Comment les agences média se réinventent dans le contexte de 2024

Par Élodie C. le 22/04/2024

Temps de lecture : 9 min

IA, digitalisation, mesure et conseil stratégique au programme.

D’année en année, les agences média sont confrontées aux changements rapides animant l’industrie des médias. 2024 s’annonce déjà faste – fin des cookies, réglementation (DMA), digitalisation des médias traditionnels et explosion de l’intelligence artificielle – dans un contexte de reprise de valeur (+3,4%, soit 17,317 milliards d’euros – BUMP). Le marché résiste et se prépare à être stimulé par un été olympique exceptionnel.

À l’aube d’une révolution numérique et technologique, les agences médias naviguent au cœur d’une transformation radicale. Cette mutation, loin d’être superficielle, redéfinit les fondamentaux du ciblage publicitaire, de la mesure de performance, et du conseil stratégique. 

Comment les agences médias s’adaptent-elles à ce contexte en pleine évolution ? Notre panel d’experts issus de l’UDECAM et des agences médias évoquent les enjeux et axes de transformation à venir en 2024.

IA et digitalisation 

L’intégration de l’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle, c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine : impossible à éviter. Et les acteurs interrogés ne craignent pas la casse, mais voient dans cette technologie, un axe de transformation majeur “qui va considérablement transformer nos métiers d’ici 3 ans” (Guillaume Valicon, VP media strategy chez Jellyfish). 

Magali Florens, nommée à la direction générale de l’UDECAM en décembre dernier, se dit “très optimiste” : “Les agences médias travaillent à mettre l’IA au service des hommes pour libérer plus de temps et d’intelligence, et redonner une valeur à l’accompagnement clients en conseil stratégique.” De l’avis de tous, tout métier/secteur confondus, l’IA c’est LA révolution des process et un gain de productivité inégalée pour rediriger la valeur. “Ce gain de productivité doit nous permettre de passer plus de temps conseil auprès de nos clients afin de maximiser les performances de leurs campagnes, espère Adrien Jéhanno, co-fondateur de l’agence Allmatik, dont le groupe Ceetadel forme ses équipes pour optimiser la productivité au sein de l’ensemble des filiales.

Et à quoi reconnait-on une technologie “game changer” ? Elle se déploie partout, “Tout l’écosystème média est impacté, confirme Guillaume Valicon (Jellyfish) : le média planning, la création de bannières, la déclinaison de messages publicitaires, le tracking et la mesure de performance à travers l’automatisation du suivi de la donnée.” “Tout cela, au regard d’une réglementation, mais aussi d’utilisateurs et d’annonceurs exigeants autour de la confidentialité, l’éthique et l’usage de la donnée, qui nécessitent une maîtrise totale et une vigilance permanente”, prend-il soin de préciser. 

L’agence média indépendante Heroiks mêle ainsi IA et data sur sa plateforme Heroiks Live (suivi et reporting des campagnes), pour obtenir “des insights plus précis et une efficacité accrue des campagnes grâce à une analyse détaillée en temps réel”, précise Magalie Delmas, directrice générale de l’agence Heroiks Media.

Digitalisation des médias traditionnels
La multiplication des plateformes de streaming, des réseaux sociaux et des canaux numériques diversifie les points de contact avec les consommateurs, entérinant du même coup l’ultra fragmentation des audiences. Qui plus est avec des médias traditionnels et offline poursuivant leur digitalisation : “La TV mute pour devenir un device, au même titre que le mobile ou le desktop. La fragmentation de la consommation du device TV permet dorénavant de l’aborder via des stratégies de précision marketing comme en digital, explique Adrien Jéhanno (Allmatik). Le bon vieux prospectus papier est en train de muter au profit du prospectus digital. L’affichage se digitalise de plus en plus via le DOOH en s’intégrant dans les espaces de mobilités ou les centres commerciaux. Enfin, la radio se digitalise également via une consommation de plus en plus importante de l’audio digital, et par son mode de diffusion notamment. 2024 ouvre une ère de stratégie de precision marketing à grande échelle, que ce soit pour les médias On, comme pour les médias Off.

Du côté de l’Udecam, la digitalisation des médias cache un autre enjeu, plus “aspirationnel et sociétal” démarré il y a quelques années avec la volonté de l’organisation de diminuer l’empreinte carbone des campagnes médias et préserver le pluralisme des médias, notamment grâce au financement de la publicité. “Assumer et jouer ce rôle sociétal dans ces deux domaines est un presque un enjeu d’avenir pour les agences médias”, estime Magali Florens. “Je suis admirative de la digitalisation des marques historiques, que ce soit dans la façon de repenser la publicité dans leurs contextes éditoriaux et leurs inventaires, que dans le succès des versions digitales, en PDF ou via paywall. Il suffit de regarder le pourcentage de diffusion de la presse d’information générale en presse quotidienne sur le digital, c’est juste phénoménal : 70% de la diffusion est digitalisée !” 

Avec l’émergence de la télévision connectée et des plateformes comme Amazon Prime, le retail media représente “un enjeu stratégique majeur des années à venir” pour Heroiks qui a développé des “stratégies spécifiques” pour permettre à leurs clients de tirer profit de ces nouveaux canaux.

Jellyfish voit également l’écosystème digital se complexifier avec la multiplication des plateformes et la digitalisation des médias traditionnels, comme la montée en puissance de la télévision connectée. Celle-ci permet “une personnalisation et une interaction inédite avec les utilisateurs. Tout cela, sans possibilité de suivre les parcours avec la disparition des cookies et les walled garden qui s’intensifient, regrette Guillaume Valicon. Trois enjeux de transformation en découlent pour les agences média : transformation des méthodes de planning média, transformation des protocoles de mesure de l’efficacité média, et une connaissance pointue de l’écosystème des médias.” 

La mesure à l’ère post-cookie

Le cookieless du monde publicitaire sera-t-il le monde d’après post pandémie ? Une montagne accouchant d’une souris ? L’annonce de Google en 2020 a fait de la transition vers un environnement sans cookies tiers un défi majeur pour les agences médias. Ces dernières devant repenser leurs stratégies de ciblage et de mesure des performances publicitaires. Face à la disparition des cookies, les méthodes alternatives, comme le ciblage contextuel (perfusé à l’IA) et les données first party, existent déjà et donnent des résultats

Pour la DG de l’Udecam, l’enjeu du cookieless principalement dans la capacité des agences à accompagner les clients sur les meilleures solutions, mais aussi, pour Allmatik, à les accompagner “dans la mutation de l’utilisation de leur data, qu’elles soient CRM, 1st Party ou issues de leur campagne. Ce point est clé pour continuer à opérer des campagnes ciblées, mais également pour analyser les performances de nos campagnes.

Pas de performance sans mesure. Comme le précise Magali Florens, à côté de la donnée, les agences dont face à un autre enjeu d’expertise court-termiste avec la mesure cross-média en vidéo publicitaire. “Un grand chantier initié il y a plusieurs années déjà, et pour lequel Médiamétrie doit délivrer ses premiers travaux ce premier semestre.” Agences et annonceurs n’en ont pas moins lancé, “via un appel à participation à l’ensemble de l’écosystème”, un autre grand chantier autour de la définition du contact vidéo et la manière de le mesurer (sujet O combien sensible du côté des plateformes). “C’est critique pour nous compte tenu de la transformation des médias, de la digitalisation et de l’approche holistique qu’on veut avoir pour nos clients.” 

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme

Agence – conseil – média
Dans un monde en constante évolution, les points de repères sont essentiels. Entre les avancées fulgurantes de l’intelligence artificielle, les nouvelles réglementations (comme le DMA pour les plateformes numériques), les points de contacts toujours plus nombreux, les comportements et attentes des consommateurs renouvelés, “le rôle de conseil de l’agence média est plus que jamais nécessaire pour répondre à la perte de repères des annonceurs”, note Émilie Rouganne, directrice générale de l’agence omnicanale iProspect (Dentsu)

Les agences média ne sont plus de simples “acheteurs d’espaces” mais se pensent en partenaires stratégiques pour relever le défi économique qui leur fait face. “Historiquement dépendantes des revenus provenant de pourcentages sur les achats d’espaces publicitaires, les agences doivent aujourd’hui évoluer vers un modèle basé sur le conseil stratégique, confirme Magalie Delmas (Heroiks). Cela implique de revoir nos stratégies de tarification et de contractualisation pour mieux répondre aux attentes des clients.

« Plus il a d’expertises, plus il faut de stratégie. Et pour cela, l’automatisation à marche forcée est plus que nécessaire, elle est vitale si on veut préserver la force et la légitimité de notre business modèle« , ajoute Gautier Picquet, CEO de Publicis Media et président de l’ACPM.

Dans un contexte économique et politique incertain (malgré une inflation “au plus bas depuis deux ans”), la recherche de retour sur investissement n’a jamais été aussi forte observe Jellyfish : “Les directions marketing demandent de meilleures performances, avec le même budget média, voire des budgets en diminution dans un contexte où l’inflation a très fortement impacté les coûts de la TV, le digital est encore plus attendu sur les performances.” 

Les agences médias doivent prouver l’efficacité de leurs campagnes à travers des mesures de performance sophistiquées et des justifications détaillées de la valeur ajoutée.

Les Experts S24
Dans ce contexte, les agences les mieux armées seront celles qui permettront l’intégration harmonieuse et efficace des expertises digitales que sont le média, la data et la créa, prédit Guillaume Valicon (Jellyfish). Cette spécialisation et cette intégration sont une transformation absolument nécessaire pour de nombreuses agences, dont l’organisation en silos par métiers n’est plus adaptée à la réalité des plateformes et au besoin d’efficience des annonceurs.

À ce défi d’expertise, s’ajoute donc celui lié aux talents poursuit Magalie Delmas (Heroiks Media) : “Il est double, d’une part l’automatisation de certaines taches à faible valeur ajoutée nous amène à privilégier des profils plus expérimentés, capables d’offrir une expertise en conseil stratégique et détenant également des compétences spécialisées par métier et par média. D’autre part, il est vital de continuer à attirer des talents innovants qui maîtrisent les nouvelles technologies.” 

« Un changement radical dans les politiques de recrutement et de formation doit être conduit, sans état d’âme, pour rester connecté à des clients de plus en plus exigeants, et qui sont confrontés aux mêmes enjeux au sein de leur propres entreprises (…) La DRH est devenue le poste le plus stratégique en agence media, sans aucun doute« , confirme Gautier Picquet (Publicis Media).

Pour iProspect, le premier axe de transformation doit donc être structurel et organisationnel : “L’agence média de demain est, en puissance, LE nouveau challenger de l’écosystème élargi auquel elle appartient. Agile, intégrée et désilotée, sa transformation organisationnelle à l’intersection d’hyper-spécialistes, et de méta-stratèges, véritables forces de conviction, répondraient à la totalité des besoins des annonceurs dans le cadre d’une organisation structurellement immunisée contre toute nouvelle forme de révolution”, mise Émilie Rouganne. Une “immunité opérationnelle” qui reposerait sur “trois impératifs” :  

– La diversification 
Pour rester compétitive, l’agence média de demain doit poursuivre sa diversification vers toujours plus de valeurs, afin de viser une recommandation holistique et totale qui dépasse son mandat initial : créativité, mesure, CXM, innovation/expérimentation de méthodologies sur des opportunités communicationnelles émergentes, etc.”  

– L’hybridation
Pour pérenniser une vision réconciliée du funnel consommateur, il faut plus que jamais hybrider les expertises entre elles, comme le search avec le social ou la data avec la création, et ainsi de suite.

– IA et RSE
L’intelligence artificielle et la RSE doivent être appréhendées, moins comme des variables d’ajustement silotées, que des leviers de transformation permanents, hybrides et transverses au service de la croissance harmonieuse des annonceurs.” 

L’avenir des agences médias se dessine ainsi sous le signe de l’innovation et de l’adaptation stratégique en réponse à un environnement numérique en perpétuelle mutation. Entre l’adoption croissante de l’intelligence artificielle et la digitalisation poussée des médias traditionnels, les agences médias évoluent vers un rôle bien plus complexe et consultatif. Elles ne se contentent plus d’acheter des espaces publicitaires, mais deviennent des partenaires stratégiques essentiels, capables de naviguer à travers les défis de la disparition des cookies et de la fragmentation des audiences. Ces évolutions ne sont pas sans poser de nouveaux défis réglementaires et éthiques, exigeant des agences une vigilance constante et une adaptation agile pour continuer à fournir de la valeur à leurs clients dans un monde digitalisé et conscient de son impact sociétal.

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