Comment Desigual compte se réinventer avec un rebranding radical

Par Élodie C. le 18/07/2019

Temps de lecture : 9 min

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Comment se transformer sans renier son ADN ? Le rebranding complet d’une marque est un exercice délicat. S’il peut permettre à la marque de toucher une nouvelle cible, il risque de perturber des adeptes qui ne se reconnaîtront plus dans la nouvelle stratégie à l’œuvre. À ce titre, le logo est un élément central et fédérateur qui reflète l’évolution de la marque dans le temps, son positionnement et ses valeurs.

Après 35 années d’existence, Desigual a opéré un rebranding radical avec l’ambition de rajeunir sa clientèle en allant convaincre une nouvelle audience, plus jeune et urbaine, sans renier son cœur de cible. Comment réussir ce tour de force alors que la marque était jusqu’alors en plein déclin ? Guillem Gallego, chief marketing officer de Desigual, et Alex Bennett-Grant, CEO et fondateur de l’agence néerlandaise WE ARE Pi, reviennent sur ce rebranding extrême de la marque qui a valeur de manifeste dans ce nouveau bilan de campagne.

Le brief

Après une année 2014 qui a vu Desigual frôler le milliard de chiffre d’affaires, les ventes n’ont fait que décliner. Même la nomination, en août 2017, de l’artiste et illustrateur français Jean-Paul Goude à la direction artistique de la marque (une première depuis sa création) n’y aura rien changé. Desigual a réalisé un chiffre d’affaires de 323 millions d’euros au premier semestre 2018, en chute de 14,5 % par rapport à la même période en 2017.

L’été dernier, son fondateur et PDG, Thomas Meyer, opte pour une stratégie qu’il veut radicale : réinventer Desigual. Comme l’annonce d’emblée Alex Bennett-Grant, CEO et fondateur de l’agence néerlandaise WE ARE Pi, “Desigual a toute une industrie à disrupter !” Première étape : reprendre le contrôle total de la marque. Cela passe par le rachat des 10 % de l’entreprise auparavant acquis par le fonds français Eurazeo. Cette opération fait de Thomas Meyer l’unique propriétaire de la société et le DA de la marque après le départ de Jean-Paul Goude. C’est ainsi qu’en juin dernier, Desigual surprend son monde en présentant sa nouvelle collection printemps-été 2020 sur la célèbre plage la Barcoloneta à proximité de l’iconique hôtel W et de l’immense siège de la marque. Les imprimés et couleurs pop qui ont fait sa marque de fabrique sont bien là, mais en sourdine, Desigual a préféré rappeler ses origines « streetwear ». Un appel du pied non dissimulé à sa nouvelle cible : les jeunes. L’enseigne ambitionne désormais de parler à cette génération Instagram en quête de sens, que ce soit dans son travail ou dans ses actes d’achat. Il s’agit de connecter la nouvelle génération avec l’ancienne qui achète également les produits Desigual et maintenir ce lien.

La marque est souvent l’objet de moquerie pour son style bariolé, notamment sur les réseaux sociaux, et séduit effectivement davantage les femmes de 50 ans que les jeunes actifs. La France est d’ailleurs le 3e marché de Desigual, derrière l’Espagne et l’Italie. Telle une belle endormie, Desigual semble toutefois s’être reposée sur ses acquis, à savoir sa fidèle clientèle, sans chercher à parler aux nouvelles générations. La moyenne d’âge d’un.e client.e chez Desigual est de 49 ans. L’ambition de son nouveau chief marketing officer, Guillem Gallego, arrivé il y a un peu plus de 6 mois après 15 ans passés chez Nike, est de réduire l’âge moyen de la clientèle d’une dizaine d’années d’ici 5 ans.

Ce n’est pas un hasard si Desigual est, pour la première fois, partenaire du Sonar, le festival de musique électro (connecté et ultra branché) de la capitale catalane. Sur son site, Desigual propose même une page “Looks de festival – Sonar 2019” agrémenté des nouvelles pièces de sa collection résolument pop et urbaine.

« Pour toucher la jeunesse, il faut comprendre le monde dans lequel elle évolue. Nous devons rester nous-mêmes, mais nous devons aussi suivre le rythme des tendances, améliorer la qualité de nos produits et nous adapter aux valeurs et aux codes des nouvelles générations », expliquait Guillem Gallego en juin dernier dans les colonnes de Elle.

Quel fut le brief de cette nouvelle campagne, amorçant ce changement d’identité ? “Six mois plus tôt, le nouveau plan stratégique a été annoncé, explique le directeur marketing de la marque catalane. L’objectif était de rebooster Desigual. Nous avions besoin d’une action disruptive”. Et quoi de plus disruptif que de renverser son logo de manière définitive ? “Le brief de l’agence est tombé en avril, précise Alex Bennett-Grant, CEO et fondateur de l’agence néerlandaise WE ARE Pi. c’est une transformation de marque assez significative. Nous souhaitions célébrer la différence, l’art et la créativité”. “L’idée fut de retourner le logo, poursuit Guillem Gallego, de nous challenger. Nous avions besoin d’être plus “desigual”, plus différents. Comme Desigual l’était à sa création en 1984.”

La campagne

La nouvelle stratégie de marque de Desigual comprend une nouvelle identité d’entreprise, un produit repensé (streetwear et tendance) et un réseau de distribution optimisé. La campagne révélant la nouvelle identité est orchestrée par le studio de création de la marque (c’est Giuseppe Fioretti, brand design manager chez Desigual qui a eu l’idée de retourner le logo) et l’agence basée à Amsterdam, WE ARE Pi. Baptisée « Forwards is boring » (que l’on pourrait traduire par “Allez de l’avant est ennuyeux”), la campagne traduit ce que Desigual souhaite désormais véhiculer. Un storytelling de marque jamais raconté jusqu’ici : un retour à ses fondamentaux, la création et l’art pour marquer sa différence et l’assumer. “Nous voulions produire un grand boom. Changer de logo, d’identité, explique Guillem Gallego, alors qu’une marque change d’identité seulement tous les 10-15 ans, voire jamais.” Ce grand boom se produira lors du défilé à la Barcoloneta devant un parterre de médias internationaux, célébrités, influenceurs et partenaires commerciaux. 200 happy fews qui assisteront à la révélation de cette nouvelle identité lors de l’événement diffusé en direct sur les réseaux sociaux

Desigual prend donc le pari d’inverser définitivement le logo sur tous les supports de communication de la marque. Une démarche qui contraste avec la stratégie de marque des autres maisons de mode notamment célébrant le blanding avec des logos qui tendent vers l’épure et l’uniformité.

Une campagne social media et outdoor ont ainsi été mise en place dans de grandes villes européennes avec des affiches lisibles uniquement en mode selfie. Coucou la nouvelle génération ! Ces signes “incompréhensibles” se veulent une “ode à l’illogique” dont les différents chapitres ne sont accessibles qu’à travers des stories d’influenceurs sur Instagram. Le compte Instagram de la marque est d’ailleurs repensé pour l’occasion (à l’instar du site officiel) : toute trace de l’ancien temps est effacée, les 19 publications reflètent désormais la nouvelle identité de marque.

Desigual signifie quelque chose de particulier en espagnol, mais le terme n’est pas compris à l’international, explique Alex Bennett-Grant, il fallait créer une histoire pour cette audience-là. Cela s’est traduit par la vidéo manifeste que nous avons conçue. Desigual c’est une histoire de différences qui fait la différence. Le nom de la campagne, Forwards is boring”, renvoie au logo. Créer des messages qui ne sont lisibles qu’en mode selfie avait du sens pour nous par rapport à cette nouvelle audience que nous visons et cela s’inscrit dans un contexte de modernité.

La campagne est également composée d’un magazine interactif à commencer par la fin. Les boutiques Desigual ont également été totalement repensées. Finis les flagships s’étalant sur des mètres carrés, place à des concept-stores au design moderne où se mélangeront art et mode et dans lesquels les clients pourront notamment participer à des ateliers de customisation de vêtements réalisés à partir de matériaux recyclés. Concept-store, expérience et customisation, un vent nouveau pour Desigual qui fait néanmoins écho à la tendance actuelle : de la House of innovation de Nike (tiens donc), aux nouvelles Galeries Lafayette sur les Champs-Élysées, en passant par le concept store dédié aux millennials du printemps Haussmann.

Pour rester ancré dans son époque et répondre aux attentes de sa nouvelle cible, Desigual s’attaque à la mode éthique et responsable : « 11 % de la collection printemps-été 2020 est fabriqué à partir de matériaux, dont la durabilité est assurée et ce pourcentage est appelé à grandir », promet Guillem Gallego.

Le premier concept store Desigual a ouvert ses portes en juin dernier à Barcelone. En France, un pop-up store a ouvert le même mois dans le Marais.

Les résultats

– Des dizaine de parutions presse aussi bien en Espagne qu’à l’international
130 au total :
40 dans la presse mode
73 dans la presse corporate
17 en PR et dans la presse spécialisée dans la publicité
– Une hausse significative de l’engagement sur tous les canaux de communication tels que les réseaux sociaux.
Reach potentiel (TV, Print, Internet) : 31,7 millions
– Le trafic et les ventes en ligne du site web ont nettement augmenté.
ROI : 362,412K euros.

La deuxième phase du lancement de la nouvelle identité est prévue pour septembre, “le mois de l’année pour nous”, dixit Guillem Gallego, avec le film manifeste, « plus commercial ».

Les trois clés de succès

Pour le nouveau directeur marketing de Desigual, les clés de réussite de cette campagne se composent des trois piliers de la stratégie de marque.

– Le storytelling : Think Desigual
Après 35 années d’existence, Desigual semblait avoir perdu l’esprit frondeur et audacieux des débuts. Un retour aux sources qui colle avec l’histoire de la marque. “Nous voulions storyteller la vérité de Desigual, que l’audience comprenne ce qu’est Desigual, ses valeurs, son ADN”, rappelle Guillem Galledo.

L’objectif de la campagne, en plus de présenter une surprenante nouvelle image de l’entreprise qui en fait la première marque internationale à inverser de façon permanente son logo, est d’inviter les gens à réfléchir. Pour qu’ils se sentent mal à l’aise. Pour les faire sortir de leur zone de confort. C’est exactement ce que nous avons fait.

– Un style réinventé
Sans renier ses origines et ce qui a fait sa renommée, Desigual entend s’appuyer sur ce qui fait son essence (les imprimés, les couleurs, l’audace) tout en améliorant la qualité et le design des produits. L’idée est de multiplier les collaborations avec des artistes : la collaboration avec Christian Lacroix, qui réalise des collections capsules depuis 2011, va être pérennisée, et d’autres vont voir le jour, notamment avec l’actrice/designeuse/DJ/ blogueuse, Miranda Makaroff et des personnalités comme l’acteur Jordi Mollá (vu dans Blow, Bad Boys 2 et Colombiana), King Jedet et la chanteuse, égérie de Desigual, Aleesha.

Desigual va également s’allier avec la marque écoresponsable Ecoalf pour lancer une collection commune.

– Un repositionnement bien pensé
Les nouvelles générations sont les consommateurs de demain, ils font et défont les tendances, et souhaite désormais donner du sens à leurs actes quotidiens. Quels qu’ils fussent. Desigual veut être ancré dans cette réalité et faire partie de leur quotidien. L’idée est d’en faire une marque culturelle. Desigual veut devenir une plateforme pour les jeunes générations et une maison de la créativité : “Plus de talents créatifs souhaiteront collaborer avec nous, plus Desigual aura de succès, estime Alex Bennett-Grant, il y a beaucoup de choses à venir, la disruption ne fait que commencer.

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