Pourquoi Pernod Ricard a arrêté le community management

Par Élodie C. le 18/03/2021

Temps de lecture : 9 min

Dark social, contenus longs et temps forts.

Après une année où le temps passé en ligne a explosé et avec lui, la consommation de contenus, développer et maintenir sa présence sur les médias sociaux est devenu primordial pour toute marque souhaitant rester connectée avec ses audiences. Qui plus est dans un monde où la majeure partie de notre vie sociale se déroule désormais sur Internet. 

Stopper toute stratégie d’animation de communauté pourrait ainsi sembler contre-intuitif. C’est pourtant le pari pris par Pernod Ricard pour l’ensemble de ses marques. Adieu community management classique, bonjour mini-campagnes de brand content répondant à des temps forts. Il ne s’agit plus seulement de communiquer, mais de raconter des histoires pour créer une vraie conversation plutôt qu’une simple interaction.

Cécile Milesi, consumer connection director chez Pernod Ricard, revient sur ce virage stratégique pour la marque dans cette nouvelle interview Parole d’annonceur.

Quels sont les grands défis des marques Pernod Ricard actuellement ?

Cécile Milesi : Notre défi est résumé dans ces quelques mots que vous retrouverez partout au moment d’évoquer Pernod Ricard, celui d’être créateur de convivialité. Une ambition qui s’exprime dans un portefeuille très large de 22 marques activées en France, dont Ricard, Ballantine’s, Chivas, Absolut, Kahlúa, Beefeater, un certain nombre de marques de malt, Clan Campbell, etc. 

Notre mission est de connecter les gens à nos marques en jouant sur le terrain de jeu donné par la réglementation avec la loi Evin, à la fois sur les contenus et les médias eux-mêmes. Nous ne pouvons pas communiquer à la télévision et au cinéma par exemple. L’enjeu est donc de développer notre portefeuille sur ces terrains de jeu là, et de s’exprimer sur le digital pour des raisons évidentes d’évolution des usages, fortement accélérée par le Covid. 

Dans ce contexte, nous avons gagné deux-trois ans d’évolution dans la structure de nos mix média et marketing.

Comment vous êtes-vous adapté à la crise sanitaire alors que les restaurants et bars sont fermés et la plupart des événements annulés ?

C.M. : C’est un véritable challenge pour nous : toute la consommation hors domicile, dans les bars, les restaurants et les lieux de convivialité pèse historiquement. Notre force de vente nous permet un maillage de nombreux établissements. C’est l’un des points forts de Pernod Ricard. La crise liée au Covid a donc eu de lourdes conséquences. 

Il a fallu trouver un moyen de remplacer les points de contacts physiques avec les marques par du digital. Évidemment, la dégustation est irremplaçable et ne peut trouver d’alternative digitale. Comme pour la découverte de nos produits… qui se consomment en physique. Néanmoins, nous avons beaucoup réfléchi à la façon de compenser ce biais-là, notamment en maintenant nos niveaux d’investissement sur 2020. Ce qui fut assez rare sur les secteurs « bières et spiritueux ».

Nous restions persuadés de deux choses :
– Lâcher c’est perdre le lien avec nos consommateurs ;
– Il y a beaucoup de choses à faire sur le digital, c’est une opportunité de proposer des contenus correspondant à des usages qui s’accélèrent : le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 48 % lors du 1er confinement et 15 % sur l’année au global.

C’est colossal ! Les marques ont pris le parti d’envisager cela comme une opportunité de transformation. La Covid a accéléré les mouvements de transformation déjà engagés. 

Pernod Ricard ne fait plus de community management classique, expliquez-nous cette démarche ?

C.M. : Nous sommes nombreux à faire ce constat-là. Chez Pernod Ricard, nous avions déjà partagé cette observation avec notre agence Gangstères : nous faisions face à une évolution très forte des réseaux sociaux et à des comportements très différents. Avec le community management, nous ne suivions pas les bons indicateurs : les likes, les commentaires, etc., l’interaction ne se résume pas à ça. Surtout, cela ne faisait plus sens par rapport aux usages de nos cibles. On le voit avec les nouvelles générations qui n’interagissent plus sur Facebook, voire quittent la plateforme. En revanche, il y a un véritable déport sur d’autres plateformes.

Développer un savoir-faire créatif nous a prouvé qu’il valait mieux se concentrer sur une création de grande qualité et raconter une histoire, plutôt que de déployer une stratégie d’occupation de terrain en multipliant les messages moins significatifs.

Le mot d’ordre a été de se recentrer : revenir à une communication meaningful, car c’est ce type de communication de qualité qui crée de l’intérêt et de l’émergence. Nous prenons donc le parti de faire moins, mais beaucoup mieux. De parler lorsque nous avons des choses intéressantes et légales à dire. Ce constat a été fait il y a un an et demi et depuis nous travaillons la mutation de nos marques sur une articulation média un peu différente.

Auparavant, nous avions des campagnes et du community management. Aujourd’hui, nous déployons des campagnes et des temps forts durant lesquels nous engageons nos audiences sur des thèmes donnés. Thèmes qui sont choisis, très poussés et font objet de contenu de qualité en format long : c’est un vrai virage « mindset ». Après toutes ces années de short content sur les réseaux sociaux, il a fallu changer à nouveau de point de vue pour aboutir à une logique différente et enrichir le discours des marques. Et cela passe par le contenu. C’est un changement culturel, un nouveau pari entrepris sur une marque, puis deux, puis trois, etc. 

Ce tournant philosophique est-il lié à une réflexion interne ou à la recommandation d’une agence ?

C.M. : Nous avons eu la chance d’obtenir de bons résultats très rapidement, ce qui nous a encouragés dans cette démarche. Dès le démarrage de cette réflexion, Gangstères est intervenu avec une idée structurante pour nous convaincre, nous rassurer et exécuter nos projets. Cette aventure, nous l’avons faite ensemble.

Pour répondre plus précisément à votre question, nous nous sommes véritablement rejoints. Après, l’agence Gangstères a certainement dû instiller l’idée bien avant qu’on commence à l’inscrire sur un slide. Nous nous connaissons depuis très longtemps, je ne saurais dire qui de la poule ou de l’œuf est arrivé le premier, mais on se nourrit mutuellement. C’était un discours tenu par Gangstères, que nous entendions, tout en se posant la question d’y aller ou non. Ensuite, remobiliser sur des contenus longs sur les réseaux sociaux paraît quelque peu contre-intuitif, voire même très contre-intuitif : ce n’est pas une recommandation de Facebook et Instagram par exemple. 

Il faut lutter contre les courants, oser faire un pari, ça mobilise des ressources, du temps, un budget interne à réorienter sur la création — fini les GIF animés en somme — pour sortir des mini campagnes qui nécessitent un alignement interne. Le virage avait déjà été entrepris sur quelques marques avant d’être étendu, c’était le bon moment puisque 2020 nous a véritablement portés dans cette stratégie. 

En quoi consiste votre nouvelle stratégie de communication ?

C.M. : Concevoir des contenus longs, de qualité pour créer une vraie conversation autour de nos marques.

Pour Ballantine’s par exemple, nous avons réalisé une série de trois contenus avec des artisans autour d’une cible définie : des hommes, buveurs de whisky, de 35 ans et plus, très présents sur Facebook et YouTube, et un peu moins sur Instagram. Nous avons donc travaillé sur le thème d’objets de service et de recettes conçus par des artisans partenaires : un ébéniste, un souffleur de verre et un boulanger. 

Ces contenus de 30 secondes sont diffusés sur Facebook et Instagram notamment, ce qui n’est pas la « best practice » de ces plateformes et pourtant grâce à cette stratégie-là nous avons multiplié par 2 nos vues à 100 %. Tandis qu’auparavant, il s’agissait de vues à 3 secondes. C’est un changement radical en termes d’efficacité : en augmentant notre contenu, plus de monde le regarde, mais surtout plus longtemps. 

On aurait tendance à focaliser ces changements sur la cible 18-35 ans, alors que cette stratégie est aussi efficace sur des cibles plus âgées et traditionnelles, comme celle de Ballantine’s.

Justement, avez-vous des chiffres ou des résultats à nous communiquer sur ce virage communicationnel ?

C.M. : Cette multiplication des vues par 2 à 100 %, qui est majeure pour nous. Mais aussi un taux de complétion excellent pour des vidéos de 30 secondes (x 2 également). Nous pilotons des vues longues sur les réseaux sociaux grâce à ces contenus.

Un KPI marquant : il y a très peu de différences entre les vues de 10 secondes et celles de 30 secondes, on n’observe pas de grande déperdition. 

Avec Mumm par exemple, nos vidéos digitales génèrent x3 en termes d’efficacité, la cible est plus jeune, nous déployons donc nos contenus principalement sur Instagram et aussi sur Pinterest. Nous avons d’ailleurs obtenu un énorme succès sur cette plateforme, c’est une très belle surprise. Pinterest a surperformé en 2020, nous l’utilisons depuis quelques années et elle ne fait que croître, on voit véritablement la plateforme s’envoler sur nos contenus.

Ce contenu digital s’inscrivait dans la campagne de fin d’année de la marque, en écho à l’affichage notamment. Ce segment digital va plus loin qu’un community management à l’année en termes de résultats : x 3 en vue de 20 secondes donc à complétion, ce qui développe autant le quanti et que le quali puisque nous avons pu mesurer la mémorisation de nos publicités : l’efficacité est totalement vérifiée en brand monitoring.

Cette approche va-t-elle s’inscrire dans le temps ?

C.M. : Oui, il n’y a pas photo comme on dit. Après, les contenus longs ont leur place, les contenus plus courts également dans le cadre des campagnes, ce sont deux objectifs différents. Toutefois, pour la création de considération, il est désormais incontournable d’avoir des histoires à raconter.

Nos marques ont des choses à raconter, il ne faut pas hésiter à le faire, il nous revient toutefois de trouver la bonne manière de le faire. Mais c’est un autre enjeu, il faut avoir une bonne agence ! Quoi qu’il en soit, malgré la loi Evin, la limitation des thèmes autorisés — origines, produit, lieu de vente, façon de servir ou d’accompagner — nécessite une belle exécution. L’autre élément de surprise a été de parvenir à dérouler cette stratégie dans un angle de régulation relativement fort.

Qui dit fin du community management, dit fin de la communauté pour les marques Pernod Ricard ? Comment conservez-vous le contact avec elle ?

C.M. : Au travers de nos contenus. Cette nouvelle stratégie ne change pas nos objectifs : engager des personnes sur nos marques. Simplement, la manière pour y parvenir est différente.

Et pour finir, la question traditionnelle de notre rubrique Parole d’annonceur : quel est le secret d’une relation annonceur-agence réussie ?

C.M. : Le long terme. Nous n’aurions pas entamé ce virage aussi sereinement sans placer une confiance absolue dans la capacité de Gangstères à délivrer de la haute qualité. 

Nous avons des sujets créatifs compliqués, ce qui n’est pas évident, car cela nous rend logiquement très exigeants, nous imposons beaucoup d’étapes de validation. Nous ne sommes pas des clients faciles au quotidien si je puis dire, mais le fait de pouvoir se faire confiance et travailler en toute transparence est le secret de la réussite d’une bonne relation annonceur-agence. Il faut pouvoir se dire les choses.

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