La fast fashion peut-elle être engagée ? Le pari de Don’t Call Me Jennyfer

Par Élodie C. le 06/01/2022 - Agence : BUZZMAN

Temps de lecture : 8 min

Pas cher, mais pas cheap, sensibiliser sans moraliser.

Rachetée en 2018 par un groupe d’investisseurs mené par Sébastien Bismuth, ex-dirigeant d’Undiz, la marque Jennyfer, rebaptisée Don’t Call Me Jennyfer, affiche désormais un nouveau positionnement #ZeroEtiquette (mis en scène en 2019 par l’agence Buzzman) et l’ambition de devenir « la plateforme digitale de la jeunesse féminine française ». Plus qu’une marque riche de ses magasins, DCMJ veut devenir un média où le digital infuse toute la création, des produits aux contenus sociaux. 

Surconsommation, seconde main, anti-gaspillage sont autant d’enjeux que la marque de fast fashion veut partager avec une jeune audience qui reporte souvent son engagement dans ses actes d’achat. Paradoxal vous avez dit ? Jean-Philippe Evrot, directeur général Communication & Marketing de Don’t Call Me Jennyfer, y voit au contraire l’opportunité de faire rimer leur engagement avec leur rôle de marque “meilleure amie” des adolescents.

Il nous répond sans détour dans ce nouveau Parole d’annonceur.

Vous avez laissé passer 20 ans avant de signer votre retour en publicité avec la campagne #DontCallMeJennyfer. Quel est le principal défi de la marque et son ambition aujourd’hui ?

Jean-Philippe Evrot : La marque a connu des difficultés et a été reprise par Sébastien Bismuth et un consortium d’actionnaires il y a trois ans. Une remise à plat a été opérée en conservant ce positionnement de marque populaire. En 2019, une importante campagne de publicité a été déployée avec l’agence Buzzman pour signifier le repositionnement de la marque et construire une nouvelle notoriété. 

Notre principal défi va plus loin que ce que Don’t Call Me Jennifer est aujourd’hui : une marque avec des magasins qui communique sur ses différents médias. Demain, nous voulons être un média avec une ou plusieurs marques et des magasins. C’est ce que nous avons initié avec Break sur TikTok

Pour être une marque forte aujourd’hui, il faut avoir des fans et la meilleure manière d’en avoir, c’est de générer de l’audience. Nous devons donc construire cette audience pour, demain, déployer une vraie proposition de valeur pour cette génération Z, que ce soit en termes de consommation de contenu ou de produits. Nous développons donc massivement le média Break pour 2022, même si c’est encore trop prématuré pour en parler.

Cette année, vous avez décidé de ne pas prendre part au Black Friday avec la campagne « NO BLACK FRIDAY » pour sensibiliser votre clientèle aux enjeux liés à la surconsommation et au gaspillage. La fast fashion peut-elle vraiment se présenter comme plus durable et responsable ?

J-P.E : Depuis que Sébastien Bismuth a repris la marque, nous ne nous sommes jamais positionnés dessus. Pourquoi ? On sait très bien que le retail va mal, qu’il propose des promotions toute l’année, et le Black Friday représentent pour nous, la promotion de trop, la plus « extrême ». Aujourd’hui, d’après Greenpeace, 80% des produits achetés dans l’année finiront à la poubelle et seulement 20% seront recyclés : nous voulons alerter sur la surconsommation et le gaspillage. Ce n’est pas parce que nous sommes une marque de fast fashion, que tout n’est pas parfait, que nous ne devons pas voir ces problématiques et travailler dessus. 

C’est la nouvelle génération qui aura les clés de demain, notre rôle n’est pas de ne leur proposer que des vêtements ou du média. À travers nos valeurs Zéro étiquette et notre positionnement de la marque BFF des ados, notre rôle est aussi de les sensibiliser et les informer sur cette problématique, sans moralisation. Nous avons profité du Black Friday pour dire : dans cette course aux promotions, 85% de ce que vous portez finira à la poubelle. Nous avons donc lancé notre programme de recyclage au même moment : “Viens plutôt ramener tes vieilles fringues, quelque soit la marque et achète quelque chose de neuf. Mais recycle ce que tu as.”

C’est tout le paradoxe, non ? Susciter le désir pour faire acheter du neuf tout en sensibilisant à la surconsommation et au gaspillage.

J-P.E : Exactement. Nous faisons du business, toutefois si nous ne sommes pas cher, nous ne sommes pas cheap. C’est toute la nuance.

Quels sont vos engagements RSE ?

J-P.E : Corinne Touitou, notre directrice qualité et RSE, parlerait sans doute mieux que moi des choses déjà mises en place et de celles qui vont l’être. Nous nous faisons accompagner par des spécialistes RSE pour nous conseiller sur la meilleure façon de faire. 

Par exemple, aujourd’hui, notre but est de travailler sur le gaspillage, nous produisons moins pour générer moins de résiduel. Un énorme travail a été réalisé. Aujourd’hui, Don’t Call Me Jennyfer a très peu de résiduel versus une marque de fast fashion. Demain, nous nous engagerons sur le cycle court : nous produisons encore en Chine, mais de moins en moins, pour, à l’avenir, développer les circuits courts avec le Maroc, le Portugal, la Turquie, etc. Un autre engagement est d’aboutir, dans trois ou quatre ans, au zéro avion. C’est un engagement pris depuis le départ.

Nombre d’acteurs sont d’ores et déjà installés sur ce secteur de la mode engagée devenu aussi concurrentiel que tendance, et Don’t Call Me Jennyfer n’est pas forcément attendu sur ce créneau-là, comment entendez-vous vous distinguer ?

J-P.E : Nous développons actuellement un projet de seconde main pour cette génération-là, c’est encore trop prématuré pour entrer dans les détails. Cependant, au-delà d’un vrai impact, ce projet aura un caractère très innovant. 

Ensuite, nous mettons en place des initiatives qui ne sont pas seulement écologiques, mais aussi sociétales. Honnêtement, on pense tous connaitre le sujet de la RSE, mais c’est beaucoup plus complexe que de parler de coton bio, d’autant que la marge est plus étroite, les agriculteurs ne sont pas forcément mieux traités, et sa culture nécessite énormément d’eau. Il faut aller plus loin que produire des vêtement “écologiques”. Chaque année, nous lancerons des collections capsule qui apporteront quelque chose d’écologique… qui ne sera pas du coton bio (rires). L’idée est de montrer que le green est cool. Demain, nous serons à même de proposer des produits à valeur ajoutée et 100% green. C’est important d’impulser une dynamique Green is beautiful, et pas uniquement boring et plus cher. 

Heureusement que les marques de niche moyen – haut de gamme ont une importante démarche RSE. Demain, il s’agira d’être une marque populaire, à prix bas et juste, car il est important de pouvoir s’offrir un vêtement avec 15 euros en poche. Comment permettre à des revenus modestes de s’habiller comme tout le monde tout en apportant un caractère plus RSE ? C’est tout l’enjeu de la fast fashion.

En août dernier, vous avez lancé l’opération #CHOISISTONPRIX, quelle est l’origine de cette opération, quel dispositif avez-vous mis en place ?

J-P.E : Nous sommes partis d’un constat : les soldes sont une période de consommation qui ne survient pas forcément au moment où les gens en ont le plus besoin. Nous nous sommes demandés à quel moment les adolescents ont le plus besoin de vêtements : la rentrée, le “back to school”. Avec la prime de scolarité, le marché a toujours observé des pics de trafic en magasin, et chez Don’t Call Me Jennyfer aussi. Il y a donc un vrai besoin au moment où ces familles reçoivent de l’argent : 3 millions de familles et 5 millions d’enfants bénéficient de cette prime, c’est à ce moment-là que les familles ont besoin d’équiper leurs enfants, nous nous devions donc de répondre présents.

Les soldes ne représentent pas un besoin, c’est une période de surconsommation où les marques liquident leurs stocks et invendus en fin de saison, c’est un business model de retailer pas pensé pour les clients. Comme nous avons très peu de résiduel, les soldes ne sont pas une période très intéressante pour la marque en termes de business. Ensuite, un mauvais produit “discounté” reste un mauvais produit pour les ados, alors que les parents peuvent avoir une autre conception des soldes et du vêtement. Les ados marchent à l’affect : pourquoi, au lieu de proposer une simple promotion pour le “back to school”, ne ferions-nous pas quelque chose de plus participatif en leur proposant de choisir le prix d’un vêtement ? De là est née l’opération #CHOISISTONPRIX.

Nous avons sélectionné 25% à 30% des nouveautés de la rentrée en proposant 3 prix pour chaque produit, la personne choisissait le prix qu’elle souhaitait y mettre. Pertinemment, nous savions très bien que les jeunes allaient choisir, à 90%, le prix le plus bas. Nous voulions surtout les faire déculpabiliser de leur choix avec une petite phrase marrante pour chaque prix. 

Prix bas : A ce prix là, on espère au moins que tu nous follow.
Prix médian : à ce prix là, c’est comme sur ton bulletin : “peut mieux faire”.
Prix fort : à ce prix là, c’est sûr on t’offre un bon karma.

L’opération a suscité un gros engouement auprès de la presse, et de notre communauté, notamment sur les réseaux sociaux.

Quels sont les résultats de cette opération (chiffres sur les ventes, vers quel prix les clientes ont le plus penché, etc.) ?

J-P.E : Nous avons observé une hausse de trafic en magasin de +15% vs le trend habituel. Et la majorité des clients ont prix l’offre et prix le plus bas.

Comment voyez-vous l’industrie de la mode et le marché de la seconde main évoluer dans les années à venir ?

J-P.E : Le marché va prendre de plus en plus de parts. Regardez Vinted, en trois ans, avec un seul canal (leur application), ils sont désormais 11e, du moins dans les 15 premiers leaders du marché. Kantar fait des études sur le marché 10-19 ans sur lequel nous sommes leaders, c’est un fait, ils adorent les vêtements, ils les achètent, les revendent et font déjà de l’économie circulaire. 

En 2022, nous allons nous positionner de manière innovante, dans le support, la technologie utilisée et la manière dont cela va être fait. Nous aurons l’occasion d’en reparler, idéalement au premier semestre. 

Et pour finir, la question traditionnelle de notre rubrique Parole d’annonceur : quel est le secret d’une relation annonceur-agence réussie ?

J-P.E : Nous travaillons avec l’agence Buzzman sur nos plus importantes campagnes de communication, sinon tout le reste est réalisé en interne. La relation avec Georges Mohammed-Chérif et ses équipes, c’est zéro bullshit et une totale transparence.

Dans une famille, une bonne communication c’est lorsqu’on se dit tout, même ce qu’on n’a pas envie d’entendre. Nous, c’est pareil. 

Je viens de la publicité, il y a 20 ans en arrière, je connais bien cet univers, c’est une relation un peu extraordinaire ce que l’on a réussi à bâtir avec Buzzman.

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