Crier à la censure, est-ce une bonne stratégie RP ? Le cas VanMoof

Par Élodie C. le 25/03/2021

Temps de lecture : 10 min

Une campagne labellisée "Pas vue à la télé".

Les voies de l’ARPP sont-elles impénétrables ? Pour VanMoof, constructeur de vélos à assistance électrique haut de gamme, la question se pose alors que sa première campagne publicitaire « Reflections » est retoquée par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité à l’heure où des organisations comme Greenpeace demandent la promulgation d’une loi Evin climat. Réglementation instaurant l’interdiction des publicités faisant la promotion de produits néfastes pour l’environnement. De l’aérien, aux énergies fossiles en passant par l’automobile. Qu’à cela ne tienne, le constructeur néerlandais a rendu publique la décision de l’ARPP.

Un effet Streisand retentissant plus loin, Alfa-Claude Djalo, porte-parole France et responsable des relations publiques de VanMoof, et Pascal Duval, directeur artistique de l’entreprise, reviennent pour nous sur cette campagne « pas vue à la télé » dans ce nouveau bilan de campagne.

Le brief

En pleine torpeur estivale, alors que la pandémie dessine déjà les contours du monde d’après en écho aux attentes de citoyens tout juste « libérés » d’un premier confinement, la pratique du vélo explose et la vente de bicyclettes — notamment électriques — suit le même chemin (x 2 entre mai et juin). En 2020, la pratique du vélo a ainsi augmenté de 10 % en France. 

C’est dans ce contexte propice que la société dévoile une première campagne afin de mettre un coup de projecteur sur ses produits, mais pas seulement. VanMoof entend également faire connaître « son but et sa vision », souligne Pascal Duval, directeur artistique de la marque : « Un but qui consiste à faire de VanMoof une partie de la solution afin de rendre les villes plus vertes, plus propres et plus sûres et, plus généralement, améliorer notre environnement. » Dans la publicité, la voiture est ainsi utilisée comme « une icône de l’Ancien Monde, faisant place au nouveau. »

« J’aime à penser que VanMoof est un outsider, un “enfant terrible” qui n’a pas peur de faire les choses différemment, poursuit Pascal Duval. Tout a commencé il y a des années avec sa forme emblématique et sa philosophie du design. Aujourd’hui, nous montrons au monde que les deux roues sont la voie à suivre, en remettant en question le statu quo du transport urbain. »

La société néerlandaise ambitionne ainsi de représenter la communauté du vélo en général. « En allant de l’avant, VanMoof peut porter le message des cyclistes et contribuer à changer cette culture en faisant sortir les gens de leur boîte en fer. »

La campagne

« Reflection » est diffusée dans un premier temps sur les réseaux sociaux de VanMoof (dont YouTube et Instagram) début juin 2020, mais aussi à la télévision et au cinéma aux Pays-Bas et en Allemagne.

Comme le rappelle, Pascal Duval, le film « Reflections » a été réalisé pour la télévision dans ces deux pays, mais également en France puisqu’il était initialement prévu pour le lancement des nouveaux vélos S3 et X3 de la marque. 

Si la dernière campagne de VanMoof, « Rethink The City », est exclusivement digitale, c’est qu’elle fait suite à la vidéo en images de synthèse/3D diffusée en ligne en janvier dernier dans lequel une grenouille se promène sur la selle d’un vélo de la marque. 

Une campagne OOH a également été déployée. « C’est donc possible de se conformer de manière responsable plutôt que d’instrumentaliser “à bon compte” les consommateurs, qui plus est plutôt haut de gamme, au vu du prix démarrant à 2000 € », tance Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP en nous présentant l’affiche déployée.

La décision de l’ARPP

La campagne « Reflection » de la société néerlandaise VanMoof est mise au rebut. Plus précisément, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité émet un avis défavorable en mai 2020 quant à sa diffusion en TV et encourage le constructeur à revoir sa copie qualifiant la publicité d’« anxiogène ».

Si tous les films publicitaires télévisés et/ou diffusés sur les Services de Médias Audiovisuels à la Demande (SMAD) sont soumis à une procédure obligatoire, il convient de préciser que les recommandations de l’ARPP ne sont pas contraignantes, même si elles sont majoritairement suivies par les diffuseurs.

Stéphane Martin de l’ARPP nous explique avoir été sollicité pour conseil par l’un de leurs adhérents, l’agence allemande DC Media Networks GmbH. 

En l’espèce, dans son courrier adressé à VanMoof l’ARPP estime que « certains plans présents dans les reflets de la voiture apparaissent, à notre sens, disproportionnés et jettent un discrédit sur tout le secteur de l’automobile […] : plan d’usines/cheminées et d’accident, tout en créant un climat anxiogène. » 

Selon l’organisme, cette publicité « tombe dans un excès avec des images qui n’ont pas lieu d’être, comme ces fumées de cheminées d’usine, qui n’ont pas de rapport avec l’industrie automobile ». 

« La réponse qui leur a été apportée s’appuie sur la notion de risque de dénigrement d’une industrie tout autant légale que celle du vélo électrique, se défend Stéphane Martin. Jurisprudence constante en France que l’on ne doit pas retrouver en Allemagne ou aux Pays-Bas, ce qui est habituel. »

Quoi qu’il en soit, la publicité passe sans encombre dans ces deux pays, quand bien même l’industrie automobile pèse de tout son poids dans l’économie allemande. Ce qui soulève nombre de questions du côté de VanMoof qui ne comprend pas la décision de l’organisme.

L’idée de jouer sur la « censure » de l’ARPP était-elle prévue dès le départ ? PETA est passé maître dans l’art de communiquer sur ses publicités interdites, notamment de Super Bowl.

« “Reflection était le tout premier film d’une longue série, nous révèle Alfa-Claude Djalo, responsable des relations publiques de VanMoof. Nous en étions très fiers et voulions le présenter sur les marchés les plus importants d’Europe. » À savoir la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. « La campagne n’a rencontré aucune difficulté, sauf en France. À aucun moment il n’a été question de jouer sur un refus ou d’aller à contresens des recommandations dans la partie brief de la campagne. Pour tout vous dire, nous ne connaissions pas l’ARPP avant qu’elle ne délivre sa décision. » 

En effet, le porte-parole du constructeur nous explique même avoir pensé à une censure de l’Etat français, imaginant qu’il s’agissait d’une autorité publique et non de professionnels de la publicité qui formulait ce refus. « Ce fut très choquant sur le moment, nous n’étions pas au courant de tout ce processus. » VanMoof ne comprend d’autant plus pas la décision qu’elle estime sa mission en accord avec les enjeux de publicité durable et environnementaux.

Le constructeur juge donc la décision de l’ARPP pour le moins ambiguë et rappelle la propension de l’organisme à favoriser les intérêts des grandes entreprises au détriment d’un changement de société significatif. Il donne pour exemple les campagnes de Greenpeace de 2020 et Médecins du monde refusées par l’ARPP.

« Leur opposition à notre publicité se fait à un moment où l’industrie de l’automobile se trouve en réelle difficulté. Les ventes de voitures s’effondrent, et le gouvernement français a été obligé d’injecter 8 milliards d’euros dans un plan de soutien au secteur. »

VanMoof

« Tout cela nous a interpellés, nous avons donc porté le message publiquement concernant ce manque de clarté, ce qui a suscité la polémique et le débat qui a suivi. C’est devenu une stratégie malgré nous », explique Alfa-Claude Djalo pour qui l’ARPP défend des intérêts personnels. « C’est un organisme composé de professionnels de la publicité, celui-ci manque peut-être de distance par rapport à ces questions-là. Lorsqu’on nous reproche de jeter le discrédit sur l’industrie automobile et qu’on aperçoit Renault (via Dacia) dans le comité de direction, la question se pose : quels intérêts sont défendus ? »  

À cela, Stéphane Martin oppose la notion d’autorégulation. « L’annonceur est néerlandais — bien qu’il existe notre homologue SRC aux Pays-Bas — et semble ne pas vouloir comprendre comment fonctionne l’autorégulation. Les règles sont co-construites par les professionnels, qui sont concurrents entre eux, clients, commanditaires… et la société civile. Mais une fois adoptée, la règle est appliquée par une équipe dédiée (23 salariés) qui délivrent des conseils tous médias à titre strictement confidentiel au seul demandeur. Par ailleurs, budgétairement, aucun adhérent sur près de 800 n’a un poids dans le financement de l’ARPP, volontairement éclaté et accessible : moins de 3000 € de cotisation annuelle en moyenne, qui dépasse les 4 % de nos ressources (et ce n’est pas un annonceur !). »

« Nous ne pouvions pas donner suite à la demande de l’ARPP, se souvient Alfa-Claude Djalo, responsable des relations publiques de VanMoof. Il aurait fallu tout changer, repartir de zéro et supprimer les plans qui réfléchissent sur la voiture. C’est un temps et un budget que nous n’étions pas prêts à débloquer. » Comme il le précise, bien que présent depuis 2009 sur le marché du vélo électrique, l’entreprise était encore à l’échelle startup il y a un an et demi et elle poursuit ses levées de fonds. Elle a connu une croissance fulgurante en 2020 passant par exemple de 200 employés à 775 en un an et d’une communauté de 70K à 150K passionnés aux quatre coins du monde. 

« Encore une fois, cet avis défavorable nous paraissait lunaire : devoir changer notre message et le dénaturer parce qu’il jetterait le discrédit sur l’industrie automobile allait à l’encontre de nos valeurs, de ce que l’on défend et de notre message », conclut Alfa-Claude Djalo.

Les résultats

– Un important effet Streisand ;
– 6,8 millions de vues (médias en ligne) ;
– + 2 millions de vues sur la vidéo YouTube ;
– 160 millions de vues TV ;
– 1,7 millions de visiteurs sur le site de la marque (+410 % vs la même période l’année passée) ;
Pour la campagne YouTube déployée à Lyon et Paris :
– 8 447 392 impressions ;
– Fréquence moyenne de 1,9 (4 millions d’utilisateurs uniques touchés) ;
– 21 % des utilisateurs ont regardé au moins 75 % de la publicité skippable ;
– Engagement élevé envers le contenu, quelle que soit la durée de la vidéo, 30 et 45 secondes.
– Le format de découverte a suscité l’intérêt pour la marque et a permis de recruter de nouveaux abonnés à sa chaîne YouTube.
– 150 articles parus dans le monde : Inde, Amérique de Nord et du Sud ;
– excellent accueil de la communauté ;
– pic d’audience constaté au lendemain du refus de l’ARPP : la polémique a incité les gens à réaliser des recherches sur la marque et la communauté VanMoof, celle des cyclistes ou ceux engagés sur l’environnement ont tenté d’apporter leur pierre à l’édifice en diffusant la campagne « interdite » sur leurs propres réseaux nous confie Alfa-Claude Djalo ;
– la communauté a grossi de +92 % en un an.

Les clés du succès

Une campagne forte
La vidéo dit tout en quelques plans : embouteillages, pollution, risques d’accidents de la route, etc, et symbolise le passage d’un monde ancien à un monde plus soucieux de son environnement. “Elle est originale et inattendue – au lieu de dire que tel vélo est meilleur que tel autre, nous avons eu une position forte face à l’industrie automobile, à ce qu’elle représente et nous l’avons fait ressortir au sein de l’industrie du vélo qui est très statique”, estime Pascal Duval, le directeur artistique de VanMoof. 

– Une mission / raison d’être
Cette campagne entend incarner la raison d’être de VanMoof. “Elle vient du cœur – elle a un but, elle ne se contente pas de « vendre un vélo cool ». Je crois qu’en tant qu’êtres humains, nous devrions revoir notre comportement et notre culture, et je pense que c’est pour cela que cette vidéo a eu autant de succès.”

– Polémique et effet Streisand
C’est le biais de toute campagne polémique, interdite ou juste critiquée, elle suscite l’intérêt et la curiosité. Le refus du gendarme de la pub a généré un tollé sur les réseaux sociaux et dans la presse. Dans les commentaires, certains internautes disent avoir vu la publicité suite à l’avis défavorable de l’autorité française.

“Elle lance une conversation et montre aux gens une alternative à la voiture, à leurs déplacements quotidiens. En faisant du vélo, nous pouvons contribuer à rendre nos villes plus vertes, plus propres et plus sûres. J’ai vraiment été surprise par l’interdiction en France, mais encore plus surpris qu’elle soit reprise par les médias du monde entier, s’étonne encore Pascal Duval. J’ai vraiment eu l’impression de vivre un « moment Zeitgeist”. Au même moment, les gens renversaient des statues et les mouvements des droits civiques ont eu un échos sans précédent aux quatre coins du monde. Je sais que nous ne sommes qu’une marque de vélos, mais cela montre qu’il n’est pas permis d’interdire une vision, une idée que l’on pourrait considérer comme la vérité, basée sur des faits réels et, au final, qui œuvre pour un monde meilleur.”

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