Big Bang : l’interview utopique de Gabriel Gaultier et Franck Annese

Par Élodie C. le 03/05/2021

Temps de lecture : 20 min

On voulait le futur et on a eu l’omniprésence du présent.

Lorsque le publicitaire le plus punk de l’industrie rencontre l’éditeur le plus audacieux de sa génération, cela crée des étincelles desquelles est né Big Bang, l’almanach des autres mondes possibles. Une odyssée longue d’une décennie pour accoucher d’un magazine rassemblant autant d’utopies que nécessaire pour donner goût au futur à un moment où le présent semble imposer sa chape de plomb. 

Comment se sont-ils rencontrés ? Quelles sont les ambitions d’un tel projet ? Les possibles ont-ils une fin ?

Interview croisée de Gabriel Gaultier, fondateur de l’agence Jésus et Gabriel, et Franck Annese, dirigeant et co-fondateur du groupe So Press, à l’origine de ce nouvel univers des possibles. À publication exceptionnelle, interview exceptionnelle en duo, en version écrite et vidéo. Attention au grand boom !

L’interview minute

L’interview utopique

Gabriel, pouvez-vous nous raconter la genèse de cette idée ? Pourquoi un publicitaire se lance dans une telle entreprise média ? Était-ce une quête de sens que la publicité n’apporte pas toujours ? 

Franck Annese : Avant d’être un publicitaire, c’était un rockeur…

Gabriel Gaultier : L’idée m’est venue dans un train, de retour de Marseille. Je me suis dit qu’il serait génial que cette ville devienne la capitale de la France. Le projet était motivant et me paraissait très intéressant politiquement. Et de fil en aiguille, l’idée d’en parler dans un journal et d’y regrouper plusieurs utopies s’est formalisée. Le nom « Big Bang » m’est venu immédiatement.

Ensuite, pas mal de gens ont gravité autour. J’ai rencontré Franck assez vite, car nous nous connaissions déjà, c’est l’une des premières personnes à qui j’en ai parlé. La maquette initiale doit traîner quelque part sur mon étagère, en relativement bon état. Puis, comme tous les projets, on remet les choses à plus tard, et un jour ils sortent. On peut penser que c’est long, mais 10 ans, ça passe vite malheureusement. 

Franck, comment vous êtes-vous rencontrés et vous êtes-vous réunis autour du projet Big Bang ? Quelle est son ambition, au-delà des 80 000 exemplaires à écouler ?

F.A. : La première fois que j’ai rencontré Gabriel, j’étais à votre place : je l’ai interviewé pour Culture Pub. Ça date, ce devait être en 2000, quelque chose comme ça. 

J’ai continué à suivre ses campagnes, j’étais assez admiratif de la façon dont il menait sa trajectoire publicitaire. Ce n’est jamais facile de résister au temps qui passe et je trouvais qu’il y parvenait bien. Je ne me rappelle plus comment on en est venu à se côtoyer un peu plus, mais nous nous sommes revus il y a une dizaine d’années, c’est à ce moment-là qu’il m’a parlé de Big Bang, je trouvais ça assez dingue et excitant. 

Il fallait néanmoins avoir les épaules et le temps pour le faire. Pendant très longtemps, le groupe était structuré comme un fanzine : j’étais au four et au moulin sur beaucoup de choses, nous étions peu nombreux, c’était compliqué de s’y dédier véritablement. On a toujours peur de faire de la merde, et quand ce n’est pas sa propre idée, la peur de décevoir s’y ajoute. Il faut pouvoir s’y consacrer totalement.

La première tentative n’avait pas abouti pour des raisons de temps notamment, puis la vie a fait son œuvre… 2020 a été une année assez merdique qui a mis fin à bon nombre d’utopies par son aspect très terre à terre et pandémique. C’est le moment où on envisage un avenir souhaitable, ou l’on rêve à la grande aventure de la vie qui était moins au cœur de 2020. Le projet faisait plus sens que jamais. 

Avez-vous néanmoins des objectifs affichés ? 

F.A. D’en vendre le plus possible !

G.G. : Que la discussion continue sur les sujets lancés, il faudra réfléchir à une plateforme, c’est mon boulot, et aussi observer l’écho que Big Bang peut avoir. Ce qui est intéressant, ce n’est pas d’avoir un projet prioritaire, mais que les idées deviennent des projets de lois, qu’un ministre s’empare de la question des drogues bonnes pour la santé par exemple ! L’objectif ce n’est pas de déposer les idées, mais de lancer des pistes pour que les gens y réfléchissent.

Je me dis toujours, si les Martiens débarquaient maintenant, on aurait l’air de quoi avec nos problèmes, nos conflits… les mecs, tenez-vous, rangez vos affaires. Arrêtons nos conneries et débats de polémistes chez Ruquier. La calotte glaciaire, la conquête vers Mars…

F.A. :… voyez un peu plus loin !

G.G. : D’ailleurs, Big Bang c’est une utopie en soi. Le faire n’était déjà pas évident, mais nous y sommes parvenus. Concernant le sujet sur les Martiens, je suis certain qu’ils parleraient plutôt aux arbres qu’aux humains, ils les trouveraient moins cons. Je n’aurais jamais eu cette idée-là. Et puis, tu lances une idée, et elle devient cette utopie-là… C’est génial. Tu lances Marseille, capitale de la France, et autant il y a quelqu’un qui dira, « Vous avez tout faux les mecs, c’est Carcassonne ! » Et là, tu rehausses le niveau du débat. 

À qui s’adresse ce magazine ? 

F.A. : À tout le monde. La presse est un des rares médias où l’on peut faire un média d’offres, défendre quelque chose et trouver un public. On ne va pas faire des études marketing pour savoir quel doit être le positionnement du magazine. On serait sans doute bien surpris de découvrir quels sont les lecteurs de Big Bang : un petit branché du 11e ? Un médecin à Bourges ou un agriculteur à Dijon ?

G.G. : Je pense toujours au notaire d’Angoulême. Prendre un mec que tu ne connais pas et se demander comment l’intéresser. J’ai toujours été fasciné par Science et Vie qui parvenait à parler de mécanique quantique en le rendant compréhensible pour un môme de 14 ans en Normandie. Je trouve admirable de parler à tout le monde. Le Society sur XDDL a cartonné grâce à son écriture universelle.

À l’instar de So Foot sur Maradona, de la saga XDDL dans Society, du spécial Tarantino dans SoFilm, et maintenant de Big Bang dont la promotion se fait via l’affichage (presse et OOH), le social et la radio, l’avenir de la presse est-il dans l’évenementalisation, l’émulation collective et le bouche-à-oreille ?

F.A. : Une chose est sûre aujourd’hui, la presse n’est pas un média de temps chaud. Le temps d’imprimer un magazine, l’actualité est passée. Il faut savoir créer son actualité, ce qui ne signifie pas inventer n’importe quoi, mais savoir mettre en avant des sujets suffisamment importants pour créer de la conversation, de l’émulation, ou qu’ils fassent l’événement.

Le format magazine est un bon média pour ça, car il est relativement simple à consommer, et pas très cher puisqu’il ne nécessite pas un abonnement à l’année ou x euros par mois comme certaines chaînes. Chez So Press, on a tendance à vouloir faire l’événement à chaque lancement, et Big Bang s’inscrit dans cette démarche. Effectivement, comme la plupart des magazines du groupe So Press, chaque couverture est pensée comme un événement en soi.

G.G. : Je trouve intéressant que ce ne soit plus la presse qui suive l’événement, mais qu’elle soit un événement en tant que tel. On l’a vu il y a un an avec la saga XDDL ou plus généralement avec les couvertures de Society. Ce ne sont pas seulement de bonnes couvertures, elles sont un fait qui permet à la société de commenter ce fait. Une boucle se créée entre la presse et la société. Plutôt que de courir après le ballon en créant un hebdo, Society conçoit un objet. Aujourd’hui, il n’y a pas photo, tout le monde est distancé et court après l’actualité, alors que Society C’EST l’actualité.

F.A. : Nous ne sommes pas tout seuls, et fort heureusement. Même si nous sommes de moins en moins nombreux. La peur freine l’innovation. Avec l’apparition d’Internet, la presse a eu tendance à donner aux lecteurs ce qu’ils lisaient déjà gratuitement en ligne, des formats courts, mais en leur demandant de payer en prime. 

La valeur du magazine, ce sont les histoires qu’on y raconte. C’est ce que les gens sont prêts à payer, le travail fourni, des histoires différentes qui font l’événement, c’est ce qui a fonctionné avec XDDL. Heureux hasard, l’enquête a cartonné au-delà de nos espérances, même si nous savions que cela marcherait sans actualité sur l’affaire à ce moment-là. L’actualité c’était nous. 

G.G. : Ce qui était fabuleux, c’est d’avoir eu l’idée de couper cette enquête en deux parties. La dernière phrase de la dernière colonne était hallucinante. Finir sur une révélation. Et ce n’était même pas la meilleure couverture de Society. Je l’ai lu dans le TGV, je suis rentré dedans immédiatement, au fil des pages, jusqu’à avoir la frustration de ne pas avoir la suite. C’était génial. Pour le numéro 2, tout le monde me demandait si je l’avais, quand il m’est enfin revenu, il était passé entre 50 mains et était devenu tout fluffy. Lorsque l’objet devient un fait, on tient quelque chose. Ils ont dû être dégoûtés au Monde de ne pas avoir eu l’idée de réaliser une telle enquête. Paris Match le fait encore de temps en temps.  

Franck, vous dites que « la presse ne doit plus courir après l’actualité, mais l’anticiper voire la créer ». En faisant l’actualité donc, en imaginant des utopies nécessaires aussi, y a-t-il un autre moyen d’anticiper l’actualité ? Comment détecter les signaux faibles pour imaginer le futur ? 

F.A. : Certaines personnes ont des visions et savent remettre les choses en perspective. Gabriel est assez brillant pour ça, sans lui jeter des fleurs : prendre un sujet, l’envisager d’une façon unique, mais aussi le penser dans l’avenir. Des gens ont le cerveau bien fait pour cela. Ce n’est pas mon cas. En revanche, j’arrive à sentir le petit truc du moment qui peut devenir énorme, moins ce qui sera très puissant demain.  

G.G. : C’est une question d’appétit et de sensibilité. Certaines personnes savent raconter des histoires et te cueillir en une phrase. Ce que j’aime dans la publicité où, à partir d’un yaourt dégueulasse, on raconte une histoire qui va faire se poiler les téléspectateurs.

Quelle est la plus grande qualité de Gabriel Gaultier directeur de la rédaction et de Franck Annese, rédacteur en chef de Big Bang ? Qu’est-ce que l’un apporte à l’autre ? 

F.A. : Un bon directeur de la rédaction, c’est un N° 10 au foot, il doit avoir une petite vista, voir quelque chose que personne ne voit, qui soit excitant et donne envie de foncer. Ce fut le cas avec Big Bang.

G.G. : En vrai, je n’ai rien foutu…

F.A. : Non, non. Il y a plein d’idées où je me suis dit : j’ai envie de les voir sur papier. Comme celle d’envahir la Suisse. Je trouvais ça marrant sur le principe, sans visualiser la façon dont on pouvait la raconter. En creusant, en appelant des généraux notamment pour savoir concrètement comment mener cette invasion, nous nous sommes tous pris au jeu : après chaque interview, les journalistes venaient m’expliquer leur découverte, comme passer par la trouée de Belfort par exemple, c’était galvanisant. Le plan se dessinait sous nos yeux. 

La qualité de Gabriel, c’est d’avoir cette vision-là et de dire « C’est une idée du futur qui mérite d’être creusée » et de parvenir à embarquer plusieurs journalistes dessus, plutôt habitués à faire du récit sur des faits, pas sur des idées ou de la pure imagination. 

G.G. : Franck a une qualité incroyable : il ne rêve pas sa vie. Il ne pose pas de questions tordues, il fait ou il ne fait pas et en l’occurrence il fait beaucoup. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui se torturent l’esprit et trouvent toutes les bonnes raisons de ne pas se lancer. Franck, ça ne l’effleure même pas ces considérations-là, il fait. 

Avec Big Bang, il n’y avait pas de quoi se lancer dans de grands traités de philosophie pour savoir si nous devions le faire ou non. Ce n’est pas le 1 ou America, d’ailleurs je préfère avoir fait Big Bang, tu ne te fais pas chier au bout de deux pages. 

F.A. : Je crois pas mal à l’astrologie, quand tu es bélier tu fonces. Parfois tu prends un mur, mais au moins tu ne regrettes pas de n’avoir rien fait.  

Avec 340 pages pour un prix flirtant avec les 20 euros, Big Bang s’apparente plus à un mook, un livre qu’on conserverait pour ne pas oublier de rêver à demain, avec exigence et fantaisie. Qu’attendiez-vous de l’an 2000 (les années, pas l’année) lorsque vous étiez adolescent ? 

F.A. : Des voitures volantes déjà. Lorsque tu arrives en 2001 et que les voitures sont toujours sur les routes, il y a une petite déception. J’avais perdu mon permis à l’époque en plus, c’était l’occasion toute trouvée… force est de constater que non. 

G.G. : Une chose nous est restée, Optique 2000. J’ai bien connu le grand rêve de l’an 2000 parce que c’était loin. Toutes les sociétés, les lavomatics, les auto-écoles avaient 2000 accolé à leur nom, avec l’impression que c’était inatteignable. Puis, petit à petit ça s’est rapproché. Et il y a eu la peur du bug, on y allait à reculons, c’était nul !

F.A. : On se rapproche de quelque chose censé être un cap, devant nous faire passer dans un Nouveau Monde, et le premier réflexe c’est de penser au bug et de dire que tout va se crasher. 

G.G. : Il y a eu l’euro, le World Trade Center, la crise de 2008, la catastrophe climatique… C’est comme si on avait touché le gros lot, mais qu’on ne voulait pas encaisser le pognon. On est déjà au quart du 1er siècle de l’an 2000…

F.A. : il va falloir se bouger un peu. Je voyais vraiment l’an 2000 comme Total Recall par exemple, l’un des premiers films que j’ai vus au cinéma : c’était un futur assez proche qui avait l’air fou. Je pensais que l’an 2000 serait comme ça. 

G.G. : C’était clinquant ! Les premières fictions d’épouvante sont venues avec Alien et des vaisseaux spatiaux qui suintaient un peu et sentaient la graisse, puis Blade Runner est arrivé et on s’est dit qu’en effet ça pourrait vriller. Même 2001, l’Odyssée de l’espace était propre, les costumes impeccables, pas un grain de poussière, le ménage était bien fait chez Kubrick. Puis les boulons ont commencé à péter. 

F.A. : On a cédé à un confort moderne un peu nul, pratique et d’usage : des petites voitures rondes, des choses carrées qui se réparent facilement, il n’y avait plus d’ambition.

G.G. : Et ce p*****  de post-modernisme avec les immeubles de Bofill… Pourquoi, après le Centre Pompidou… ? Et ces réverbères à la Défense ?!

Gabriel, vous avez travaillé pour de nombreux médias, pensé leur campagne, leur image de marque, comme pour Oui FM ou récemment avec L’Humanité, c’était quoi le brief de Big Bang ? Est-ce plus difficile de penser son propre média que celui des autres ?

G.G. : Non, là il n’y a rien qui t’arrête, pas d’intermédiaire. Le projet était assez clair dans ma tête, l’édito écrit en 5 minutes et n’a pas changé d’une virgule depuis. Il n’y a aucune difficulté là-dedans. Ça n’a rien à voir avec le travail dans la publicité où tu es payé pour et tu demandes l’avis à d’autres personnes. Nous ne sommes pas dans un truc d’auteur.

Comment ont été choisies les publicités ponctuant les pages du magazine, pas si nombreuses en somme ? Celles de Monoprix (DDB Paris) semblent avoir été éditorialisées en amont, on voit aussi celles de Back Market (Marcel), Ricard (de l’agence Romance et très à propos par rapport à la une), Divie (CBD) lorsqu’il s’agit de parler drogues, un peu de podcasts, un peu d’autopromo pour SoGood, un peu de porno avec Dorcel (Marcel)…

F.A. : Les annonceurs décident de prendre des pages de pub dans Big Bang, ce n’est pas nous qui choisissons. Après, Guillaume Pontoire, le directeur de la régie (H3 Media), cible des annonceurs en adéquation avec les sujets.

Il y a tout de même un annonceur plus massif que les autres, Monoprix, avec douze pages dans le magazine. La marque écrase un peu les autres annonceurs dans l’exercice en tentant de réaliser des annonces ad hoc…

G.G. : Elle a fait son travail !

F.A. : Mettre des pages de publicité dans Big Bang c’était aussi une manière pour eux, je pense, de dire « Nous aussi on croit à un futur souhaitable ». Ils avaient envie de soutenir un projet et d’y être associés. Quitte à l’être, autant que cela soit fait dans les règles de l’art et pas simplement douze fois la même annonce sans rapport avec la tambouille. C’était plutôt bien vu et assez chouette de se dire qu’une enseigne comme Monoprix voulait croire dans un projet tel que Big Bang.

G.G. : Ce qui est dommage, c’est que les annonceurs ne font pas leur boulot : ils devraient être là où ça se passe. On devrait avoir les BMW, les Mercedes, les Tesla, les gros équipements, quel gâchis de leur part : il y a un magazine qui sort sur le futur, la pensée, etc., et pas une seule grande marque d’équipement, d’automobile, voire même de compagnie aérienne ne répond présent. C’est dément ! Soit les agences média ne font pas leur travail, soit les annonceurs sont endormis. En revanche, on va les retrouver dans Voici ou des magazines de ce type, c’est n’importe quoi ! Les annonceurs ont une mission envers la presse.

Dans l’interview L’Antécrise que vous nous avez donnée en décembre dernier Gabriel, vous disiez aimer les crises, « car elles excitent l’imagination, sont toujours des moments d’accélération de l’innovation, d’inventions qui se révèlent d’un seul coup possibles. » Mais aussi que « l’origine de toutes les crises apparaît lorsque les grandes puissances, les États et surtout les entreprises, ont perdu le goût d’inventer ». Pensez-vous que nous avons besoin d’utopies parce que les politiques ne savent plus nous donner le goût du futur, trop occupés à colmater le présent ?

G.G. : Les crises mettent les gens au pied du mur. L’homme est structuré comme un animal, il ne voit pas le danger tant qu’il n’y a pas le feu à la prairie. On reste de grands singes. Il y a un an, personne n’aurait parié sur le fait de trouver un vaccin en si peu de temps, c’est prodigieux. C’est le moment où jamais de se poser des questions concernant la révolution du trafic aérien, le télétravail, le nomadisme des gens, l’atomisation des lieux d’habitation, etc., des choses très excitantes pour l’imagination. Ce qui l’est moins, ce sont les gens qui vont se retrouver au chômage, gagner moins d’argent et dont il faudra s’occuper. 

En cela, les médias sont très importants : il faut de la réflexion et du commentaire. Les médias devraient être subventionnés d’une manière ou d’une autre. Par les annonceurs, les puissances publiques, etc., nous avons besoin de fusées éclairantes, de philosophes, de penseurs, de journalistes.  

La politique, c’est nous. Il n’y a pas un guide et les autres. Chacun participe, comme Franck avec ses journaux. Je crois beaucoup aux maires : ils font des choses concrètes. Il faut remettre au goût du jour les projets plus apaisés et visionnaires. Aujourd’hui, Big Bang et Society devraient être des émissions de télévision où l’on ne discute pas de faits divers crapoteux, mais de sujets plus visionnaires…

F.A. : Arte fait ce genre de choses et s’inscrit dans cette logique de faire réfléchir sur des sujets qu’on n’aurait pas forcément imaginé appréhender. Malheureusement, ils sont sous-estimés et pas assez promus. 

De la même manière, j’ai appris plein de choses en faisant Big Bang, sur les plantes, les insectes, les drogues, la géopolitique, l’Afrique, etc. 

Lorsque l’on dit, « les gens ne sont pas cons », on pense toujours qu’on s’adresse à une minorité : les gens qui écoutent France Culture ne sont pas des Parisiens bobo qui mangent bio, ce n’est pas « que » ça. Il faut désacraliser la culture et la connaissance, les rendre plus accessibles et montrer plus d’enthousiasme pour les initiatives médiatiques riches en sens et en apprentissages.

G.G. : Les dernières municipales ont fait surgir des maires Vert, inconnus, un peu ternes, mais qui disaient des choses intéressantes, que ce soit à Bordeaux ou à Lyon, de grandes villes : les citoyens sont à la recherche de ces personnes avec du fonds, des idées et une envie, sans effet de manches. Pas des rocks star de la politique. 

F.A. : Des personnes qui tentent de croire en un monde meilleur et qui n’ont pas pour ambition de seulement gérer l’existant.

Dans Retour vers le futur 2, Marty McFly voyage en 2015 lorsqu’il tombe sur un almanach des sports qu’il achète avant qu’il soit dérobé par le Biff du futur : dans 30 ans, si quelqu’un tombe sur Big Bang, quelle utopie nécessaire aura le plus de chance de s’être réalisée ? Et celle que vous aimeriez voir se réaliser ?

F.A. : Il y en a plein qui peuvent se réaliser. Marseille, la drogue idéale, même envahir la Suisse, nous avons fourni la carte et le mode d’emploi, il n’y a plus qu’à. Vivre sous l’eau on va devoir s’y confronter à un moment ou à un autre. « Tous nomades, la vie à louer » on y est déjà un peu et cela va s’accélérer. C’est une tendance lourde de la société.

G.G. : Ce ne sont pas des paris dingues. Ce sont des réponses à des questions d’aujourd’hui : 

– Marseille pour la décentralisation ;

– Les États-Unis d’Afrique, c’est la question de la décolonisation ;

– La drogue, le sujet est au Parlement actuellement ;

– même l’utopie suisse qui peut paraître loufoque pose la question de la répartition des richesses.

Comme dans les livres de Thomas Moore, l’utopie ne vient pas de nulle part, il y a un malaise dans la civilisation. Si ça ne marche pas, où est-ce que la torsion nous emmène ?

Au 15e siècle, c’était la démocratie avec le joug épouvantable de la monarchie. Au 18e siècle, qu’allons-nous faire de tout ce savoir ? Avec Jules Vernes, qu’allons-nous faire de toute cette technologie ? Aujourd’hui, c’est qu’allons-nous faire de tout ce pouvoir que nous donne le digital et qui entre en contradiction avec les institutions vieillissantes actuelles ?

Dans 30 ans, nous serons allés beaucoup plus loin ou alors nous regarderons en arrière de la même manière qu’on analyse les prédictions de Jules Vernes aujourd’hui : très en deçà de tout ce qu’il est possible de faire en réalité.

Et pour répondre à cette question à laquelle je n’ai pas envie de répondre, à choisir, « la bonne drogue », je n’ai pas vraiment de préférence.

F.A. : « Tous moches, tous égaux ».

G.G. : Toutes les utopies sont une leçon de modestie. C’est une façon de placer la jauge ailleurs. Nous ne sommes pas loin de la décroissance joyeuse, d’un point de vue philosophique, plus que quantitatif. 

Big Bang s’inscrit dans la lignée d’Actuel, fanzine de la contre-culture devenu un brillant agitateur d’idées dans les années 80. Vous faites d’ailleurs une dédicace à son rédacteur en chef Michel-Antoine Burnier dans votre édito. Seriez-vous prêts, comme Actuel et alors même qu’il devenait bénéficiaire, à vous saborder si vous ne parvenez pas à vous renouveler estimant que vous n’avez plus rien à dire, ou peut-être déjà tout dit ? Les possibles ont-ils une fin ? 

F.A. : Ce que j’aime bien dans Actuel, c’est le fantasme que j’en ai. Je ne l’ai pas lu, mais on m’en a tellement parlé que je fantasme un truc absolument génial. J’aime l’idée de garder cette part de fantasme. Je serai très content qu’un jour, lorsque je serai vieux, on me parle d’un des magazines auquel j’ai contribué de la façon dont les gens me parlent d’Actuel : un truc culte qui les a marqués. Je préfère ne pas le lire en fait (rires). Que ça reste un mythe. En revanche, on dit souvent d’Actuel que « ça sentait le plaisir », je trouve ça hyper important et avec Big Bang, je pense qu’on ressent aussi le plaisir qu’on a eu à l’écrire. Tant que ça sent le plaisir, il ne faut pas s’arrêter, succès ou pas. Le sujet n’est pas économique. 

G.G. : Je suis admiratif des personnes qui ne font qu’une seule chose. Sans être dans l’obsession de durer et que « ça marche ». Je ne sais pas ce que ça veut dire d’ailleurs, c’est un truc de capitaliste. C’est comme les notes, je dis toujours à mes mômes : « N’oubliez jamais que les notes ont été inventées par les capitalistes pour humilier les pauvres » : du coup ils sont fiers d’avoir de mauvaises notes ! C’est comme bouffer à heure fixe, c’est une p**** d’invention de capitaliste, je bouffe quand je veux ! 

Comment se renouvelle-t-on sur des utopies ? Travaillez-vous déjà au prochain numéro ?

F.A. : On a le temps, c’est l’avantage d’un almanach. C’est comme une série Netflix, la saison 2 sortira quand elle sortira. 

G.G. : J’ai commencé à le relire, c’est pas mal à la relecture. C’est presque mieux même ! 

F.A. : Il paraît qu’à la septième lecture on commence à comprendre ! (rires) C’est assez touffu, ce n’est pas une série de 6 épisodes comme Le Serpent

Résumez Big Bang en une phrase.

F.A. : Le meilleur magazine du moment.

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