« Les marques peuvent s’engager tout en assumant qu’elles sont là pour vendre »

Par Élodie C. le 11/02/2021

Temps de lecture : 10 min

L'interview de Michèle Benzeno, directrice générale du groupe Webedia.

Alors que la France voit s’éloigner un troisième confinement et que les premiers vaccins ont été inoculés, la Réclame entend combattre la morosité ambiante avec sa rubrique : L’Antécrise.

Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole à des dirigeant(es) couvre-feuté(e)s d’agences, de marques, d’associations professionnelles, de régies, et d’adtech. Le but ? Impulser une énergie positive pendant cette période complexe. Nous nous interrogerons sur comment garder le moral à titre personnel, comment rassurer son équipe en tant que manager, et comment transmettre de l’optimisme à ses clients (tout en vendant quelques projets, cela va de soi). On le sait, au-delà de la dramatique crise sanitaire en cours, avoir confiance dans l’avenir, dépenser, investir… est clé pour traverser ces turbulences et limiter la casse économique.

Parole donnée à Michèle Benzeno, directrice générale chargée du développement du Groupe Webedia qui vient de signer The French House*, le pendant français de la Hype House américaine.

Comment gardez-vous le moral en ce moment ? Vous parvenez-vous à rester motivée et optimiste ?

Michèle Benzeno : Je suis de nature assez anxieuse, mais j’ai appris à transformer cette anxiété en moteur positif, notamment en prenant plaisir à sortir de ma zone de confiance. Je suis combative de nature, et résolument optimiste pour relever des challenges qui pourraient paraître insurmontables à d’autres et affronter les difficultés de la vie.

Depuis le 17 mars, comme tout le monde, le choc a été assez brutal et très inattendu. Ma façon de garder le moral et de rester ancrée dans le positif c’est de vivre l’instant présent, d’être dans l’action, de bannir la procrastination, et de m’ouvrir aux autres.

Ces moments d’incertitude m’ont permis de réfléchir à ce qui était important pour moi : ma famille, que j’ai redécouverte pendant le confinement (rires), mes amis, mes passions (ou nouvelles, comme faire pousser du jasmin étoilé sur mon balcon), mon impact au quotidien dans le cadre de ma vie professionnelle. Depuis cette crise, le simple fait d’être moins autocentrée et de donner aux autres par des gestes simples — du sourire à une passante à un repas de famille — m’oblige à vivre l’instant présent. Elle nous a également fait prendre conscience de notre vulnérabilité à tous, quel que soit notre statut social, et notre impuissance face à cette crise. Dans les efforts collectifs que chacun fait dans l’empathie et l’attention, je vois émerger une culture plus humaine et respectueuse. Comme un nouveau souffle d’humanité, une recherche de liens, ça me fait tenir.

La campagne de vaccination grand public a débuté cette semaine (le 17 janvier dernier, NDLR), change-t-elle les perspectives de sortie de crise économique ? On imagine que cela permet aussi bien aux entreprises qu’aux individus de se projeter un peu plus…

M.B. : Beaucoup de personnalités, politiques et médiatiques (comme Michel Cymes notamment), ont pris l’initiative de rendre publique leur propre vaccination. Les sondages montrent désormais que l’opinion publique a évolué : +20 points sur le pourcentage de gens qui se disent favorables à la vaccination. Ce mouvement est résolument optimiste : les gens en ont marre de vivre dans ces conditions de confinement/couvre-feu, d’être dans la contrainte et d’avoir perdu leur liberté. Ceux qui se posaient la question de l’opportunité ou non de se faire vacciner veulent désormais être dans l’action, sortir de la crise et revivre normalement.

Cela aura un impact sur l’économie : dès les premières annonces sur le vaccin, les cours de la Bourse ont grimpé. Inexorablement, au-delà du débat autour du passeport santé, l’adoption du vaccin dans d’autres pays va faire boule de neige et inciter la population à garder espoir, se positionner comme les acteurs de la reprise et se diriger vers le chemin de la vaccination.

Les jeunes ont été les premiers touchés économiquement et sociétalement, mais aussi les premiers accusés d’être porteurs du virus asymptomatique et d’être responsable de cette crise en véhiculant le virus. C’est une population « sacrifiée », mais surtout invisibilisée. Je trouve cela dommage qu’on préfère communiquer sur les campagnes de vaccinations prioritaires en EHPAD et pour les personnes âgées, une erreur à mon sens, car le vaccin peut leur permettre de reprendre une vie sociale, normale, à un moment où le lien avec leurs communautés est primordial.

En tant qu’acteur majeur dans l’univers de la création française au travers de nos médias de divertissement et nos talents, nous avons un rôle de « passeur » de messages à cette population de millennials qui représente notre cœur de cible en termes d’audience.

En juin dernier, le PDG du groupe, Cédric Siré, annonçait un plan d’économie et de départ concernant au moins 90 personnes. Qui dit crise, dit décisions difficiles à prendre, notamment d’un point de vue RH. Comment s’y prépare-t-on en tant que dirigeant, comment tentez-vous de motiver votre équipe ?

M.B. : Comme toutes les entreprises durant la crise, nous avons fait face à nos responsabilités : notre premier réflexe a été évidemment de protéger sanitairement nos 3 500 collaborateurs dans le monde grâce au télétravail pour ne pas mettre leur sécurité en jeu. Puis, presque simultanément, des comités de crise ont été organisés pendant le confinement. Nous avons été totalement transparents et responsables avec une prise de parole quotidienne de nos dirigeants à travers des conférences live.

Des plans d’économie ont été mis en place, sans même parler de plan social, pour anticiper et éviter de faire d’importants plans de départ. Le cinéma et l’événementiel étaient complètement à l’arrêt, a contrario, les activités contracycliques comme le jeu vidéo, l’esport, le live-streaming, la VOD (avec l’arrivée de Disney +, les offres de Netflix et Canal +), la cuisine ont explosé en termes d’audience. L’effort collectif a été mis sur les verticales porteuses pour soutenir celles en souffrance.

Il y a eu un effort collectif majeur à mettre en sourdine certaines activités atones pour éviter une décroissance importante et mettre à risque les salariés. En parallèle, Webedia a mis en place un plan de résilience : toutes les semaines des groupes projets réfléchissaient à anticiper le rebond, aller chercher la croissance là où les activités été plus « favorables », gérer la relation à nos clients et les aider à préparer le rebond ou aider des clients dans le retail, l’alimentaire, l’e-commerce, à basculer dans des modèles purement digitaux.

Nous avons revu complètement notre modèle d’événementiel avec des offres de salons digitaux B to B pour les retailers. Tous nos événements ont été switchés en digital, ce qui a permis d’éviter des plans de départ et permis à nos clients d’accéder à une offre plus économique et écologique, mais aussi à plus d’audience et de taux d’engagement puisque le canal digital permet plus d’interactivité : potentiellement x 4 vs au physique.

Malgré les départs évoqués, nous avons relativement bien géré la crise à l’échelle de l’entreprise. Dans la transparence, l’honnêteté, la responsabilité afin de mettre toutes les chances de notre côté vis à vis de notre actionnaire (Fimalac, NDLR) pour préparer l’après et être en capacité de continuer à investir (notamment avec la marque développée avec Jamy, “Epicurieux”), mettre des moyens dans les nouveaux modèles ou les activités qui ont eu une croissance organique significative pendant la crise. Une croissance qui s’est crantée durablement…

La crise a accentué la défiance envers les institutions. Désormais, les entreprises sont appelées à prendre le relais et à s’impliquer dans la gestion des sujets sociaux, est-ce le rôle des marques ? La communication publique a-t-elle un rôle à jouer ?

M.B. : J’ai retenu deux insights édifiants :
1. Pendant la crise, 65 % des Français déclaraient que le comportement des marques pendant le confinement aurait un impact sur leur décision d’acheter ces marques à l’avenir.
2. Les consommateurs sont plus sensibles aux actes responsables, tout en surpondérant les valeurs plaisirs, partages et émotions. Nous avons la chance de surfer sur des adjacents très liés au divertissement, véritable moteur de lien social, cette crise va contraindre les marques et leur agence à rationaliser les investissements et privilégier la recherche de performance, à personnaliser leur communication et afficher une posture et un mode de gouvernance responsable de l’environnement et de la société. C’est une certitude, il y aura un avant et un après. Les consommateurs sont très informés et avertis.

En tant que média et acteur ancré dans l’univers de la production, notre rôle est d’aider les consommateurs à s’informer, comparer, choisir et mieux consommer. Après, dans cette équation, les marques restent assez vigilantes. Est-ce leur rôle ? Le mot « rôle » est peut-être trop fort, car c’est un rôle collectif (gouvernement, médias, institutions). En revanche, en favorisant le progrès, les démarches et technologies qui ont un impact sur le monde, Webedia accueillera plutôt favorablement les marques avec un discours de preuve. Que ce soit de gros acteurs de l’alimentaire ou des retailers, il n’y a pas d’hypocrisie sur le fait qu’ils sont là pour vendre. C’est important de ne pas l’oublier, les consommateurs ne sont pas dupes.

Si les marques se positionnent en disant « Je fais du business » tout en plaçant le curseur sur la performance et la responsabilité alors elles auront leur place dans cet écosystème. C’est toute l’ambition du Club des entreprises engagées dont le premier partenaire est Essity (Nana, Tena, Lotus Baby), ou les initiatives avec Lidl, 750g et son partenariat avec Miimosa (plateforme crowdfunding dédiée à l’agriculture). Les marques doivent assumer leurs ambitions business, mais elles doivent tout de même rester à leur place. La révélation de cette crise sur notre accompagnement des marques, c’est le sens et la performance.

Quel est le meilleur conseil que l’on vous ait donné ?

M.B. : Il me vient de ma culture et de mon éducation : ne jamais abandonner. Je suis issue d’une famille de quatre filles, avec un papa entrepreneur, indépendant très tôt. Avoir de bonnes idées ne suffit pas, ce qui fait la différence, c’est la hargne, la résistance, la croyance, la conviction : rien n’est impossible quand on le veut vraiment.

Ensuite, c’est une chose que j’ai apprise chez Webedia : on croit toujours qu’on peut changer les autres, mais si vous-même ne bougez pas et ne changez pas, les autres ne changeront pas non plus. Il ne faut pas être idéaliste, si vous ne faites pas le premier pas, si vous n’êtes pas dans l’écoute et l’empathie, ça ne marchera pas. Webedia est une entreprise qui a grandi très vite, beaucoup par croissance externe ces dernières années, avec un modèle de création hybride né de la synergie d’entrepreneurs, d’expertises, de métiers et de personnalités. Dans les différents modèles d’intégration, ce que j’ai appris c’est qu’il nous revient d’impulser la démarche si l’on veut voir les choses évoluer.

Qu’aimeriez-vous apprendre à l’avenir ?

M.B. : Apprendre passe par des projets et par le faire, j’aimerais donc apprendre à savourer. Chez Webedia, nous sommes toujours dans la culture du coup d’après. C’est vrai dans tout ce que nous avons fait, de la stratégie d’acquisition aux différents modèles qui ont évolué passant du métier d’éditeur, d’agent de talents, de producteur, à celui de leader dans l’univers du programmatique avec Tradelab notamment.

Philosophiquement parlant, de temps en temps j’aimerais faire un arrêt sur image, apprendre à savourer les victoires et le moment présent, me satisfaire de nos progressions, comme lorsqu’on apprend de nouveaux métiers : ces derniers mois, je prends beaucoup de plaisir à faire évoluer mes terrains de jeux habituels, plus liés à l’aspect média, vers ces fameux nouveaux modèles de production 360°.

Vos trois valeurs pour affronter les prochains mois ?

M.B. : L’intimité. Parce que nous n’avons jamais eu autant besoin d’être dans l’écoute et la proximité. Nous cherchons tous à améliorer les relations avec nos équipes, nos clients et partenaires, notre famille et nos amis. Je me suis surprise à revoir des amis que je n’avais pas revus depuis 10 ans. Je suis du genre à ne jamais rappeler. Depuis la crise, je fais beaucoup plus attention, je m’efforce à répondre tout de suite, à appeler et prendre des nouvelles. Ce besoin d’intimité, j’ai envie de le répliquer à l’échelle de l’entreprise.

L’humilité. Cette crise personne ne l’a vue arriver. Nous devons nous rappeler notre propre vulnérabilité. Le corollaire de l’humilité c’est de développer une forme de sincérité et d’honnêteté, car nous l’avons observé, cette crise touche tout le monde.

Enfin, la curiosité active. Pourquoi ? La curiosité active, c’est susciter des projets, oser poser les bonnes questions même quand on a peur de les poser pour décider plus vite, retrouver notre esprit critique… C’est positif d’être curieux, et c’est la meilleure façon de préparer le rebond en investissant des nouveaux territoires de développement.


*Soit, un collectif de jeunes créateurs de contenus/influenceurs (principalement sur TikTok) réunis dans une villa pour percer ensemble sur leurs différentes plateformes et maximiser ainsi audience et profits. Fondée par Imhotep Olympio, 19 ans, pendant le confinement, la French House gagne 150K abonnés en 48h sur Instagram et 200K sur TikTok. À date, ce sont 17 millions de followers qui suivent les péripéties vidéo de cette bande de jeunes. Avec Webedia, leur ambition de professionnalisation se concrétise, le groupe lui donnant accès à ses infrastructures de production et propres ressources.

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