Les marques doivent-elles prendre part à la revenge culture ?

Par Élodie C. le 13/03/2023 - Agence : Marcel

Temps de lecture : 9 min

Une tendance qui se savoure à froid.

Ces dernières semaines, la chanteuse colombienne Shakira a plus fait parler d’elle en un titre qu’au cours de son mariage pourtant médiatisé avec l’ex international espagnol Gerard Piqué. La faute à une infidélité largement commentée et point de départ d’un règlement de compte au 34 millions d’écoutes, en moins de 24 heures. Dans une métaphore toute personnelle mais non moins limpide, la star compare la nouvelle compagne du footballeur à différentes marques… qui ont réagi sur les réseaux sociaux.

De la revenge dress de Diana aux revenge songs de Miley Cyrus, Rihanna ou Shakira, en passant par les revenge movie à la Kill Bill ou John Wick, l’art de la revanche/vengeance infuse la culture populaire. Les marques, désireuses de surfer sur l’actualité et les tendances ont tôt fait de s’y risquer. Quand elles n’adoptent pas elles-mêmes la posture de l’âme vengeresse. À bon escient ?

Les planneuses stratégiques Maïlys Ducournau, Margaux Grenouilloux et Pauline Luzerne et la social media manager Hélène Lhermet, de l’agence Marcel, nous expliquent tout sur cette tendance et les risques et opportunités pour les marques à y prendre part.

La revenge culture, c’est quoi ?

Comme nous l’explique l’équipe de Marcel, “La revenge culture, littéralement l’art de la vengeance en Français, c’est la manière dont la vengeance est utilisée comme arc narratif au sein de la pop culture. Ce n’est pas un concept nouveau mais il est revenu sur le devant de la scène, notamment avec Taylor Swift, et plus récemment les dernières chansons de Shakira et Miley Cyrus, directement adressées à leurs ex infidèles.”  

Everything everywhere all at once

Logiquement, l’art de la revanche se décline dans de nombreux domaines : la littérature, la peinture, le cinéma, les séries, la musique et bien évidemment la publicité. Les réseaux sociaux sont souvent le terrain tout trouvé de ces batailles publicitaires où les marques se répondent coup pour coup et souvent de façon spontanée en rebond à l’actualité. La revenge culture se déploie en deux temporalités, “via deux formes de récits différents, qui dépendent souvent du format culturel”, précise l’agence Marcel. 

La vengeance impulsive, spontanée

Si la vengeance est un plat qui se mange froid, elle ne se fait pas moins souvent “à chaud”, notamment en musique où les propos sont “souvent crus et violents”. Comme dans la dernière chanson de Shakira, enregistrée chez le DJ Bizarrap et qui cumule aujourd’hui à plus de 420 millions de vues.

« J’étais trop grande pour toi, tu en as maintenant une comme toi (…) tu as changé une Ferrari contre une Twingo, une Rolex contre une Casio ».

Shakira

Plus que la personnalité de l’artiste, ce sont souvent les paroles décortiquées et partagées par les fans qui trouvent ensuite une résonance médiatique.

Côté marque, on retrouve cette mécanique chez les community managers, dont l’un des job est de rétorquer rapidement et intelligemment à l’attaque d’un concurrent, commentent les 4 planneuses strat et social media manager de Marcel. Au-delà du community management, les marques, souvent dans des positions de leader versus challenger, fondent une partie de leur communication et de leur visibilité sur des actes de vengeance, comme ici, avec Coca-Cola qui, il y a quelques années, qui avait rebondi à l’attaque de Pepsi pour Halloween.

La vengeance, un complot sans fin

C’est un storytelling au long cours, riche de multiples rebondissements, qui ne trouvera sans doute jamais de fin car elle “maintient” en vie ses protagonistes. “C’est typiquement le schéma narratif que l’on retrouve dans les séries. La vengeance, c’est souvent le point de départ d’un scénario qui doit nous tenir pour de nombreuses saisons : The Mentalist, Scandal, ou encore Game of Thrones avec 73 épisodes au compteur”, rappelle l’agence Marcel.  

Bref, c’est la vengeance typique de l’art télévisuel et cinématographique : le revenge movie est d’ailleurs un genre à part entière, “avec Tarantino en roi de la revenge culture, qui a le don de proposer des films cathartiques avec des fins alternatives à la réalité : Inglorious Basterds, ou encore Once Upon a Time in Hollywood.” 

En communication, on peut citer la guéguerre qui oppose McDonald’s et Burger King. En 2016, alors que McDo tente pour la première fois de taquiner Burger King (c’est souvent l’inverse chez ces deux-là), Burger King n’attend pas pour se venger.” Comme on peut le voir ici où l’arche dorée tance son concurrent qui ne dispose pas de nombreux restaurants alors que vous pouvez trouver un McDonald’s rapidement sur la route. En une semaine, Burger King réplique en détournant la chute à son avantage : les gens viennent chez nous pour une bonne raison, quitte à faire quelques kilomètres de plus. 

Action

Réaction

Sexiste, la revenge culture ?

Si le sujet de la “revenge” est un terrain presque infini, il reste un sujet qui peine à évoluer : la place de la femme dans la revenge culture. Lorsqu’on voit apparaître des figures féminines dans des narratifs de la revenge culture, on peut largement remettre en cause la place qui leur est donnée. Là où les hommes sont assimilés à des héros, dès qu’une femme entre en scène, le rôle qui lui est donné est souvent bien plus réducteur”, regrettent les quatre femmes. 

Elles sont en effet dépeintes comme des victimes (du revenge porn à la revenge song ultime Cry Me a River de Justin Timberlake vs Britney Spears) ou hyper-sexualisées, là où l’homme vengeur est pétri de fêlures et se venge avec honneur et héroïsme, “les représentations des femmes vengeresses restent assez caricaturales. Des représentations qui oscillent entre l’archétype de la blonde pas très futée (La Revanche d’une blonde) et l’héroine hyper-sexualisée (comme Black Widow, seule femme des Avengers, plus souvent questionnée en interview pour ses tenues que pour ses super pouvoirs).” Quand elles ne sont pas décrites comme folles (ou hystériques). Glenn Close dans Liaison Fatale en rôle titre.

Quel est le rôle des marques au sein de cette revenge culture ? Certaines marques surfent-elles sur la tendance et de quelle manière ? “La revenge culture, ça fonctionne, on l’a vu avec les succès des chansons de Miley et Shakira. Et côté marque, utiliser la vengeance comme message de campagne peut être aussi très efficace en stratégie.” Et l’équipe chargée du sujet au sein de Marcel de délivrer deux exemples : 

Skoda, Moche dans les années 90
À tous ceux qui se moquaient de l’esthétique des modèles de la marque, Skoda rétorque avec humour que dans les années 90s, niveau look, on était tous finalement pas vraiment au top, contrairement à ce qu’on pensait. “Vous aussi vous étiez moches dans les années 90. Nouvelles lignes, nouveaux modèles, découvrez les Skoda d’aujourd’hui.” Une manière maligne d’interpeller et de valoriser le renouveau de la marque pour créer de la désirabilité.” 

Résultats pour Skoda ?
– un Effie en 2019 ; 
– +4 points de proximité avec la marque ;
– +37% le taux d’incitation à se rendre en concession ou à faire un essais entre les exposés et les non-exposés à la campagne ;
– +16% de véhicules livrés.

Jennyfer “Zéro Étiquette
Pour faire taire les préjugés que la marque essuie depuis plusieurs années, elle se rebaptise “Don’t call me Jennyfer” et se fait la porte-parole des filles qui sont rangées dans des cases à longueur de journée : chelou, racaille, cagole, bonhomme.” 

Cette vengeance “pour ces années de mépris” a également généré de bons résultats : 
– un grand Prix Effie, 
– 600k nouveaux abonnés sur Instagram ;
– +10% d’acheteuses ;
– +17% de parts de marché. 

Les Do et les Don’t 

Comment prendre part à la revenge culture sans se prendre les pieds dans le tapis ?

1. La vengeance est un plat qui se mange froid

Quand on pense stratégie de marque, on voit que prendre le temps pour gérer sa revanche, c’est la clef. Les succès des relancements de Jennyfer et de Skoda sont entre autres dûs au fait qu’on parle ici de critiques qui leur ont été faites depuis plusieurs années. Ces marques ont eu le temps de mûrir leur stratégie de communication pour mieux revenir sur le devant de la scène.” 

2. La meilleure des revanches, c’est de tourner la page et d’aller de l’avant

“Lorsque l’on est blessé, heurté par quelqu’un, on passe par les mêmes phases que les étapes du deuil : le choc, le déni, la colère, la tristesse, la résignation, l’acceptation et la reconstruction. Mûrir, prendre le temps de réfléchir sa vengeance, ça permet d’avancer dans son discours et de délivrer des messages en plein, plus positifs”, résume l’agence. 

Deux salles, deux ambiances avec Miley Cyrus et Shakira. Quand l’une chante I can buy myself flowers, write my name in the sand, et “permet d’adresser à son audience un message positif, porté vers le futur, de célébration de soi” lui permettant d’être considéré par les fans comme la « Queen of ending toxic relationships et qui sait ce qu’elle vaut », Shakira est très violente dans ses propos, estime les 4 planneuses strat et social media manager : “On en apprend de plus en plus sur sa colère sur les réseaux sociaux ; elle a par exemple posé une sorcière immonde sur son balcon pour gâcher la vue de son ex belle mère qui est sa voisine. Du coup, le discours de Shakira, c’est un peu tout l’inverse de Miley, on est entre le déni, la colère, et la tristesse, ce qui est peut-être moins valorisant.

3. Être subtile dans sa revanche 

Créer plusieurs niveaux de lecture dans son action permet de laisser toujours un peu de suspens sur notre véritable intention, mais surtout, cela permet d’attiser la curiosité des gens aussi, notamment quand il s’agit de fans et du même coup, de lancer les conversations. À la sortie de Flowers, on constate un pic énorme de requêtes autour d’elle sur Google. Un pic qui met fin à près de 3 ans de calme plat pour la star. Ce regain d’intérêt donne aussi lieu à une explosion de contenus la concernant, son histoire avec Liam, sa chanson, ses références.” 

Comme elles l’expliquent, les easter eggs cachés dans les paroles et dans son clip permettent de générer de nombreuses retombées presse derrière, mais aussi des contenus portés par ses fans, notamment sur TikTok. “Des contenus qui sont devenus ensuite visibles par une audience plus large encore. Et toutes ces conversations, tous ces contenus font un volume d’earn média considérable et qui tombe très bien parce qu’avec Flowers, Miley Cyrus se venge de son ex, mais en profite aussi pour annoncer la sortie de son nouvel album. Une belle promo gratuite.

4. Tendre l’autre joue

Ne pas rentrer dans un schéma de vengeance peut être très bénéfique pour les marques. L’exemple parfait, c’est l’équipe France de Renault qui, en décidant de réaffirmer son soutien à Shakira après s’être fait tacler dans sa chanson, a reçu énormément de commentaires positifs sur Twitter. Un geste qui a permis de renforcer sa brand love et même, de potentiellement recruter de nouveaux clients.” 

Et demain ?

La vengeance est-elle éternelle ? Elle existe depuis la nuit des temps, donc elle est là pour durer. ”Côté marques, c’est également un phénomène ancien et une stratégie qui a montré son efficacité à de nombreuses reprises, même si ce n’est pas forcément la plus facile à mettre en place. Comme on l’a vu, cela demande notamment beaucoup de réflexion et du temps pour installer son discours. L’une des marques à suivre, car elle commence à prendre sa revanche, c’est Desigual. Elle opère depuis quelques mois un profond retravail de sa direction artistique soutenue par une forte stratégie d’influence. On a hâte de voir comment les choses vont prendre.” 

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