Le 27 octobre 1994 – il y a 20 ans ! – naissait la 1ère bannière publicitaire de l’histoire du web. Ce format n’a cessé de muter depuis, contribuant ainsi à l’industrie de la publicité en ligne et du display.
La 1ère bannière 468×60 sur le site de Wired
Et pour célébrer l’anniversaire de la bannière, de drôles d’invités se sont joints à la fête. Les adblockers, ces redoutables bloqueurs de publicité, sont en pleine phase de conquête du grand public. Comme si l’écosystème digital, habitué à provoquer la disruption d’autres secteurs économiques, ne pouvait s’empêcher d’auto-générer ses propres menaces.
Les adblockers subtilisent déjà 20% des impressions publicitaires sur le web français selon l’UDA. Avec de fortes variations allant jusqu’à plus de 50% d’utilisation pour certaines thématiques (jeux-vidéo, high tech, hommes…) À l’échelle mondiale, les utilisateurs d’AdBlocks ont plus que doublé en 2013, pour atteindre 144 millions d’utilisateurs en juin dernier.
Source : adblocking goes mainstream – PageFair / Adobe
De tels volumes « anti-pub » nous interrogent sur l’avenir de la publicité en ligne. Quelle est la meilleure façon de réagir en tant qu’annonceurs, agences ou éditeurs ? Sans oublier que le display est déjà bouleversé par la programmatique, et que le trafic web baisse au profit du mobile. Face à de telles problématiques, il va falloir être agile !
Vous n’avez que 2 minutes ? Voici un executive summary !
– 20% des impressions publicitaires sont bloquées sur les sites web français.
– Le nombre d’utilisateurs a doublé en 2013 dans le monde.
– Les adblockers cachent toutes les publicités web, sans distinction de format et sans action de l’utilisateur.
– Les panels et analytics web prennent rarement en compte les adblockers.
– Pourtant, des statistiques dédiées existent.
– Adblock Plus, le leader, propose de diffuser des « publicités acceptables » moyennant finances.
– Google a ainsi fait « whitelister » les liens sponsorisés Adwords.
– Des solutions diffusent de la publicité malgré la présence d’adblockers : Secret Media ou PageFair.
– Côté premium, le native advertising et les opérations spéciales sont peu visés par les adblockers.
– La publicité sur mobile représente une opportunité, les adblockers n’y étant que marginaux.
– Le branded content a une carte à jouer, à condition de générer de l’earned media.
– Quant au recours légal, rappelons-nous le cas de l’industrie musicale contre le peer-to-peer…
AdBlock : qu’est-ce que c’est ?
S’il existe de nombreuses formes d’adblockers, la plupart ont comme rôle de bloquer le chargement et l’affichage de TOUTES les publicités sur le web.
Concevoir un AdBlocker est techniquement aisé, car « les éditeurs web ont besoin de séparer la publicité et le contenu, sur 2 canaux bien distingués. Les adblockers se contentent d’exploiter une faille technologique que le marché a laissé s’installer » selon Frédéric Montagnon, co-fondateur de Secret Media, une startup qui permet aux éditeurs premium d’afficher de la publicité malgré les adblockers.
AdBlock et Adblock Plus sont les modules les plus connus, s’installant sur les navigateurs web Firefox, Chrome et Safari. Originellement, ces projets open-source défendent une certaine conception de l’Internet libre et gratuit. On notera que les 2 projets dépendent maintenant de sociétés lucratives, financées par des dons ou grâce au « whitelisting » payant de certaines « publicités acceptables ». Nous y reviendrons.
Des objets dédiés permettent également de bloquer les publicités de tout un réseau. Citons le boitier Adtrap ou encore la Freebox qui – non sans un scandale au lancement – propose une option de blocage des publicités. Ces solutions hardware permettent d’étendre le blocage au delà des navigateurs desktop, avec un effet sur les mobiles et tablettes, jusqu’alors plutôt dépourvus d’adblockers populaires.
Les éditeurs d’antivirus commencent également à proposer des solutions d’adblocking, au nom de la protection des données personnelles et de la lutte contre les malwares. Plus simples, des modules tels que Ghostery bloquent quant à eux les cookies de ciblage. Et pour achever ce tableau idyllique, Apple a activé en standard dans Safari (Mac) un économiseur d’énergie qui n’active les bannières flash qu’après un clic de l’internaute. Il ne reste plus aux régies qu’à facturer au double CPC…
Mise à jour du 21 novembre : Google vient également de lancer Contributor. Cet adblocker ne fonctionne que sur certains médias partenaires, qui acceptent que leurs publicités ne soient pas affichées en échange d’une retribution d’un montant mensuel que les internautes versent pour utiliser Contributor.
Pourquoi le public utilise AdBlock ?
Au départ, il y a la rencontre avec un format publicitaire jugé « intrusif ». Sur le banc des accusés, le pre-roll Youtube qui aurait fait grimper les installations d’adblockers. Le retargeting est également mal perçu, car le ciblage est apparent, voire insistant. L’internaute peut alors refuser que ses données personnelles – qui sont pourtant anonymisées… – soient utilisées grâce à une solution d’adblocking.
Comment l’indique le groupe le Monde, « le manque de règles et chartes très claires quant à l’affichage des formats publicitaires […] peut rompre le parcours de lecture de l’internaute. Nous pensons en effet qu’il n’est plus possible de nos jours de voir des sites avec des vidéos avec le son en ON par défaut, des publicités qui se chevauchent ou qui empiètent sur le contenu éditorial par exemple. » Il y a donc toute une relation à reconstruire entre les éditeurs, le public et les annonceurs.
Autre attrait : le confort d’utilisation de l’ordinateur et les économies d’énergie. Les publicités en ligne consomment une part non négligeable des ressources processeur et mémoire, notamment pour les formats riches ou les appels RTB. Bloquer toutes les publicités, induirait un ordinateur qui chauffe moins et dont la batterie tiendrait plus longtemps. Si cela peut paraitre séduisant en théorie, il semblerait qu’Adblock Plus fasse grimper la consommation de mémoire de Firefox.
Autre moteur : un sentiment anti-pub couplé à une promotion de l’Internet gratuit, où face à l’abondance de contenus disponibles, l’internaute ne paie ni directement en s’abonnant, ni indirectement via la publicité. Un brin provocateur, Frédéric Montagnon transpose le problème dans le monde réel : « le 1er investissement d’un magasin est une alarme, une porte blindée, éventuellement des antivols ou un vigile. Sans ces protections, les gens partiraient avec les produits sans payer. C’est exactement ce qui se passe sur un site web dont les contenus sont gratuits et financés par la publicité. Leur modèle est rompu à cause des adblockers. »
Annonceurs & agences : comment réagir ?
La mesure de l’audience
Les impressions bloquées ne sont pas décomptées des campagnes média. Mais la part d’adblocking d’un site web doit tout de même être estimée, ne serait-ce que pour savoir quelle audience réelle peut être touchée par une campagne. L’information étant primordiale dans le cas d’une campagne premium, pour un habillage vendu au forfait ou pour viser un taux de couverture donné.
Or les différents panels faisant foi, tout comme Google Analytics, ne communiquent pas la part d’adblocking des médias en ligne.
Les annonceurs, agences et éditeurs web peuvent ainsi continuer à naviguer à vue, avec des taux d’adblocking très variables. Il se murmure qu’ils oscillent généralement entre 10% à 60% selon les sites.
Si les éditeurs souhaitent opter pour une transparence qui va s’avérer décisive à terme, il existe déjà des solutions techniques permettant de mesurer le taux d’adblocking, telles que PageFair ou Adunblock. Une configuration fine de Google Analytics permet également d’obtenir ces données.
Les formats publicitaires non bloqués
Si la diffusion des formats desktop IAB est en baisse, autant utiliser des formats non visés par l’adblocking :
– Le native advertising (à ne pas confondre avec les formats natifs) et opérations spéciales, où la différenciation entre éditorial et publicité est techniquement moins simple à détecter. Notons cependant que ces formats sont en général couplés à des formats display IAB ou habillage, qui seront cachés par les adblockers.
– Le branded content, avec des formats sponsorisés qui même s’ils sont en partie bloqués pourraient amorcer l’earned media.
– Les newsletters, à condition qu’un adserver ne soit pas utilisé
– Les liens sponsorisés
– Les formats mobiles, dans les apps et sites web mobiles. En attendant l’éventuelle arrivée d’un champion de l’adblocking sur smartphones et tablettes.
– Cibler directement les amateurs d’adblockers, avec des créations dédiées, voire en proposant une solution brandée d’adblocking, comme a pu le faire Converse, à la limite de la légalité :
Éditeurs & régies : comment réagir ?
Les éditeurs web sont les plus impactés par l’adblocking. Les parts d’impressions publicitaires bloquées ne cessent de grimper dans un contexte de transformation de la presse pour le mois tendu.
Les solutions techniques
Les adservers vont devoir évoluer, ne serait-ce que pour servir un contenu alternatif en cas d’adblocking. Avec en vue, une non différenciation technique de l’éditorial et de la publicité, avec un adserver local servant de la même façon les contenus et les publicités. Il y a fort à parier que cette utopie technique pose quelques problèmes vis à vis des datas, et que le tout soit rapidement contourné par la communauté open source des adblockers, dont quelques hackers se font les contributeurs.
Partant de cette idée de non différenciation de la publicité et des contenus, Secret Media a breveté une solution de cryptage qui déjoue les adblockers. La startup de Frédéric Montagnon et de Julien Romanetto (co-fondateurs d’Overblog et associés d’Ebuzzing) visent les médias premium, en leur proposant de monétiser pour un CPM forfaitaire les impressions qui étaient jusqu’alors bloquées. « Ces éditeurs seront les seuls à être capables d’adresser 100% de la cible qu’ils prétendent avoir ». Pourquoi se réserver uniquement aux médias premium ? Car la technologie est trop complexe pour se généraliser. Et « car cela va rassembler de la valeur là où les contenus de qualité sont présents, ce qui permettra de financer encore plus de contenus et donc de l’audience monétisable à terme pour les éditeurs. »
PageFair s’adresse quant à lui davantage à la longue traine des éditeurs, avec une offre gratuite mais moins rémunératrice. PageFair propose tout d’abord des statistiques sur le taux d’adblocking d’un site. Et dans un second temps, l’affichage de publicités du type Google Adsense, moyennant une commission de 0,05$ du CPM.
Adunblock est lui aussi positionné sur la longue traine et propose des statistiques sur le taux d’adblocking d’un site. Adunblock propose également différents types de messages, qui ont pour but de sensibiliser les internautes à la problématique de monétisation et de rentabilité du site web qu’ils visitent. L’objectif étant ensuite de les inciter à ajouter le site visité à la liste d’exceptions de l’adblocker, permettant ainsi l’affichage des publicités. Les internautes joueront-ils le jeu ?
Mise à jour du 21 novembre : se rapprocher de Google pour rejoindre le « programme » Contributor est-il envisageable ? Pour le moment, seuls quelques grands sites américains sont partenaires. Et les internautes seront-ils prêts à verser entre 1 et 3 dollars par mois pour cacher quelques publicités ?
Les white lists et publicités acceptables
Le leader Adblock Plus a édicté une charte des « publicités acceptables », donnant la part belle aux liens sponsorisés et aux formats non animés les plus discrets. Une fois cette charte respectée, une demande doit être effectuée pour être ajouté à la « white list » d’Adblock Plus. Ce qui implique le paiement d’un forfait récurrent à Eyeo, la société éditrice d’ABP, dont les prix semblent être à la tête du client.
Ce qui est perçu comme du racket fait débat au sein des régies et associations professionnelles. Le groupe Le Monde a par exemple « rejoint le GESTE dans sa volonté de refuser les offres de AdBlock concernant la white list ». Mais tous les éditeurs ne sont pas du même avis, et une lecture de la white list indique que certains acteurs majeurs paient déjà Eyeo.
À commencer par Google, dont le format Adwords pourrait être qualifié d’intrusif, tant la différenciation avec les résultats naturels s’estompent d’année en année.
Bloquer l’accès ou sensibiliser à l’impact des adblockers
Des médias ont tenté de bloquer l’accès aux contenus de leur site lors de l’utilisation d’un adblocker. Ce fut le cas de TF1 lors de la coupe du monde, ou de bon nombre de sites high-tech. Face aux réactions houleuses du public, la plupart des sites ne pérennise pas ce type d’initiatives. Une exception notable : le site de l’Équipe restreint l’accès aux vidéos pour les utilisateurs d’Adblock depuis 1 mois. Une restriction satisfaisante pour l’éditeur, qui compte la maintenir.
La diversification plutôt que le recours légal ?
Des médias allemands ont lancé une action en justice contre Eyeo, l’éditeur d’Adblock Plus. En vain pour le moment. Un tel recours serait à l’étude à l’IAB France. Cette éventualité est périlleuse, tant l’histoire du digital nous montre qu’un raz de marée mêlant open source et adoption massive par le public ne peut être arrêté légalement. L’industrie musicale conserve un souvenir amer de la lutte contre le peer-to-peer… Un problème qui a depuis été attenué grâce à l’offre légale de streaming (Spotify, Deezer, Youtube…) Voilà peut être un exemple à suivre pour les médias qui ont depuis longtemps commencé à diversifier leurs sources de revenus, entre comptes premiums, paywalls, appels aux dons, e-commerce, prestations de services, formations ou événements. A moins que la publicité en ligne soit déjà sur le point de se réinventer ?