Des réclames blockbusters aux heures de grande écoute.
Au-delà du contexte sanitaire qui est le nôtre depuis plus d’un an maintenant, la communication politique et publique du gouvernement semble avoir pris de nouveaux atours. Plus visible et régulière, plus « mémorable », une synchronisation musicale quasi systématique, une production léchée digne des blockbusters publicitaires de nos annonceurs français… L’État a-t-il la volonté de se penser comme une marque et de communiquer comme telle ? L’État en est-il seulement une alors qu’il se commercialise sous forme de mug, d’espadrilles ou de savon liquide sur la boutique en ligne de l’Élysée, moyennant quelques euros sonnants et trébuchants ?
Michael Nathan, directeur du service d’information du gouvernement, Patrick Leclercq, global client lead chez Publicis Groupe et account director pour le SIG, Capucine Mistral, directrice-conseil de l’agence Babel et Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de Communication politique à Sciences-Po Paris et président de MCBG Conseil, nous répondent.
Les campagnes
– 1er et 2e confinement
Avant 2020, si on vous demandait quelle campagne gouvernementale vous a marqué ou s’il y en a seulement une dont vous vous souveniez, vous auriez peut-être mis un certain temps avant de répondre. Depuis l’apparition de la pandémie sur le territoire national, elles se bousculent — logiquement — aux heures de grandes écoutes et rivalisent, depuis 2021, de notes musicales populaires qui les rendent identifiables.
Publicis Conseil, MullenLowe France et Babel se partagent respectivement le budget de la communication publique auprès du SIG (service d’information du gouvernement), du ministre de la Solidarité et de la Santé et de Santé Publique France (établissement public administratif sous tutelle de ministère dirigé par Olivier Véran).
Lorsque Babel remporte le budget de l’agence nationale de santé publique pour le conseil stratégique, la conception et la réalisation du programme de communication sur la prévention, la préparation et la réponse aux risques sanitaires en janvier 2020, le virus est encore peu connu en France et circule surtout en Chine et en Italie entend-on alors au journal télévisé. Il reste « très loin de notre quotidien » se souvient Capucine Mistral, directrice-conseil de l’agence. Cette dernière est briefée sur le Covid le mois suivant, et la situation progresse très vite. Les outils de communication à déployer en cas de crise sanitaire sont organisés en trois phases. Une ultime phase qui survient rapidement et doit alerter la population sur cette maladie.
Babel travaille alors au rythme des mesures gouvernementales : « Le début de la production autour du Covid est particulièrement intense, et ce, pendant trois mois jusqu’au premier confinement. Santé Publique France a alors la main sur la quasi-totalité des outils de communication à ce moment-là, avant qu’une répartition s’opère avec le ministère de la Santé et le SIG sur la 2e partie de l’année autour de certains sujets. »
Michael Nathan, le directeur du SIG, se souvient d’une année 2020 marquée par une communication très pédagogique, informative, et très injonctive, le service se devant de passer des messages institutionnels très forts autour d’une communication assez classique. Le SIG ne se sent pas d’aller chercher des intentions plus projectives dans un contexte encore très incertain, explique-t-il. Exception faite avec de « petites tentatives en tentant de capter des auteurs un peu en marge », comme Mathieu Persan, créateur de l’affiche à succès « Restez à la maison ».
Pour Philippe Moreau-Chevrolet, ancien journaliste passé par Ogilvy (directeur du pôle éditorial d’Ogilvy PR), professeur de Communication politique à Sciences-Po Paris et président de MCBG Conseil, les campagnes gouvernementales des derniers mois, toutes agences confondues, se caractérisent par leur nature très publicitaire et visuelle avec une montée en gamme en termes de qualité de production et de réflexion.
« On observe des campagnes de nature professionnelle qui pourraient être réalisées pour des marques : avec un message clair, une réalisation propre, léchée, mais avec le même type de défauts. Celle d’une communication de nature publicitaire, assez peu chaleureuse, et incarnée, presque artificielle. Il faudrait parvenir à trouver un autre territoire qui soit celui de la communication publique, inventer un autre type de langage, même si ces prises de parole ont progressé, car elles ont épousé les standards de la communication publicitaire de marque. »
Le professeur de Communication politique à Sciences-Po regrette notamment un manque de prise de risque, une volonté de ne pas trop choquer, même s’il reconnaît que l’exercice est difficile pour la communication publique qui n’a jamais baigné dans une communication du risque.
D’après lui, il ne sert à rien d’avoir une communication timide, feelgood, ou euphémisante sur le Covid : « Mieux vaut ne pas en faire du tout ou la rendre très pédagogique. Ce que le gouvernement n’a pas fait, c’est le seul véritable reproche que je lui ferai : ne pas avoir communiqué sur la vraie nature de la contamination, par aérosol. »
Il questionne : « Pourquoi ne pas avoir utilisé la puissance du SIG, son talent, et la qualité des gens qui le composent et ont le souci de l’intérêt public ? Je peux comprendre qu’on ne veuille pas montrer la réalité de la mort dans une unité Covid, mais pourquoi ne pas expliquer la réalité de la contamination ? Cela ne nuit à personne et ne peut pas être reproché, au contraire c’est même très utile. »
Une communication trop lisse doit au contraire exister, être martelé et visible partout, elle ne peut pas se payer le luxe d’être trop discrète, estime-t-il encore.
En contre-exemple, Philippe Moreau-Chevrolet évoque ainsi la campagne réalisée en Italie autour du masque. Des affiches déployées en 4×3 dans les rues italiennes avec un masque aux couleurs du drapeau italien, et barrées d’un « Insieme senza paura » (« Ensemble sans crainte »). Une communication « très agressive » qui a le mérite d’être massive et d’apporter un début de solution sans transmettre uniquement de l’anxiété autour de l’épidémie.
Idem pour sa campagne de vaccination annoncée sous l’angle de la renaissance italienne : « Un message positif très intelligent. […] Cela n’empêche pas les problèmes, les variants, etc., mais cela a le mérite d’exister tout en permettant de bouter les antivax hors de la communauté nationale. »
Selon lui, le manque d’autonomie de la communication publique l’incite à réfléchir comme les marques sur la forme et le fond : on se censure beaucoup, là où il faudrait être plus transgressif et imaginatif. Un manque d’imagination illustré par ce copié collé d’une campagne espagnole ou des productions « édulcorées » qui ne correspondent en rien à la réalité de l’épidémie et sonnent un peu « mièvre ».
– 3e confinement
Au SIG, le tournant s’opère en 2021 avec la campagne #TenirEnsemble lancée au mois de février, à un moment particulier de la crise. Le deuxième confinement a pris fin en décembre, le ministre de l’Économie s’est dit favorable à l’ouverture des commerces tous les dimanches jusqu’à Noël, et les Français ont vécu un Nouvel An sous couvre-feu avec de multiples contraintes. « C’est un moment d’épuisement et d’incertitude avec une évolution de l’épidémie. Le SIG a un enjeu de maintien de la mobilisation, les gens en ont marre, l’hiver a commencé : comment fait-on pour faire passer des messages rassembleurs ? »
En effet, après un an de restrictions, la donne a changé, les messages injonctifs perdent de leur impact et deviennent inaudibles, poursuit Michael Nathan. La communication publique doit ouvrir une nouvelle séquence et se donner une nouvelle respiration, d’autant que la crise sanitaire est loin d’être derrière nous. La campagne #TenirEnsemble conçue par Publicis Conseil entend aller au-delà des communications traditionnelles. L’équilibre est à trouver : il s’agit de mobiliser sans lâcher les fondamentaux (promotion des gestes barrières et des enjeux sanitaires), et de soutenir les autres actions de communication gouvernementales à venir.
Là où les autres campagnes étaient plutôt segmentées et ciblées autour du vaccin, des gestes barrières ou des tests, le gouvernement a alors besoin d’une campagne globale, avec une mise en scène plus universelle, une identité et une création plus macro. « Nous souhaitions aller chercher une notion d’union, aller fédérer et donner de l’espoir, car le moment que nous traversions était difficile. Il était également important d’y ajouter quelque chose que nous n’avions pas eu le temps de proposer : un hommage aux efforts consentis jusqu’à présent, sans se départir d’un certain humour », souligne Michael Nathan.
Dans ce registre qui se veut plus aspirationnel, on passe du vous instructif (« Restez chez vous ») au nous inclusif avec « Tenir ensemble ». Une aspiration et un élément de langage déjà présents dans les prises de parole présidentielle, puis repris par le Premier ministre et le ministre de la Santé.
Le mot d’ordre d’alors pour toutes les communications gouvernementales est « cohérence ». Quand bien même les différentes campagnes devaient répondre à des objectifs très particuliers avec une certaine liberté donnée dans le message délivré, l’adhésion recherchée du public nécessite de la cohérence. « Le manque de cohérence entraîne des réactions très fortes, explique Michael Nathan. Le gouvernement demande des choses tellement compliquées aux populations et aux audiences que cette cohérence est nécessaire. »
Un besoin rendu notamment possible grâce à la sortie, au même moment, de la nouvelle charte graphique de l’État en début d’année 2020, rappelle Capucine Mistral de Babel. Le directeur du SIG précise ainsi les éléments qui assurent cette homogénéité :
– La marque de l’État. La Marianne est présente systématiquement sur toutes les campagnes ;
– Le slogan Tenir Ensemble ;
– Le leitmotiv « Se vacciner, se protéger » lors de la première phase passe à « Tous vaccinés, tous protégés » par la suite ;
– L’identité du logo du vaccin est la même partout.
#Tenirensemble se présente alors comme une « rampe de lancement », une entrée dans une phase d’union et d’adhésion, le prochain sujet — délicat — de la vaccination en ligne de mire.
Une campagne vaccinale finalement assez discrète, malgré les enjeux : « “A chaque vaccination, c’est la vie qui reprend” [MullenLowe] est une très bonne campagne, utile, elle devrait être présente partout, en 4×3, dans l’espace public, dans les magasins, les pharmacies, etc., en soutien au discours de l’exécutif. Cela aiderait à faire passer le message et de le marteler d’une manière agressive », estime Philippe Moreau-Chevrolet.
Idem pour le clip « Parce qu’on rêve tous de se retrouver, vaccinons-nous » : « C’est positif et entraînant. Il faudrait toutefois être plus offensif et utiliser le push digital. C’est peut-être une question d’ordre réglementaire, mais je n’ai jamais été sensibilisé sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Facebook, Twitter ou Instagram, regrette-t-il. Les grandes campagnes publiques devraient utiliser ces supports digitaux sur des formats très courts. Elles mériteraient également que des célébrités se mobilisent pour faire passer ce message. »
En effet, comment expliquer cette difficulté à embarquer des restaurateurs ou des personnalités se faisant vacciner par exemple ? Est-ce le couac d’octobre 2020 qui voyait l’influenceuse Lena Situations décliner l’invitation du gouvernement ou la colère de certains artistes à son endroit concernant la gestion de la crise Covid ? « Montrer Brigitte Macron en train de se faire vacciner aurait été idéal par exemple, avance le professeur de communication politique. La cible visée, les + 60 ans, l’aime bien, cela aurait été très efficace. Il ne pourra pas être réélu sans elle et cela aurait permis au gouvernement de donner l’impression d’agir. » Au lieu de ça, la chanteuse Sheila est venue « stopper la rumeur » la disant en contact avec le gouvernement pour promouvoir le vaccin AstraZeneca, sujet de toutes les inquiétudes et polémiques.
Le gouvernement a ainsi manqué l’occasion « de populariser la vaccination avant de se prendre en frontal la folie des anti-vaccins. C’est un vrai manque d’audace et d’imagination. » Probablement n’y a-t-il pas été encouragé, par peur politique plus que communicationnelle, mais un manque de prise de risques n’a jamais donné de résultats.
« Le quinquennat d’Emmanuel Macron se caractérise par un alignement des pratiques avec une communication des marques telle qu’elle pouvait être pratiquée dans les années 2000, c’est un peu vieillot », estime Philippe Moreau-Chevrolet. Il nuance son propos : « Ces prises de parole se veulent sans doute modernes pour la communication de l’État et elles le sont, mais elles n’en restent pas moins en retard par rapport à ce que permet la communication d’une manière générale en termes de formats à imaginer. »
Une marque France ?
Le dernier discours d’Emmanuel Macron le 14 juillet dernier nous en a donné une preuve supplémentaire, cette présidence aime particulièrement jouer avec les codes publicitaires et télévisuels.
Au travers de ses différentes actions et prises de parole, l’État semble vouloir imprimer sa marque. Philippe Moreau-Chevrolet relève néanmoins un paradoxe : malgré une appétence pour les codes télévisuels actuels, diffuser un message préenregistré à 20h à la télévision est une méthode datée… des années 80, « C’est ce que faisaient déjà Gérard Colé et Jacques Pilhan pour Miterrand. Cette méthode extrêmement ringarde s’adosse néanmoins à des choses très modernes, comme la collaboration avec McFly et Carlito. »
Pourquoi n’est-il pas possible d’avoir un président capable de communiquer avec des influenceurs, avec une communication de marque d’aujourd’hui ? « Lorsqu’il fait de la communication politique pure, elle est parfaitement ringarde, lisse et sans aspérité. C’est très français, implanté depuis longtemps et pas uniquement lié à Emmanuel Macron. »
Comme l’explique Patrick Leclercq, global client lead chez Publicis Groupe et account director pour le SIG, « l’État est la marque la plus connue de France, mais peut-être la moins attribuée ». L’enjeu est autant que son action soit comprise que d’être et rester visible. Le contexte de crise oblige à « une position optimiste et très progressiste sur une marque dont tout le monde fait l’usage, dont tout le monde est consommateur, souligne-t-il encore. Toutefois, être consommateur de l’État est plus difficile et complexe à exprimer en des termes simples qu’il ne le serait pour un produit de grande consommation. »
Est-ce que l’État, le gouvernement est une marque comme les autres ? « Évidemment non », tranche Michael Nathan. C’est le secteur public, il n’y a pas de vocation commerciale, mais un enjeu sociétal. C’est à tout le moins, une « marque singulière : à la fois comparée à une marque commerciale par son ambition, sa volonté et sa modernité, ainsi que sa collaboration avec de grandes agences reconnues pour leurs capacités créatives, mais ce n’est pas un client ou une marque comme les autres. »
L’appréhende-t-on alors comme une marque à part entière ? Du côté de Babel, on rappelle que la priorité reste de faire passer les messages de Santé Publique France (sous la tutelle du ministère de la Santé) pour accompagner l’évolution de l’opinion et des comportements. « Il n’y a pas d’enjeu de notoriété de notre marque sur les campagnes de SPF, l’émetteur doit cependant être identifié comme une marque caution, précise Capucine Mistral. Nous l’avons beaucoup entendu dans les médias au début de la crise, les chiffres repris provenaient de l’agence nationale, c’était un gage de sérieux. La marque doit être vue comme telle. La charte de l’État aide à porter une parole officielle sur cette thématique. »
L’Élysée a effectivement travaillé sur la premiumisation de sa marque avec une refonte globale (la Marianne a été retravaillée et la typographie refaite et créée ad hoc) et le lancement d’une gamme fabriquée en France en e-commerce sur la Boutique de l’Élysée. Comme l’explique le SIG, en plus de la charte graphique datant de 1999, il a fallu retravailler l’intention stratégique de la marque de l’Etat en intégrant des notions de branding, « non pas pour avoir un logo plus joli et moderne », mais pour répondre à une question plus profonde. Celle apparue au moment du grand débat national lancé en janvier 2019 en réponse à la crise des gilets jaunes.
« Dans les retours, une chose prégnante est apparue : les gens ne comprennent pas ce que l’État fait pour eux, se souvient Michael Nathan. Nous avons réalisé un audit et nous sommes rendu compte que nous faisons face à ce que toute entreprise redoute : la dilution de son footprint de marque par la multiplicité des acteurs qui prennent la parole via différentes marques. C’est sa force et sa faiblesse. »
Il est nécessaire que l’État déploie une approche de marque « pour fédérer et rester cohérent avec l’ensemble de ses prises de parole. » Un motto a été posé pour la refonte de cette marque : « Partout où l’État est, l’État se voit ». Le SIG a donc commencé à appréhender l’État comme une marque pour s’assurer de sa bonne perception et attribution de ses actions.
Il semble ainsi y avoir un avant et un après 2020 en termes de productions publicitaires. Des titres populaires d’artistes non moins populaires sont notamment venus habiller la communication gouvernementale.
« Pour arriver à générer de la mobilisation et de l’adhésion, cela passe par l’image et par le son. Aujourd’hui, tout est dicté par les réseaux sociaux, les attentes de l’audience sont la monnaie d’échange et sont construites par ce qu’ils consomment : des vidéos et de la musique, plus rien n’est autrement. Nous nous devons d’être à ce niveau de standard », souligne le directeur du SIG.
La campagne autour de la vaccination surfe donc sur la tendance des vidéos virales à la TikTok. Comme celle de Nathan Apodaca dans laquelle il se filme sur son skateboard en buvant une bouteille d’OceanSpray sur Dreams du groupe Fleetwood Mac, concède-t-on du côté du service d’information du gouvernement : « Pour créer de l’adhésion et de l’intérêt, s’appuyer sur la musique est clé. C’est un poncif publicitaire qui n’a rien de révolutionnaire, mais on se l’est appliqué à nous même. »
Pour Capucine Mistral de Babel, en plus de la charte graphique et des packshots communs aux différents films, c’est l’importance très forte que les messages de l’État ont pris dans nos vies ces derniers mois qui expliquent l’attention accrue sur ce type de communication. « Jamais la communication publique n’a été aussi déterminante et sans relâche depuis 18 mois. »
La modernisation et la transformation de la communication gouvernementale (le mandat du nouveau directeur du SIG) — sortir du classicisme pour embrasser un environnement hyper connecté — se réalisent donc à la fois dans la nature des messages et sur leurs modalités de diffusion. « Pour avoir une vision à 360°, cela nous oblige à penser les formes des campagnes un peu différemment qu’adresser uniquement en TV, print et digital. Notamment via des relais indirects, peu utilisés jusqu’à présent, pour intermédier la diffusion : les acteurs du transport ou de la distribution alimentaire, la RATP, les aéroports de Paris, les centres commerciaux et lieux de vie, deviennent porteurs de ces campagnes pour leur donner une visibilité supplémentaire. […] La territorialité est un vrai enjeu dans la diffusion des messages de service public, des services comme La Poste peuvent être de vrais relais. »
Si de nouveaux canaux de diffusion sont recherchés et la vidéo privilégiée, un format reste néanmoins largement sous-employé (voire évité ?) par la communication gouvernementale : le direct. Un format pourtant désormais très largement plébiscité par les marques (live shopping, Twitch, Facebook Live, Reels) et quelques politiques.
« Pourquoi, lorsque l’Élysée produit des vidéos pour les réseaux sociaux avec des influenceurs cela n’est jamais en direct ? interroge Philippe Moreau-Chevrolet : Alexandria Ocasio-Cortez aux États-Unis ou Jacinda Arden en Nouvelle-Zélande parlent aux gens face caméra, sans intermédiaire, En France, il y a toujours un intermédiaire, ici un ou plusieurs influenceurs pour capter leur audience. Pourtant, le résultat est maladroit : a-t-on forcément besoin d’eux pour créer une audience ? »
Le gouvernement, l’Élysée ont-ils la volonté de créer une « marque France » comme leur communication semble le suggérer ? L’idée n’est pas nouvelle, comme le rappelle le professeur de communication politique de Science Po Paris. Philippe Lentschener, l’un des conseillers d’Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste de 2011, et spécialiste du marketing territorial, est le théoricien et l’inventeur de la marque France et son fameux « made in France ». « A ce moment-là, on commençait à parler de la France comme une marque à l’international. Une démarche intéressante par la modernité qu’elle apportait à l’époque. » Alors chez Ogilvy, Philippe Moreau-Chevrolet doit vendre cette marque France à l’étrange pour l’agence française pour les investissements internationaux (AFII).
« Je pense qu’Emmanuel Macron a la même chose en tête. Les moyens diffèrent, mais c’est très moderne, complètement décentralisé, géré et délégué en partie par des organismes “parapublics” comme France digitale ou la French Tech, qui font ça plus naturellement et de manière efficace, car c’est leur business. »
Pourtant, alors que le candidat Macron est arrivé au pouvoir avec des gens de l’univers des startups et de la French Tech, à la communication moderne et décomplexée, il s’est en grande partie coupé de cette base une fois à l’Élysée. « C’est pourtant la base la plus moderne pour vendre la marque France : rien de mieux que montrer la réussite française dans les startups, à l’instar de Doctolib, estime-t-il encore. Cela a été un peu fait, mais pas assez développé. Cet univers est relativement extérieur à l’action gouvernementale alors qu’il devrait l’irriguer. En campagne plus on innove mieux c’est, et une fois au pouvoir, le moindre risque est survalorisé plutôt que le gain. Comme dans les grandes entreprises. »
Au sein du SIG, l’idée d’une marque France revêt un sens sensiblement différent :
– un aspect « domestique » tel qu’il est défini sur le site du gouvernement : Marianne, typographie, devise, bloc-marque. Une marque qui s’est également déclinée en digital avec un système de design permettant à n’importe quel site créé de respecter les mêmes codes.
C’est le travail réalisé depuis plus d’un an et demi par le SIG, « le volet numérique de la marque de l’État, qui permet pour les citoyens d’avoir une cohérence graphique et une meilleure expérience à travers l’ensemble des sites de l’État. » Il « regroupe un ensemble de composants réutilisables, répondant à des standards et à une gouvernance, pouvant être assemblé pour créer des sites Internet accessibles et ergonomiques ».
– un enjeu international : là où la marque France intervient. Elle existe depuis quelques années et a été portée par « Choose France » à Versailles qui réunissait des chefs d’entreprise étrangers.
« L’idée de Choose France est très, très brillante. La première année de mandat d’Emmanuel Macron est très réussie de ce point de vue là, relève Philippe Moreau-Chevrolet. C’était la bonne période de l’action de la communication gouvernementale, celle de la prise de risque. À partir de l’affaire Benalla, elle est devenue plus défensive que proactive, et a commencé à perdre la main. »
Cette année, lors de la 4e édition du « sommet de l’attractivité française », 3,5 milliards d’euros d’investissements ont été annoncés. « Pour cet événement, la marque France est utilisée, elle porte les valeurs de la France à l’international sur différentes verticales, rappelle pour sa part Michael Nathan du SIG. La marque est en train d’être retravaillée et peut encore aller plus loin. Il y a un enjeu de complémentarité entre la marque domestique et la marque internationale. Nous voulons créer ce continuum entre les deux. »
La prochaine étape du déploiement de cette marque France est amenée à s’afficher très prochainement. L’idée est de dérouler un narratif commun avec des campagnes multiples venant d’environnements différents, comme le plan de relance, et le volet de la transformation numérique avec le déploiement de la fibre pour tous. « Des sujets qui auraient historiquement vécu chacun de leur côté sont aujourd’hui présentés sous l’égide de la marque de l’État, avec un narratif commun, un fil rouge qui relie les choses entre elles. Une vision commune à destination du plus grand monde. »
Et demain ?
Alors que certains politiques, dont le Premier ministre, se laissent tenter par les sirènes de Twitch avec plus ou moins de succès (et de spontanéité), quel visage pourrait prendre la communication gouvernementale dans les années à venir ? Que peut-on attendre d’une marque qui ambitionne d’être partout où elle se trouve, sans diluer sa force et son message ?
Comme le rappelait Patrick Leclercq de Publicis Groupe en amont, l’État est la marque dont tout le monde est consommateur. Et les consommateurs sont devenus de plus en plus exigeants envers les marques qu’ils consomment. Transparence, authenticité, interactivité, utilité, personnalisation, il ne s’agit plus de bien brander son produit, mais de faire rimer le discours avec les actes. À ceci près qu’en politique, les discours comptent souvent moins que les actes, pourtant, c’est dans le discours, les films publicitaires et l’ensemble de la communication gouvernementale que les actions de l’État sont censées s’incarner.
« La communication publique va et doit s’adresser à l’intelligence de chacun pour faire passer ses messages et être en capacité de transformer les opinions et les comportements, estime Capucine Mistral de l’agence Babel à la manœuvre derrière les campagnes de Santé Publique France. Nous avons beaucoup entendu parler de logique de nudge ces derniers temps, c’est sur ces mécaniques-là que la communication publique va pouvoir être efficace. »
Elle mise ainsi sur des campagnes plus modernes qui ne reposeraient pas sur la sommation à être ou faire ou la moralisation, mais qui s’inscriraient dans une démarche où le pouvoir est donné à chacun de comprendre les décisions prises par les institutions afin d’opérer des choix en toute conscience. À l’instar de la campagne ARS (Agence Régionale de Santé) PACA sur les effets désirables de la vaccination.
Pour le SIG, les fondamentaux acquis ou dictés par la crise ne peuvent pas être remis en cause et imprègnent la communication gouvernementale future : clarté, réactivité, transparence et cohérence. En outre, l’Etat doit s’appuyer sur de nouvelles modalités de diffusion : « L’Etat est puissant, mais il ne peut pas tout, tout seul, concède Michael Nathan. L’État central doit s’appuyer sur l’État décentré, avec une vision territoriale y compris avec la communication locale, tout en s’appuyant sur des relais intermédiaires, publics ou privés. Cela confère une force de frappe et la décuple. »
« Le principe de cohérence est fondamental, appuie Patrick Leclercq. Si nous ne sommes pas cohérents, nous ne sommes pas visibles. Si nous ne sommes pas visibles, nous ne remplissons pas notre rôle d’explication, de motivation, de focus. De la même manière, si nous ne sommes pas clairs, nous ne sommes pas compris : un message publicitaire ou à vocation universelle qui n’est pas compris ne sert à rien. »
Pour Philippe Moreau-Chevrolet, l’avenir de la communication gouvernementale sera incarné. Avec des politiques face caméra, en direct, sans intermédiaire, qui vont créer leur propre communication digitale autour de leur personne et nouer un lien très fort, « de fans quasiment », avec leurs audiences. Un début de « fan base » que l’on observe déjà avec quelques dirigeants et politiques actuels.
La France et les politiques français, n’étant pas des plus à l’aise avec ce format, on devrait y parvenir dans quelques années selon lui. La faute notamment à une méthode de media training à la française « très intimidante » selon le professeur de communication politique. Une méthode qui cherche à casser la personne pour la reconstruire, générant par la suite un style très théâtral et emprunté pour un résultat surjoué.
Pourtant, il note quelques tentatives plutôt réussies, comme celle de Christophe Castaner lorsqu’il était porte-parole du gouvernement Philippe. Le député réalisait alors les comptes rendus du Conseil des ministres depuis son vélo, dans son avion, avec son chien, etc. « C’était assez marrant, mémorisable, direct avec les gens, et au final on obtenait bien le compte rendu du Conseil des ministres. Il avait mieux compris exercice qu’on ne le comprend aujourd’hui. […] Idem pour le député de la France Insoumise François Ruffin qui réalise un travail pédagogique plutôt logique de par sa culture politique, même si cela reste très conventionnel. »
Pour lui, l’avenir c’est « le politique influenceur », même s’il concède que cela ne sonne pas « très rassurant ». Il cite par exemple le chef de file de l’extrême droite italienne, Matteo Salvini, qui s’est fait connaître en créant une communauté sur YouTube autour de ses vidéos où il se rendait dans des camps de réfugiés pour harceler des migrants (et les empêcher de débarquer). « Il est populiste et plein de défauts, mais il parlait à sa base avec un message de fonds. Là où Jean-Luc Mélenchon par exemple s’est trompé dans son interprétation : il a cru qu’il pouvait communiquer uniquement autour de sa personne, en oubliant qu’il est nécessaire de transmettre un contenu politique et véhiculer quelque chose. »
Ainsi, lorsque Alexandria Ocasio-Cortez utilise les réseaux sociaux, le message n’est pas centré sur elle-même, quand bien même elle se met en scène. « Ce que savent faire tous les influenceurs de la planète — pour les plus forts d’entre eux : il y a toujours un message, ce n’est jamais complètement narcissique et gratuit. […] Il faut bien comprendre que les gens ne sont pas idiots, ils ne viennent pas vers vous de manière inconditionnelle, vous devez leur fournir un contenu à valeur ajoutée. »
Philippe Moreau-Chevrolet appelle ainsi la communication politique et gouvernementale à plus de naturel : « Le premier politique qui saura véritablement le faire gagnera assez facilement ses galons sur les réseaux sociaux. Avec un président plus influent que Lena Situations et McFly et Carlito réunis ?