« La publicité doit être force de progrès sur la transition écologique et l’inclusion »

Par Élodie C. le 29/03/2021

Temps de lecture : 8 min

Bertille Toledano, BETC Paris, est l’Antécrise de la semaine !

Alors que la France navigue toujours entre couvre-feu étendu à 19h et confinement en extérieur, et que près de 12% des Français ont reçu au moins une dose de vaccin contre la Covid-19, la Réclame entend combattre la morosité ambiante avec sa rubrique : L’Antécrise.

Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole à des dirigeant(es) couvre-feuté(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech. Le but ? Impulser une énergie positive pendant cette période complexe. Nous nous interrogerons sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi). On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique.

Aux commandes du navire BETC Paris depuis un peu plus d’un an, Bertille Toledano, successeuse de Mercedes Erra à la présidence de l’agence de Pantin, nous répond dans cette nouvelle dose d’Antécrise.

Depuis un an, la communication et plus particulièrement la publicité est attaquée : loi climat, incitation à la surconsommation, résurgence du mouvement #metoopub, et contexte économique inquiétant lié à la crise sanitaire. Comment l’entendez-vous ? 

Bertille Toledano : Le contexte actuel est particulièrement difficile. Le premier confinement avait fait émerger un esprit combatif, de résistance à la crise. Nous rêvions tous du monde d’après, mais un an plus tard, le deuxième confinement demande davantage de résilience, nous avons tous plus de mal à nous projeter et les grands élans de solidarité et de réinvention ont laissé place à des débats plus tendus, des confrontations plus dures. En fait, nous ne supportons plus d’être à l’arrêt, toute cette énergie dépensée avec le sentiment de faire du surplace, tout le monde aimerait avancer, progresser, cela crée de très grandes frustrations.

Parmi les sujets qui ne semblent pas avancer assez vite, il y a la transition écologique. Alors, les gens réclament des actes, de vrais changements, maintenant. La publicité est un reflet des imaginaires, du quotidien, des stéréotypes d’une société. Elle est un des symboles de la société de consommation. Du coup, à défaut de pouvoir changer de société, là, tout de suite, changeons donc de publicité. C’est normal. Elle n’est pas seulement le miroir d’une société, elle doit être le reflet de ses aspirations. Elle doit être une force de progrès sur la transition écologique, sur les questions d’inclusion et sur toutes les questions sociales, dont le harcèlement. Cette vision du métier, je la partage et je conçois ce métier comme une force de progrès.

En revanche, il ne faut pas se tromper, toute la responsabilité ne peut pas reposer sur la publicité. Elle n’est pas donneuse d’ordre, ce n’est pas elle qui choisit les produits et les services qu’elle doit valoriser, même si elle a un rôle de conseil. Notre métier a beaucoup souffert de la diminution de sa valeur. Un des sujets du harcèlement est celui du harcèlement moral. Il est lié à la pression qui s’exerce sur les salariés. Nos honoraires n’ont cessé d’être négociés et nous avons de plus en plus d’objets à créer pour de moins en moins d’argent. Ce métier, contrairement à certaines idées reçues, est sérieux. Il demande beaucoup d’écoute des consommateurs, des clients, des mouvements de société, des signaux faibles. Il demande une vraie capacité de synthèse et une très grande sensibilité pour transformer une idée en un acte de création. La création est un levier puissant pour modifier les imaginaires et transformer les business, alors il faut aussi un peu la protéger.

Face à la consommation, et plus encore à la surconsommation, le consommateur est de plus en plus en quête de sens, et cherche à réduire son impact sur l’environnement, de quelle manière la création peut-elle répondre à ce besoin-là ?

B.T. : Les gens ont besoin de comprendre l’utilité des produits et des services qu’on leur propose. Nous devons penser la consommation dans un cadre plus large, une vision qui tienne compte de l’actualité, de l’environnement, de notre envie de faire société. Nous devons l’inscrire un peu plus dans notre aspiration à une vie plus apaisée, plus orientée sur des valeurs immatérielles et sur une vision plus long terme des choses et des objets. 

Aujourd’hui, les consommateurs valorisent la valeur d’usage, plus que la valeur d’achat : ils ont besoin d’une voiture pour deux heures, d’un lieu de vacances à partager et pourquoi pas d’un vêtement déjà porté. La création développe de nouveaux imaginaires un peu plus collectifs, plus sensibles à l’écologie, aux problèmes d’inclusion, à des valeurs moins matérielles et individualistes.

La crise a accentué la défiance envers les institutions. Désormais, les entreprises sont appelées à prendre le relais et à s’impliquer dans la gestion des sujets sociaux, est-ce le rôle des marques ? La communication, la création même, a-t-elle un rôle à jouer dans ce mouvement de transformation souhaité ?

B.T. : Je ne suis pas sûre que le développement de la défiance envers les institutions profite réellement à quelqu’un. Il reste en ce moment peu de place pour le dialogue, pour le débat. Les institutions font face à une crise inédite et je ne fais pas partie des gens critiques, c’est horriblement difficile.

Ce qui est vrai en revanche, c’est que les consommateurs attendent des marques, des entreprises qu’elles s’engagent sur des sujets de société et ce mouvement est intéressant. Il traduit une vision de l’entreprise bien plus intégrée à son environnement, un corps social qui vit dans la cité et qui interagit avec elle. Pour la création, c’est un territoire formidable à explorer, il permet de réaliser des créations qui sont des engagements, des partis pris, des performances dans la cité. Il faut bien sûr, encore plus qu’ailleurs tenir ses promesses.

Quelles sont les marques qui peuvent émerger, voire croître en ce moment ?

B.T. : Toutes celles qui s’inscrivent dans la transition numérique et dans la transition écologique.

Les marques qui ont le mieux résisté sont celles qui ont vu dans la crise des opportunités, qui ont déplacé une partie de leur business en « selling on line » ou dans des systèmes mixtes. Il y a aussi, bien sûr, toutes les marques du jeu vidéo, des télécommunications et du divertissement, CANAL + a fait une année exceptionnelle. En fait, cette crise cache de très grandes disparités entre les secteurs économiques, entre les marques de santé, de mobilité ou de la grande distribution, les situations ne sont pas du tout les mêmes.

Avec la crise, la création est challengée, elle trouve de nouveaux terreaux à exploiter, ou est inhibée parfois. Comment développer vos talents dans ce contexte ? Est-il d’ailleurs propice au renouvellement, à la détection de nouveaux talents ?

B.T. : La création s’est adaptée, nous avons réalisé des tournages dans des conditions incroyables, à domicile, avec des caméras désinfectées, bref… les Hommes sont pleins de ressources humaines. Mais, tout de même, les équipes de créations ont besoin de se voir, nous avons besoin de nous retrouver régulièrement, notre seul outil de production ce sont les talents, nous avons besoin d’interactions humaines.

L’agence a subi les départs successifs de comptes historiques l’année dernière, Air France, evian et Peugeot pour ne pas les citer. Des marques dont BETC a signé parmi les campagnes les plus iconiques, comme le rappelle cet élégant « Merci » adressé à Air France. Comment y faire face en tant que dirigeant ? Et comment parvenir à garder vos équipes confiantes pour la suite, d’autant plus dans un contexte de crise ? 

B.T. : Alors, tout d’abord, la marque Evian n’est pas partie de l’agence. La marque est encore gérée par BETC en France. Ensuite, nous avons beaucoup de chance, nous faisons beaucoup de campagnes iconiques dans cette agence, même durant cette année : Lacoste, CANAL +, Leroy Merlin, Petit Bateau, Bouygues Telecom et Citroën. Par ailleurs, l’année dernière nous avions gagné de grandes marques pour lesquelles nous réalisons des campagnes dont nous espérons qu’elles deviendront iconiques comme Michelin ou E.Leclerc. 

La perte de budgets historiques a été une difficulté de plus dans un contexte qui était déjà difficile. Toutefois, cette agence est une agence de crocodiles, on s’accroche et les BETCiens sont formidables, ils se sont tous mobilisés et nous avons fini l’année mieux qu’on ne l’espérait.

Ces derniers jours, l’art et la création bruissent d’une certaine effervescence autour des NFT, ces jetons numériques non fongibles liés à la blockchain. Artistes, marques et personnalités s’y frottent. Certains y voient même une opportunité pour les créatifs  de valoriser et monétiser leurs œuvres et idées, notamment celles qui sont reproductibles et diffusées à l’envi. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

B.T. : C’est toujours amusant d’assister à l’émergence d’une nouvelle création. Finalement, c’est cela la création, un acte inédit. Ce qui est intéressant aussi, c’est que son créateur garde la propriété intellectuelle de l’œuvre. Si vous revendez votre NFT, son créateur touchera une partie de la somme. Sur le marché de l’art, c’était les collectionneurs qui se partageaient la valeur. Nous nous sommes souvent posés la question de la propriété intellectuelle de nos idées, cela devrait nous inspirer.

Qu’aimeriez-vous contribuer à voir advenir cette année ?

B.T. : Une grande fête à l’agence avec de la bonne musique, je fais confiance à General POP.

Vos trois valeurs pour affronter les prochains mois ?

B.T. : Résilience, bienveillance et comme cela me manque terriblement la danse.

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