L'étude du Boston Consulting Group x Vestiaire Collective.
La seconde main serait-elle le nouvel eldorado du luxe ? Loin de lui nuire, la croissance des plateformes de revente en ligne représente un vivier de nouveaux clients pour ces marques, au premier rang duquel les millennials et la génération Z règnent en maîtres. Le marché de la seconde main devrait atteindre 36 milliards de dollars en 2021, et représente une opportunité d’interaction innovante pour les marques. Si l’attrait des prix cassés est plébiscité, la dimension environnementale compte autant, si ce n’est plus, pour ces jeunes générations, comme le révèle l’étude réalisée par la Boston Consulting Group en partenariat avec Vestiaire Collective auprès de 12 000 consommateurs européens et 1 005 clients de la plateforme.
Le phénomène Vinted a certes contribué à populariser le marché de la seconde main, mais les vide-dressings 2.0 ne datent pas d’hier. Le luxe y est également très présent avec des acteurs comme Vestiaire Collective et Vide Dressing qui se sont spécialisés sur ce segment et offrent une porte d’entrée vers le monde du luxe pour ceux qui en sont habituellement exclus. Ainsi, les mordu(e)s de mode et adeptes du vintage peuvent trouver une grande variété de pièces siglées Chanel, (Yves) Saint Laurent, Céline, Lanvin, Dior ou Fendi à des prix accessibles (du moins plus qu’en boutique) et parfois peu, voire pas du tout portées.
Si l’industrie du luxe n’ignore évidemment pas ce marché, force est de constater qu’elle joue la belle indifférente. Pourtant, le secteur est riche en opportunités d’après l’étude menée conjointement par Vestiaire Collective et le Boston Consulting Group (BCG) “Why luxury brands should celebrate the pre-owned boom” : « Alimentée par les plateformes digitales, qui génèrent 25% des ventes globales du luxe d’occasion, la seconde main devrait progresser en moyenne de 12% par an, contre 3% en moyenne pour le marché du luxe. Avec 36 milliards de dollars en 2021, ce marché représente aujourd’hui 9% du marché total du luxe », précise l’étude.
En outre, l’émergence de nouveaux consommateurs « conscients » et « digital native », les fameux millennials, soucieux d’éthique, de durabilité et de transparence, est un levier de croissance pour l’industrie du luxe : en 2025, ils représenteront 45 % des clients du luxe (source, cabinet Bain & Co). En réponse, les différentes Maisons ont modifié leur prise de parole et sont désormais plus enclines à rajeunir leur image et piocher leurs égéries chez les icônes de cette nouvelle génération qu’elles soient réelles – Bella et Gigi Hadid, Kendall Jenner, Cara Delevingne, Rihanna, Zendaya ou Dua Lipa – ou irréelles (la Balmain Army 3.0).
Plus qu’une menace sur leur valeur et image de marque, le marché du luxe d’occasion ne pourrait-il pas ouvrir l’industrie à de nouveaux marchés ? Et lui permettre ainsi de recruter et de fidéliser plus tôt, tout en surfant sur la vague de la durabilité et de l’économie circulaire. Rappelons que la mode est considérée comme l’une des industries les plus polluantes au monde…
L’étude du BCG relève ainsi 3 principales opportunités pour les marques de luxe à investir le marché de la seconde main.
Recruter de nouveaux clients… chez les millennials ?
Les acheteurs du luxe d’occasion n’ont souvent pas la possibilité de s’offrir de tels produits neufs. La seconde main représente donc une porte d’entrée vers l’univers du luxe de première main. 71% des personnes interrogées indiquent acheter des marques auxquelles elles n’ont pas accès en temps normal, souligne ainsi l’étude. Pour preuve, l’auteure de cet article a pu acquérir sa première veste Yves Saint Laurent “vintage” sur Vinted cette année… pour 30 euros. Une opportunité pour les marques de toucher d’autres publics et de convertir de nouveaux prospects. En effet, en vieillissant, leur pouvoir d’achat peut augmenter et les conduire à acquérir des produits neufs… qu’ils revendront à leur tour. Parmi les personnes interrogées, 62% ont déclaré avoir acheté pour la première fois une marque sur Vestiaire Collective et la quasi-totalité de ces 62% se disent prêts à racheter la même marque. Une aubaine puisque 57% des répondants assurent qu’ils achèteraient une nouvelle fois ou considèreraient l’achat de première main d’après l’étude. Cette accessibilité 2.0 leur ouvre un monde auquel ils n’avaient pas songé. L’explosion de la vente en ligne a accéléré ce phénomène en démultipliant le nombre de consommateurs.
Par ailleurs, les consommateurs que les marques – de luxe notamment – veulent tant capter sont ceux-là mêmes qui trustent le marché de la seconde main : 54% de la génération Z et 48% des millennials consommateurs de luxe achètent des produits de seconde main. Contrairement à leurs aînés puisque seuls 38% des consommateurs de luxe de la génération Z et 35% de ceux appelés les “Baby Boomers” achètent de l’occasion. En collaborant avec les acteurs de la revente du luxe d’occasion les marques pourraient mieux lutter contre les contrefaçons , tout en créant de nouvelles conversations innovantes avec leurs client(e)s.
Les plateformes de revente offrent un large éventail de produits très prisés, des pièces vintage, aux éditions limitées en passant par les fameuses collab’ : 90% des personnes interrogées sont familières avec les collaborations opérées par l’industrie du luxe et 50% disent avoir déjà acheté des éditions spéciales ou des pièces issues de collaborations, souligne l’enquête du BCG. En sus, 62% des acheteurs privilégient le marché de l’occasion parce qu’ils recherchent des articles épuisés, des éditions anciennes ou limitées.
Les vendeurs de luxe d’occasion sont des acheteurs de 1ere main
Comme le pointait Korii (verticale tech de Slate) en avril dernier, si les friperies en ligne sont “présentées comme un moyen de vider son armoire en donnant une seconde vie aux vêtements”, ces vide-dressings en ligne encouragent “surtout à acheter toujours plus”. Une boulimie d’achat qui se vérifie principalement avec les marques de fast-fashion, dont les prix débutent à quelques euros sur des plateformes comme Vinted. Les vendeurs proposent souvent des promotions sur les lots, encourageant d’autant plus l’acte d’achat. Pour ce qui est du luxe, les vendeurs de seconde main sont majoritairement des acheteurs sur le marché du luxe traditionnel qui souhaitent récupérer une partie de la somme dépensée pour la réinvestir dans des pièces neuves (32%). D’ailleurs, ils n’achètent que très rarement des pièces de seconde main : “Parmi la totalité des ventes sur Vestiaire Collective, 70% d’entre elles sont générées par des vendeurs qui achètent rarement d’occasion. De plus, 44% des vendeurs ont déclaré avoir acheté des articles de luxe plus chers que ceux qu’ils auraient initialement choisis si le marché de la revente n’existait pas”, confirme l’étude. Les plateformes remplissent ainsi un vide laissé par les marques et les boutiques physiques qui attendent bien souvent que le client / prospect franchisse leur perron doré.
“70% des ventes sur Vestiaire Collective proviennent de vendeurs qui achètent rarement chez nous. Ces derniers sont des acheteurs de première main, fidèles aux marques, qui utilisent la revente pour renforcer leur pouvoir d’achat sur le marché du luxe traditionnel.” Maximilian Bittner, CEO de Vestiaire Collective.
La revente est un mécanisme efficace pour les marques de luxe : en augmentant le pouvoir d’achat des vendeurs de luxe d’occasion, elle crée “une opportunité d’augmenter les ventes sur le marché primaire”.
Durabilité et luxe circulaire
Grâce à la seconde main, l’industrie du luxe trouve ici un moyen de soutenir l’économie circulaire, un facteur de différenciation de bon ton alors que leurs jeunes clients / prospects scrutent religieusement leurs initiatives en matière de durabilité et les responsabilités sociales des entreprises (RSE).
La plupart des produits vendus sur ces plateformes d’occasions sont de très bonne qualité : 62% sont peu ou non portés (de 3 à 10 fois selon l’enquête), précise Vestiaire Collective. L’impact écologique est également un critère de choix pour 70% des répondants. Une économie du luxe circulaire se crée au sein d’une industrie de la mode parmi les plus énergivores de la planète. De plus en plus de marques, de luxe notamment, mettent en avant leur démarche éco responsable, même si ce type de communication et de (re)positionnement est diversement apprécié, comme l’a démontré la récente étude de l’Observatoire du Goodvertising.
Les jeunes générations restent cependant les hérauts de la durabilité et sont en quête d’éthique et de sens dans leur acte d’achat. Ces enjeux de durabilité et de protection de l’environnement ne sont pas nouveaux pour Stella McCartney, pionnière d’une mode vegan dans l’univers du luxe : « Si chaque seconde, un camion de fast-fashion est incinéré ou mis en décharge, alors je suis une grande, grande, croyante en la réutilisation et en la participation à l’économie circulaire », a-t-elle affirmé dans une interview à Vogue en février dernier. En témoigne son partenariat avec The RealReal, portail américain dédié aux articles de luxe d’occasion.
“If every single second there’s a truckload of fast fashion being incinerated or landfilled, then I’m a big, big believer in reusing that and [participating in] the #circular economy” – fantastic interview with Stella McCartney via @voguemagazine https://t.co/FdMEWODJrf pic.twitter.com/ck8xUYXtkL
— Fashion for Good (@FashionforGood) February 24, 2019
Selon le groupe d’action environnementale WRAP, « prolonger la durée de vie des vêtements de seulement neuf mois supplémentaires d’utilisation active réduirait le carbone, les déchets et les empreintes de déchets d’environ 20 à 30 % chacun ». La mode est responsable de 20 % des rejets d’eaux usées et de 10 % des émissions de CO2 dans le monde, selon l’ONU.
Cette nécessaire nouvelle donne doit s’incarner dans le “fashion pact”, présenté lors de la dernière édition du G7 cette année : 30 groupes de la mode, représentant 147 marques, dont Kering, Burberry, Chanel, Hermès, y ont présenté leur “pacte de la mode”. Principaux objectifs : atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050, et passer à 100% d’énergies renouvelables sur la chaîne d’approvisionnement d’ici 2030.
A contrario, ceux qui s’aventurent à brûler leurs produits de luxe invendus s’exposent à un feu nourri de critiques. Burberry en a fait l’amère expérience en 2018 lorsqu’il a été révélé que la marque britannique avait incinéré pour plus de 30 millions d’euros d’invendus l’année précédente “au nom de la protection de la marque”. Face à la polémique, Burberry a depuis renoncé à une telle pratique au profit du recyclage, comme une main tendue à sa jeune clientèle.
Le luxe face à de nouveaux défis
Les modes de consommations changent, et s’opèrent désormais en ligne, les marques de luxe peuvent difficilement se couper d’une partie de leurs clients puisque, rappelons-le, les millennials et la génération Z représentent la majorité des consommateurs de seconde main. Ces nouveaux modes de consommation expliquent en partie le boom de ce marché. “Les maisons qui souhaitent s’engager dans actions plus écoresponsables bénéficieront de cette économie circulaire du luxe », assure Olivier Abtan, directeur associé au BCG et responsable de l’expertise luxe au niveau mondial.
Toutefois, si l’aubaine est là, les maisons de luxe ne semblent pas tiraillées pas l’envie de se frotter à ce marché. En ont-elles seulement besoin, au-delà des initiatives ponctuelles ?
*Méthodologie :
Basée sur une étude auprès de 1005 clients de Vestiaire Collective en octobre 2018, et sur la base des 12 000 répondants de l’étude BCG x Altagamma (2019).