Format, stratégie et promotion.
Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) promet de challenger les directions de la communication et les pratiques de communication des entreprises.
Impact de la CSRD, pertinence du rapport annuel et alternatives, bonnes pratiques… pour approfondir ce sujet en pleine période d’Assemblées Générales et de publication des rapports annuels, nous avons rencontré une experte des sujets CSRD chez Spintank et VP Content, Camille Laval.
La directive CSRD, qui vise à améliorer la qualité des données ESG (Environnement, Social, Gouvernance), pourrait-elle sonner la fin du rapport annuel tel que nous le connaissons ? Réponses dans ce nouveau Moteurs de changement.
En quoi la directive CSRD va-t-elle transformer les pratiques de communication des entreprises, notamment en ce qui concerne les rapports annuels ?
Camille Laval : La CSRD renforce les attentes à l’égard des entreprises en matière de reporting de la durabilité. Un reporting exigé dans le rapport de gestion. La directive ne s’applique donc pas directement à la communication corporate ou à l’exercice du rapport annuel. Mais la mise à disposition d’un nombre accru de données et d’informations extra-financières, plus qualitatives et harmonisées à l’échelle des entreprises cotées, offre une opportunité unique de renforcer le discours de durabilité des entreprises dans la communication RSE mais aussi dans le rapport annuel qui reste un document de référence pour l’ensemble de la communication interne et corporate.
Les entreprises qui produisent des rapports annuels intégrés ne peuvent que louer l’entrée en vigueur de la CSRD puisque le reporting intégré et la directive européenne poursuivent un objectif commun : celui d’harmoniser le reporting de durabilité pour montrer que l’entreprise prend en compte les enjeux ESG dans sa stratégie et sa gouvernance et qu’elle crée de la valeur financière et extra-financière dans le temps. Le tout, en répondant à une exigence de clarté et de transparence.
Cette démarche répond aussi pleinement aux attentes des audiences des rapports annuels (investisseurs, actionnaires, candidats et collaborateurs…) et de la communication corporate plus largement, de plus en plus attentives à la responsabilité des entreprises.
Quels conseils donneriez-vous aux directions de communication pour se préparer efficacement à l’entrée en vigueur de la directive CSRD en 2024 ?
C.L. : Les entreprises qui pratiquent le reporting intégré produisent déjà des supports parfaitement structurés pour accueillir les exigences de la CSRD, en présentant les macro-tendances qui impactent la stratégie, leur modèle de création de valeur, leur matrice de matérialité, leurs chiffres-clés sur la performance financière et extra-financière… Pour ces entreprises, la CSRD va permettre d’améliorer la précision et la transparence de l’information extra-financière. Mais elles vont devoir aussi repenser la manière dont elles valorisent l’intégration des enjeux ESG dans leur stratégie ou encore la gestion de leurs risques. Je pense notamment à la matrice de double matérialité qui prend en compte l’impact de la stratégie de l’entreprise sur la société et l’environnement.
La CSRD exige une transparence sur le court, moyen et long terme. Elle va aussi offrir aux communicants l’opportunité de travailler de nouvelles mises en scène de la data, de nouveaux formats qui permettent de mettre en perspective et de jouer avec la donnée dans le temps. Les entreprises ont tout intérêt à travailler davantage avec le digital pour présenter les données de manière dynamique et interactive et ainsi mieux valoriser les engagements dans le temps. La directive CSRD pourrait sonner la fin du rapport annuel one-shot, pour devenir un dispositif pensé dans la durée, qui ne nécessiterait que des mises à jour de chiffres-clés d’une année sur l’autre.
Sur le plan organisationnel, je pense que les directions communication devront travailler de façon plus étroite avec les directions RSE et financières ainsi qu’avec des cabinets de conseil. Cela a été notre approche avec Orange pour garantir un rapport conforme aux exigences en matière de reporting de la durabilité, de bout en bout.
De nombreuses directions de communication considèrent que l’utilité opérationnelle du rapport annuel pour les analystes est faible. Partagez-vous ce constat ? Pourquoi ?
C.L. : Je ne peux pas apporter une réponse scientifique, car je n’ai pas de données consolidées sur les audiences du rapport annuel. Mais en effet, les analystes se tournent plutôt vers des publications réglementaires comme le DEU pour des questions d’exhaustivité de la donnée. Il s’agit d’ailleurs du seul document qui est déposé à l’AMF. Ce n’est pas le cas du rapport annuel, dont l’objectif, rappelons-le, n’est pas uniquement le reporting financier et extra-financier, mais bien de porter la vision et la stratégie du groupe. Il a donc un devoir de pédagogie et de sélection de la donnée au service du récit.
Néanmoins, certains rapports annuels, notamment intégrés, destinés à une audience plus large et moins experte, sont parfois bien plus lisibles et compréhensibles que le DEU en ce qui concerne la stratégie ou le modèle d’affaires. Les analystes ont tout intérêt à les consulter. À plus forte raison, avec l’entrée en vigueur de la CSRD qui va les faire monter en exigence en matière de transparence et de responsabilité.
Pensez-vous que la CSRD incite les entreprises à privilégier d’autres formes de communication corporate plus adaptées et si oui, lesquelles ?
C.L. : Certaines entreprises trouvent le bon dosage entre la narration et le reporting de la donnée pour continuer à porter la vision de l’entreprise dans des rapports communicants tout en restant transparentes et responsables dans le reporting de leur performance.
Pour les entreprises qui produisent des rapports annuels très techniques, elles doivent en effet s’assurer qu’elles intègrent dans leur dispositif de communication corporate des supports et des formats plus communicants à même de porter la vision et d’embarquer des audiences plus larges.
Avez-vous remarqué un changement dans la manière de communiquer des entreprises sur ces sujets, une tendance peut-être ?
C.L. : Il est encore trop tôt pour évoquer l’impact de la CSRD sur l’objet “rapport annuel”. Peu d’entreprises ont intégré les attendus de la CSRD comme la double matérialité dans leur rapport annuel intégré par exemple. Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui le paysage des rapports annuels est très éclaté en termes de dispositif et d’approche. Chaque entreprise adaptant son dispositif à son audience plus ou moins experte. Et c’est la bonne démarche.
Mais, globalement, on observe cette année une tendance aux rapports plus synthétiques, qui privilégient le reporting au storytelling, souvent au format paysage. Un support digital-first facilement réutilisable en interne et consultable à l’écran, avec une présentation claire et concise.
La tendance est aussi à la réduction du nombre d’exemplaires imprimés, souvent réservés à l’Assemblée générale, l’accueil au siège et dans certaines filiales et l’audience interne.
Pouvez-vous citer des exemples d’entreprises ayant déjà mis en place des pratiques exemplaires en matière de reporting ESG conformément aux exigences de la CSRD ?
C.L. : DEU, DPEF, rapports de développement durable, rapports d’impact… Il existe aujourd’hui une pluralité de supports où l’on peut faire le reporting de la durabilité. Mais si je m’en tiens au rapport annuel intégré, je citerai Orange qui, comme je l’évoquais précédemment, a travaillé main dans la main avec un cabinet de consulting pour contrôler le reporting de la durabilité sur l’ensemble du rapport, des pages stratégiques à la valorisation des contributions du Groupe. Orange a aussi repensé cette année la présentation de son modèle d’affaires pour valoriser la pleine intégration des enjeux ESG, et est l’un des premiers groupes à publier sa matrice de double matérialité dans son rapport annuel intégré.
La production des rapports annuels demande un investissement conséquent malgré une diffusion confidentielle et une durée de vie limitée. Comment les entreprises peuvent-elles optimiser leurs ressources dans ce contexte ?
C.L. : Oui, et c’est bien dommage. La production de rapports annuels reste un investissement conséquent, mais indispensable, car c’est le moment clé de l’année où la direction et les métiers se réunissent pour collecter la data et les grandes avancées, mais aussi pour raconter la stratégie et la vision du Groupe. On ne soupçonne pas la partie immergée de l’iceberg, c’est-à-dire toute la valeur que peut produire ce document. Elle ne se calcule pas qu’au clic ou au téléchargement du rapport.
Justement, comment se calcule cette valeur et ce “retour sur l’investissement” ?
C.L. : Le rapport annuel est un document de référence qui synthétise la vision et la stratégie de l’entreprise. Il contient des éléments de preuve et des éléments de langage validés par l’ensemble des métiers et la direction. Il est donc crucial de s’assurer que ces contenus vivent au-delà du strict dispositif rapport annuel, dans les autres canaux de communication corporate et internes, pour aller toucher les différentes audiences dans la durée.
Cela passe par un travail important de maillage des contenus et de prolongation de lecture au sein de l’écosystème de communication de l’entreprise, par la promotion des contenus sur les réseaux sociaux ou encore par des grandes campagnes thématiques pour valoriser et prolonger le travail réalisé… C’est ce que nous avons fait pendant des années pour CITEO en capitalisant sur la richesse des contenus du rapport annuel pour animer les conversations autour des thématiques abordées à travers des événements live sur Linkedin et Instagram. Le relais des contenus par les parties prenantes internes et externes de l’entreprise est aussi un moyen clé pour apporter du crédit au récit de l’entreprise et décupler la force de frappe du rapport annuel.
Il est essentiel de planifier la diffusion et l’activation des contenus bien en amont du processus de production pour maximiser leur impact.