Pour éviter les polémiques, la publicité a-t-elle besoin de sensitivity readers ?

Par Élodie C. le 02/10/2023

Temps de lecture : 17 min

Humour absurde et sujets tabous en temps de crise.

Ces dernières semaines, deux campagnes ont suscité des commentaires, choqués, gênés, heurtés. Nous ne parlerons pas de “controverses”, elles n’en sont pas. Toutefois, ces soubresauts interrogent. La société est-elle devenue plus sensible, éruptive qu’alors, ou les voix autrefois inaudibles se font-elles désormais toutes entendre ? Qui plus est sur des réseaux sociaux, peu ouverts à la nuance, qui servent de caisse de résonance et où les polémiques affleurent à la moindre contrariété ? Peut-être tout cela à la fois. 

À l’instar du monde de l’édition qui, des États-Unis au Royaume-Uni, fait à présent appel à des “sensitivity readers” (entre wokisme et cancel culture) pour relire/réécrire (édulcorer ?) des ouvrages, le monde de la publicité devra-t-il y avoir recours pour s’assurer de communiquer juste en ne froissant personne (en l’occurrence les consommateurs) ? L’art et plus généralement la création n’ont-ils pas pour vocation de provoquer les sensibilités, de susciter des émotions, quelles qu’elles soient ? 

Agences, média, organisations et syndicats professionnels nous répondent. Âmes sensibles… bienvenues.

La société, cet archipel

L’une des promesses faites aux marques par les agences est de les faire entrer en résonance avec la société (insights, idées créatives, supports sur lesquels sont diffusés les messages). Vœu pieux sauf à considérer que la société est une masse informe aux modes de vie et convictions similaires. Les marques s’adressent ainsi moins à la société qu’à des cibles, des communautés ou des groupes d’individus la composant. Partant de ce constat, comment une marque peut-elle susciter de la connivence, émouvoir, surprendre des personnes différentes sans servir une soupe moyenne, si ce n’est indigente ? L’universalisme est-il possible/souhaitable en publicité ? On le voit dans les réactions que certaines publicités suscitent, chacun veut se voir représenté, considéré, et interprète un message par le prisme de sa propre existence.

Or, avec l’approche de Byron Sharp, les marques ont tendance à cibler tous les acheteurs de la catégorie (de leur marque, des concurrents, clients fidèles ou occasionnels, TOUT) et tout le monde finit par cibler le même public. Ce qui n’est pas une nouveauté, à ceci près que les intérêts/besoins/désirs se sont « balkanisés » avec Internet. De multiples niches co-existent et les voix autrefois inaudibles se font désormais entendre sur les réseaux sociaux. Les questions de représentativité… et de ses manquements deviennent centrales.  

L’autorégulation a depuis longtemps fixé son code, non pas pour limiter l’expression, mais pour cadrer ce qui pourrait être des manquements, y compris sur la dignité, la décence et le respect de la personne, sur le fait religieux, la diversité, etc. Cette démarche est actualisée régulièrement et concertée avec la société civile”, rappelle Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, dont le premier rapport destiné aux parlementaires (prévu par l’article 14 de la loi « climat et résilience ») a été délivré en aout 2022. 

Pour répondre à des enjeux de société et des demandes sociétales, il cite le programme FAIRe de l’Union des marques en France qui contient un principe de vigilance à l’égard des stéréotypes d’habitude, et l’Unstereotype Alliance, projet initié en 2017 par Unilever et l’ONU Femmes (l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes) dans lequel de grands groupes – Google, Facebook, Microsoft, Publicis, Alibaba, WPP notamment — et la fédération mondiale du secteur (WFA) se sont investis. Afin de véhiculer une image respectueuse de la femme en publicité, ces acteurs se sont engagés à œuvrer pour valoriser des représentations réalistes et non biaisées des femmes et des hommes en publicité.

Les Asiatiques ont souvent été la caution des marques. J’ai toujours considéré que la représentation n’apportait rien. Elle n’a jamais rien changé. La manière dont on représente la personne est le plus important”, estimait alors Mai Lam Nguyen-Conan, présidente de l’institut de conseil ViaVoice, dans le média des cultures et communautés asiatiques Koi en 2017. Sa fondatrice, Julie Hamaïde observe néanmoins une évolution de la représentativité des femmes asiatiques dans la publicité depuis 5 ans environ. Que ce soit dans les campagnes pour H&M ou pour des marques de luxe comme Dior, Chanel, Louis Vuitton qui mettent en scène des égéries de la pop culture coréennes, comme le groupe de K Pop Blackpink, phénomène culturel réunissant des millions d’abonnés. “Un bon moyen de capitaliser sur leur influence davantage que de jouer le jeu de la représentativité”, analyse-t-elle. Même si cela aide, puisque les succès de Squid Game, de la K Pop, ou du film Parasite, concurrent à ce que les marques se tournent vers des personnes d’origines asiatiques pour leurs campagnes.

L’autorégulation de la profession, l’engagement ou les programmes et projets d’organismes professionnels n’empêche pas les critiques (d’associations, de particuliers) envers certaines publicités.

Objets sensibles ?

Comme le concédait Timothée Loizeau, directeur marketing de Burger King France, dans une récente interview Parole d’annonceur, la publicité est par nature intrusive, peu — voire aucun — consommateurs en sont friands. Elle nous interpelle dans le métro, nous cueille dans nos salons, surgit sur nos médias sociaux. Elle fait appel à l’intime et, comme tout objet créatif, suscite des émotions, convoque les sensibilités. D’hier à aujourd’hui, il y a toujours eu des publicités pour choquer, questionner et divertir. À ceci près que les réseaux sociaux créent désormais des “phénomènes de loupe”, explique Sébastien Genty, président-fondateur du Collectif du Planning Stratégique. Et des voix, autrefois inaudibles ou inconsidérées, se font entendre. Pour le meilleur et pour le pire. 

Je ne suis pas surpris qu’ils puissent y avoir des commentaires négatifs sur des campagnes, et il y en a sur bien des sujets, poursuit Sébastien Genty. En revanche, l’ampleur de la protestation, de ce qu’on nomme rapidement “polémique”, est peut-être un peu grossi par rapport au volume des gens concernés par une campagne ou un sujet. D’autant qu’il y a aussi des personnes pour défendre le point de vue inverse. En bien ou en mal, la publicité provoque quelque chose, une réaction, et c’est plutôt positif.” 

Une publication et quelques dizaines de commentaires courroucés suffisent parfois à faire une controverse. Récemment, deux campagnes ont suscité pas mal de commentaires (en ligne, par message adressé à la rédaction et au travers d’un article paru dans Konbini). Le 2e volet de la saga Intermarché (“La vie ne devrait pas couter aussi cher”) sur le pouvoir d’achat par l’agence Romance*, et la campagne d’affichage de l’agence Steve pour “l’imprimeur de sourire” Cheerz

Pour Sebastien Emeriau, directeur du planning stratégique et de l’innovation (Cortex) chez Havas Média, les deux campagnes n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Puisque pour Cheerz, deux affiches sur huit sont concernées. “Au sein de l’agence, dans mon cercle proche, auprès de femmes dont certaines ont vécu la même histoire, c’était un peu l’incompréhension, avance Emmanuel Quéré, planeur stratégique senior chez Havas Play. Justement, c’est un sujet dont personne ne parle, comme si ce n’était rien du tout. Et là, il y avait un côté un peu libérateur.” Pour Julie Hamaïde au contraire, il peut être “déplacé de rendre léger le sujet de la fausse couche. Et la marche est haute entre rendre visible un sujet tabou dans la santé et que ce soit une marque imprimant des photos qui démocratise ce sujet.” 

L’idée de la campagne, est de dire que derrière les sourires, il y a plein d’explications possibles et de flashbacks, poursuit Sébastien Emeriau. Pour Intermarché, c’est le cœur du propos qui est mis en cause : on ne peut pas se dire qu’ils ne se sont pas posés la question. C’est impossible, surtout avec un 2e volet.

Ce qui a exacerbé le choc, c’est qu’au moment où la campagne est diffusée, tous les médias expliquent que les distributeurs ne font pas vraiment d’efforts. » Il cite également la campagne contre les accidents du travail (ministère du Travail avec l’agence Parties Prenantes) : “C’est bien de faire de la pub, mais investir dans des initiatives capables de résoudre le problème à la racine, c’est mieux.

Les agences doivent-elles a minima généraliser les prétests et les discussions en amont lorsque les campagnes abordent des sujets potentiellement sensibles ? La pratique n’est pas systématique, mais se répand. “On teste un peu et de plus en plus parce que tout est sensible et inflammable, concède Emmanuel Quéré. Pour évoquer Intermarché, je pense qu’à aucun moment l’agence/l’annonceur n’ont pensé obtenir de mauvais retours. Dans la publicité, il y a toujours eu un problème de diversité parmi les gens qui la font. Si on essaie de gommer ça au fur et à mesure, cela prend du temps. On est obligé de lâcher prise sur notre travail que l’on peut trouver génial, mais qui peut blesser.”

Pour Guillaume Lartigue, co-président de Steve : “Le problème des tests — qu’on réalise de temps en temps — c’est que les gens sont payés pour trouver un problème, un point à améliorer dans la campagne présentée. Et ils vont en trouver un puisque c’est ce qu’on leur demande. Certaines idées peuvent nous déranger de prime abord, puis elles nous font réfléchir et on finit par les apprécier. Les tests ne permettent pas ce cheminement. Ils sont utiles pour s’assurer que l’idée de la campagne est comprise par le plus grand nombre. Le j’aime, j’aime pas n’a aucun intérêt selon moi.

L’affiche évoquant une fausse couche a été testée au sein de l’agence, notamment auprès de personnes ayant vécu cette situation. Selon Guillaume Lartigue, celles-ci jugeaient intéressant d’aborder le sujet : “Si on n’aborde qu’un certain type de sujet, on devient une marque Kinder, ce n’est pas ça la vraie vie. Les marques sont des marqueurs de l’époque. On est là pour montrer comment est l’époque, pour trouver des solutions et pour cela, il faut faire des constats. Jean d’Ormesson disait : ‘La vie, naturellement, est une vallée de larmes. Elle est aussi une vallée de roses et c’est indiscernable. C’est une fête et c’est un désastre.’ Si on montre uniquement la fête, cela n’a pas de sens. Le but était d’installer la marque dans les représentations des consommateurs et de les mettre en phase avec l’époque. On revendique le fait de pouvoir parler de ce genre de sujet.

De toute évidence, chaque avis se vaut et s’entend, mais à ce stade d’expression, les opinions semblent irréconciliables. En revanche, on peut trouver positif que cela suscite le débat. 

L’ARPP a reçu moins d’une dizaine de plaintes pour Intermarché et aucune pour Cheerz. Le Jury de Déontologie Publicitaire n’a pas relevé de manquements, suivant l’avis rendu en amont par l’ARPP, qui aurait pu être déjugé. Pour Intermarché, la démarche humoristique a été retenue : “La caricature est très culturelle en France. C’est un équilibre à trouver, sans pour autant aller jusqu’à ne plus rien dire, car il y aura toujours une personne qui va mal interpréter ou être choquée, estime Stéphane Martin. Être communicant, c’est aussi en mesurer les risques, cela se gère néanmoins dans le dialogue et l’explication. Il n’y a pas de solitude dans la création, c’est un travail d’équipe et d’échanges.

Quid de l’humour vs le contexte ?

Si l’humour est un ressort publicitaire ultra-usité, certains contextes sont plus propices que d’autres pour qu’il fasse mouche. Comme l’évoquait Emmanuel Quéré précédemment, le dernier volet de la saga Intermarché sur le pouvoir d’achat intervenait dans un instant médiatique et politique peu amène. L’humour doit-il être affaire de contexte pour ménager les sensibilités/susceptibilités ? C’est ce que semble suggérer l’étude réalisée conjointement par l’agence Havas et l’École Normale Supérieure en 2021.

Si on sait qu’on ne peut pas rire de tout avec tout le monde, on ne peut pas non plus rire de tout n’importe quand, tranche le planeur stratégique. Nos travaux ont conclu qu’il y avait deux grands types de contextes et des discours appropriés pour maximiser leur acceptation / audibilité : 

1. Contexte favorable : tout va bien, l’implicite, les références, l’humour peuvent être utilisés. Il est possible de « jouer » ;

2. Contexte difficile : la marque doit être explicite avec des valeurs simples, sans chichi ou tour de manche créatif trop second degré.

En fonction du contexte, la sensibilité des consommateurs diffère… Logique, me direz-vous. Faut-il pour autant “s’autocensurer”, dédramatiser équivaut-il à nier les difficultés ?

Pour le président de l’ARPP, des marques plus engagées peuvent s’adonner à une forme de prise de risque réfléchie pour créer du dialogue, sans pour autant nier une réalité : “Tout ne doit pas être caché. L’exercice créatif peut être réussi ou plus gênant, La publicité doit-elle pour autant se réserver le champ du merveilleux et de l’idyllique ? Même si les consommateurs n’attendent évidemment pas des marques qu’elles rajoutent aux difficultés du quotidien, elles peuvent vouloir utiliser l’humour pour “alléger la peine”, notamment les marques de distribution lorsque le prix est devenu un critère. S’il faut imaginer toutes les réactions possibles, l’exercice de créa devient impossible, voire perd toute efficacité.

Le débat humour-contexte a fait chauffer le Cortex de Havas afin de savoir s’il était acceptable/possible de faire des blagues sur le sujet du pouvoir d’achat dans le contexte actuel d’inflation. “En France, l’humour a ceci de particulier qu’on aime bien faire des blagues aux dépens des autres, observe Sébastien Emeriau. C’est la grande fête de la moquerie, on rit contre. Contrairement aux Anglais qui utilisent beaucoup de non-sens ou d’humour corporel. En France, on se moque des riches, des religions, des puissants ou des ploucs, etc. Là, on ne sait pas, même si on sent qu’ils veulent embarquer tout le monde. La façon dont c’est joué, tourner, et la réalisatrice (Katia Lewkowicz, ndlr) est connue pour sa grande subtilité dans la direction d’acteurs. L’époque est hypersensible et les marques, même si elles ne font pas de pré-tests, sont en panique sur à peu près tous les sujets.

Pour Guillaume Lartigue (Steve), c’est moins une question de contexte ou d’humour que de typologie d’humour, l’absurde : “La publicité d’Intermarché utilise l’humour absurde comme ressort publicitaire. On peut l’aimer ou pas, le comprendre ou pas. Ici, l’absurde sert à dénoncer une vie où tout est trop cher, aboutissant à des situations qui n’ont aucun sens. Ils ont raison de le dire. On y dénonce l’absurdité de la banane trop chère, du merlu trop cher ou des fruits trop chers. C’est comme dans 99 Fcs lorsque le client demande, “Mais pourquoi l’humour ?”, et en face, ils ne savent pas quoi répondre. Eh bien, la publicité, d’Intermarché utilise cet humour absurde et certaines personnes n’y sont pas sensibles. Et généralement, quand on ne comprend pas une blague, on ne l’aime pas, et si cela ne nous fait pas rire, on estime qu’elle est nulle.” 

Être trop dogmatique, sérieux et explicite, fatigue, voire fait peur, estime pour sa part Sébastien Emeriau. Même sur des sujets relativement structurants, fondamentaux et importants, le cerveau aime bien avoir du sous-entendu, de la référence culturelle, comme l’humour, ou plus riche, ce que les chercheurs appellent, l’implicite. Romance et Steve ont des campagnes non explicites, elles font référence à des situations avec un petit décalage.”

Si on se refuse l’humour, quel que soit le contexte, ou certains sujets parce qu’ils sont sensibles ou a priori inadaptés à son fonds de commerce, ne risque-t-on pas d’aseptiser un peu plus la création ? 

Dans White, Bret Easton Ellis semblait d’ailleurs se désoler : « Plutôt que d’embrasser la nature véritablement contradictoire des êtres humains avec toutes nos préventions, nos imperfections et nos défauts, nous continuons à nous transformer en robots vertueux, ou du moins ce que notre camp pense qu’un robot vertueux devrait être. »

On a reproché à la publicité d’être extrêmement normative et d’imposer des modèles uniques, rappelle Sébastien Genty. Le fait de représenter, d’évoquer des sujets moins normatifs, devrait donc être perçu comme une manière de changer la représentation, la représentativité et l’existence de certains sujets. Même si ça fait grincer des dents, ça fait progresser certains sujets”.

Des sensitivity readers dans la pub ?

De la même manière qu’ils chassent les moindres termes ou passages qui pourraient heurter les minorités, ethniques et sexuelles notamment, dans les œuvres littéraires, les sensitivity readers vont-ils faire leur apparition dans le monde de la publicité pour traquer le faux pas susceptible d’entraîner une polémique ?

Du côté de Steve, la réponse est sans appel, c’est non. “Nous n’avons aucune intention de choquer pour choquer. D’ailleurs, on ne le fait pas. On devrait peut-être, puisqu’on reproche aux campagnes de publicité d’être trop lisses aujourd’hui, mais on ne va pas demander à quelqu’un d’autre de faire notre métier.” 

Celui qui convoque les publicités de Philippe Michel, estime que les Français préfèreront toujours une campagne qui les bouscule, qui les choque, qui les perturbe, à de “la réclame pourrie : ça laisse place à la conversation et aux échanges de points de vue.” 

Une marque donne / vend un point de vue. On y adhère ou pas. À partir du moment où tu n’as pas de point de vue parce que tu veux mettre tout le monde d’accord… tu n’as pas de marque. Une marque est là pour donner un point de vue, être aimée ou détestée, mais pas pour faire l’unanimité. Être une love brand, c’est accepter de se faire détester par beaucoup de monde.

Chez Havas en revanche, une liste de « community insiders » a été créée et rassemble la liste des experts d’un domaine (d’une passion) des gens de l’agence.

Si on a des questions / on veut tester des choses sur « au hasard » le militantisme anti-raciste, les performances alternatives (drag, etc.) on peut s’adresser à ces personnes, explique Emmanuel Quéré. En 13-14 ans dans la publicité, c’est la première année qu’on y a recours. Après, les sensitivity readers ce sont les clients, le juridique du client, c’est aussi la femme/le mari du.de la client.e. Un auteur va toucher son client final, lorsqu’on achète du Houellebecq, on sait ce que l’on va retrouver dedans. Lorsque le message est diffusé sur les ondes, l’intermédiaire entre le client final qui va acheter son steak haché chez Intermarché et celui qui a conçu la publicité, c’est le client. Et il est plutôt attentif à ne blesser personne, car il doit embarquer le grand monde, tout en ayant un impact. La publicité Intermarché, c’est juste du mauvais goût dans la situation actuelle.

Pour l’ARPP, les marques sont déjà très à l’écoute de leurs consommateurs, notamment via les réseaux sociaux. Elles sont plus matures dans la gestion de crise. “Les réseaux sociaux, et surtout X (anciennement Twitter, ndlr) ne reflètent pas l’opinion. Et ceux qui s’expriment ne sont pas nécessairement représentatifs de l’opinion ou des consommateurs dans leur ensemble. Il y a un biais de correction à appliquer.

Par ailleurs, dans son rapport de 2022, le Conseil de l’Éthique Publicitaire (CEP) estime : “Même si elle en a la capacité, la publicité n’a pas pour vocation première de faire évoluer les mentalités, sauf lorsqu’elle est au service de campagnes d’intérêt général. Le Conseil de l’éthique publicitaire se refuse donc à considérer, eu égard aux enjeux philosophiques et politiques d’une telle évolution, que l’autodiscipline transforme sa mission (combattre les « mauvaises images ») en une démarche messianique qui viserait à imposer les « bonnes images ». Ces « bonnes images » sont par ailleurs impossibles à définir. La philosophe et historienne de la pensée féministe Geneviève Fraisse elle-même ne se satisfait pas de scènes qui vont à contre-courant des rôles dans lesquels on voit les femmes et les hommes, habituellement assignés, et en appelle à la singularité.

Inclure des communautés plus variées dans les publicités est-il un moyen d’éviter de les choquer ? “Oui, à 100%”, estime Julie Hamaïde du média Koi qui se remémore une publicité de l’enseigne Picard pour le nouvel an lunaire (fêté en Chine, au Vietnam, en Corée du Sud, à Singapour, mais aussi à Hong Kong), où des sushis (plat emblématique du Japon) trônaient en bonne place. “Si la marque avait fait appel à un consultant spécialisé en culture asiatique, il aurait pu leur mettre un warning et leur éviter de se ridiculiser.

Elle rappelle également que les Asiatiques ont, pendant longtemps, servi de caution diversité dans la publicité. “La question de la diversité a déjà été soulevée dans/par les publicités Benetton : Lorsque plusieurs non-blancs sont installés les uns à côté des autres dans une soirée, il ne faut pas attendre longtemps avant d’entendre, “On dirait une pub Benetton. C’est intéressant ce que ça dit. Beaucoup de marques comme Benetton ou des marques pour enfants ont utilisé des Asiatiques car cela faisait mignons, au même titre que les enfants métisses.

Pour Sébastien Genty (CPS), la solution n’est pas de faire appel à des sensitivity readers, mais d’intégrer une variété de sensibilités au sein même des agences : “Plus on aura une grande diversité en agence, plus on intégrera naturellement les sensibilités des uns et des autres. Et ça, c’est sûr que c’est un sujet : comment fait-on pour qu’il y a plus de diversité dans les métiers d’agence ? On sait qu’il faut travailler à ça, et il y a beaucoup de gens qui travaillent dur en soutenant de nombreuses initiatives faites pour augmenter la diversité en agence. La créativité en sortira grandie. On a toujours l’impression que prendre en compte les sensibilités des uns et des autres, c’est réduire la liberté créative. Je pense que c’est le contraire.” 

Dans une interview donnée à Libération pour la sortie de son livre Sensibilités (Grasset), l’écrivaine Tania de Montaigne estime que “considérer la sensibilité comme mètre étalon, c’est continuer à dénier à ceux qui ne sont pas représentés la capacité à être pleinement des sujets.” Avec son livre, elle essaie ainsi “de raconter comment les entreprises et les institutions sont gagnées par ce fonctionnement qui consiste à se déresponsabiliser pour pouvoir plaire à tout le monde. Tout est pensé en termes de risques, qu’il faudrait circonscrire et externaliser. (…) il faut accepter que l’on parle tous d’un endroit, qu’on va forcément froisser des gens qui se situent autrement. C’est le principe même de la démocratie : supporter d’être avec des gens qui ne sont pas soi.

Et pour les marques, c’est supporter de ne pas plaire à tout le monde. Car à plaire à tout le monde, on ne plait à personne.

*Sollicitée, l’agence Romance n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.

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