La Réclame aussi est à la relance.
Les cartables ont repris le chemin de l’école, les communiqués de presse réinvestissent les boîtes mail, les dernières photos de soleil couchant postées sur Instagram ont déjà un goût de temps révolu, et sur les chaînes d’information en continu, le même thème (ou presque, si vous regardez CNews) : oui, c’est la rentrée !
« À la relance », c’est le nouveau format pensé pour ce mois de redémarrage. Pour cela, la Réclame est allée sonder les principaux représentants du secteur du marketing et de la communication pour connaître l’état d’esprit des acteurs de l’industrie publicitaire. Qui dit rentrée, dit reprise. Reprise des activités et — donc ? – de l’économie. Après 18 mois marqués par la crise sanitaire, la fameuse relance est-elle enfin là, les investissements ont-ils repris de manière significative et où se portent-ils ?
La relance est d’ailleurs le thème central de la 15e édition des Rencontres de l’UDECAM — « Ensemble pour la relance » — qui se tiennent le 7 septembre prochain au Parc Floral de Vincennes. L’occasion de nous entretenir avec Gautier Picquet, président de l’UDECAM, COO de Publicis France et CEO de Publicis Média, à la veille de cet événement.
Quel est le moral du secteur en cette rentrée ?
Gautier Picquet : Globalement, soyons honnêtes, nous sommes dans un optimisme. Nous parlons tous de relance, c’est le mot qu’on a à la bouche, donc évitons d’être Français, de gémir et geindre, disons qu’on est confiants. Maintenant, nous sommes face à quelque chose de génial intellectuellement, la minute de vérité : depuis trois trimestres, nous nous comparons à des résultats de Covid et chiffres dégueulasses en 2020, mais nous entamons notre dernier trimestre qui n’était pas dans un Q4 de Covid, mais déjà de relance l’année passée, avec des mois incroyables.
La minute de vérité c’est de savoir si cette relance est conjoncturelle sur des mois difficiles ou structurelle, ce qui serait formidable pour tout le marché.
Je suis confiant, je pense qu’elle est structurelle et que l’ensemble de l’écosystème média a repris sa dynamique, même si on n’atteint pas encore les chiffres de 2019, mais nous sommes dans des élans qui sont bons, il faut donc être optimiste et savoir en profiter. Nous sommes dans des métiers qui ne sont pas toujours simples, de non croissance. Désormais nous parlons de croissance à deux chiffres, donc soyons heureux tout simplement.
La minute de vérité est structurellement intéressante, comment allons-nous comparer ce Q4 avec le Q4 de l’année dernière, les vrais trois mois sans covid ou contraintes.
L’ensemble des annonceurs et des marques ont compris qu’il fallait investir structurellement le temps long et que cette reprise et relance s’inscrit sur plusieurs mois et années.
Sentez-vous un regain d’activité au sein des agences et d’investissements de la part des annonceurs ?
G.P. : Pour être très franc, le regain a toujours été là. Cela dépend du prisme à travers lequel on le regarde : le regain économique et le regain d’activité. Les agences ont été, plus que jamais, à la hauteur lors de cette crise. Je dis souvent une phrase qui peut choquer : les agences sont sorties plus fortes de cette crise. Elles ont été proches des annonceurs, agiles, ont apporté des solutions de transformation, ont dû tout défaire et reconstruire.
Après, effectivement, le rôle d’après crise amène un nouveau regain intellectuellement très fort. Il y a une volonté de chercher du ROI court terme rapidement, (re)construire le chiffre d’affaires au quotidien, c’est le regain économique court terme. De l’autre côté, vous avez le regain intellectuel stratégique de long terme – notre métier c’est construire des marques, des histoires sur le long terme. Un regain de conseils, de valeur stratégique, comment accélère-t-on les transformations ? Tous les grands annonceurs du CAC 40 font des projections à 2025, accélérer le e-commerce à 50 %, construire des global brand, etc. (C’est à dire construire des CA au quotidien, roi court terme, et dans ce regain on a un regain de conseil de valeur strat et intellectuel plus fort que jamais sur avoir de la projection et accompagner la transformation de nos clients). Donc on a bien un regain de nouvelles activités, mais il ne faut pas croire qu’auparavant nous étions tranquilles à nous endormir. Je n’ai pas l’impression d’avoir eu 24 mois de vacances, pourtant j’aurais adoré.
Nous sommes dans un regain très différent, les agences ont été très mobilisées pendant 18 mois, ce fut très dur pour tout le monde. Il y a un nouveau prisme et une nouvelle attention, on parle de relance, mais surtout d’accélérer la transformation.
Où se portent ces investissements ?
G.P. : Aujourd’hui, les investissements ont tendance à trop ou tous se porter sur des stratégies très courtes termistes, de ROI immédiat, donc souvent des stratégies 100 % digital. En cette période de rentrée, on voit de plus en plus dans les stratégies de septembre-décembre, des réflexions d’équilibre média entre le ROI et ROA : comment construit-on une marque dans le temps, ou la nouvelle géographie économique des publicités ?
On oublie souvent que les marques et les annonceurs sont mondiaux. On a perçu la Chine comme le nouveau tremplin du retour à la relance : quelle est aujourd’hui sa place dans l’écosystème média des grandes marques comme L’Oréal, LVMH, Lactalis, Nestlé, etc. Comment se placent les États-Unis, la Chine et l’Europe ? Comment trouver l’équilibre entre les enjeux de responsabilité — environnementale, éthique consommateur et data — et de business ? Cela nous donne de nouveaux équilibres par rapport aux médias choisis.
Nous faisons face à de vraies questions : hier, nous étions focalisés sur le résultat, et aujourd’hui, le consommateur challenge les marques. Au-delà de la crise sanitaire, nous avons vu surgir une crise de conscience des individus par rapport à leur consommation, à leur vie. Le consommateur nous a montré qu’il pouvait, du jour au lendemain, changer ses habitudes et arrêter de consommer certaines marques. Dans les investissements média que l’on mène, il est donc nécessaire de le prendre en considération et de ne pas seulement de se dire « reconstruisons par de l’investissement média ». Le monde d’avant n’existe plus, nous devons appréhender ce Nouveau Monde. Un monde avec plus de sens et de responsabilités.
Justement, les nouvelles stratégies se portent vers le digital, là où se trouvent les audiences, notamment les plus jeunes qui sont exigeants en matière d’enjeux environnementaux, éthiques, etc. Pourtant, le média digital n’est pas le moins polluant, loin s’en faut.
G.P. : Dire, « nous voulons être une marque responsable, nous engager pour la planète et pour le consommateur afin de le protéger » nécessite de se poser la question du média et du channel sur lequel on s’exprime. Idem pour le brand safety : cela induit d’investir sur les sites protégés. Par exemple la certification Digital Ad Trust pour des environnements qualifiés et reconnus.
Ce qui est formidable dans cette crise sanitaire, c’est ce réveil des consciences. Des consciences de la responsabilité et de l’éthique environnementale notamment. Cela a permis au métier de se questionner, certes brutalement et sous contrainte avec la loi climat & résilience, mais c’était nécessaire. Le consommateur ne veut plus subir la publicité d’où le phénomène des adblockers, il a donc fallu réécrire narrativement. La nouvelle campagne de la SNCF lancée récemment en est le parfait exemple, comme celles d’Intermarché, dont la dernière « Un endroit pour vivre ». Notre métier a été réveillé, à nous de ne pas nous rendormir, mais de construire dessus : comment crée-t-on de l’intelligence dans ce phénomène de relance économique où l’argent revient constamment ? C’est notamment se poser la question sur le digital, quelle est notre responsabilité d’amener des marques à être 100 % digitales, entre la stratégie de ROI court terme et la stratégie d’engagement à long terme.
Les marques et les médias font un travail formidable sur leur empreinte carbone, ils sont investis, mais il faut aller encore plus loin, notamment sur la brand safety. Ce sont les sujets stratégiques de demain : la responsabilité. Je le dis à mes équipes, notre responsabilité est de ne pas céder à une performance facile, mais responsable. Le plus important, ce n’est pas de toucher le plus grand nombre de personnes, mais des personnes ciblées et intéressées. Ne faisons pas de la publicité dans l’air.
Comment voyez-vous l’année se profiler ?
G.P. : 2022, c’est la minute de vérité. Je la vois positive, c’est très français : la machine est lancée et personne ne veut la voir s’arrêter, nous avons tous envie de vivre. Pour l’instant, les mesures barrière et les différents protocoles sont plutôt intelligemment déployés, il n’y a pas de raison pour que la consommation s’arrête. Nous devrions donc avoir une très bonne année. Est-ce qu’elle sera encore meilleure que celle qu’on espère tous ? C’est la minute de vérité Q4.
Y a-t-il des menaces pouvant contrecarrer cette reprise ou est-ce que le marché et l’économie ont gagné suffisamment en résilience pour ne pas s’en inquiéter ?
G.P. : C’est une question très stratégique. Y a-t-il des barrières ? Malheureusement oui. Et ces barrières sont des incertitudes de profondeur. La première, à très court terme, c’est la rupture de certaines matières premières. L’automobile par exemple va faire face à une crise très difficile, celle des composants techniques. Elle a déjà commencé et va se poursuivre, le secteur ne pourra donc plus construire de voitures, les flux de commandes vont s’atténuer ce qui pourrait avoir un impact sur nos métiers.
Ensuite, nous sommes dans un moment d’incertitude du consommateur : vous et moi tentons de revivre sans le Covid, mais on nous le rappelle quand même toutes les 5 minutes, notamment à travers le pass sanitaire, le port du masque, le télétravail, etc. Nous n’en sommes pas encore sortis et cela pose question. La relance est là, mais non sans une certaine incertitude.
La 3e barrière est la plus grande et elle est très française, ce sont les élections présidentielles. En France, c’est le moment de l’arrêt de tout en communication : ce sont les mauvaises années où parler avant n’est pas idéal, car il n’y a pas de visibilité donc il faut être prudent, et parler après prend du temps. La prochaine barrière pour 2022, ce sont donc les 17 et 24 avril.
Enfin, il y a nos barrières de métiers qu’il ne faudrait pas oublier tant elles sont importantes :
– la loi climat & résilience : une loi intelligente, mais d’obligation. Cela force les marques et médias à revoir leur système avec la conséquence éventuelle de créer des ralentissements, même si j’y vois plutôt un terrain d’opportunités. J’ai tendance à voir le verre à moitié plein.
– les recommandations de la CNIL sont de vraies barrières, car cette surinterprétation des décisions du RGPD peut ralentir les innovations du marché publicitaire, notamment digitales.
– l’arrêt à venir des cookies, même s’il a été récemment reporté, crée des barrières à l’investissement : aujourd’hui, nous sommes obligés de préparer ce qui adviendra dans trois ans plutôt qu’immédiatement.
À côté de ces barrières de marché, il y a une barrière, géniale en France, mais très compliquée à gérer : la construction des groupes l’année prochaine. Je vous défie de me dire à quoi ressemblera l’empire de monsieur Bolloré avec Europe 1, Prisma Média et les autres, si la fusion TF1-M6 va avoir lieu, et plus généralement quel sera le paysage média l’année prochaine. D’autant plus dans un paysage politique incertain, dans un moment de construction où les milliardaires s’arrachent les rachats et les fusions, etc. Plus il y a de monopoles et de création de positions fortes plus les annonceurs peuvent être mis en péril, il faut de la place pour tout le monde. Heureusement, le soleil est à l’horizon quand ce sont des nuages que l’on observe d’habitude.
À nous de dessiner l’avenir, de travailler un monde et un métier meilleur, nous ne devons pas subir. Je ne suis pas politique ou médecin, mon métier c’est la communication : je crois à cet optimisme, et c’est vraiment l’enjeu des Rencontres de l’Udecam de construire ensemble cette relance de responsabilité, d’inspiration, de rêve et de développement durable. Ce n’est pas juste une relance économique, mais une relance de fond que l’on doit mener.