Dove et l’image des femmes, acte 238.
Ne dérogeant pas à la mission qu’elle s’est donnée, la marque a décidé de prendre le mal à la racine : la publicité. Or pour influencer celle-ci, Dove et son agence Mindshare Danmark se sont insérées dans le workflow des professionnels de la communication en ciblant l’une de leurs sources préférées : les banques d’images, avec un “hack” tentant de remplacer les représentations lisses et surjouées des femmes par des images bien plus authentiques. Avec à la clé un succès et un travail de fond que nous dévoile Kenneth Kaadtmann, Creative Director chez Mindshare Danmark.
Le brief
Selon Kenneth Kaadtmann, la campagne est née de la fusion d’un insight relevé par l’agence et d’un souhait de l’annonceur. D’abord, Mindshare Danmark remarqua lors de différents projets que les photographies provenant des banques d’images n’étaient que peu représentatives de la société, et surtout des femmes : sexualité surjouée, corps similaires, images lisses et sourires « Colgate »… En effet, selon l’agence, 68% des femmes ne se reconnaissent pas dans l’imagerie publicitaire actuelle. Cet insight prit de la profondeur lorsque Dove exprima sa volonté de montrer dans sa communication des femmes du quotidien, « réelles », ayant des carrières et des hobbies variés, loin des stéréotypes véhiculés par les meilleures ventes des banques d’images. La campagne Image_Hack a ainsi permis de combiner les aspirations des deux parties, en faisant des images de stock le vecteur du chamboulement des représentations genrées. Et ce, auprès des consommateurs, mais surtout auprès de ceux qui participent activement à la construction des représentations sociales des populations : les publicitaires.
La campagne
Au commencement du projet, 5 photographes renommés furent engagés par l’agence pour créer des images représentant une idée alternative de la féminité, plus proche de la réalité. Ce qui allait devenir les images socle de la campagne furent photographiées durant le second semestre 2016. Puis Mindshare Danmark déploya son réseau pour solliciter la participation bénévole de nombreux autres photographes, qui se joignirent gracieusement au mouvement pour créer un éventail large de supports visuels.
Les images ont été mises en lignes sur Shutterstock en janvier 2017, et ce en toute discrétion, sans aucun partenariat avec la banque d’images en ligne. Ces photographies furent ensuite associées à des mots-clés spécifiques, tels que « vraie femme » ou « belle femme », dans le but d’impacter ceux qui tapent cette requête dans le moteur de recherche : les professionnels de la communication.
La Journée Internationale des Droits des Femmes apparut comme l’occasion rêvée de médiatiser la campagne, via une publicité dans un journal danois, ainsi que plusieurs affichages méticuleusement localisés près d’agences de communication. Et ce dans le but de s’adresser avant tout aux créateurs d’images publicitaires, si décriées dans leurs représentations des femmes. L’initiative a alors connu une viralité soudaine, permettant à de nombreuses agences et marques de participer au projet. 42 annonceurs, principalement du groupe Unilever (dont Dove fait partie), ont en effet rejoint le mouvement. Ce fut notamment le cas de Ford et Miko (sous sa marque Frisko), qui ont acheté les images disponibles sur Shutterstock pour leurs propres publicités. Si vous êtes tentés de vous joindre au mouvement, rien de plus simple : il suffit d’acheter et de télécharger les images sur Shutterstock, comme par exemple la série de photos dédiées à la mécano qui a tant plu à Ford.
La campagne a aujourd’hui acquis en visibilité mais ne peut se poursuivre, victime de son succès. Le directeur de création de Mindshare Danmark explique en effet que Shutterstock a identifié le « hack ». Plutôt que de le soutenir, la banque d’images joue le contrôle : « impossible pour les différents comptes créés par l’agence : toutes les nouvelles photos ont été refusées par le site », note Kenneth Kaadtmann. « Nous préférions ne pas les prévenir en début de campagne. Nous avions peur de ne pas pouvoir publier les premiers clichés et d’être paralysés dès le début ». La campagne continue cependant à exister grâce aux soutiens des photographes ayant leurs propres comptes Shutterstock.
Le case study
Les résultats
– 97 photographes ont participé à l’opération
– Plus de 2000 ventes des images de la campagne sur Shutterstock, rien que pour celles des 5 photographes « officiels »
– 42 marques ont rejoint l’initiative
– 40 millions d’impressions média pour 10 000$ de budget alloué
Les clés de succès
– L’un des sujets du moment
Si Dove a amplement contribué au « femvertising » depuis plusieurs années, la marque peut aujourd’hui surfer sur un sujet ô combien porteur, à une époque où l’égalité, la communication non sexiste et la diversité font partie des préoccupations du public selon Kenneth Kaadtmann.
– La persévérance
De l’aveu du Creative Director de Mindshare Danmark, cet Image_hack a été « particulièrement long à vendre, à produire et à mettre en place. » L’agence n’avait aucune garantie que le projet fonctionnerait, ce qui a nécessité de convaincre le client d’avoir foi dans ce projet. La nature distribuée de la campagne, reposant sur le soutien de dizaines de photographes a impliqué un certain lâcher prise. Le projet aurait pu être coupé à tout moment par Shutterstock, ou n’être absolument pas remarqué, une telle initiative ayant intérêt à faire profil bas plutôt qu’à être massivement lancée.
– Une vision fédératrice
À aucun moment « cette campagne ne met en avant les produits Dove » comme l’explique Kenneth Kaadtmann. « Il s’agit là d’exposer la vision de la marque. Il est beaucoup plus naturel et séduisant de s’identifier à un tel message plutôt qu’à une promotion… pour un savon ».