Quel avenir pour la com’ RSE ?

Par Élodie C. le 13/04/2023

Temps de lecture : 13 min

Entre sincérité, consensus et... disparition.

C’est une promesse que chacun s’était faite et avait faite lors de la crise sanitaire de 2020 : le monde d’avant allait laisser place à un monde conscient des enjeux environnementaux et sociétaux qui lui faisaient face. Les prises de paroles des marques portaient le poids de cet enjeu. D’abord timides pour certaines, plus affirmées pour d’autres, notamment celles déjà légitimes sur ces sujets, puis foisonnantes ensuite. Un véritable jardin de Babylone. Si bien que nous nous demandions alors si toutes les marques avaient vocation à s’engager. Au-delà du risque de saturation évident du public vis-à-vis de ces nouvelles promesses, les craintes – fondées – de greenwashing n’ont pas manqué. 

Ces dernières années, la RSE était à la communication des marques ce que le metaverse, les NFT et les IA génératives sont à leur stratégie digitale aujourd’hui : un must have apparent autant qu’un terrain glissant. Moins qu’un sujet de communication, la RSE est une question de transformation globale plus profonde.

Dans le contexte inflationniste qui est le nôtre, les arbitrages se font souvent au détriment des aspirations sociétales et environnementales, l’économie prend le pas sur l’écologie : le poids de la RSE dans les campagnes passe de 11,9 % à 11,5 % en 2022, soit 3,5 milliards d’euros bruts investis sur les campagnes RSE (-2,7 % vs 2021), selon Kantar Media. 

Logiquement ou non, les secteurs à forte émission de CO2 sont ceux qui consacrent proportionnellement le plus de budget à la RSE : l’automobile (46 % de sa pression brute), le corporate et l’énergie.

Dans ce contexte, la communication RSE est-elle arrivée à maturité ? N’est-elle encore qu’une option à actionner ou fait-elle partie intégrante des statuts de l’entreprise ? Comment imaginer la communication RSE d’après ? Un panel d’experts nous répond.

Encore un sujet ?

Trois ans après une crise sanitaire qui a bouleversé le quotidien et les aspirations de millions de gens, la communication RSE donne à se montrer partout.  La communication RSE a mûri pour Laure Peyrot, directrice générale adjointe de l’agence de communication (au service des transitions) Spintank, en miroir à la maturité des grandes entreprises sur leur stratégie RSE (en 2020, 75% d’entre elles avaient une démarche ou feuille de route RSE). “Communiquer sur ses engagements n’est plus une option, et ce n’est plus non plus annexe dans le récit qu’une marque doit déployer.” 

Après le déluge de messages “verts” est venue l’heure des comptes. Pour Aurore Domont, présidente de MEDIA FIGARO, il convient d’ailleurs de faire le distingo entre communication RSE et discours d’engagement, au risque de s’y perdre : “La communication RSE recouvre à la fois le champ du reporting des entreprises et le discours d’engagement des marques ou des organisations. Ce n’est pas du tout le même registre. Il n’y a pas de RSE sans mesure, sans pilotage et sans reporting.” 

Pour Laure Peyrot (Spintank), “l’irruption récente de l’exigence ESG (données environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise, NDLR) a hissé les sujets de responsabilité, propres aux entreprises, dans un nouveau registre. On était dans un monde un peu auto-centré, on doit se plier à des critères et de la data. Nous nous trouvions sur un chemin de maturation, mais on est, ou on revient à une communication d’information, de reporting. La communication d’engagement reste soit dans le reporting, soit trop auto-centrée. Très peu d’entreprises envisagent la RSE ou l’opportunité ESG pour envisager un changement plus profond.

Dire ce qu’on fait c’est bien, prouver ses dires, c’est mieux. Un travail de synthèse et un discours de preuves accessibles pour son audience (toutes les parties prenantes de l’entreprise) sont indispensables. “À mes yeux, la communication d’engagement est très différente, explique Aurore Domont (Media Figaro). C’est une communication sur la vision, la position au monde d’une marque ou d’une entreprise”, poursuit celle qui vient d’être nommée directrice Engagement et RSE du Groupe Figaro. Elle peut être très créative tout en relatant des faits, inspirante tout en donnant des preuves. C’est une expression qui nécessite beaucoup de rigueur, car elle doit absolument éviter les fausses promesses qui feraient s’effondrer la confiance des publics.

Selon elle, la maturité du marché sur les enjeux sociaux et environnementaux s’observe par sa capacité à traduire créativement ces deux formes de communication RSE. Depuis septembre 2020, la régie analyse les campagnes responsables déployées dans les médias du Groupe Figaro via son baromètre de la communication responsable. “Nous notons une meilleure compréhension des messages, une envie grandissante des audiences pour en savoir plus sur l’entreprise et ses engagements.” 

De son côté, l’agence Havas et le CSA ont lancé IMPACT17, « le scanner de Développement Durable des Marques, une plateforme data qui permet aux entreprises d’évaluer les écarts entre réalité et perception de leurs actions RSE auprès de leurs différents publics : collaborateurs, consommateurs et grand public.« 

Si le marché est plus mature, la communication RSE n’atteindra jamais LA maturité pour Gildas Bonnel, fondateur et président de l’agence de communication Sidièse, puisque, par définition, la communication répond à des attentes et une sensibilité du public qui varie à mesure que la conscience et la compréhension des enjeux s’opèrent : “Il serait terrible de penser que l’on est arrivé à maturité, comme s’il y avait une règle d’or qui marcherait pour l’éternité.” Le président de la commission RSE de l’AACC appelle les communicants à l’humilité : “On ne sait jamais si nos prises de parole vont avoir du sens l’année prochaine et encore moins dans dix ans. Si on veut parler de maturité, c’est celle de l’apprentissage de la nécessaire extrême humilité dont on doit faire preuve. Il faut sortir de nos réflexes de globalisation ou de survalorisation des initiatives et des engagements.

Il pointe ”cette agitation des marques à vouloir faire savoir à tout prix”, plutôt que questionner leur rôle dans cette déferlante : “Qu’est-ce qui sera lisible, audible et finalement cru et perçu comme pertinent par des citoyens-consommateurs qui ne sont pas dupes et eux-mêmes en droit de s’interroger sur cette vague verte.” Surtout face à des marques “nouvellement converties” qui n’avaient jamais fait état d’un quelconque intérêt pour le sujet. Les marques “sérieuses” dans leurs actions doivent se poser la question de la pertinence de communiquer en publicité au milieu de cette masse informe de messages.  

Hubert Blanquefort d’Anglards, directeur de la communication Pôle Clients, Services & Territoires chez EDF voit dans la RSE une logique de responsabilité. Celle des entreprises vis-à-vis de la société et des salariés. “On doit pouvoir changer notre façon de faire en tenant compte d’un certain nombre de dimensions d’impact, de gestion des salariés, des prestataires, etc. Nous aurons atteint une maturité quand tout cela sera totalement intégré dans le business model et les statuts de l’entreprise. Une raison d’être qui permettra aussi bien d’organiser la production, la transformation des produits ou la façon de vendre.

Un avis partagé par Géraud Rabany, directeur de communication CDG Express et head of brands de Groupe ADP. Si la communication traduit une réalité, il n’élude pas celle de son secteur – ô combien montré du doigt, le transport aérien : “Il me semble, en tout cas dans mon secteur, que les progrès à réaliser sont encore très importants en termes de RSE. La communication RSE dépend de cela. Ceci dit, j’ai l’impression que les communicants, eux, ont gagné en maturité et que la preuve prévaut maintenant sur la déclaration d’intention. De la même manière, les dispositifs sont globalement plus justes sur ces thèmes.

Les marques sont attendues sur les grandes transformations du monde, de même que la RSE, et pas seulement sur son versant environnemental : “Comme d’habitude, ce sont les clients qui nous demandent ce qui est important pour eux. La communication est aussi un levier de transformation. En s’appropriant ces sujets, nous contribuons à la transformation des modèles de nos entreprises.

À ce titre, la RSE est en train de redevenir un sujet pour les marques, analyse Laure Peyrot, c’est l’heure du post-washing – “pour les marques qui en seront capables”. Une nouvelle ère qui se construit par strates qu’il faut aligner dans “une attitude commune” : 

– celle de l’information. “Le défi est souvent de savoir ré-intéresser, dans un marché saturé de discours responsables, tout en restant dans les clous d’un esprit de transparence” ;
– celle de l’adhésion et de l’engagement. “Il s’agit de savoir mobiliser autour d’une transformation, de rassembler et mettre en mouvement. Danone, avec One Planet, One Health et cette phrase « chaque fois que nous mangeons ou que nous bougeons, nous votons pour le monde dans lequel nous voulons vivre » invitait chacun à la prise de conscience préalable au changement de comportements” ;
– celle de l’interaction, de l’action en commun “où la marque sait entrer en résonance, ne plus imposer, informer et engager, mais sait inventer avec ses publics de nouvelles manières de faire.

Le défi de la sincérité et du consensus

Informer, engager, interagir et inventer, des enjeux qui s’ajoutent à d’autres défis dans la communication RSE des marques. Si communiquer sur ses engagements n’est plus une option, communiquer sur leurs avancements ne le sera pas non plus. Il faudra dire et assumer que l’on n’a pas réussi ou revu à la baisse des engagements pris haut et fort un an auparavant, prévient Gildas Bonnel (Sidièse). “Il faut accepter ce jeu complexe et très innovant de tenir vraiment au courant les publics concernés de sa progression. Généralement, c’est là que tout le monde se planque et où l’on a rendez-vous avec son propre alignement, sa propre cohérence de marque et d’entreprise, mais aussi son propre crédit auprès de ses publics et collaborateurs. C’est un défi très important : le sujet de la RSE est un sujet de pilotage, d’indicateur et mesure permanente, explique-t-il en écho aux propos de Laure Peyrot (Spintank) et Aurore Domont (Media Figaro). C’est le défi de la sincérité.”

Pour cette dernière, le défi de la sincérité restera prioritaire pour toute communication RSE : “La publicité s’est construite sur le concept de la promesse. Promesse de plaisir, promesse de confort, d’utilité, d’économie, …. Mais lorsque l’on parle RSE, les attentes sont tout autres. L’entreprise doit parler avenir, trajectoire, aventure collective.

Le collectif résonne également pour Laure Peyrot. Si le challenge de la sincérité persiste évidemment – sans confiance, la communication est vaine – l’impact sera le challenge principal à surmonter : “Et pour que celui-ci soit important, il faut qu’il y ait une action collective. Les marques doivent mobiliser leur public et cela peut passer par un contrat « à faire ensemble ». Comme celui que proposait l’éco-organisme Citeo « vous triez, nous recyclons ». La pédagogie d’abord, l’accompagnement et la facilitation du comportement à modifier. Parce qu’il faut beaucoup de petits colibris, individus et entreprises pour que les gestes de chacun soient bénéfiques à tous.

Mais avant de penser mobilisation commune, il convient, pour les communicants, de prendre en compte “l’impact de la fabrication et la diffusion du message (sites éco-conçus, papier recyclé…) et là il y a aussi un défi pour les agences”, rappelle la DGA dont l’agence, en partenariat avec d’autres agences comme Angie et Area 17, “travaille sur un outil d’évaluation carbone pour orienter nos choix, dans (leurs) dispositifs de communication, vers les actions les moins émettrices de carbone.” Elle dit espérer un avenir où ce sera un outil aussi indispensable aux communicants que leurs smartphones, avec de vrais repères pour la profession. Si l’on en croit les créatifs et agences qui en font une tendance de la création publicitaire, du craft ou de la communication digitale, l’éco-conception a de beaux jours devant elle.

Du côté du groupe ADP (autrefois Aéroport de Paris), l’impératif reste “le parfait alignement entre nos communications et la réalité de l’entreprise. La pression des attentes sur le sujet (d’où qu’elle vienne) ne doit pas reposer sur la communication, mais sur le produit, sur le modèle”, estime Géraud Rabany. Cela implique que les communicants participent activement à la transformation de leur entreprise : “Il faut remonter la chaîne de valeur interne et utiliser nos leviers pour contribuer aux décisions en amont, avec notre connaissance des publics, de leurs attentes et usages. En fait, le principal enjeu me semble surtout être un sujet de positionnement des communicants dans l’entreprise plutôt qu’un sujet de technique, d’angles ou de dispositifs.

Un sujet de positionnement, et de “singularité” ? “Une entreprise se différencie par son imaginaire, son territoire d’expression, avance Aurore Domont (Media Le Figaro). Que reste-t-il de tout cela lorsque l’on parle d’empreinte carbone ? Il nous faut repenser notre différenciation au travers de choix forts dans nos actes, de partis pris dans nos engagements.” Ce qu’a fait le groupe au moment de penser sa stratégie RSE, nous confie la directrice Engagement et RSE du Groupe Figaro : “C’est une dimension sociétale qui nous est propre.

Pour Hubert Blanquefort d’Anglards (EDF), il sera nécessaire de réfléchir à une forme de bien commun et de consensus, sans logique partisane quand bien même il empiéterait – logiquement – sur le champ politique. “Aujourd’hui, on attend des entreprises une transformation des business model, de l’orientation et de la création valeur pour les clients, mais plus seulement, pour la société en général.” La question étant : existe-t-il un socle commun ? Si oui, il devra inévitablement être borné au risque d’être réducteur pour éviter d’en faire un simple exercice de communication et de marketing.

Une indispensable intégration

La communication RSE doit-elle disparaître pour s’exprimer pleinement ? Ce n’est que lorsqu’elle sera parfaitement intégré, qu’elle ne sera plus un sujet puisque partie prenante de toutes les décisions et actions d’une entreprise. “Un rapport de développement durable c’est bien, mais qui le lit ?”, fait mine de demander Gildas Bonnel (Sidièse). “Si le sujet n’est pas véritablement intégré à la matrice même de l’organisation, il n’y a pas beaucoup d’espoir qu’il soit transformatif. La communication RSE doit disparaître pour prétendre à ce que toute la démarche de l’entreprise soit pilotée par la mesure de ses impacts sociaux et environnementaux.” Une fois que ce sera le cas, elle infusera toute la communication et le marketing. “Il faut diluer cette expertise pour que l’ensemble des organisations soient alignées avec cette mesure et cette obligation à transformer les sociétés.

En ce sens, les entreprises doivent s’engager vis-à-vis de la société. “Il y a quelques années, on parlait de créer un lien fort avec des communautés qui partagent non seulement une vision produit / prix de ce qu’apporte une entreprise, mais aussi ses valeurs. S’engager équivaudra à proposer des contrats de produits et services, mais aussi un contrat moral avec la société tout en sachant que rien ne sera jamais parfait. Le point d’équilibre devra être le plus juste et le plus transparent possible.” Pour aboutir au consensus recherché, il faut être en mesure de délivrer des clés de compréhension qui permettent à chacun de se positionner par rapport à certains points.

C’est pourquoi Laure Peyrot de Spintank imagine la cohabitation entre deux mondes : “Un monde de la RSE-data, dédié au reporting, au calcul, à la comptabilité, qui serait celui de la transparence reine, mais aussi de la difficulté de prise d’initiative et de création. L’autre d’une responsabilité des projets et des aventures des marques qui osent des réinventions profondes de leurs métiers, avec leurs publics, en les mobilisant autour de projets qui changent les rapports entre marques, clients, collaborateurs et planète. Les deux vont vivre ensemble, cohabiter, se frotter. Tout le défi est d’en tirer du bon.

Pour obtenir ces clés de compréhension, la communication RSE doit accélérer sa mue vers une communication plus relationnelle et éditorialisée, estime Aurore Domont (Média Le Figaro). “Nous adressons des publics multiples (clients, collaborateurs, actionnaires, parties prenantes diverses) qui sont inquiets et vigilants et attendent plus d’informations et des preuves d’engagements. Plus cette communication nourrit la conversation, le débat, plus elle gagne en efficacité (…) Le digital permet des formats différents, un temps plus long, un véritable espace pour développer une expression étayée.” Ce qui ne peut se faire qu’au sein d’un environnement contextualisé, ajoute-t-elle. “On ne peut pas s’exprimer sur ces sujets n’importe où et n’importe comment.” 

Cette nécessité de compréhension et d’efficacité trouve une résonance chez Géraud Rabany (ADP/CDG Express) pour qui “l’antagonisation croissante de l’opinion rend plus sensible les expressions sur ces sujets”. Trois pistes pour demain : la pédagogie ; l’authenticité – dire réellement où ou en est, donner à voir ses engagements et sa méthode avec créativité pour révéler le réel, sans l’inventer ni le travestir ; et accepter la critique. “Les opposants s’opposent. C’est naturel. Mais nous devons aussi savoir écouter pour identifier les bruits faibles en terme de communication qui nous permettrons de faire mieux la prochaine fois.

La communication RSE est morte, vive la communication RSE !

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