Tout ce qui a été dit sur la fusion Omnicom IPG — Et ce qui attend de l’être

Par Xuoan D. le 20/12/2024

Temps de lecture : 11 min

Impact dans 20044800 secondes.

Depuis le 8 décembre, la rumeur puis l’officialisation de la fusion entre Omnicom et Interpublic (IPG) a suscité de nombreuses réactions et interrogations dans l’industrie publicitaire. « J’ai l’impression qu’il y a plus d’enquêtes sur ce deal que pour l’assassinat de Kennedy en 1963 », déclame, non sans ironie, Russel Wohlwerth, partner et consultant en choix d’agences chez Roth Ryan Hayes à Los Angeles.

La Réclame n’ayant rien à dire sur la mort de JFK, revenons en détail sur les conséquences de la future fusion Omnicom – Interpublic pour ces groupes et pour le marché.

Les chiffres clés

Commençons notre enquête avec quelques éléments comptables.

– Le chiffre d’affaires 2023 du nouvel ensemble représente 25,6 milliards de dollars, plaçant immédiatement la holding comme n°1 mondial, sous réserve que les contextes de 2024 et de 2025 soient relativement stables. (source : Omnicom Group).

– 57 % des revenus sont générés aux États-Unis, 43 % dans le reste du monde.

– Omnicom rachète IPG grâce à un échange d’actions. No cash. Les actionnaires d’Omnicom pèseront pour 60,6 % des parts du groupe post fusion, et ceux d’Interpublic en seront à 39,4%. Sous réserve de mouvements d’ici là.

– La transaction valorise IPG à 13 milliards de dollars.

– Le deal sera finalisé d’ici 8 mois environ, au second semestre 2025.

– La réaction de la bourse n’a pas été enthousiaste. Le cours d’Omnicom a chuté. Celui d’IPG est monté lors de l’annonce – ce qui est logique – avant de redescendre, ce qui ne témoigne pas d’une grande confiance des marchés quant à l’issue de cette fusion.

Le cours de Publicis frise quant à lui avec son plus haut historique, et celui de WPP n’a pas semblé réagir à l’annonce d’Omnicom IPG.

– Le marché publicitaire est estimé en 2024 à 1000 milliards de dollars par an, le digital écrasant tout sur son passage, avec une part croissante (plus de 50 % !) allant aux plateformes : Google, Meta, TikTok, et même Amazon qui soigne grandement ses marges grâce à ses « ads » en plus du cloud.

Les raisons derrière cette fusion

« J’ai du mal à voir les bénéfices pour les entreprises concernées, l’industrie ou les clients qu’elles servent », a déclaré, circonspect, Mark Penn, CEO du groupe Stagwell, une holding d’un nouveau genre.

Joanne Davis, consultante en choix d’agences à New York au sein du réseau SCAN International, tempère la saillie du propriétaire d’Anomaly (dont fait partie WNP) : « Pour les grands annonceurs, ‘bigger is better’. Cela leur garantit une offre plus robuste, notamment pour les clients d’IPG, où les capacités dans le domaine des médias étaient moins solides que celles d’Omnicom. »

Au-delà des retombées supposées positives pour les clients, deux grands courants semblent justifier cette méga fusion. La rentabilité et la tech.

« Il y a une double réponse industrielle à court terme. D’une part, un investissement massif dans l’IA et les technologies. Ces investissements coûtent extrêmement cher, et en s’alliant, ils peuvent mutualiser ces coûts. D’autre part, il y a une mutualisation des restructurations qui auraient de toute façon eu lieu. En consolidant ces efforts, ils réduisent les coûts liés à la transition », observe Fabrice Valmier, consultant en sélection d’agences et co-dirigeant de Groupe VTscan (dont la Réclame fait partie).

John Wren, PDG d’Omnicom, ne dit pas le contraire dans le communiqué confirmant la nouvelle : « Cette acquisition stratégique crée une valeur significative pour les actionnaires des deux groupes en combinant des plateformes de données et de technologies de classe mondiale, hautement complémentaires, permettant de nouvelles offres pour mieux servir nos clients et stimuler la croissance. Grâce à cette combinaison, nous sommes prêts à accélérer l’innovation et à exploiter les opportunités considérables offertes par les nouvelles technologies dans cette ère de changements exponentiels. » À noter que le mot « créativité » n’est pas présent une seule fois dans ce communiqué. « Les activités tech et d’achat média représentent là où est l’argent aujourd’hui », concède Russel Wohlwerth.

Intéressons-nous maintenant aux deux principales forces motivant ce rapprochement.

1. Les économies d’échelle

750 millions d’économies annuelles. C’est ce que prévoit Omnicom. « L’idée est de créer un holding plus efficace. Cela permettra de réduire les coûts en éliminant les rôles redondants et d’augmenter la valeur actionnariale, ce qui satisfait les attentes des investisseurs, notamment sur les marchés boursiers », analyse Joanne Davis.

Fin connaisseur des « build-ups » après 32 ans à la tête de WPP, Sir Martin Sorrell s’est confié chez Campaign : « IPG était vulnérable sur le marché, et l’acquéreur l’a emporté en raison des synergies de coûts potentielles – ils pouvaient offrir un prix plus élevé ». Reformulons en prenant le temps. Martin Sorrell dit ici que le dossier IPG a dû être sur la table d’autres groupes. Et que c’est la capacité d’Omnicom et d’IPG à réaliser ensemble de très grandes économies qui a permis à Omnicom de proposer une offre plus intéressante que celles de la concurrence.

L’ex-CEO le mieux payé du Royaume-Uni ne croit pas au vernis technologique / IA de ce deal. Pour lui, la réalité est moins réjouissante : « Les clients lancent constamment des appels d’offres avec des budgets réduits, tandis que les talents passent d’une agence à une autre avec des salaires plus élevés. Ainsi, les revenus diminuent tandis que les coûts augmentent, en particulier pour les agences traditionnelles. Cette pression fondamentale, plutôt qu’une quelconque innovation stratégique, est ce qui pousse réellement à la consolidation de l’industrie. Il ne s’agit pas de revenus ou de croissance des revenus. Il s’agit de coûts. Il s’agit d’efficacité. »

Concrètement, de quelles natures seront ces économies ? Malheureusement, c’est la réduction de la masse salariale qui est la plus citée : Mark Penn (Stagwell) estime que « 5 000 employés ou plus perdront probablement leur emploi en raison de cette consolidation ». Martin Sorrell anticipe que les coupes concerneront 7500 à 10.000 personnes pour près de 130.000 employés dans les 2 groupes.

Moins de personnes donc… et moins d’agences ? Russel Wohlwerth est clair : « Oui, je pense qu’il y aura moins d’agences à l’issue de ce projet. » Il détaille que dans le marketing moderne, « tout le monde doit travailler ensemble au sein des organisations. » Trop d’agences dans une holding est selon lui « inefficace », et cette consolidation mènera à une réduction des marques internes. Comme nous avons pu l’observer chez WPP ces dernières années : JWT, Wunderman, VML et Y&R, qui par un jeu de fusions successives, ne s’appellent plus que VML, pour ne citer qu’un exemple.

Joanne Davis est catégorique : « Cela soulève des préoccupations pour les talents créatifs, qui s’identifient davantage à leur agence qu’à leur holding. Ils disent : ‘Je travaille pour McCann ou TBWA\Chiat\Day’, et non pour IPG ou Omnicom. »

Même « boule de cristal » chez Fabrice Valmier (Groupe VTscan) : « Il y aura moins d’agences et, globalement, un allègement du middle management, ce qui renforcera la rentabilité. Le secteur ne regardera plus la progression de la marge brute, mais celle de la profitabilité. Chaque holding gagnera 2 à 3 points de rentabilité dans les années à venir. Cela s’accompagnera d’une réduction de la masse salariale, avec 20 à 30 % d’effectifs en moins grâce à l’IA et aux nouvelles structures ». Outch.

2. Plus de poids face à la tech ?

John Wren (Omnicom) s’est confié au Wall Street Journal. Cette fusion va permettre à son groupe de « prendre des risques d’investissement plus importants pour tester de nouvelles technologies et plateformes. Cette acquisition nous permet de prendre le contrôle de notre propre avenir, plutôt que d’attendre que la technologie l’impacte de manière imprévisible », a-t-il déclaré.

Selon Joanne Davis, ce point est central : « Les deux groupes possèdent déjà d’excellentes capacités technologiques. Leur fusion va renforcer leur offre technologique, en particulier grâce à des actifs comme Acxiom, qui reste un atout majeur pour IPG. » John Wren se réjouit de l’arrivée du data broker Acxiom au sein de son groupe : « cela nous donnera accès à davantage de données. Acxiom dispose d’une bien meilleure compréhension des consommateurs, compte tenu du nombre d’attributs qu’ils mettent à disposition », a-t-il affirmé. Pour Fabrice Valmier, « le déploiement d’Acxiom à grande échelle aurait dû être fait depuis bien longtemps. Il sera complété par des solutions comme Omni. » Le co-dirigeant de Groupe VTscan s’interroge cependant : « La fusion renforce les positions actuelles de champions dans les métiers de la création et de l’achat média. Mais quid d’autres métiers comme le CRM ou le digital ? »

« C’est une course à la technologie ultime », déclare Russel Wohlwerth. En observant les exemples précédents, notamment l’intégration de Sapient par Publicis, il prévoit que cette fusion va accélérer le rapprochement entre technologie et médias. Selon lui, « le timing est parfait, notamment avec l’essor de l’IA. » Dans un registre plus personnel, il regrette cependant que toute cette data serve avant tout à « l’économie de la surveillance. Cela rend le marketing et la publicité encore plus intrusifs, ce qui m’inquiète. »

Cela sera-t-il suffisant face aux méga plateformes, très bien armées côté IA, et qui s’octroient déjà l’essentiel de la data et donc du gâteau publicitaire ? « À long terme, les annonceurs pourront simplement nous donner un objectif commercial et un budget, et nous nous occuperons du reste pour eux », a prévenu Mark Zuckerberg lors de l’annonce des résultats du 2e trimestre 2024 de Meta. Voilà également de quoi s’inquiéter pour les agences ?

Pourquoi cette fusion va aller au bout

S’il y a un point qui ne semble pas alarmer le panel d’experts interrogés pour ce dossier, c’est celui de la faisabilité du projet. Certes, la fusion ratée avec Publicis en 2014 est dans les tous les esprits. Mais 10 ans plus tard, le contexte est ô combien différent.

Pour Russel Wohlwerth, ce rapprochement a toutes les chances de réussir. « Contrairement à l’échec de 2014 entre Omnicom et Publicis, cette fois-ci, il s’agit de deux entreprises américaines partageant une culture similaire, et cela fait toute la différence. » Au-delà de la symbiose culturelle, pour Joanne Davis, l’échec de la fusion « POG » de 2014 vient « de la fusion entre égaux. Cela posait problème car personne ne savait clairement qui était aux commandes. Aujourd’hui, il est évident qu’Omnicom dirigera cette acquisition. » Celle-ci se montre néanmoins prudente : « Les deux parties sont alignées, mais il faudra attendre entre six et huit mois pour obtenir les approbations réglementaires. » 

Nos deux consultants américains interrogés voient dans l’élection de Donald Trump, clairement « pro-business », un terreau propice pour mener à bien cette fusion sans risque de barrière antitrust. Du moins, aux États-Unis. Cela pourrait être moins fluide dans d’autres pays. Mais avec 57 % des revenus, le marché états-unien représentera quoiqu’il arrive la part majoritaire de ce projet en bonne voie.

Quel impact en Europe et dans le reste du monde ?

La secousse se fera principalement ressentir aux États-Unis, explique Joanne Davis : « La majorité des investissements publicitaires mondiaux se concentre aux États-Unis. Un client m’avait dit : ‘Si nous échouons aux États-Unis et en Chine, nous échouons partout.’ »

Elle note cependant que cette fusion est moins orientée vers une expansion mondiale : « Il est surprenant qu’ils n’aient pas cherché à acquérir Dentsu, ce qui leur aurait permis de renforcer leur présence en Asie. » Fabrice Valmier (Groupe VTscan), confirme : « Ce rapprochement consolide les positions aux États-Unis, mais il ne renforce rien en Asie, où ces groupes restent faibles. »

Quelles opportunités pour le marché ?

« Omnicom a décidé de faire des emplettes. » s’est amusé Arthur Sadoun, très bon joueur dans sa vidéo de réaction. Dans cet habile exercice de communication corporate, le PDG de Publicis Groupe, voit dans cette fusion de nombreuses opportunités pour le marché : « Notre industrie est mise à l’épreuve par les marchés financiers en ce moment. Les analystes décrivent Publicis comme une belle maison, mais dans un mauvais quartier. Ce quartier commencera à avoir bien meilleure allure si nous passons à trois grands leaders mondiaux. »

Un mauvais quartier en pleine tempête pour Sir Martin Sorrell, dont le verbe haut de lord anobli n’est jamais loin, déclarant dans le WSJ : « Je vois surtout deux groupes qui se blottissent l’un contre l’autre pour faire face à un vent glacial. »

Arthur Sadoun sait aussi, d’expérience, qu’une telle fusion mobilise énormément en interne, à commencer par la direction. Ce projet titanesque va nécessiter beaucoup d’énergie et d’attention, alors que pour Publicis la transformation data / tech / « power of one » est achevée selon Arthur Sadoun. Si bien que le groupe français sera « laser focus » sur ses clients en 2025, pendant qu’Omnicom IPG s’empêtrera dans des sujets de due diligences et d’intégrations complexes. Un sacré avantage compétitif. Mark Penn (Stagwell) abonde dans ce sens : « Les deux entreprises risquent d’être figées pendant probablement deux ans, entre les approbations réglementaires à l’échelle mondiale, les réductions d’effectifs et les réorganisations pilotées par des consultants. »

Arthur Sadoun se réjouit également que son groupe redevienne à nouveau challenger, « c’est là que nous donnons le meilleur de nous-mêmes. »  Cela pourrait aussi libérer une place dans les appels d’offres où Omnicom IPG n’enverrait qu’une agence au lieu de deux.

Pour Joanne Davis (SCAN International), cette situation pourrait profiter aux agences indépendantes : « Les agences indépendantes se réjouissent. Elles pensent pouvoir attirer des talents qui ne se reconnaîtront plus dans ce grand ensemble. Cela pourrait aussi être bénéfique pour les agences de taille intermédiaire, qui séduisent des clients à la recherche de plus d’agilité. » Russel Wohlwerth confirme : « Les petites agences challengers auront un rôle à jouer. »

D’autres fusions sont-elles à venir ?

Un projet d’une telle ampleur ne crée pas forcément une tendance, les candidats à de telles fusions n’étant pas légion. Mais l’air du temps semble tout de même à la consolidation. Nous avons donc demandé à nos interviewés de faire quelques pronostics.

Joanne Davis (SCAN International) mentionne des rumeurs autour de Publicis et de Havas : « Ces spéculations reviennent souvent, mais je n’y vois rien de concret pour le moment. »

Fabrice Valmier (VTscan) évoque une possible deuxième vague de consolidation : « Ce deal pourrait ouvrir la voie à d’autres rapprochements, comme entre Havas et Dentsu, qui étaient déjà partenaires il y a 35 ans. Une telle fusion aurait une complémentarité géographique et technologique très intéressante », tous les continents seraient ainsi couverts, avec des agences « championnes » sur tous les territoires.

Il élargit : « Je pense que la surprise viendra plutôt d’un acteur en dehors des Big Six. Il faut surveiller des acteurs non traditionnels comme Tata Consulting, qui pourrait racheter une structure comme MullenLowe ou Havas. Cet acteur technologique deviendrait un nouveau Accenture Song, bouleversant encore davantage le marché. » On prend les paris ?

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