Comment Singer a upcyclé la seconde main

Par Élodie C. le 28/10/2021

Temps de lecture : 6 min

La preuve par (x)4.

C’est le chiffre qui fait mal : presque 60 % des Français possèdent jusqu’à dix vêtements qu’ils ne portent jamais. Certains les revendent, d’autres les recyclent ou les customisent. Mais n’est pas Jean-Paul Gaultier ou Jacquemus qui veut. Les plateformes spécialisées dans la seconde main débordent de vêtements et autres articles qui peuplent nos armoires. Face à une offre pléthorique, la demande s’amenuise et un article met parfois plusieurs mois, voire plus d’un an à trouver preneur. 

C’est de ce constat qu’est partie l’agence Josiane pour placer Singer à la place qui est la sienne, la création, à un moment où chacun souhaitait réinventer son quotidien et ses modes de consommation. Avec 170 ans d’expérience dans le savoir-faire créatif et alors que la seconde main, et l’upcycling s’imposent déjà, l’agence Josiane entreprend de renouveler cette tendance.

Dans ce nouveau bilan de campagne, Laurent Allias, cofondateur de Josiane, revient sur cette activation de marque où se croisent deux écoles, une dizaine d’influenceurs et une association.

Le contexte

Au moment du confinement, le mouvement des makers, le DIY et l’autofabrication se sont imposés. Entre les fabricants de masques, les apprenti.e.s boulangers et les stylistes en herbe, de nombreuses personnes se sont senties l’âme créatrice. Et en matière de consommation, promis, rien ne sera jamais plus comme avant… ou presque. 

Déjà portée par des plateformes de revente de produits de luxe ou de prêt-à-porter, la seconde main et le recyclage s’imposent auprès de ceux qui, pour des raisons économiques, environnementales ou sociétales, veulent revoir leurs usages. Un engouement désormais visible non plus seulement chez les particuliers, mais également chez les marques qui développent leur propre plateforme et offre (de la Redoute avec la Reboucle à Zalando, Aigle, Camaïeu, Petit Bateau, etc.). 

Chez Josiane, on réfléchit justement à la façon dont les marques peuvent songer à de nouveaux modèles économiques vertueux. L’idée est de creuser un sillon et envisager « le rôle quasi sociétal que les marques peuvent prendre dans le faire, la preuve », souligne Laurent Allias, cofondateur de Josiane. L’entreprise Singer est un client de l’agence depuis 3-4 ans. Dans un tel contexte, le sujet du upcycling est logiquement venu sur la table, et l’agence estime alors que Singer a l’espace pour amener une réflexion dessus : « La seconde main est présente partout depuis quelques années, une marque comme Singer qui fête ses 170 ans peut amener son petit grain de sable et donner un second souffle singulier à la seconde main », confirme Laurent Allias. Le planning stratégique entre alors dans la danse et cherche « les angles morts, les trous dans la raquette » des sites de seconde main. L’un d’eux ressort : le nombre de vêtements invendus.

Le brief tombe : comment upcycler l’upcycling ?

La campagne

« Re-invinted with Singer » est une campagne pensée en collaboration avec les étudiants de l’ESP (École Supérieure de Publicité) et de l’ESD (École Supérieure du Digital). Il faut repartir un an et demi en arrière. En mars 2020, juste avant le confinement, Singer noue un partenariat avec ces deux écoles. Josiane les briefe sur la marque : pour ce projet d’étude, les élèves doivent travailler la marque et réfléchir à des insights proposés par l’agence. Dans l’un des groupes, une idée surgit : « Hackons une plateforme de seconde main ». Josiane reprend la balle au bond avec Singer et les étudiants, travaille le naming et la mécanique de la campagne pour l’amener à sa forme aboutie. Le projet étudiant devient en bout de course l’activation « Re-invinted with Singer ». Pour singer une plateforme que nous ne nommerons pas.

Josiane source ensuite des couturiers influenceurs autour du DIY, « des voix nouvelles » comme Rosabohneur, Tiboudnez ou encore Ilovedoityourself (@rosabohneur, @tiboudnez, @ilovedoityourself, mais aussi @robin_lrdr @loamaol et @maison_cee), puis achète des vêtements invendus depuis plus d’un an sur des plateformes de seconde main et les confie aux créateurs au cours d’un atelier « Do It Yourself », chapeauté par l’agence La Louve and Partners, chez Bobines et Combines pour les customiser et créer une collection capsule tendance et engagée d’une quinzaine de pièces. Dans le même temps, un site d’enchères est créé (inactif aujourd’hui) pour visualiser la progression depuis le prix de base jusqu’au prix d’achat. 

De leurs côtés, les influenceurs ont mis en avant leurs pièces sur leurs propres réseaux sociaux pour promouvoir la vente aux enchères dont les bénéfices ont été reversés à l’association La Refile. « C’est une opération de communication dont l’objectif est de prouver que d’autres modèles et projets sont possibles. » Un indice du mouvement à l’œuvre : lors du confinement, les ventes de machine à coudre ont explosé, Singer a multiplié ses ventes en ligne par 4 en avril 2020 vs la même période l’année passée.

Les résultats

Un mois après l’activation :

– 1 732 enchères pour une collection de 15-20 articles ;

– +200 % de bénéfices en moyenne par vêtement : x4 par rapport au prix vendu/acheté sur ces plateformes spécialisées ;

– 205 K vues ;

– 14 500 likes

– 1 300 enchères 

« C’est une opération presque sans budget, sans média, et très prospective, on teste quelque chose et on voit ce que cela donne. »

Le case study

Les clés de réussite

– La seconde main
« La démarche a permis de fédérer du monde autour de l’opération, que ce soit la marque, l’association, les étudiants, les influenceurs et l’agence : un écosystème s’est créé », se félicite Laurent Allias.

« C’est surprenant de voir la place qu’une marque patrimoniale peut prendre dans la société avec un trend au goût du jour et une véritable démarche qui prouve, démontre, réfléchit à de nouvelles façons de faire. »

– La modernité de la marque
Même à 170 ans, Singer a su être là où, a priori, on ne l’attendait pas. « La marque est devenue très moderne en 5-10 ans grâce à l’upcycling et le DIY. Sa signature est passée de ‘165 ans de savoir-faire’ à ‘170 ans de savoir créer’ : cela fait autant référence à la création pure qu’à la création de valeur. »

– L’engagement et la réalité économique
« L’upcycling et le DYI étaient jusqu’alors une nouvelle façon de faire en opposition ou en amélioration d’une société de consommation pernicieuse. Ici, Singer fait de même et recycle l’upcycling par le haut. » 

Laurent Allias souligne également la corrélation entre la capacité à gagner de l’argent tout en étant vertueux. Ce que certains nomment « l’econologie » : soit la contraction des mots économie et écologie, néologisme inventé par l’ingénieur Christophe Martz en 2003.

« La puissance de la démarche et le résultat sont très intéressants. Cela prouve que l’on peut être responsable sans se départir d’une réalité économique derrière. Les marques ont un rôle d’éveil des consciences, et doivent montrer que de nouveaux modèles sont possibles, ce que les associations et startups font très bien. Si des marques établies parviennent aussi à le montrer, elles reprennent un rôle dans la société. » 

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