Comment YOP continue de parler « jeune » à 50 ans ?

Par Élodie C. le 14/11/2024

Temps de lecture : 12 min

L'interview de Bérangère Elan, Head of Marketing Yoplait France.

À 50 ans, YOP n’a rien perdu de son caractère audacieux. Un prérequis quand on s’adresse aux jeunes générations depuis autant de décennies. Avec TikTok en fer de lance de sa stratégie digitale, et un « crew » d’adolescents en direct pour valider chaque contenu, la marque veut rester authentique et proche de sa cible. YOP n’omet donc pas les préoccupations de son public autour du sucre, ni la nécessité de capter l’attention de jeunes constamment sollicités, 

Soutenue par les agences Gangstères et The Source, YOP capitalise sur ses racines tout en s’adaptant aux nouvelles attentes, prouvant que la longévité n’est pas incompatible avec la fraîcheur et la modernité. 

Bérangère Elan, directrice marketing Yoplait France, nous explique comment la marque continue de parler le langage de la jeunesse.

Quel est le principal défi de la marque YOP aujourd’hui ?

Bérangère Elan : La première chose à noter concernant YOP est que la marque doit s’adresser à deux cibles distinctes, ce qui constitue une spécificité importante. D’un côté, nous avons les adolescents, qui sont nos consommateurs, et de l’autre, les parents, qui sont les principaux acheteurs. Le premier défi est donc de réussir à concilier ces deux cibles, consommateurs/acheteurs. Pour cela, deux approches s’offrent à nous : soit nous ciblons directement les parents, en partant du principe qu’ils décident des achats pour le foyer et que les adolescents consommeront le produit ; soit, à l’inverse, nous nous concentrons sur les adolescents en espérant qu’ils réclament du YOP à leurs parents. C’est cette seconde option que nous avons choisie, en privilégiant donc les ados comme cible principale, qui pourront influencer leurs parents acheteurs.

Une fois cette stratégie définie, un second défi se pose : parvenir à capter l’attention des adolescents de manière pertinente. Cette cible est complexe en communication, car elle évolue constamment. Chaque année, une nouvelle génération de jeunes entre dans cette tranche d’âge, rendant notre cible particulièrement mouvante. C’est aussi un public exigeant et souvent critique envers les marques. Il est donc crucial d’être extrêmement pertinent pour éviter un effet contre-productif. C’est là notre principal défi : réussir à rester pertinent sur le long terme auprès des adolescents.

YOP a fait le choix audacieux d’abandonner Instagram pour se concentrer exclusivement sur TikTok. Qu’est-ce qui a motivé cette décision stratégique ?

B.E. : En observant les chiffres, on constate que les adolescents passent en moyenne autant de temps sur Instagram que sur TikTok, soit environ une heure trente par jour sur chaque plateforme. C’est une consommation considérable des réseaux sociaux, mais l’usage qu’ils en font varie selon la plateforme. Instagram est une vitrine pour les marques, avec des contenus soignés et très esthétiques. Pour les adolescents, c’est donc une source d’inspiration où ils puisent des idées et des modèles pour leur quotidien. TikTok, en revanche, occupe une place plus personnelle dans leur vie quotidienne, mêlant divertissement et apprentissage. Les contenus y sont plus authentiques et moins travaillés, reflétant la « vraie vie ».

Notre objectif avec YOP étant de s’intégrer dans le quotidien des ados, TikTok nous semble plus pertinent. Contrairement à Instagram, où la préparation des contenus prend du temps, TikTok nous permet de publier des contenus simples et réalistes, favorisant une interaction directe et constante avec notre audience. C’est pourquoi nous avons choisi de nous concentrer sur TikTok, pour garder ce lien de proximité avec les adolescents.

Votre approche inclut un « crew » d’adolescents qui valide les contenus via WhatsApp. Comment cette interaction directe influence-t-elle vos campagnes sur TikTok ?

B.E. : Il est essentiel de comprendre qu’être pertinent pour une cible adolescente implique de rester en contact direct avec elle. En tant qu’adultes, nous avons un regard différent, et confier la communication d’une marque comme YOP uniquement à des adultes risquerait de créer des messages inadéquats. C’est pourquoi, il y a trois ans, lors de notre compétition d’agences pour repenser notre communication, nous avons choisi Gangstères et The Source. Leur recommandation de créer un “crew” d’adolescents a été décisive : ce groupe d’ados nous permet de rester connectés à notre audience et de tester chaque contenu que nous envisageons de poster sur TikTok.

Ce “crew” influence donc directement notre stratégie sur TikTok. Nous soumettons à ce groupe la dizaine de contenus imaginée par mois, dans le cadre d’une charte de bonnes pratiques et avec autorisation parentale. Ils peuvent ainsi valider ou non nos intuitions. Ils nous indiquent si un sujet leur parle, ou si au contraire, un sujet qui nous semble secondaire est en réalité leur priorité. Ce processus couvre le fond comme la forme : ils nous disent si un contenu les ennuie, s’ils le trouvent trop lent ou peu engageant, et s’ils seraient prêts à le partager avec leurs amis. C’est un échange constructif, où nous leur présentons nos idées, et où ils nous renvoient leurs retours, leurs tendances et leurs centres d’intérêt. En somme, ce ping-pong permanent nous permet de construire ensemble un fil TikTok vraiment pertinent pour eux.

La stratégie TikTok est au cœur de votre communication avec les 13-17 ans. Quels résultats concrets avez-vous observés en termes d’engagement et de visibilité auprès de cette cible ?

B.E. : En termes de résultats, le premier indicateur notable est que nous avons franchi cet été la barre des 50 000 abonnés sur notre compte TikTok, ce qui nous permet d’atteindre une visibilité importante. Côté interactions, nos contenus plaisent aux adolescents : on observe de nombreux échanges entre notre community manager et les ados, créant un vrai dialogue quotidien. Certains de nos posts atteignent même un taux d’engagement de 1,4 %, alors que la moyenne de la plateforme est autour de 0,6 %. Cela montre que nos contenus parviennent à générer une interaction bien supérieure aux benchmarks habituels. 

Un autre point clé est que YOP est désormais la marque d’ultra-frais préférée des adolescents. Notre stratégie, qui consiste à s’adresser à eux en utilisant leurs codes, sur leur plateforme et autour de sujets qui les concernent, porte donc ses fruits. 

Les ados actuels sont très différents de ceux d’il y a 10, 20 ou 50 ans. Comment YOP a-t-il réussi à rester pertinent pour ces nouvelles générations malgré l’évolution rapide des tendances et des attentes ?

B.E. : À l’époque, nous disposions de bien moins de moyens qu’aujourd’hui pour comprendre les adolescents. Il fallait aller à leur rencontre, réaliser des études plus classiques, comme des interviews dans la rue ou des focus groups. Nous n’avions pas les outils technologiques actuels, mais une chose est restée essentielle : être au contact direct des ados pour rester pertinent. Ce qui a changé, c’est le moyen d’y parvenir, pas l’importance de cette connexion. Cette proximité avec notre cible fait vraiment partie de l’ADN de YOP, et c’est ce qui nous a permis de rester pertinent au fil des années.

Un des grands défis du marketing aujourd’hui est de reconnaître que, face à une cible adolescente que nous ne représentons pas, ce sont eux qui détiennent les clés de leurs attentes. Nous sommes là pour les écouter : ce qu’ils attendent en matière de contenus, la façon dont ils veulent qu’on leur parle… Cela demande une grande humilité car, bien qu’ils soient jeunes, ils savent bien mieux que nous comment leur parler. C’est pourquoi nous tenons particulièrement à ce crew d’ados que nous considérons comme une sorte d’équipe marketing parallèle. Ils nous permettent de rester proches des réalités de notre cible et d’adapter notre communication en conséquence.

En tant que marque qui existe depuis 50 ans, comment gérez-vous l’équilibre entre la tradition de YOP en tant que produit emblématique et l’adaptation aux codes et aux plateformes de communication des nouvelles générations ?

B.E. : L’essentiel est de conserver un socle solide qui nous rattache à nos racines et à notre tradition. Chez YOP, ce qui n’a pas changé en 50 ans, c’est le geste de boire le yaourt. Ce produit n’a jamais été décliné sous une autre forme, et ce geste emblématique est devenu iconique. La bouteille, avec sa forme unique, est elle aussi devenue reconnaissable instantanément, même sans le logo. De plus, le nom YOP est ancré dans le langage des consommateurs : on ne dit plus “yaourt à boire”, on dit “un YOP”, comme on dirait “un Kleenex” pour un mouchoir. Ce nom est devenu synonyme de notre catégorie, et c’est un des fondements de notre leadership.

Ces éléments – le geste, la forme, le nom – constituent notre socle, notre lien avec la tradition, et ils sont inchangeables. Mais au-delà de ces fondamentaux, tout le reste doit pouvoir évoluer pour maintenir notre pertinence auprès de notre cible, les adolescents. Pour rester en phase avec eux, il faut savoir distinguer ce qui est immuable de ce qui doit s’adapter aux attentes de notre public.

Vous mentionnez que la médiatisation cible à la fois les parents et les adolescents. Comment parvenez-vous à concilier ces deux audiences dans vos messages publicitaires ?

B.E. : Pour moi, il est crucial de ne pas chercher à s’adresser aux deux cibles, adolescents et parents, de manière identique. Si l’on tente de les atteindre avec les mêmes supports et le même plan média, c’est l’échec assuré : les résultats ne seront satisfaisants pour aucune des deux audiences. 

La solution que nous avons adoptée repose sur deux plans distincts autour d’un message commun : en tant que marque, notre rôle est de donner aux adolescents l’énergie de s’affirmer et de rester fidèles à eux-mêmes durant cette période de vie parfois délicate. Ensuite, nous adaptons ce message selon les cibles. Pour les adolescents, nous privilégions leurs plateformes, leurs codes, et un discours qui résonne avec ce qu’ils souhaitent entendre. 

Du côté des parents, nous déployons un plan parallèle, avec des points de contact spécifiques comme le sponsoring télé et le point de vente. Puisque les parents sont les acheteurs, il est essentiel d’être visible en magasin, à travers des animations et de la PLV. Le message qui leur est adressé diffère : il s’agit de leur montrer qu’ils n’ont pas toujours à tout comprendre de leur adolescent, mais qu’ils peuvent être là pour le soutenir et l’accompagner au mieux pendant cette période mouvante. 

Ainsi, le message de YOP reste le même dans sa vision, mais il est décliné de manière très distincte en fonction des attentes et des besoins de chaque audience.

Certaines critiques soulignent que les yaourts à boire comme YOP contiennent beaucoup de sucre. Comment répondez-vous à ces préoccupations, surtout dans le contexte actuel où les jeunes sont de plus en plus sensibilisés aux questions de santé ?

B.E. : Effectivement, il y a plusieurs points importants. Tout d’abord, YOP demeure un produit laitier dont le principal ingrédient est le lait. Nous savons que le lait offre de nombreux bienfaits nutritionnels, comme le calcium, la vitamine D, les protéines et les matières grasses. Ainsi, même si la question du sucre se pose, un YOP contient de nombreux éléments nutritifs bénéfiques.

Concernant le sucre, c’est un sujet que nous prenons très au sérieux. Nous sommes engagés dans une démarche continue d’amélioration de nos recettes, non seulement sur la réduction du sucre, mais aussi sur d’autres aspects. Par exemple, au cours des 20 dernières années, nous avons réduit la teneur en sucre de 2,3 grammes pour 100 grammes dans nos produits. Nous avons également éliminé tous les colorants et sommes passés à 100 % d’arômes naturels. Nous avons donc réalisé un travail significatif pour améliorer nos recettes.

Il est essentiel de comprendre que nous voulons embarquer nos consommateurs dans cette évolution. Si nous réduisons le sucre de manière trop drastique, nous risquons de les perdre, car les adolescents d’aujourd’hui ont grandi avec des produits sucrés et sont habitués à ce goût. Il est donc crucial de procéder progressivement pour les accompagner dans cette transformation. Si nous ne le faisons pas, ils pourraient se détourner du yaourt à boire qui offre pourtant de nombreux avantages nutritionnels au profit d’autres produits plus sucrés qui correspondent à leurs préférences gustatives. Notre enjeu en tant que marque est donc d’être pleinement engagés dans cette démarche et de continuer à diminuer progressivement le taux de sucre, tout en gardant notre cible à nos côtés sur ces sujets.

Est-ce que vous avez également travaillé avec ce groupe WhatsApp pour tester de nouvelles recettes ou saveurs, peut-être à travers des panels ou d’autres tests ? »

B.E. : Oui, tout à fait. Nous collaborons avec eux sur plusieurs aspects, notamment les saveurs et les packagings. Par exemple, cette année, nous avons lancé deux nouvelles références en édition manga, car nous savons que le manga est une passion forte chez les adolescents. Nous avons donc créé les saveurs Cerise Sakura et Abricot Matcha en concertation avec eux. Nous leur avons également présenté les designs de packaging, qui intègrent des personnages manga, pour recueillir leurs retours. Ainsi, notre échange avec eux ne se limite pas aux campagnes de communication, mais s’étend aussi à la construction même des produits.

À l’occasion des 50 ans de la marque, quelles activations spécifiques avez-vous prévues pour marquer cet anniversaire et renforcer l’attachement à YOP auprès de vos jeunes consommateurs ?

B.E. : Les agences qui accompagnent YOP dans sa communication depuis trois ans sont Gangstère et The Source. Pour notre 50e anniversaire, nous avons collaboré avec elles pour marquer cet événement important dans la vie de la marque. L’objectif était de rappeler que YOP accompagne les adolescents depuis 50 ans, et de montrer que nous avons l’ambition de continuer à être là pour eux dans 50 ans encore. Pour cela, nous avons cherché un fil conducteur entre les générations d’adolescents en identifiant des centres d’intérêt durables. Nous avons retenu le sport et l’art, des passions présentes chez les ados d’il y a 50 ans, et qui seront certainement toujours là dans 50 ans.

Nous avons traduit cette idée à travers deux films montrant comment YOP accompagne les jeunes dans leurs passions pour l’art et le sport, hier comme aujourd’hui. Ces campagnes sont signées avec un message fort : « YOP est là depuis 50 ans, et ce n’est pas prêt de changer. » Cette idée, développée avec Gangstère et The Source, a été déclinée sur plusieurs canaux. Les films sont diffusés sur des plateformes fréquentées par les adolescents comme YouTube et Disney+. Évidemment, nous avons aussi intégré TikTok, au cœur de notre stratégie, avec des contenus spécifiques pour les 50 ans, et des filtres qui permettent aux ados de se plonger dans les univers des années 80 et 90, les reliant aux adolescents d’hier.

Quel est le secret d’une relation agence-annonceur réussie ?

B.E. : Selon moi, trois éléments sont essentiels pour une relation agence-annonceur réussie, et c’est ce qui fait que notre collaboration avec Gangstères et The Source fonctionne si bien depuis trois ans. Le premier élément, c’est d’avoir une vision commune de la marque. Il faut être parfaitement alignés sur l’avenir de YOP, sur la direction que nous souhaitons lui donner, y compris dans une perspective à long terme, comme quand on imagine où sera la marque dans 50 ans.

Le deuxième élément clé, c’est la proximité, particulièrement importante lorsqu’on s’adresse à une cible adolescente. Nous publions environ trois contenus par semaine sur TikTok, ce qui exige un échange quasi quotidien avec nos agences. Nous ne créons pas des assets destinés à durer plusieurs années, mais renouvelons constamment notre contenu. Cette proximité est indispensable pour maintenir notre alignement et ajuster nos actions au fur et à mesure.

Enfin, le troisième point est la confiance, indispensable pour tester des idées audacieuses. Lorsqu’on innove, il y a inévitablement une part de risque : certaines initiatives fonctionnent, d’autres moins, et c’est normal. Pour que les agences osent proposer des campagnes créatives et percutantes, il faut qu’elles se sentent soutenues et que nous acceptions de prendre ces risques ensemble. Sans cette confiance, la relation ne peut pas fonctionner. 

Ces trois éléments – vision partagée, proximité et confiance – forment, selon moi, le “cocktail magique” qui assure le succès de notre collaboration avec Gangstères et The Source.

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