris Langlois

– Lancement en novembre 2022 :
Les Safe Zones sont introduites sur 6 cartes Fortnite et 1 jeu Roblox.

Nous avons constaté une progression continue, se souvient Boris Langlois. Habituellement, on observe une progression par vagues : on arrête le média, ça redescend, on recommence, ça remonte, puis cela finit par se tasser. Malheureusement, on note une véritable continuité, progressive, nous avons donc été pertinents sur la stratégie d’implémentation, la stratégie d’influence, et le relai de l’initiative en social media.” 

– En juin 2023 :
Safe zone Squad avec des gameuses influenceuses et streamers “hyper engagés, comme Squeezie – un peu la super référence – mais aussi très impliqués sur le sujet (cf la polémique autour de la participation de Manon Lanza au GP Explorer et la campagne de cyberharcèlement dont elle a été victime par la suite, NDLR).” 

Les résultats 

Après, succès ou pas succès ? Faut-il se féliciter du nombre d’appels au 3018 ? Oui d’une certaine manière, mais notre objectif est de réduire encore une fois ce sentiment d’insécurité des jeunes et faire en sorte que la marque Orange soit effectivement reconnue comme étant engagée, positive et dans l’accompagnement”, précise Anne Imbert

On ne peut pas encore se dire, “Oui, c’est un succès”, tempère Séverine Nubel. Ça le sera lorsque le 3018 sera connu de tous, lorsque les appels diminueront, et que les gameuses n’auront plus besoin de changer leur nom pour jouer aux jeux vidéo parce qu’elles se sentent en insécurité avec un nom féminin.” 

Les clés de succès

– un engagement fort sur le numérique 
Notre secteur d’activité. C’est un point essentiel, cette opération est alignée avec les engagements du groupe et de la marque Orange, estime Anne Imbert.

– la co-construction
Nous nous sommes mis à niveau, sans une posture haute, et en nous adaptant aux codes de la plateforme et de notre cible. C’est une co-construction entre les éditeurs de jeux, la production, Publicis Conseil évidemment, et Orange. Plus tout le travail qui a été fait avec les influenceurs : lorsque Squeezie prend la parole sur ce sujet, il prend la parole en tant qu’acteur engagé et attaché à cette cause. Il ne le fait pas pour Orange.” 

– le test and learn
Avant toute communication, nous avons systématiquement attendu d’avoir des résultats. Nous nous sommes adossés avec les spécialistes des jeux et les accompagnants, le 3018 en France. Nous sommes véritablement un acteur parmi d’autres, la communication qui est faite, est systématiquement avec les parties prenantes. Sur un tel enjeu de société, comme celui du cyberharcèlement, il est impératif de le faire de cette manière, sinon nous contrevenons aux valeurs de la marque et aux engagements de l’entreprise. Par ailleurs, cela serait en complète inadéquation avec les plateformes et les parties prenantes qui œuvrent au quotidien, encore une fois, pour sensibiliser les jeunes et les accompagner.

Et après ?

Comme l’a précisé Orange, l’activation n’est pas un « one shot« , la marque ayant pour ambition de proposer une expérience de marque durable. Pour s’en assurer, la marque inscrit désormais les Safe zones dans une dimension open source, notamment pour éviter de contacter chaque mappeur ou de réaliser des deals en one-to-one. Orange a ainsi :

– améliorer ses outils comme les « contact zone », c’est-à-dire la mise en relation avec les associations des différents pays ;

– développé une version light avec un bot maison qui va regrouper l’ensemble des fonctionnalités de quiz et de gamification, sur le volet pédagogique ou d’alerte, dans un modèle très réduit, à la fois en termes d’encombrement sur les maps, mais aussi de poids ;

– créé une première collection de 30 téléphones « contact » téléchargeables et intégrants : que ce soit sur Fortnite, GTA ou autres plateformes, il y a des cabines téléphoniques partout. « Des téléphones simplement utilisés à des fins de décoration pour créer des univers. Comme ce sont des assets 3D et téléchargeables, nous nous sommes dit qu’il serait plus judicieux de les rendre communicants et interactifs pour délivrer des messages de sensibilisation« .

– lancé un concours « mapping jam » (délibérations par un jury le 22 décembre dernier) dont la cible sont les développeurs « afin qu’ils prennent part au combat : Orange va donner les clés et des outils en open source à tous ces développeurs pour qu’ils puissent se faire le relais de la lutte contre le cyber harcèlement, explique Boris Langlois

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