L'étude d'Eyeo, la société éditrice d'AdBlock Plus.
Il y a quelques années encore, l’adoption galopante des adblockers par les internautes français donnait des sueurs froides aux industries publicitaire et médiatique. Les interstitiels surgissants et pre-rolls sans fin étaient encore la norme nuisant à l’expérience de navigation des internautes. D’abord plébiscités sur les ordinateurs, les adblockers s’étaient trouvé un nouvel eldorado avec l’explosion du mobile. En 2016, ils étaient 419 millions d’internautes à travers le monde à utiliser un tel logiciel sur leur smartphone, France et Allemagne en tête. Face au manque à gagner dénoncé à l’époque (22 milliards pour les sites Internet selon une étude Adobe PageFair), l’IAB avait fait son mea culpa et reconnu sa responsabilité dans l’adoption croissante des adblockers. De leurs côtés, les éditeurs menés par Le Geste trouvaient la parade et Eyeo, société éditrice du plus célèbre des bloqueurs de publicité (AdBlock Plus), mettait en place une politique de « publicités acceptables » (statiques, textuelles, non invasives…) avant de devenir elle-même une régie publicitaire.
Trois ans plus tard, alors que la publicité en ligne célèbre ses 25 ans, où en est l’adoption des bloqueurs de publicité, quel usage en ont les internautes français et pour quel type de publicité ? Qu’est-ce qui justifie encore, selon eux, leur utilisation ? Eyeo, en partenariat avec YouGov, dévoile aujourd’hui sa première étude sur l’audience adblockée en France.
En 2019, les publicités digitales représenteront 41% des dépenses publicitaires dans les médias à l’échelle du marché français, soit 4,90 milliards d’euros, souligne l’étude. Or, la tendance à l’adblocking reste très forte en France, notamment chez les jeunes, mais tend à se stabiliser autour de 30% d’adoption en 2019. Une tendance qui n’a évidemment pas échappé aux entreprises du web qui proposent désormais ce type de service sur leur navigateur, de Chrome (Google) à Safari (Apple), sur desktop et mobile. Récemment, Libération lançait même une offre dénuée de tout tracker publicitaire (ou presque). Du côté des internautes, à force de polémiques sur les données et la place prépondérante prise par Facebook et Google dans la publicité en ligne, les voici désormais plus matures concernant les enjeux de monétisation et bien conscients que la gratuité a un prix (pour 64% des sondés). Ceci étant dit, ils ne sont pas pour autant prêts à tout accepter… ni tout refuser.
Qui est cet usager « classique » des bloquer de publicité : « C’est une personne jeune, qui a fait des études, qui est technophile et qui gagne un salaire au-dessus de la moyenne. Il est probable qu’elle fasse des achats en ligne : d’ailleurs, elle sera plus encline à acheter un produit en ligne après avoir vu une publicité. » Toutefois, 63% des utilisateurs français interrogés cliquent rarement ou ne cliquent jamais sur les publicités qu’ils voient en ligne. « Les utilisateurs d’adblockers sont susceptibles de dépenser des sommes plus importantes que les individus n’utilisant pas de solutions de blocage publicitaire », rappelle encore l’étude. Il reste donc primordial pour les éditeurs de les prendre en compte.
Filtrer n’est pas bloquer
« Jusqu’à récemment, les éditeurs et les annonceurs imposaient leurs conditions, sans tenir compte des formats, des contenus ou de la pertinence des publicités. Les adblockers ont restauré l’équilibre, en permettant aux utilisateurs d’Internet de choisir comment consommer leurs contenus », estime ainsi l’étude. Si une majorité de Français installent un adblocker pour ne plus voir de publicité en ligne (60%), ils sont 40% à le faire pour garantir la sécurité de leur vie privée sur internet, sujet ô combien d’actualité depuis Cambridge Analytica et l’adoption du RGPD : ils sont ainsi 71% à penser que l’utilisation de logiciels de blocage des publicités est justifiée.
Pourtant, ces derniers ont bien changé depuis leur première apparition et permettent désormais une approche plus flexible et nuancée afin de correspondre aux nouvelles attentes des internautes. Toutefois, seuls 40% savent que certains logiciels proposent des fonctionnalités de filtrage publicitaire.
« Les éditeurs sont un grand nombre à faire face à des craintes vis-à-vis du blocage publicitaire qui découle de l’idée suivante : les utilisateurs d’adblockers seraient une audience perdue qu’il serait impossible de cibler, déclare Lisa Bouam, Business Development Manager chez eyeo. Or ce n’est pas le cas ! La transition du blocage vers le filtrage publicitaire change la donne, en générant un nouvel écosystème composé d’internautes plus ouverts aux expériences en ligne offrant de la publicité moins intrusive. »
Si certains éditeurs ont repensé leurs formats, certains préfèrent opter pour des technologies de contournement et déployer des contre-mesures, comme empêcher l’accès à leurs pages jusqu’à désactivation de l’adblocker. Une démarche mal perçue par les internautes : l’étude d’Eyeo révèle ainsi que 85% des interrogés n’apprécieraient pas qu’un site désactive leur adblocker à leur insu. D’ailleurs, moins de la moitié (43%) des utilisateurs français d’adblockers acceptent de désactiver le leur à la demande d’un site. Pire : 61% des internautes sondés se disent prêts à ne plus visiter les sites qui désactivent leur adblocker sans leur autorisation.
Des chiffres qui traduisent une volonté évidente de reprise de contrôle de leur navigation plutôt que de se la voir imposer. En revanche, 61% seraient prêts à le désactiver sur les sites capables de proposer un faible nombre de publicités. La publicité en elle-même n’est donc pas en cause puisque plus d’un internaute sur deux préférerait filtrer les publicités qu’ils rencontrent en ligne, au lieu de les bloquer totalement (58%). Ils se disent même prêts à visualiser une publicité non invasive pour avoir accès à un contenu gratuit en ligne (52%).
« Cela prouve donc que la publicité en elle-même n’est pas la source du mécontentement des utilisateurs, pointe l’étude. Ce qui pose davantage problème, ce sont les méthodes et les formats publicitaires appliqués, surtout lorsqu’ils vont à l’encontre des préférences de l’internaute ».
Et dans 10 ans ?
Les internautes sondés ont également dû imaginer à quoi ressemblerait le secteur de la publicité en ligne dans 10 ans. Près de la moitié (48%) des utilisateurs français de 18-24 ans interrogés pensent que les formats publicitaires invasifs continueront d’exister et que les adblockers resteront d’actualité. De plus, 25% des participants de cette même génération s’attendent également à devoir payer pour accéder à des contenus d’une meilleure qualité. Ils sont d’ailleurs un peu moins tranchés que leurs aînés : 73% des 18-24 ans interrogés indiquent qu’ils n’apprécieraient pas qu’un site désactive leur adblocker à leur insu, et 59% affirment être prêts à ne plus visiter de tels sites. Ces digital natives connaissent très bien l’écosystème digital et ses outils, habitués à cet environnement publicitaire, et conscients des enjeux qui en découlent ils sont prêts à faire des compromis, mais n’hésiteront pas à sanctionner les sites qui ne respectent pas leurs préférences ou leur vie privée.
On l’a vu, la confidentialité et la sécurité s’imposent comme le second motif d’utilisation des adblockers en France, derrière le blocage des publicités. Ils sont même 51% à estimer que les logiciels de blocage des publicités leur évitent d’être ciblés par des annonces basées sur leurs données personnelles.
« Le développement de publicités de meilleure qualité pourrait être accueilli de manière favorable, mais uniquement si les utilisateurs ont leur mot à dire« , prédit l’étude. Ainsi « à mesure que les publicités deviendront moins invasives, les internautes seront moins nombreux à vouloir bloquer toutes les publicités sans distinction. Cela leur permettra d’obtenir un meilleur équilibre entre contenus et publicités, tout en permettant aux éditeurs d’augmenter leurs revenus ». Les éditeurs se préparent déjà à l’avènement d’un monde sans cookies.
Télécharger l’intégralité du « Rapport 2019 sur l’utilisation des adblockers en France ».
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Méthodologie : « En août 2019, YouGov a réalisé une étude de marché à la demande d’eyeo, société éditrice d’Adblock Plus, de Trusted News et de Flattr, pour identifier les préférences et les comportements des utilisateurs d’Internet vis-à-vis des publicités en ligne et des adblockers. L’enquête porte notamment sur l’acceptation des publicités en ligne par les utilisateurs français, l’avis des interrogés sur les méthodes utilisées par les annonceurs pour faire face à des défis comme le blocage publicitaire, ou encore l’avenir du secteur publicitaire en ligne. Le sondage repose sur les témoignages de 1 035 internautes français, dont 621 disposent d’un adblocker sur leurs périphériques digitaux. »