Sexisme et harcèlement sexuel dans la pub : plus jamais ça !

Par Élodie C. et Xuoan D. le 07/03/2019

Temps de lecture : 21 min

Comment s'en sortir en tant que victime ? Et transformer les agences ?

Ce lundi 4 mars, un article du Monde a fait l’effet d’une bombe dans le milieu de la communication. Un cas de harcèlement sexuel et moral au sein d’une célèbre agence indépendante y est raconté, décrivant dans des détails choquants les agissements d’un directeur de la création – maintes fois interviewé par notre média – envers deux jeunes créatives, licenciées depuis, et ayant porté l’affaire devant le conseil de prud’hommes. L’agence se défend vigoureusement de la moindre faute, et annonce vouloir porter plainte contre Le Monde et toute personne relayant ces informations. (MàJ du 8 mars : l’agence et le directeur de la création annoncent avoir mis fin à leur collaboration.)

Cette enquête choc a ouvert la boîte de Pandore de nouveaux témoignages de la part de femmes travaillant en agence, citant des échanges d’une violence inacceptable. D’autres révélations et procédures juridiques sont annoncées. Des médias généralistes seraient dans les starting-blocks pour donner encore plus d’ampleur au sujet. L’heure est ainsi à la parole des victimes, et espérons-le, à leur reconstruction.

Pour les agences de communication, cette vague d’indignation digne des prémices de #metoo, de #balancetonporc, ou de la plus récente #ligueduLOL est une injonction à se transformer… pour de bon. Près de 20 ans après la sortie du livre 99F, rien ne semble avoir changé en termes de sexisme dans certaines agences, si l’on s’en tient aux récits de ces derniers jours. Or, à une époque où les agences se battent pour redevenir attractives sur le marché de l’emploi, l’immobilisme pourrait s’avérer fatal.

Ces événements constituent également une remise en cause de notre rôle en tant que média dédié à la communication. En donnant la parole sans enquête préalable à des dirigeants à la réputation sulfureuse, mais « talentueux » ou « bons en interview », nous avons contribué à ce que leurs agences et leurs carrières prospèrent. Tout en minimisant indirectement la portée de leurs supposés actes, puisque ceux-ci n’avaient pas de conséquence sur leur rayonnement dans les médias. Cela doit changer.

Humblement, cet article va tenter de faire le point sur ce qui a été révélé à date, et de livrer quelques pistes pour :
– aider les victimes de harcèlement
– « prévenir et guérir » côté agences
– faire évoluer le traitement médiatique.

Ce qui a été dévoilé

Fin 2017, dans le sillage de l’affaire MeToo et de la libération de la parole avec #BalanceTonPorc (version francophone du #MeToo repris par l’actrice Alyssa Milano pour encourager les femmes à témoigner), seuls deux articles affleurent sur la toile concernant le monde de la publicité : deux témoignages anonymisant les harceleurs d’Anaïs Richardin et d’Alexandra Matine. S’ils ont sans doute été partagés et commentés sous le manteau, rien ne remonte à la surface jusqu’à cette bombe lâchée par Le Monde ce lundi 4 mars 2019.

Pour Laurence Beldowski, directrice générale de COM-ENT et fondatrice du réseau Toute Femmes Toutes Communicantes, “La com’ n’a pas fait son MeToo. Il y un an et demi on se demandait ce qui allait bien pouvoir sortir concernant la profession puisque le sujet touchait tous les secteurs, banque, assurance, immobilier, téléphonie et com’ compris. On surveillait les réseaux sociaux et puis finalement… rien.” En début d’année lorsque le comité COM-ENT se réunit, le sujet revient sur la table. Ses membres s’étonnent de ce silence, “Même si ce milieu n’est pas le seul concerné, il n’y a pas de raison qu’il ne cache pas certains types de harcèlements, estime encore Laurence Beldowski. Avec la pression au quotidien, tout un système hiérarchique et patriarcal est très installé dans les agences. Et puis l’article du Monde est sorti lundi 4 mars et on s’est dit : ça y est, c’est parti !

Le lendemain, un premier témoignage pose sa pierre à l’édifice : la directrice de création Claire Maoui-Laugier dénonce le management sexiste et par la terreur du co-fondateur d’un groupe français en vue. Puis Léa Lecourtier évoque sur Facebook ses années passées en agence aux côtés du directeur de la création cité dans Le Monde :

D’autres témoignages suivront sous forme de « thread » Twitter, comme celui de @eowenn :

Et celui de Séverine Bavon :

Toutes dénoncent un environnement propice au sexisme et au harcèlement aussi bien moral que sexuel.

Ce type de comportement “est ancré depuis des générations, depuis que les femmes travaillent, que ce soit dans le secteur de la communication ou dans les autres secteurs”, rappelle Laurence Beldowski. L’univers de la publicité est-il plus propice qu’un autre à favoriser ce type d’agissements ? “Le milieu de la publicité a cette réputation de “coolitude” : tout le monde se tutoie, tout le monde est pote, dans les agences ont fait la fête, on boit des coups, etc. C’est certain que ce phénomène d’agence amplifie ces dérives, mais elles sont présentes partout. D’autant qu’il n’y a pas une bonne compréhension de ce qu’est le sexisme et le sexisme ordinaire qui conduit au harcèlement”, estime la directrice de COM-ENT.

Ce que les victimes peuvent faire

– Identifier ce qui est du harcèlement
En octobre 2017, en plein mouvement #BalanceTonPorc, Le Monde révélait que 3 Français sur 4 ne distinguaient pas harcèlement, blagues salaces et séduction.

Pour Christelle Delarue, fondatrice et directrice de l’agence Mad&Women : “Un compliment va de pair avec le consentement. Une blague lourde peut être injurieuse et lorsqu’elle est proférée en public peut favoriser l’instauration d’un climat sexiste lorsqu’il s’agit de déprécier ou de qualifier le corps des femmes. Ce n’est que dans la répétition que naît le harcèlement.Laurence Beldowski abonde : “Nous sommes tellement habituées à ces blagues et commentaires, qui peuvent passer pour des compliments, qu’on a tendance à dire : ‘ça va, il ne faut pas exagérer ou être trop rigoriste non plus’. Mais pour les femmes qui les subissent, cela n’a rien d’anodin. Lorsque c’est dit à répétition, avec un regard insistant et dans un rapport hiérarchique qui voit votre supérieur vous complimenter sur votre petite robe, au lieu de vous féliciter pour votre travail et votre implication, c’est totalement hors de propos et déplacé ». Elle tranche : “Il y a un indicateur très simple, c’est la répétition.

La définition juridique du harcèlement moral est précisée dans l’article 222-33-2-2 du Code pénal : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Ce délit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.

Il y a donc deux notions vraiment importantes” appuie Rubin Sfadj, avocat, membre fondateur de Jamais Sans Elles et associé gérant de proposition 47 :
• “les propos ou les comportements répétés.
• l’altération de la santé physique ou mentale.
Si l’altération est matérialisée par une ITT ou pas, et selon sa durée, la peine varie d’un à trois ans d’emprisonnement et de 15 à 45 000 euros d’amende.

Par ailleurs, la loi Schiappa (du nom de la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations) promulguée le 3 août 2018 apporte trois changements :
– à partir de cette loi, la notion de répétition ne s’entend plus nécessairement de répétitions par la même personne, mais par plusieurs personnes, concertées ou non ou à l’instigation de l’une d’entre elles (l’effet de meute décrit par la ligue du LOL notamment) dans les cas où une personne est victime d’une attaque coordonnée de plusieurs personnes. La répétition peut être constituée même avec une seule action par personne.
– la loi crée une infraction d’outrage sexiste et n’évoque plus seulement les comportements de harcèlements sexuels.
– elle introduit également la reconnaissance du harcèlement en ligne par le biais d’un support numérique ou électronique pour traiter les cas de cyber-harcèlements.

Ceci étant posé, “Rien n’exclut d’avoir une relation personnelle remplie de gentillesse à l’égard de quelqu’un, il ne faut pas tout confondre, précise Laurence Beldowski. La drague entre les hommes et les femmes n’est pas le sujet. En revanche, user de sa position hiérarchique pour faire des propositions ou imposer une relation n’est pas admissible. Lorsqu’une femme n’est pas intéressée, qu’elle dit non et que l’on poursuit ses avances, c’est du harcèlement.” Un avis que partage Rubin Sfadj : “Le but, l’objet et l’esprit de la loi, ce n’est pas de créer une société dans laquelle on n’a pas le droit de complimenter une fois quelqu’un sur sa tenue ou lui dire qu’on l’aime bien à l’occasion. Ce n’est pas cela le sujet. Nous vivons dans une société où l’on passe une grande partie de notre temps sur le lieu de travail, on y fait des rencontres et parfois de longues et belles histoires se nouent. L’esprit de la loi ce n’est pas de lisser les rapports humains, mais de lutter contre la prédation sociale. Et elle se joue dans la répétition.

Par ailleurs, lorsque le comportement ou les remarques viennent tout le temps sur le physique, mais jamais sur le travail et les succès remportés, la victime a tendance à remettre en question sa place dans l’entreprise et développer un problème de reconnaissance et de légitimité ou ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur : dois-je ma place à mon physique ou parce que je suis compétente ? Les femmes y seraient d’ailleurs plus sujettes que les hommes, rappelle France Info.

De façon générale, quelle que soit l’intention de l’émetteur, si l’on se permet de faire ou dire quelque chose à une femme que l’on n’aurait pas fait à un homme, c’est à proscrire”, estime pour sa part Ludivine Demol, chercheuse doctorante en sciences de l’information et de la communication, après avoir écrit pendant 5 ans pour la Réclame.

– Solliciter de l’écoute
En tant que victime, il est important de trouver une oreille attentive et non jugeante, et/ou de se tourner vers des structures adaptées”, estime Ludivine Demol.

Parmi elles, les syndicats et autres représentants du personnel (disponibles dans les grandes ou moyennes agences) doivent pouvoir recueillir cette parole ou conseiller les personnes qui se sentent victimes de harcèlement. D’autres structures existent, comme celles listées par l’AACC (l’Association des Agences-Conseil en Communication). En parler autour de soi c’est peut-être provoquer la libération de la parole d’autres victimes au sein d’une même entreprise ou qui ont eu affaire à la même personne.

Lorsque ces structures viennent à manquer ou font défaut, il faut s’entourer et trouver du soutien auprès de ses proches pour ne pas se sentir enfermé·e. « En parler autour de soi est important, car il y a rarement une seule victime, rappelle Laurence Beldowski. Par exemple, dans le cas de l’agence citée par Le Monde, deux femmes ont porté plainte contre le même manager ».

Le Collectif d’avocats Jamais Sans Elles a d’ailleurs été lancé pour recueillir cette parole et conseiller gratuitement les victimes en fonction de leurs intentions.

L’AACC a également publié un communiqué ce jeudi 7 mars dans lequel elle précise que l’association “et les agences travaillent en lien avec le Centre médical de la publicité et de la communication. Le questionnaire d’examen médical du CMPC s’attache particulièrement à soulever les situations de harcèlement, ou de mauvaises relations, avec la hiérarchie ou entre salariés. Dans le cadre de leurs missions de « santé au travail », les médecins du CMPC sont joignables par les collaboratrices et les collaborateurs qui peuvent les alerter et faire un signalement qui pourra donner lieu à une commission d’enquête.

Pour Christelle Delarue, il est nécessaire “d’en parler à sa hiérarchie et si cela ne suffit pas de se tourner vers des associations pluri-disciplinaires comme Women Safe et évidemment les autorités judiciaires compétentes : police et justice.

– Dénoncer
Il faut qu’on soit capable de dénoncer, estime Laurence Beldowski. Ce qui arrivera de mieux à notre profession, c’est de l’assainir. Un harceleur qui n’a pas été dénoncé continuera à harceler. Il trouvera toujours d’autres victimes et dans les 3/4 des cas, ce sont les femmes victimes qui finissent par quitter l’entreprise et non les harceleurs”.

« Cette dénonciation n’a pas nécessairement besoin d’être médiatique, de précédentes affaires se sont déjà gérées en interne. Toutefois, il est vital d’aller bout de ce process et cela passe par dénoncer », conclut-elle. En dénonçant, en nommant, on individualise un phénomène plutôt que le généraliser à toute une population.

On évite également à certaines personnes peu familières du secteur ou des ragots de frayer avec ces personnes, ou de permettre aux prédateurs de se trouver de nouvelles proies.

– Préparer et entamer une procédure
Pour Ludivine Demol, “lorsqu’un homme fait une avance déplacée à une femme, c’est parce qu’il sait qu’il ne risque rien – parce que tout le monde fait ça, parce que c’est “normal”. À ce titre, les propos du co-fondateur de l’agence cité par Le Monde, « je suis tellement parano que je laisse la porte ouverte lors de meeting avec une femme », montre bien où le fruit est pourri : on a peur d’être accusé à tort, mais pas que les femmes subissent du harcèlement”.

Le harcèlement est difficile à prouver, et il a déjà mis du temps à être considéré. Récolter un maximum de preuves est donc primordial, que ce soit des captures d’écran, des SMS, mails, conversations WhatsApp, Slack, etc.

La procédure s’enclenche par un dépôt de plainte », explique maître Rubin Sfadj. Si le délai de prescription de droit commun est fixé à 6 ans, cela ne doit pas être un frein explique l’avocat : “Avec un délit de répétition, la qualification des faits est toujours diffuse, dans certains cas il n’y a pas seulement du harcèlement, mais une constellation de délits commis à considérer. En tant que victime, il ne faut pas en rester à la surface des apparences, mais essayer d’obtenir une qualification juridique précise. C’est dans cette démarche que nous avons lancé, avec un collectif d’avocats, #JamaisSansElles, qui défend gratuitement les personnes qui s’estiment victimes de ce type d’agissements”.

Un collectif dont l’ambition est d’écouter, puis de réparer : “La première barrière à la réparation du préjudice, c’est la libération de la parole”, estime maître Rubin Sfadj. Une parole qui ne peut se libérer qu’à la condition d’être conscient d’être victime. Une victime met souvent longtemps à s’avouer à elle-même, et à comprendre, que ce qu’elle a subi est répréhensible. Souvent on a l’impression que ce ne sont que des compliments un peu insistants, ou un peu de lourdeur dans des soirées autour de la vie de l’entreprise.

D’ailleurs, en matière pénale, “la question de l’intentionnalité répréhensible s’évalue au cas par cas, précise-t-il. Autant un geste déplacé ou une parole répréhensible moralement une fois n’est pas forcément répréhensible pénalement, autant sonder l’intention d’une personne est le travail du juge. Pour arriver à ce travail-là, il faut que la parole se libère.

– La voie créative
Si certaines n’ont pas encore réussi à verbaliser les expériences traumatisantes qu’elles ont vécues, d’autres ont choisi de l’afficher au grand jour sur leur t-shirt, comme un étendard. Comme les deux créas du collectif NOT YOUR NÉNETTE, né après un entretien stupéfiant :

Après nous avoir demandé ce que « des petites nénettes de moins de 30 ans pouvaient bien avoir dans le bide », l’homme qui nous recevait en entretien a fini par nous donner un conseil très avisé : « Le gars de votre prochain entretien, je le connais : il va vous voir arriver comme deux petits poulets rôtis… Moi, si j’étais une meuf, je rentrerais dans son jeu et j’irai en mode grosse salope. » En réponse, J&M du collectif NOT YOUR NÉNETTE, affichent désormais au grand jour sur leurs vêtements leur non-consentement. En espérant que le message soit reçu…

Comment les agences peuvent changer

Comme le rappelle l’article de Slate paru ce jeudi : “Paradoxalement le secteur [de la communication] est dans son ensemble paritaire, voire légèrement féminin. L’Observatoire des métiers de la publicité compte 53,4% de femmes, mais il relève que «le pourcentage des femmes est supérieur à celui des hommes dans toutes les tranches d’âge jusqu’à 45 ans. À partir de 45 ans, les hommes sont majoritaires et leur pourcentage augmente avec l’âge. »

Pour Ludivine Demol, “Il est important de travailler sur deux choses : la remise en question, l’auto-critique sous forme d’évaluation au sein de son agence et la prise en charge structurelle avec la mise en place d’outils et autres process dans l’entreprise.

– Des outils pour guérir
Jusqu’à maintenant, les victimes n’ont pas été écoutées, poursuit Ludivine Demol. Le système judiciaire ou les process mis en place dans les entreprises ne sont pas efficaces et n’ont pas permis d’effectuer une purge. Il est donc important de mettre en place de  nouvelles politiques permettant la prise en compte de l’écoute et aboutissant à des actions concrètes, comme se tourner vers des structures compétentes qui ont pour habitude de mettre en place de tels systèmes : formations, ateliers, etc. en valorisant le gain de productivité pour les employé·es.

Laurence Beldowski milite de son côté pour l’instauration d’une cellule d’écoute avec un référent au sein de l’entreprise, comme cela se fait déjà. Une personne vers qui se tourner si on est mal à l’aise face à un comportement ou confronté à un harceleur.

« L’attitude face à ce type de comportement est adaptée en fonction de la gravité de l’agissement, mais c’est parfois subjectif donc la résolution peut se trouver d’abord dans le dialogue, explique la fondatrice de Mad&Women. Le problème est que lorsque le climat ambiant est oppressant, voire intimidant et que les manifestations sont entretenues et parfois cautionnées par la direction de l’entreprise, il devient urgent d’agir :
– accorder du crédit à la parole des victimes,
– proposer un comité d’éthique ou un.e déléguée du personnel qui à une oreille neutre, voir des syndicats »
.

– Des outils pour prévenir
La prévention de ces comportements passe notamment par un “effort de sensibilisation de la part des entreprises, quels que soient les secteurs, sur le savoir-être en entreprise, au-delà même du harcèlement moral, sexuel ou sexiste, mais également sur comment faire évoluer les techniques de management”, estime maitre Rubin Sfadj. « Il faut une prise de conscience générale sur ce sujet, comme sur les autres, et cela doit partir d’en haut : les directions générales doivent cesser de considérer ces sujets comme des sujets de cour de récré, comme ce fut le cas avec la ligue du LOL, où victimes et prédateurs ont été mis dos à dos pour s’entendre dire ‘réglez cela entre vous' ».

Sur ce sujet-là, il y a un impératif de sensibilisation et de remontée d’informations, c’est capital, poursuit l’avocat. C’est une chaîne de responsabilité et de sensibilisation qu’il faut mettre en place.

Pour Ludivine Demol, cela passe par “la mise en place de politiques au sein des entreprises. Mais celles-ci ne seront pas suffisantes sans une prise en compte individuelle de ce problème structurel. Ce sont les individus qui construisent la société et son organisation. Jusqu’à maintenant la norme était le sexisme, c’est avec un changement massif des comportements que la norme va se déplacer.

    • Ne pas tolérer le sexisme, que ce soit à l’agence ou dans les campagnes
Pour la chercheuse doctorante en genres et sexualités, le sexisme ne sera combattu que collectivement : “Il ne faut pas hésiter à relever les situations de sexisme : un homme qui, pour introduire sa collaboratrice, dit qu’elle est belle : c’est non. Parler constamment du physique de femmes ou de ses collaboratrices, c’est encore non.

Pour Rubin Sfadj, « c’est le job de la direction générale de diffuser cette conscience-là dans l’entreprise, peut-être par une communication interne forte, ou en mettant son nez dans les affaires manager/managé, en s’en lavant moins les mains. Les DRH (direction des ressources humaines) ont un vrai rôle à jouer. En cas de harcèlement dans l’entreprise, c’est vers la DRH que l’on doit pouvoir se tourner et elle-même doit pouvoir être soutenue par la direction générale. Sinon tout tombe à plat. »

À partir du moment où le critère de répétitions est central, si l’affaire arrive devant un juge, c’est un constat d’échec. C’est le constat qu’une alerte aurait dû être levée, entendue ou transmise et que cela n’a pas été le cas”, souligne encore l’avocat du collectif #JamaisSansElles.

Le vocabulaire employé en agence, entreprises et dans la vie de tous les jours est capital. À ce titre, la démarche du Tumblr Les Mots tuent est “une excellente initiative”, pour Laurence Demol. C’est le fait d’employer le terme « drame conjugal » ou « crime passionnel » pour évoquer un féminicide par exemple.

Laurence Beldowski insiste sur la nécessité de sensibiliser au sexisme ordinaire et jusqu’où on peut aller. COM-ENT a donc lancé un kit pour une communication non sexiste basé sur 10 critères. Pour sa directrice, le milieu de la publicité et de la communication doit prendre ses responsabilités : “La publicité est le reflet de notre société. Plus on vous montre un monde sexiste et plus vous vous sentez autorisé à reproduire ce sexisme, ou en tout cas à l’intégrer comme quelque chose de normal.

De son côté, Jean-Luc Bravi, président de DDB Paris, a d’ailleurs réagi dans les 24h en prévenant, par mail, ses équipes d’une tolérance zéro vis-à-vis de tels faits. Ce type de mises en garde doit circuler.

    • Les salaires et les carrières
Harcèlements, sexismes, dénigrements, pour combattre ces maux il faut également reconnaître que ce système d’entre-soi, de boys club, ce patriarcat d’un autre âge a contraint la carrière de nombreuses femmes. Pour Ludivine Demol, “il faut réévaluer les grilles de salaire et s’attaquer enfin à ce plafond de verre en reconnaissant que les structures sexistes ont empêché des femmes d’accéder à des postes. Une autocritique est nécessaire”, selon elle.

Elle va même plus loin en proposant de « supprimer la possibilité de négocier son salaire ». Elle souligne que « les femmes sont mauvaises négociatrices, elles se sous-estiment alors que les hommes se sur-estiment, c’est une des raisons pour lesquelles elles sont moins payées à compétences égales que les hommes”.

Christelle Delarue milite pour “mettre en place des démarches d’égalité, de lutte contre les stéréotypes, de promotion de l’inclusion et de promotion des femmes”.

    • Le temps de parole
La parole doit compter et non être décomptée par une “prise en charge individuelle, ateliers, formations, aussi bien sur le harcèlement que sur la répartition de la parole », estime Ludivine Demol.

Cela passe aussi par « la mise en place de nouveaux outils, la valorisation de la verbalisation des émotions », comme avec le principe de communication non violente notamment. « Ou encore la mise en place d’outils lors des réunions mixtes. Trop souvent encore, lorsqu’une femme occupe 30% de la conversation, les hommes présents ont l’impression qu’elle monopolise la parole”, souligne Ludivine Demol.

    • Les actions collectives
Si ces affaires nous ont bien appris quelque chose, c’est que le collectif est clé dans la réussite d’un mouvement.

L’AACC diffusera très prochainement à ses agences-membres des éléments d’information à destination des dirigeants d’agences pour les informer de la conduite à tenir ainsi que des obligations et risques qui sont les leurs en cas de signalement de harcèlement sexuel ou moral dans leur entreprise, ainsi que des éléments d’information à destination des collaboratrices et collaborateurs qui seraient confrontés à une situation de harcèlement sexuel ou moral. Enfin, des formations permettant de s’approprier et de diffuser ces informations, sur le modèle de celles qui existent déjà dans plusieurs groupes de communication, seront proposées par l’AACC et pourront ainsi être généralisées”, a précisé l’association dans un communiqué.

Aux États-Unis, #MeToo a donné naissance à Time’s Up, un mouvement fondé le 1er janvier 2018 par plusieurs célébrités hollywoodiennes, en réponse à l’affaire Weinstein. Le mouvement a levé 20 millions de dollars un mois plus tard pour venir alimenter son fonds de défense pour les victimes. À quand une association en France de défense des femmes dans la publicité qui s’inspire de ce modèle ?

Comme il n’existe pas d’associations sectorielles et spécialisées en matière de droits des femmes dans la publicité, j’ai initié le lancement d’un collectif d’empowerment 100% féminin dont l’objet est de protéger, défendre et promouvoir les femmes dans la publicité par le biais de la sororité, le collectif « Les Lionnes » assurera cette responsabilité dans les jours à venir”, nous a révélé Christelle Delarue. Une première étape qui en appelle d’autres, beaucoup d’autres, mais qui doivent surtout s’inscrire dans un mouvement collectif.

Ludivine Demol aimerait que ce qui s’ouvre aujourd’hui incite les agences à aller vers davantage de diversité, notamment ethnique : « Quitte à faire des changements, autant ouvrir et y inclure racisme, homophobie et transphobie. Mais bon, au moins prendre en compte le racisme en entreprise, ce serait déjà une grande avancée. »

À ce titre, la doctorante renvoie vers « le travail formidable de @napilicaio. C’est vers elle qu’il faut se tourner pour l’interroger sur ce qu’il y a à faire. Vraiment », conclut-elle.

Le rôle des médias

Produit sérieusement et avec éthique, un média B to B opère une distinction nette entre rédaction et régie publicitaire, information journalistique et contenu sponsorisé. Mais au sein de ce modèle, les lecteurs sont potentiellement aussi les sujets des brèves ou des interviews, ainsi que les clients (abonnements, achats média, inscriptions aux prix, rubrique emploi, formation…) Cela ne favorise pas l’émergence et la viabilité économique d’un média spécialisé dans les révélations douloureuses. Voilà probablement pourquoi c’est Le Monde, un média généraliste de référence, qui a opéré la dénonciation #metoo la plus spectaculaire de la communication. Et non pas Stratégies, CB News, l’ADN ou la Réclame.

Cependant, tous ces médias ont forcément eu écho des présomptions de sexisme et de harcèlement de figures de la communication. Certaines consœurs ont même été confrontées à des comportements déplacés lors d’interviews ou de festivals. C’est le cas d’Anaïs Richardin, ex journaliste à Stratégies, comme celle-ci le racontait fin 2017 lors de l’émergence de #metoo.

Que pouvons-nous faire en tant que média ? Enquêter quand un potentiel interviewé a « une réputation » par exemple. Si celle-ci est confirmée par des témoignages nombreux ou variés, il faut agir. Ne pas tolérer par exemple que l’interviewé fasse son « femwashing » ici-même en prônant le féminisme dans la publicité comme lors de notre dossier sur les tendances créatives de 2018.

Ne pas opérer un « blacklistage » punitif mais plutôt donner la parole à d’autres personnes de l’agence. Pousser les RP et dircoms à nous proposer d’autres profils. Comme nous l’avons récemment vu avec les directrices de création, les agences regorgent de profils au moins aussi talentueux que ceux qui sont systématiquement proposés aux médias. La presse a aussi un rôle décisif à jouer en relayant les initiatives vertueuses des agences : diversité ethnique, parité, politique sociale ou environnementale… Ces nouveaux modèles auront besoin de davantage d’attention pour devenir des normes.

Nous concluons ainsi cet article que nous avons conçu comme une boite à outils contre le harcèlement dans la communication. En espérant qu’il serve avant tout aux victimes, et dans un second temps aux agences et aux médias pour que le secteur se transforme pour de bon.

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