Londres est une place centrale de la communication en Europe, avec un regard naturellement porté vers les États-Unis, une appétence certaine pour le digital et une potentielle avance sur le marché français. Pour en savoir plus sur les mutations en cours du côté de Big Ben, Fabrice Valmier, directeur associé de Groupe VTscan (cabinet leader en management pour les métiers du marketing et de la communication) vient d’y passer une semaine en compagnie d’agences et d’annonceurs.
À Londres, vous avez pu rencontrer des agences indépendantes comme Anomaly, Fold7, VCCP, Exposure, ainsi que les scandinaves Forsman & Bodenfors et Hasan & Partners. Comment ces « indies » agitent-elles le marché ?
Pour ces agences récentes, le Media est devenu une notion datée, car tout est média ! Leur chance est de considérer des idées qui n’auraient JAMAIS pu arriver sauf à l’ère digitale, de façon plus intuitive parfois, ayant moins d’héritage à gérer.
Ces agences continuent de promouvoir leurs valeurs spécifiques, elles continuent à engager les meilleurs talents, et chose plus innovante, elles cherchent à créer le bon environnement, la bonne structure et les bons process.
Par ce biais, un des grands changements est la différenciation très nette désormais entre la notion de Touchpoints et celle de Connections. Toucher le consommateur sur sa Consumer Journey est un fait. Mais l’Engagement est devenu prioritaire, supérieur désormais à cette notion de points de contacts, qui ne sont aujourd’hui ni plus ni moins qu’une autre manière d’effectuer de la Couverture comme cela était le cas en média.
Campagne Carlsberg, « probablement la meilleure affiche au monde », par Fold7
Nous sommes donc passés à une autre étape. Moins de couverture, moins de répétition mais plus d’Engagement. Plus de connexion. Ceci a un impact puissant sur les recommandations, sur les idées, sur les contenus créés et proposés aux Consommateurs.
Impact aussi dans la proposition de valeur des agences qui doivent profiter de cet environnement, pour exploiter une nouvelle source de valeur et créer de la propriété intellectuelle. Donc bien souvent toucher au produit, physiquement, le repenser, le faire évoluer. Le rendre communicant (cf United Biscuits et une mission effectuée par VT Scan auprès de Delacre pour travailler et effectuer un travail de correction d’image en profondeur et durable par ce biais). Ceci est très dynamique, très disruptif. Très engageant en général. Et ceci implique de penser Design et Branding plus en amont. De créer des produits, comme le fait Anomaly pour P & G. (ndlr : à lire, notre dossier sur le Product Design)
Comment les agences « traditionnelles » réagissent-elles ?
Que d’efforts constatés et de résultats au final ! L’intégration est devenue une réalité. Et s’est élargie à d’autres frontières.
Alors que Saatchi & Saatchi exprime qu’il ne faut pas d’armée, mais de vrais talents dédiés pour être « On Brand » sans rupture, Havas part sur une démarche différente, en déployant ses Havas Villages (26 dans le monde actuellement). L’idée du Groupe de Yannick Bolloré est bien de « créer des Beautiful collisions » grâce à une offre intégrée très offensive, et la montée spécifique de synergies avec Vivendi dans les contenus (notamment dans l’entertainement, avec Universal Music et l’exploitation de la data comportementale croisée à la musique), où par l’accès aux innovations industrielles du Groupe Bolloré (telles que Autolib). A noter ainsi le développement intéressant de Havas Sport & Entertainement au niveau mondial (30 pays) et dont Coca-Cola est devenu le Client N°1. Ou encore Havas Village_Data, avec le lancement récent de HELIA, l’offre CRM et Data/Analytics du groupe Havas dans le monde, dirigée par Tash Whitmey (que nous avions déjà vue à l’œuvre lors de la compétition que nous avions orchestrée auprès de Danone pour son CRM Europe il y a 1 an environ).
Une offre qui vient concurrencer WPP et ses offres Holdings, le groupe de Martin Sorrell étant un adepte de ces structurations.
Autre exemple d’intégration toujours plus forte de talents au sein des agences, la proposition de production intégrée de BBH avec son « Black Sheep Studio ». Nous y reviendrons.
Le « When the world zigs, zag. » emblématique de BBH
Les budgets sont-ils aussi en plein renouveau ?
A un niveau « macro », les budgets sont alloués et pensés « in another way ». Une nouvelle ventilation budgétaire s’installe clairement.
3 situations se dégagent :
– soit il s’agit de gérer de gros budget media, qui occupent la majorité des investissements de l’annonceur ; la situation d’origine, pourrait-on dire.
– soit le budget est ventilé avec plutôt une orientation « gros investissement en production » (vidéo, print en général) ;
– soit le gros du budget passe directement dans des Honoraires Agence, car l’annonceur est dans une stratégie qui a besoin de social media sans arrêt. L’apogée des Newsrooms en quelque sorte.En définitive, pour les Agences de communication, ce sont des façons très différentes d’aborder les Clients, leurs budgets et de se projeter / s’orienter vers eux.
Les agences doivent également s’adapter à de nouvelles forces en présence, et non des moindres : les GAFA. Parlez de nous de Facebook que vous avez pu rencontrer.
Avec Claire Valoti, en charge des relations et des partenariats avec les Agences de communication, nous avons pu approfondir la valeur de l’éco-système Facebook sur 2 niveaux : les « people experiences » (au-delà de la plateforme principale, la montée en puissance de Instagram, WhatsApp, Messenger, Oculus prochainement) et la prise de position « Advertising / Ad Technology » (avec Atlas, FB Audience Network, LiveRail).
Quand on sait que Facebook + Instagram représentent 23% du temps total passé sur mobile, on comprend aisément comment Facebook peut proposer un marketing de plus en plus pertinent tant sur les contenus que sur leur personnalisation.
Par ailleurs, la vidéo digitale continuant à croitre fortement (TV -2%, Digital +267% > mobile & Tablette), et la vidéo mobile encore plus vite (+532% entre 2012 et 2014), on comprend que le multiscreen est devenu la norme… et que Facebook est devenue une des premières sources de découvertes et de consommation de vidéo !
Quelles conséquences en tirer pour les Annonceurs et leurs Agences ?
L’un des premiers impacts pour les Annonceurs et leurs agences devenant d’augmenter leurs budgets de production digitale, qui sont parfois presque au même niveau que les films de pub TV, compte-tenu du reach.
La compétition va être féroce car la production de contenus va de + en + dépasser la capacité à les consommer pour le public. Il faudra donc intégrer de nouveaux critères de jugement des campagnes : Les 3 premières secondes vont être clé pour capter l’audience sur vidéos online.
Pour aller vers de la pertinence maximale, la vidéo personnalisée – qui est 2 fois plus appréciée qu’un film classique et crée 2 fois plus de trafic sur le site web d’une marque qu’un film TV classique – va faire son apparition de manière naturelle. Par exemple, Lexus a déjà créé dans l’un de ses dispositifs 1000 vidéos publicitaires sur Facebook lors d’une seule campagne !
Pour arriver à tenir la cadence, les agences s’organisent plutôt bien, et créent ou développent leur proposition de production. L’exemple chez BBH est intéressant avec leur « Black Sheep Studios », une unité de production In-House, qui amène l’agence dans une autre qualité, fast-response, low-cost, et des contenus du coup adaptés au web. L’agence intègre même sur certaines périodes des songwritters full time dans l’agence ! Et le produit musical « Broadcast » s’en ressent : très qualitatif.
Les agences londoniennes s’adaptent-elles mieux au changement que les agences français ?
Les agences à Londres ont la chance de travailler plus souvent pour des Clients globaux (lead Country) et donc sur des campagnes globales. Cela leur donne l’opportunité de créer plus de concepts en étant à l’origine de ces dispositifs internationaux. Cela leur donne aussi accès à des budgets plus élevés sur lesquels ils réfléchissent… ce qui aide à se transformer quand les moyens sont là ! Mais les agences françaises sont devenues très ouvertes sur l’international, sont pitchées d’ailleurs de plus en plus par de grands annonceurs hors France, ce qui prouve leur valeur. Et enfin, la France est reconnue comme une « Terre de Digital-Talents », un excellent patrimoine pour demain.
En conclusion, que retirez-vous de cette semaine londonienne ?
Un 1er constat : la convergence entre publicité, digital, expériences, musique, sport, la production vidéo intégrée… ce qui contribue à transformer l’industrie et les métiers de la communication vers l’industrie de l’Entertainement. (une tendance déjà observée chez les agences américaines en octobre dernier)
Un 2° constat : créer « une autre publicité » à l’âge des moteurs de recherche et comprendre que la visibilité des campagnes dépend des consommateurs (les Adblocks sont là !) sont impératifs.
C’est bien cela qui va « enflammer l’imagination des gens » comme le dit l’agence suédoise Formans & Bodenfors. Raconter des histoires dont le consommateur va se souvenir longtemps.Un 3° constat : tout commence et finit par du digital.
Le digital est devenu le premier média, celui par lequel le Contenu et le storytelling commencent à parler à une certaine cible. Ensuite seulement, les médias traditionnels sont utiles pour les autres cibles. Mais désormais le 1er média est le digital.4° constat : tout est possible. Un slogan qui est revenu à nos oreilles de façon récurrente côté agences, et qu’il faut aussi véhiculer aux Annonceurs, une phrase pleine d’optimisme. Car oui, Tout est possible ! Comme si les agences sentaient les difficultés des Annonceurs face aux nouveaux challenges sur leurs business models et qu’ils se sentaient prêts – avec leurs talents et leur ouverture – à aider les Marques dans l’innovation et l’adaptation vers un monde nouveau.
5° constat : la Pop Culture devient de plus en plus la norme créative. Bien plus que les notions de démographies, d’âge. Les consommateurs ne comprennent pas les plateformes de marques, et le vrai lien qu’ils comprennent est celui des valeurs. Pas celui de la publicité, qui semble de plus en plus obsolète.
En lien avec la convergence vers l’Entertainement sans doute, mais aussi car cela reflète l’évolution dans l’engagement des audiences. Il ne s’agit plus de parler à des happy few ou des early adopters, il est bien question de renforcer la connexion et l’installation des consommateurs dans des « histoires de marques ».Finalement, cette période est une opportunité pour changer, se transformer ensemble, l’Annonceur et son Agence. Cela relève le challenge pour les agences (… et leurs Clients ☺), quelque soit leur métier (Pub, Digital, RP etc…). Il faut changer d’attitude dès les briefs, s’imposer une agilité et un ton parfois « corrosifs », délivrer ses dispositifs à temps… voire avant, arriver à simplifier au maximum dans un monde de contraintes, où tout devient complexe pour les pros de la communication.
Pour réagir : [email protected] ou Tweet to @FabriceValmier
Crédits
- Evénement : Adforum Summit Européen
- Photo en une : cc Lorenzo G